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La robotique dans les services urbains

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Portrait de Roger Paris

Interview de Valérie MAYEUX-RICHON et Roger PARIS

<< Ce qui est en jeu à travers la robotisation, c’est en fait avant tout la question sociale : celle de l’emploi et celle de la cohésion sociale en laissant un nombre encore plus important de personnes à la marge de la société >>.

Cette interview présente un regard croisé de Valérie Mayeux-Richon, issue de l’univers de l’environnement et récemment entrée en poste au Grand Lyon, et de Roger Paris, ancré dans la culture des services urbains de la Communauté urbaine de Lyon, sur l’évolution des services urbains, et notamment celui de la gestion des déchets. Ils exposent également leurs points de vue sur les enjeux actuels et sur les questionnements que soulèvent l’introduction ou le développement de la robotique dans les métiers de la gestion des déchets.

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Date : 24/01/2011

Interview réalisée dans le cadre de la réflexion conduite par la DPDP sur l’introduction de la robotique dans les services urbains : état des lieux et questionnements.

Depuis sa création en 1969, la Communauté urbaine de Lyon exerce ses compétences en propreté sur le territoire qui compte désormais 58 communes. La direction de la propreté du Grand Lyon compte aujourd’hui plus de 2 000 agents. Elle se décline en deux divisions, gestion des déchets et nettoiement et en quatre missions : la collecte des ordures ménagères, le traitement et la valorisation des déchets, le nettoiement et le déneigement des voies et espaces communautaires.

En 2002, le Grand Lyon a été la première grande agglomération française à avoir mis en place la collecte sélective sur l’ensemble de son territoire afin de favoriser le recyclage, qui contribue à la préservation des ressources naturelles (bois, fer, pétrole, etc.) et qui limite la part des déchets à incinérer.

 

Les centres de tri des déchets dans l’agglomération lyonnaise

La communauté urbaine de Lyon fait traiter les déchets issus de la collecte sélective sur deux centres de tri : celui de Rillieux-la-Pape appartenant à Véolia, et celui de Saint-Fons appartenant à Nicollin. Les déchets issus de la collecte sélective proviennent des bacs verts ou des silos d’apport volontaire.

Ils sont triés par type de matériau : plastique, acier, aluminium, carton, papier. Ce tri est en partie réalisé mécaniquement par détection optique ou par magnétisme et en partie manuellement, notamment pour retirer tous les produits non - recyclables ou mal orientés par le process. Une fois trié, chaque matériau est conditionné en balles ou vrac, et envoyé vers des usines de recyclage spécifiques.

 

Les résultats du recyclage sont plutôt concluants :

▪  Une tonne de papier récupérée permet d’en fabriquer 900 kg.
▪  Une bouteille sur deux est fabriquée à partir de verre recyclé. Le recyclage du verre permet d'économiser 30% de l'énergie nécessaire à sa fabrication.
▪  Avec 27 bouteilles en plastique, on fabrique un pull polaire !
▪  Une tonne d'acier fabriquée à partir de ferraille recyclée ne demande que 50% de l'énergie qui serait nécessaire si l'on partait du minerai. A cette économie d'énergie s'ajoute une économie de matière première.
▪  Le recyclage de l'aluminium permet d'économiser 95% de l'énergie nécessaire à sa fabrication.

 

Valérie Mayeux-Richon et Roger Paris : présentation

Ingénieure agronome et diplômée en génie chimique (DEA), Valérie Mayeux-Richon a intégré le Grand Lyon en août 2010, après treize années passées à l’agence de l’environnement et de l’énergie à travailler notamment sur les problématiques déchets et développement durable, puis quatre ans au Département de Seine-Maritime, investie sur les sujets d’efficacité énergétique et de construction durable.

Travaillant au Grand Lyon depuis 1973, Roger Paris, ingénieur, a une bonne connaissance des services urbains, de leur évolution et des enjeux d’avenir.

 

Interview :

 

Quels sont les grands dossiers sur lesquels vous travaillez actuellement ?

VMR : Nous travaillons sur le futur système de traitement car nos deux usines d’incinération arriveront en fin de vie autour de 2020 et qu’il est important d’étudier d’ores et déjà les scénarios de gestion des déchets à envisager demain.

Nous travaillons aussi sur le plan de réduction des déchets à la source. Nous nous sommes engagés auprès de l’ADEME à réduire nos déchets de 7% d’ici 2014, soit de 23 kilos par an et par habitant. Cet axe est fondamental car il permet d’impulser un nouveau regard sur les déchets et une recherche permanente de moyens pour les réduire, depuis la préférence portée à l’eau du robinet plutôt qu’à l’eau en bouteille, jusqu’au compost et aux  lombricomposteurs en passant par la réduction des emballages et de l’utilisation des objets jetables type gobelet.
Cette politique concerne évidemment l’ensemble du territoire communautaire. C’est pourquoi fin 2010 une campagne de communication reposant sur des foyers témoins, acteurs de la prévention, a été réalisée. Mais elle concerne aussi le Grand Lyon en tant qu’institution qui se doit d’être exemplaire. C’est dans cet esprit que nous avons entamé un travail coopératif avec l’ensemble des directions et que nous élaborerons sans doute une charte de bonne utilisation du papier avec les différents services communautaires.

Et bien sûr, nous poursuivons les autres travaux du plan stratégique 2007/2017, et préparons les futurs marchés de tri et de collecte qui seront à renouveler respectivement en 2011 et en 2012. Notre objectif majeur est la rationalisation des collectes. Les expérimentations en cours sur la mise en place de silos enterrés participent de cette dynamique.

 

Evolution dans la collecte des déchets : La future évolution en termes de collecte est donc la mise en place de silos enterrés ?

VMR : Effectivement, nous étudions le développement de ce type de collecte du fait des demandes accrues de la part des bailleurs. Les premières expérimentations que nous avons conduites sur le secteur de Rillieux et de la Duchère par exemple sont encourageantes. Ce système est intéressant car il permet notamment de réduire le nombre de collectes, d’entrées et de sorties des bacs poubelles, et libèrent de l’espace dans les immeubles en diminuant les surfaces des locaux poubelles.

Par ailleurs, il semble que ce système favorise en habitat collectif dense notamment une meilleure sélection des déchets si les silos sont à moins de vingt cinq mètres des allées des habitations. Cependant, il est important d’éviter ou de concevoir un aménagement spécifique dans les fortes pentes pour ne pas entrainer des stockages d’eau et générer des odeurs comme cela a pu se passer à la Duchère.
Ce système nécessite par ailleurs une remise à plat dans la répartition de la prise en charge financière entre les acteurs - Grand Lyon et bailleurs - et c’est sur quoi nous travaillons actuellement.

 

Ce système qui consiste à créer des silos enterrés dans l’espace public est-il envisageable dans l’ensemble du tissu urbain et ne nécessite-t-il pas un aménagement spécifique des voiries ?

VMR : L’emplacement des conteneurs enterrés doit  répondre à différents critères d’implantation comme :
▪  être accessible aux piétons et aux personnes à mobilité réduite pour lesquelles les normes en vigueur seront respectées : le cheminement doit assurer une continuité ne présentant pas de rupture brutale de niveau entre la sortie d’immeuble et la plateforme des  subteneurs ou conteneurs semi-enterrés,
▪  être accessible au véhicule de collecte sans manœuvre et en évitant de perturber la circulation à l’occasion des opérations de levage et de vidage. Sauf en cas de risque important de stationnement intempestif, le véhicule de collecte doit respecter le sens de circulation,
▪  être libre de tout objet ou obstacle pouvant gêner les usagers ou l’approche du camion de collecte,
▪  être protégé du passage ou du stationnement intempestif des véhicules par des bordures infranchissables et si besoin par des bornes, des potelets ou des barrières. Ces derniers seront placés à une distance minimale de 0,80m de l’aplomb des parois extérieures du subteneur ou conteneur semi-enterré,…
▪  et ne pas se situer sur des réseaux souterrains sauf dispositions particulières, sous des réseaux aériens (lignes électriques, téléphoniques), dans une pente supérieure à 8%, ou encore à proximité immédiate d’arbre d’alignement, sous des balcons, enseignes, marquises, etc.

Aussi, certains secteurs géographiques, notamment le centre ville et tout particulièrement le Vieux Lyon, ne peuvent que très difficilement se prêter au développement de ce mode de collecte.

 

Pourquoi ne pas opter pour un système par aspiration à travers des canalisations souterraines comme à Barcelone ?

VMR : A ma connaissance, l’intérêt de ce système n’a pas encore été totalement démontré. Peu de collectivités françaises semblent s’y intéresser ; il demeure en outre cher.

 

Pensez-vous que le système des silos enterrés soit plus rentable et pertinent qu’un système de collecte par camions comme actuellement,  mais dotés de bras robotisés de saisie des bacs ?

VMR : Je ne peux pas répondre sur le plan financier. Sur le plan fonctionnel, ce système nécessite que les personnes positionnent bien les bacs et que rien n’en gêne l’accès. Or, je ne suis pas sûre que les gens soient vraiment vigilants lorsqu’ils posent leurs bacs sur les trottoirs, ni qu’ils soient tous soucieux de ne pas entraver leur accès en garant leur voiture devant par exemple.

De plus, et surtout, ce système supprime des emplois de ripeurs. Les silos enterrés réduisent les fréquences de collecte et de ce point de vue semblent financièrement plus intéressants. Les investissements sont par contre aujourd’hui bien supérieurs à ceux des contenants classiques et en coût global la preuve n’a pas encore été faite d’un gain pour la collectivité.

 

Evolution technologique et emploi : La question sociale serait-elle autant, voire plus importante que la question financière ?

VMR : Il me semble qu’une collectivité comme le Grand Lyon se doit de prendre en compte tous ses habitants. C’est le rôle du service public d’offrir des emplois non qualifiés et de permettre aux individus d’évoluer tout en veillant à améliorer les conditions de travail.

 

Cette question de l’emploi se pose-t-elle de la même façon dans l’ensemble des activités liées aux déchets ?

RP : Certains services sont en régie directe, d’autres comme le tri, sont confiés à des entreprises par délégation de services publics. En ce qui concerne le tri, nous travaillons à Rillieux, avec Véolia et, à Saint-Fons, avec Nicollin. Nous ne sommes de fait pas directement concernés par les conditions d’emploi et leur évolution. Nous avons une exigence de résultats et c’est à l’entreprise de s’organiser au mieux pour y répondre dans le respect de la réglementation. Ceci dit, ces entreprises sont contrôlées par la CRAM et l’inspection du travail, et nous  sommes aussi attentifs aux questions de pénibilité et d’accidents du travail.

 

Comment ces entreprises, et notamment Véolia, abordent-elles la question de l’emploi et de l’évolution des métiers ?

RP : Je ne connais pas les stratégies globales de nos différents partenaires au niveau national mais localement existent des exemples répondant à cette question. Ainsi en ce qui concerne le centre de Rillieux, il existe de bonnes relations entre le directeur et les employés, et la société VEOLIA est engagée dans un véritable accompagnement social. Un trieur peut évoluer, devenir cariste, puis responsable d’équipe, puis, selon ses compétences, intégrer d’autres fonctions présentes au sein du groupe Véolia. Par ailleurs, des cours de français et des permanences d’assistantes sociales ont été mises en place pour répondre aux besoins des employés.

 

La situation est-elle la même au centre de tri de Saint-Fons ?

RP : L’entreprise Nicollin n’a pas la même dimension que la société VEOLIA, on pourrait parler sans être péjoratif d’entreprise familiale. La situation n’est donc pas la même, le dialogue entre les responsables et les salariés est plus facile. L’esprit est plus familial, mais Nicollin dispose peut être de moins d’opportunités d’évolution au sein de ses unités qu’un grand groupe comme Véolia. Pour l’une comme pour l’autre, certaines personnes restent dans leur poste toute leur vie.

 

Comment reclasser un trieur, un ripeur ou un agent d’entretien dont l’état de santé ne lui permet plus d’assumer son métier ?

VMR et RP : Les situations qui nécessitent un reclassement ne sont pas toujours faciles à traiter. Elles dépendent du type de handicap de l’agent, de sa personnalité et, bien sûr, de ses compétences. Parmi les agents les plus anciens notamment, certains rencontrent des problèmes d’expression à l’oral comme à l’écrit, certains sont illettrés et/ou ont des difficultés à tenir une conversation. En revanche, d’autres ont les capacités et la volonté d’évoluer par exemple vers des postes d’ambassadeur ou de messager du tri.

Dans ces métiers qui font appel à des personnes sans qualification ou de niveau CAP, puisqu’il existe désormais un CAP de trieur et c’est une bonne chose, on trouve systématiquement ces deux catégories de personnels, ceux qui peuvent évoluer et ceux qui ne peuvent pas ou très difficilement. Et il est important que l’institution Grand Lyon, comme les entreprises délégataires de service public, soient attentives aux uns comme aux autres.

 

Le fait que ces métiers soient difficiles et génèrent des troubles de santé ne vous conduit-il pas à envisager l’idée du reclassement dès la première embauche des personnes ?

RP : Lors des entretiens de recrutement, le reclassement ultérieur des candidats n’est pas mis forcément en avant, les agents pouvant d’eux mêmes évoluer vers d’autres métiers ou cadre d’emploi par le biais de la formation continue et dans le cadre d’un parcours professionnel. Cela est d’autant plus vrai que le niveau des candidats augmente. Il y a trente ans, il était difficile de trouver des personnes pour exercer ces métiers et seules des personnes qui n’avaient pas d’autre choix se présentaient.

Aujourd’hui, la conjoncture économique pousse nombre de personnes à se présenter  sur ce type de travail qui représente aussi une garantie d’emploi dans la durée. Le Grand Lyon reçoit beaucoup de demandes, et il nous faut être attentifs à ne pas recruter des personnes trop surqualifiées car elles ne restent pas. Les possibilités de reclassement restent donc difficiles à gérer, mais sont toutefois plus faciles qu’auparavant.

 

La mécanisation, l’informatisation puis l’automatisation ne permettent-elles pas de diminuer la pénibilité des métiers ?

RP : Certes, l’évolution des techniques a réellement permis au fil des années et des progrès de réduire la pénibilité des métiers des services urbains. L’informatique et la téléphonie ont engendré de nouvelles façons de travailler et aujourd’hui il serait impossible de faire marche arrière. La question qui reste entière est : jusqu’où faut-il aller ?

 

Evolution ou révolution ? Les chaines de tri alternent aujourd’hui des postes mécanisés et des postes manuels. Ne pourrait-on pas automatiser ou robotiser l’ensemble de la chaine ?

RP : Il est fort probable qu’avec les progrès en cours, une automatisation ou robotisation de l’ensemble de la chaine puisse être possible dans un avenir plus ou moins proche. A court terme cela pourrait être certainement rentable car on peut demander aux robots de travailler plus vite et plus longtemps (confère exemple des caisses de grands magasins sans caissières).

 

Percevez-vous cette situation comme une évolution ou une révolution ?

RP : Ce serait véritablement une révolution. Supprimer l’homme ou le réduire à de simples fonctions de contrôle, ce n’est pas rien ! Ce qui est en jeu à travers la robotisation, c’est en fait avant tout la question sociale : celle de l’emploi d’une manière générale et de l’emploi de personnes non qualifiées en particulier, et celle de la cohésion sociale en laissant un nombre encore plus important de personnes à la marge de la société.  

VMR : Les personnes qui occupent aujourd’hui ces emplois non qualifiés ont à travers leur emploi un statut, un revenu et surtout le sentiment d’être utile. Participer à l’entretien de la ville, c’est participer à la qualité de la ville et du cadre de vie collectif. Ôter le sentiment d’être utile est un acte lourd de conséquences.

 

L’automatisation ou la robotisation peuvent-elles permettre d’améliorer les comportements de tri des ménages ?

VMR : Il est très difficile d’agir sur les comportements. L’impact des campagnes de sensibilisation que nous conduisons reste limité. Je ne suis pas certaine que la robotisation agisse sur les comportements. Si des efforts dans le domaine du tri doivent encore aujourd’hui être réalisés par les administrés, l’enjeu majeur est celui de la prévention, de la réduction des déchets à la source.