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La place des systèmes automatiques, aujourd’hui et demain, dans les transports en commun par bus

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Portrait de Philippe Grand
Responsable du programme de recherche Lyon Urban Trucks & Bus (LUTB)

Interview de Philippe Grand

<< Un bus sans conducteur n'est pas envisageable, on ne peut reproduire en surface l'équivalent de la ligne D, située sous terre et sur une infrastructure dédiée. En surface, les impondérables sont trop nombreux >>.

Philippe Grand, coordinateur des projets au sein de la plateforme de développement autobus d’Irisbus, est responsable par ailleurs du programme de recherche de Lyon Urban Trucks & Bus (LUTB) « architecture des systèmes de transport et confort ». Irisbus, un des membres fondateurs du pôle de compétitivité LUTB participe en effet de manière active à ce pôle.

Nous interrogeons Philippe Grand sur la place des systèmes automatiques, aujourd’hui et demain, dans les transports en commun par bus.

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Date : 10/02/2011

La notion de robotique a-t-elle un sens dans le cadre des projets d’Irisbus, qu’il s’agisse de la fabrication des bus ou de leur fonctionnement ?

Contrairement à l’industrie automobile et même à celle du camion, la fabrication de bus est une industrie qui emploie une main d’œuvre importante. La production garde une dimension artisanale, en raison notamment des demandes spécifiques de chaque client. Comme le nombre moyen de commandes par client est faible — de l’ordre de 4 bus —, nous sommes presque dans le sur mesure, surtout au niveau de l’équipement intérieur du véhicule. Quant à leur fonctionnement, nos bus embarquent effectivement de plus en plus de fonctions automatisées, d’automatismes. En revanche, on ne peut pas parler de robotique.

 

Quelle place tiennent les automatismes dans les bus d’aujourd’hui ?

Plusieurs avancées sont significatives. Grâce à un partenaire dans le domaine de l’automatisme, certains de nos bus sont dotés d’un système de guidage optique. Une caméra placée à l’intérieur du véhicule lit des pointillés, un marquage codé sur la chaussée qui matérialise la trajectoire idéale d’accostage. Un calculateur permet de détecter les écarts et de les corriger par l'action d'un moteur sur la colonne de direction. Cet automatisme est utilisé sur des sites propres, mais aussi sur des lignes plus classiques. La précision de l’ordre du centimètre permet, là où le trottoir est élevé, une très bonne accessibilité pour l’ensemble des usagers, pour les personnes en fauteuil ou à mobilité réduite. Ce dispositif en exploitation à Rouen a été expérimenté par le SYTRAL à Lyon. Il est intéressant, car il commence à automatiser des fonctions de guidage.

Une autre avancée liée à la localisation du véhicule par GPS, combinée à un système de priorité au feu vise à réduire la consommation d’énergie du véhicule : elle consiste à gérer les accélérations et les freinages, avant ou au moment du passage d’un carrefour, soit en délivrant des informations au conducteur — le laps de temps dont il dispose pour passer au vert, lui signaler qu’il doit décélérer car le feu sera rouge à son arrivée…—, soit en gérant ces paramètres sur un mode automatique. Techniquement, tout est sur la table pour que cela fonctionne sur un mode automatique. Une autre application liée à la localisation du bus pourrait consister à le faire passer automatiquement d’un mode thermique à un mode électrique à l’abord d’une station, pour réduire pollutions, nuisances et consommation d’énergie.

 

Le conducteur de bus accepte-t-il facilement cette évolution vers davantage d’automatismes ?

Il s’agit en effet de ne pas de trop automatiser les bus, pour ne pas brusquer les chauffeurs. Dans le cas du guidage optique, les réticences et les craintes étaient réelles au début. Les conducteurs nous faisaient valoir, à juste titre, qu’ils étaient parfaitement capables d’accoster manuellement avec une grande précision. Mais accoster avec la même précision durant toute une journée, c’est plus difficile. Surtout, les chauffeurs se sont rendus compte que ce système leur donnait davantage de liberté pour se concentrer sur d’autres aspects de la conduite et de la relation aux usagers. Et le conducteur reste maître à bord, il peut reprendre le contrôle sur le volant à tout moment. L’acceptabilité a finalement été bonne. A Rouen, les chauffeurs seraient probablement réticents si on leur proposait de revenir au système antérieur.

 

Un bus sans conducteur, est-ce envisageable ?

Non, on ne peut reproduire en surface l’équivalent de la ligne D du métro lyonnais, située sous terre et sur une infrastructure dédiée. En surface, beaucoup trop de choses se passent pour que cela soit imaginable, les impondérables sont trop nombreux, un enfant peut traverser à tout moment !  En plus, l’enjeu n’en vaut pas la peine si on compare les investissements, la technicité nécessaire et le gain attendu. Un bus est un véhicule à dimension humaine, de service à la personne. Sans compter les aspects réglementaires. Déjà, avoir homologué le guidage optique avec la DRIRE n’a pas été chose aisée…

 

Quelles sont les avancées des bus que l’on peut attendre dans les vingt ans qui viennent ?

L’axe énergétique est un axe majeur. Les économies de carburants utiliseront les hybridations notamment. La baisse générale des coûts d’exploitation est un second axe : une des pistes envisagées consiste à mettre en place des véhicules modulaires, de 18 à 24 mètres durant les heures de pointe, d’une dizaine de mètres durant les heures creuses — en enlevant une remorque — pour éviter des bus roulant presque à vide. Le projet Modulo de LUTB porte justement sur cette remise en cause de l'architecture des bus pour satisfaire les demandes de flexibilité croissante des exploitants. L’efficacité énergétique, la consommation de carburant ainsi que le niveau d’émissions sonores et polluantes s’en trouvent alors améliorés. Les bus à haut niveau de service (BHNS) roulant sur des axes forts dédiés répondront à des objectifs d’efficacité en termes d’horaires, et d’attractivité avec un look renouvelé. Ils se situeront, et se situent déjà avec les bus Cristalis des lignes C1, C2, C3 à Lyon, à mi chemin entre le bus et le tramway, avec une image qui n’est plus celle du bus traditionnel.

 

Du côté de l’usager, quels seront les changements ?

Un des objectifs de l’exploitant est de limiter au maximum l’attente de l’usager à une station sans savoir à quel moment le bus arrivera. Nous serons en mesure de leur fournir, par le biais de leurs smartphones, une information ciblée et personnalisée : un touriste n’a pas les mêmes besoins qu’une personne utilisant les transports en commun tous les jours pour son travail, de même que les problématiques sont différentes en fonction que l’on soit valide ou non. Nous travaillons avec des opérateurs comme Keolis-Veolia ou la RATP pour imaginer des solutions, ainsi qu’avec des entreprises comme Embédia à Lyon qui vise à rendre la ville interactive et accessible.

 

Suivez-vous avec intérêt les solutions inventées dans certaines parties du monde ?

En Europe de l’Ouest, nous sommes globalement en avance en termes de solutions. Pour autant, nous suivons avec intérêt les systèmes de biberonnage ou recharge rapide des batteries mis en place en Chine, en Corée du Sud et aux Etats-Unis : plutôt que de recharger la batterie d’un bus durant la nuit, elle l’est à tous les arrêts, ou à un arrêt sur trois. Nous allons réaliser une expérimentation en ce sens au CEA puis avec la RATP dans un premier temps. Nous sommes en discussion avec le SYTRAL à Lyon pour également proposer une expérimentation en vraie grandeur. Mais il faut rester prudent : autant il est facile de réaliser des prototypes et des expérimentations, autant l’exploitation est bien plus difficile à réaliser. C’est un enjeu au niveau système.

 

Historiquement, depuis les années 50, Lyon a été appelée « ville des trolleybus » en raison de la réputation de l’OTL notamment, ancêtre des TCL. Que représente Lyon aujourd’hui dans les transports en commun ?

Lyon est un exemple européen, voire mondial, de transports collectifs de personnes. Premièrement parce que nous utilisons des modes très économes en carburants. Avec l’ensemble des transports en commun, métro, tramway, trolleybus et bus, la part de l’électricité atteint 70%. Deuxièmement, le maillage du réseau est excellent, tous les modes de transport sont utilisés, métros pour les transports sur des grands axes, tramways, trolleybus qui comblent le créneau entre tramways et bus, et bus. Le bus à haut niveau de service est parfois appelé avec condescendance « tramway du pauvre », alors que c’est plutôt un « tramway malin », bien plus économique pour la collectivité qu’un tramway avec un rapport de coût de un à dix. Lyon est enfin considérée comme exemplaire en matière d’intermodalité.