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Des initiatives qui font du numérique un levier à l’inclusion et à l’accès aux droits

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Illustration d'accessibilité électronique. Accessibilité aux sites web, appareil électronique pour personnes en situation de handicap

Article

Alors que l'accès aux droits sociaux, à de nombreux services publics, mais aussi à l'emploi, au logement, etc., se fait de plus en plus en ligne, il est indispensable que les personnes en situation de précarité ne soient pas laissées sur le bord du chemin. D'où l'intérêt d'initiatives qui font du numérique un levier d'accès aux droits et d'inclusion sociale pour ces publics.

Quelles sont ces initiatives et que nous apprennent-elles ?

Cet article a initialement été écrit en juin 2017 pour le blog Ville Inclusive.

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Date : 10/06/2021

Alors même que de nombreux dispositifs basés sur les technologies numériques sont dans les tuyaux et vont révolutionner l’accès aux droits sociaux — mise en place d’agences numériques, extension de l’identifiant FranceConnect pour accéder à des services publics en ligne, programme gouvernemental de simplification « Dites-le nous une fois », simulateur de droits, coffre-fort numérique pour stocker ses pièces justificatives, dématérialisation complète des prestations sociales…), il est constaté que le numérique est en train de devenir un obstacle à l’accès aux droits. L’alerte a été lancée dernièrement par le Défenseur des droits et dans plusieurs rapports.

Alors, le numérique est-il vecteur d’autonomie des usagers et de « pouvoir d’agir » ? Justement, c’est loin d’être une évidence, et si pour des publics favorisés socialement la dématérialisation rime avec la simplification, pour les publics précaires, l’administration en ligne est davantage synonyme de dépendance accrue aux travailleurs sociaux — on parle alors de précarité numérique et d’e-exclusion —. D’où des recommandations répétées du Défenseur des droits : il faut redéployer une partie des gains procurés par la dématérialisation des services publics vers le financement d’un accompagnement des usagers au numérique ; il faut imposer l’obligation d’offrir une voie alternative au service numérique (enquête sur l’accès aux droits, Vol 2, mars 2017).

Quelques initiatives et expérimentations laissent néanmoins entrevoir un monde où le numérique favoriserait l’accès aux droits et l’inclusion sociale des plus précaires. Quelles sont-elles, que nous apprennent-elles ?

 

Emmaüs en pointe pour faire du numérique un levier d’insertion

Emmaüs a lancé en 2010 « Connexions solidaires » pour donner un bagage numérique minimum aux personnes qui en sont dépourvues. Ce programme repose sur trois piliers : un accès facilité à des offres et des équipements à tarif solidaire (cartes prépayées pour mobiles et internet, ordinateurs, téléphones), des ateliers pour se familiariser à l’usage de ces technologies, et un conseil personnalisé. L’association Emmaüs Connect, créée en 2013, travaille aujourd’hui avec près d’un millier de partenaires de l’action sociale, dans le cadre de ce programme qui va s’amplifier — une convention signée avec l’Agence du numérique en a fait le « pôle référent de la médiation numérique pour les publics en situation de précarité ». L’association dispose de neuf points d'accueil — à Lille, Saint-Denis, Paris, Antony, Lyon, Grenoble et Marseille. Elle intervient également auprès des travailleurs sociaux, qu’elle forme, et auprès des collectivités territoriales. La CAF du Morbihan a par exemple mandaté une filiale d’Emmaüs Connect pour former au numérique la population du département. Le programme prévoit d’intervenir sur toute la chaîne — publics fragiles, professionnels du social, opérateurs qui dématérialisent, collectivités.

 

Tableau reprenant les "clés pour agir" du point de vue des "publics fragilisés", des "acteurs sociaux", des "opérateurs qui dématérialisent" et des "collectivités"

 

Emmaüs Connect a mené une étude quantitative en 2014 sur "les pratiques numériques des jeunes en insertion socioprofessionnelle", au sein des missions locales de Lille et de Grenoble. L’étude indique que la réussite de l’inclusion numérique repose sur trois piliers : l’accès, en proposant des offres et équipements accessibles et solidaires ; la motivation, en partant des besoins exprimés par le bénéficiaire pour montrer l’utilité d’internet et offrir des parcours personnalisés ; les compétences, en associant la médiation numérique à l’accompagnement, qui est indispensable pour apprendre à utiliser internet, en améliorer les conditions d’accès, et en connaître les usages. Le numérique peut faciliter l’insertion professionnelle des jeunes éloignés de l’emploi dès lors que l’humain, et non la solution technologique, est placée au centre des préoccupations. Au-delà du parcours professionnel, aider les jeunes à utiliser pleinement le potentiel des TIC leur permet de s’ouvrir à de nouveaux horizons et de trouver leur place dans la société.

 

Un besoin de médiation qui n’est pas prêt de se tarir

Le « rapport d’information sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de l’accès aux droits sociaux » rendu en 2016 à l’Assemblée nationale (dont la proposition numéro 10 donnait des pistes pour « faire de l’inclusion numérique un outil d’accès aux droits sociaux ») livre une conclusion exactement inverse à l’idée que la médiation aurait vocation, à mesure que la population se familiarise avec les outils numériques, à ne concerner qu’une frange limitée de la population : « Nous soutenons que la quasi-totalité des services, que ceux-ci soient fournis par des acteurs publics ou par le secteur privé, va dans l’avenir avoir de plus en plus besoin de médiations humaines avec les usagers. » La médiation numérique restera indispensable pour favoriser l’accessibilité des prestations, tout comme restera indispensable l’accompagnement personnalisé des allocataires. D’où l’intérêt de Connexions solidaires, mais aussi des multiples initiatives à cheval entre médiation et formation.

 

Le numérique comme cheval de Troie d’apprentissages linguistiques

C’est le cas de celle portée depuis des années par le restaurant social Pierre Landais de Nantes (rattaché au CCAS), qui a tiré profit de son statut de lieu de passage pour les personnes en situation de grande précarité. Des ateliers ont été mis en place après les repas — aujourd'hui ils se tiennent dans différents lieux, à la maison de quartier de l’Ile de Nantes et surtout au CCAS. Des personnes en grande précarité se sont appropriées des opérations de lecture et d’écriture, à travers la création d’adresses électroniques, la consultation de leurs emails, la diffusion d’une lettre d’information interactive sur les « bons plans », la création d’un blog, la réalisation de démarches administratives, la recherche de logement, etc. Selon Frédérique Bros, spécialiste en sciences de l’éducation (« Devenir e-lettré : quels leviers et voies d’accès à l’écrit à l’heure de la littératie numérique ? », Savoirs, n° 38, 2015), l’intérêt de l’expérience est qu’elle n’aborde pas de manière frontale la question des apprentissages linguistiques fondamentaux, mais repose au contraire sur une stratégie détournée d’accès à la culture et à l’écrit, en partant des envies et préoccupations concrètes des personnes. « Elle procède ainsi à un détour salutaire car les TIC et leurs usages font ainsi office de cheval de Troie ». 

 

Le site Mes aides conçu avec des usagers

Une partie des personnes qui ne recourent pas aux droits sociaux sont persuadées qu’elles ne sont pas éligibles. L’application mes-aides.gouv.fr répond à cet obstacle en permettant d’évaluer l’éligibilité de 25 prestations sociales légales et extra-légales en un minimum de temps. L’interface de se site a été pensé en lien avec des usagers et des professionnels, comme l’explique Matti Schneider ("Les conditions d’adoption du numérique dans le service social", La Revue Française de Service Social, n°264, 2017) qui voit dans cette méthodologie un exemple à suivre. Des tests utilisateurs approfondis ont étudié de manière ethnographique la prise en main de l’application, ont pris en compte  les difficultés rencontrées, puis ont discuté des moyens  d’amélioration. L’idée est que pour que ces outils marchent, il faut une collaboration rapprochée entre des usagers, des développeurs experts du numérique et des professionnels du social. Pour mes-aides, il a été montré que l’outil remplit sa mission de réduire l’effort d’évaluation des droits aux aides sociales (en novembre 2016, plus de la moitié des usagers ont évalué leurs droits en moins de 7 minutes, et 97 % en moins de 30 minutes).

 

Reconnect, un coffre-fort numérique pour les plus précaires

Une autre piste est celle du coffre-fort numérique. Ce dispositif consacré par l'article L.137 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique peut aider à alléger les opérations de fourniture de pièces justificatives de la part des bénéficiaires de droits à prestation, qui sont une cause bien connue de non-recours par découragement du demandeur. Reconnect est une plateforme (du groupe SOS) qui permet justement aux personnes en situation de grande précarité de faire des copies numériques de leurs papiers et de les stocker dans un espace en ligne. Au sein des Relais Reconnect toute personne accompagnée par un travailleur social peut s’inscrire gratuitement et  enregistrer l’ensemble de ses documents mais aussi ses contacts et ses rendez-vous, pour y avoir ensuite accès de n’importe quel endroit.

 

Ces expérimentations sont loin d’être de complètes réussites, mais c’est le propre d'une expérimentation que de tâtonner et livrer des pistes d’amélioration. L’examen des résultats mitigés des expérimentations d’agences virtuelles (puisque des CAF virtuelles ont été expérimentées ainsi que des agences en ligne de la CARSAT) et même du coffre-fort numérique pourrait ainsi faire l’objet d’un prochain billet, de manière à en tirer les leçons.