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La discrimination existe dans l’accès à la fonction publique, mais elle diminue

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Illustration représentant 3 individu dans un environnement de travail

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L’idée est souvent ancrée dans les têtes que les discriminations concernent le secteur privé, alors que la fonction publique en est protégé par son fonctionnement, à commencer par l’entrée sur concours (anonymat des candidats durant les épreuves, caractère impartial du jury, etc.).

Il a fallu attendre l’année 2016 pour qu’un rapport « Les discriminations dans l'accès à l'emploi public », rendu à la ministre de la fonction publique, remette en cause ces certitudes.

Cet article a initialement été écrit en octobre 2018 pour le blog Ville Inclusive.

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Date : 10/06/2021

L’enquête, donnant lieu au rapport « Les discriminations dans l'accès à l'emploi public », a exploité, pour les recrutements par concours, des données recueillies à l’occasion de l’inscription des candidats à ces concours (ce qui donne accès au parcours de 600 000 candidatures), et pour les recrutements sans concours, par des campagnes de testing, qui consistent à envoyer des courriels de réponses à des offres d'emploi émanant de candidats fictifs semblables en tous points, sauf sur une caractéristique dont on veut mesurer l’effet. C'est l'oeuvre de l’équipe de recherche parisienne ERUDITE (Equipe de Recherche sur l’Utilisation des Données Individuelles en lien avec la Théorie Economique). Résultat : on mesure le poids du déterminisme social. 

Alors que les enfants de cadres du public représentent 2,6 % des actifs occupés, ils constituent 10 % des cadres de la fonction publique d’Etat, soit quatre fois plus. Un tiers des agents de la fonction publique d’Etat sont des enfants de fonctionnaires et cette proportion s’élève à mesure que l’on monte dans la hiérarchie. Les descendants d’immigrés ont 8 % de chances en moins d’occuper un emploi public que les candidats nés de parents français. La sélectivité du recrutement, la définition des postes à pourvoir, la durée des contrats, les caractéristiques des candidats au regard de celles collègues de travail et des candidats et du jury, tout cela peut jouer. Le testing, réalisé au printemps 2016, sur plusieurs professions dans les trois fonctions publiques n'a montré aucune sorte de discrimination dans le recrutement des policiers fonctionnaires de l'Etat. En revanche, dans les hôpitaux publics et la fonction publique territoriale, des discriminations apparaissaient entre une candidate dont le patronyme est "de consonance française supposée" et une candidate dont le patronyme est de "consonance maghrébine supposée" ou encore selon "le lieu de résidence".

Une nouvelle vague de testing dans la fonction publique a été réalisée en 2017-2018. Elle a comparé la fonction publique au secteur privé, et en testant deux nouveaux critères de discrimination, en plus du sexe, de l’origine et de la réputation du lieu de résidence : l’orientation sexuelle l’orientation sexuelle et le handicap sont pris en compte. Cette campagne est alors la première en France organisée sur les risques de discrimination fondés sur le critère de l’orientation sexuelle.  Ce testing constitue aussi une des actions emblématiques du plan gouvernemental de mobilisation contre la haine et les discriminations anti-LGBT, porté par la Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l'Antisémitisme et la Haine anti-LGBT (DILCRAH).

Le testing porte, pour le privé sur des emplois en CDD et en CDI, et pour le public, sur deux professions :  responsable administratif (catégorie A) et aide-soignant (catégorie C). Il s’agit d’emplois de contractuels dans les trois fonctions publiques (État, Territoriale et Hospitalière) et d’emplois de titulaires dans une collectivité territoriale pour les responsables administratifs (réussite au concours d’attaché territorial en 2016). 

Pour chaque profession, les chercheurs ont construit 5 profils fictifs de candidats à l’emploi similaires en tout point à l’exception de la caractéristique qui est testée : l’origine signalée par la consonance du prénom et du nom (maghrébine/ non maghrébine), la réputation du lieu de résidence, le sexe du candidat, son orientation sexuelle signalée par une activité extra-professionnelle mentionnée dans le CV en lien explicite avec la communauté LGBT (la participation à l’organisation des Gay Games). Entre septembre 2017 et mars 2018, 653 réponses à des offres d’emploi émanant d’établissements privés et publics ont été envoyées, ce qui correspond à l’envoi de 3265 candidatures (5x653).

Le testing ne met pas en évidence de discrimination à l’embauche significative à l’encontre des candidats, femmes ou hommes qui suggèrent leur homosexualité, dans les professions testées, dans les secteurs public et privé. Cela peut vouloir dire que ce type de discrimination est très rare, ou que l’enquête a choisi un signal trop faible pour suggérer l’orientation sexuelle. Autre hypothèse : pour les femmes, l’anticipation par le recruteur d’une moindre probabilité de maternité d’une lesbienne relativement à une femme hétérosexuelle, pourrait compenser la discrimination liée à l’orientation sexuelle.

Globalement les discriminations selon l’origine et le lieu de résidence ont diminué entre la campagne de testing de 2015-2016 et celle de 2017-2018. Les chercheurs disent constater « un mouvement de réduction de l’intensité des discriminations dans l’accès à l’emploi depuis 2015 ». Les discriminations en raison de l’origine continuent à exister mais sont moins fortes, et les discriminations selon le lieu de résidence n’apparaissent plus (il faut regarder les écarts de taux de réponse relativement au candidat de référence, qui sont plus ou moins significatifs en fonction de la taille de l'échantillon).

 

Graphique présentant l'évolution du taux de réponse entre le testing de 2015-16 et celui de 2017-18

 

Selon le professeur L’Horty, cette tendance est difficile à interpréter : elle pourrait provenir à la fois du mouvement général de reprise de l’emploi qui pousse les employeurs à être moins sélectifs, et de l’action publique sur la prévention des discriminations qui porte ses fruits. Ainsi, dans la fonction publique, les labels « Diversité » et « égalité professionnelle entre les femmes et les hommes » se diffusent et permettent d’éviter des dérives. En juillet 2018, ils ont été obtenus par le ministère de l’Intérieur par exemple.

Contrairement au testing de 2016, on ne peut plus établir que la fonction publique pratique globalement des discriminations dans l’accès à un entretien d’embauche. Les preuves statistiques de discrimination sont désormais très localisées : dans le détail, les résultats mettent en évidence l’existence de discriminations liées à l’origine dans la fonction publique territoriale concernant le poste de responsable administratif, ce qu'indique le graphique ci-dessous, puisqu'il y a 7,3 points d'écart dans les taux de réponse entre le candidat au nom "français" et celui au nom maghrébin (39,2 / 31,9). La discrimination à l'origine est aussi constatée dans dans le privé pour le poste d'aide soignante. En revanche une discrimination liée au sexe est constatée en faveur des femmes dans le privé (responsable administratif) et une discrimination liée à la réputation du lieu de résidence en faveur du candidat QPV dans la FPE (responsable administratif), ce qui signifie que dans ces métiers et ces contextes, les tendances se sont inversées.

 

Graphique présentant l'évolution du taux de réponse pour un poste de responsable administratif entre 2015-16 et 2017-18

 

Quant au testing effectué auprès de 311 établissements culturels, dont une majorité relève de la fonction publique, il indique qu’une candidate non handicapée a 16% de chance en plus d’obtenir une réponse positive qu’une candidate handicapée. Nous reviendrons sur ces résultats dans un prochain billet consacré à la discrimination dans l'accès à l'emploi au regard du handicap.

Lors de la présentation des résultats de cette enquête, Olivier Dussopt le secrétaire d’Etat en charge de la fonction publique a rappelé l’engagement qui a été pris de poursuivre et amplifier les travaux d’évaluation des risques de discrimination dans la fonction publique. En application du décret n°2018-114 du 16 février 2018, sera déployé le système d’information « base concours » permettant de collecter, dans des conditions encadrées par la CNIL, des données à caractère personnel sur les candidats aux concours de la fonction publique. Ce dispositif devrait être opérationnel en janvier 2020.