Vous êtes ici :

L’imprimerie à Lyon au temps de la Renaissance

< Retour au sommaire du dossier

Illustration représentant une plaque de lettres pour l'imprimerie

Étude

La technique de l’imprimerie en caractères mobiles ou ars scribendi artificialiter apparaît en France, via les pays allemands, dans le dernier tiers du 15ème siècle. Cette révolution intellectuelle dans la communication et la diffusion des savoirs touche 36 villes en France, Paris et Lyon assurant à elles deux 80% de la production de livres.

Dans les grandes villes du royaume, en particulier à Lyon, il existe de vrais éditeurs qui ne se contentent pas d’imprimer, mais qui sont également créateurs et diffuseurs de livres. En effet, à cette époque et jusqu’au 19ème siècle, les activités d’imprimeur, d’éditeur et de libraire s’interpénètrent. Si les trois professions ne se retrouvent pas toujours chez le même personnage, celle de libraire ne peut exister isolément, ce qui n’est pas le cas de celle d’imprimeur.

Le premier livre édité à partir des nouvelles techniques a lieu à Paris en 1470. Ce n’est que trois ans plus tard, en 1473, que sort des presses lyonnaises le premier livre. A partir de cette date, Lyon enregistre une de ses grandes phases de prospérité qui correspond à la grande époque de l’édition lyonnaise. Cette dernière activité, soumise à des cycles, forme avec la soie et la banque la trilogie des savoir-faire lyonnais.

Tag(s) :

Date : 06/11/2007

Les premiers temps de l’édition de la fin du 15ème siècle aux années 1530

La première occupe le dernier tiers du 15ème siècle. Il y a alors une différence entre les éditeurs parisiens et ceux de Lyon. Les premiers travaillent rapidement, tout en faisant des livres de qualité. De nombreuses corrections sont apportées en cours de tirage et ce qu’ils publient est à la pointe de la connaissance, grâce aux séjours faits en Italie par les éditeurs, tels Guillaume Fichet et Jean Heylin, également professeurs. Ainsi, éditant les auteurs classiques de la latinité, ils donnent naissance à l’humanisme. Leur public est limité aux cercles de professeurs et d’élèves fréquentant la Sorbonne. Ce sont plus des diffuseurs de savoirs que des commerciaux, car leurs livres sont soit des traités de rhétorique ou de grammaire ou leurs propres oeuvres. Il en est tout autrement à Lyon où la dimension commerciale prime sur la savante, mais n’est-ce pas là un caractère de l’identité lyonnaise ! Les éditeurs lyonnais bénéficient des moulins à papier voisins, utilisent les religieux présents à Lyon pour traduire des textes et s’appuient sur les foires de Lyon pour diffuser leur production, composée de romans, de livres de dévotion et d’histoire.

A Lyon, les éditeurs, dont le plus important est alors Barthélemy Buyer, pensent marché et nouvelle clientèle, en particulier celle des riches marchands, notaires, prédicateurs, qui sont venus à la lecture récemment. Des éditions sont même en langue commune et les caractères utilisés sont gothiques, ceux-ci, à l’époque, sont les caractères populaires, ceux que Rabelais utilisera dans ses éditions pantagruéliques. Cette première étape se termine à la fin du 15ème siècle et Lyon a produit le tiers des éditions françaises, soit 1140 environ.

La seconde phase occupe les trente premières années du 16ème siècle et les éditeurs lyonnais produisent 2500 éditions, surtout dans le livre en français, les textes juridiques et médicaux, mais se lancent aussi dans l’ouvrage humaniste en éditant les classiques latins, alors que Paris découvre le livre populaire. Paris et Lyon ne sont plus en opposition et Lyon est toujours le « second œil du royaume ». Des échanges, voire des co-éditions, ont lieu entre éditeurs-libraires des deux villes.

De plus, la dimension imprimeur n’est plus systématiquement associée à celle d’éditeurs-libraires. Le marché est alors européen et le latin, langue dans laquelle sont imprimés la plupart des livres, permet cette diffusion continentale. De ce fait, la place de Lyon attire des gens de qualité qui commencent à Lyon avant de se rendre à Paris, tel Josse Bade, à la fois savant et éditeur. Les éditeurs lyonnais, tels les Gabiano, les Nourry ou encore les Gueynard, innovent et font preuve d’opportunisme dans le domaine de la production en se lançant dans la contrefaçon et aussi dans la société de libraires pour partager les frais dans l’édition de gros in-folio. Ils créent une marque, celle du lion. Cette période se termine par une crise qui démarre avec la captivité du roi François Ier et se termine au début des années 1530.

 

Edition et rayonnement international de Lyon de 1530 à 1560

La dernière phase est celle de la grande époque de l’imprimerie-édition à Lyon. Elle commence vers 1530 pour se terminer vers 1560, date contemporaine du déclin des foires. C’est durant cette période que le livre devient vraiment moderne, fortement illustré, avec des mises en page de très grande qualité. L’imprimerie est alors une activité de première importance à Lyon. Cette ville devient même, autour des années 1550, capitale de l’imprimerie européenne. La rue Mercière et les rues voisines abritent près de 100 ateliers. Une minorité appartient à des marchands imprimeurs, la majorité à des maîtres imprimeurs qui travaillent pour des marchands libraires, c’est-à-dire des éditeurs. Les grosses maisons se diversifient dans des activités qui n’ont rien à voir avec le livre, ce qui est une marque du pré-capitalisme. La réussite socio-économique de quelques éditeurs se mesure dans la dot dont disposent leurs filles et dans l’achat de maisons de campagne.

Les plus grandes maisons d’édition offrent à leurs catalogues plusieurs centaines d’éditions, ce qui est le cas de Sébastien Gryphe ou de la famille de Tournes. Pour ceux qui éditent des gros in-folio, il faut mieux compter en feuilles imprimées plutôt qu’en éditions, telle la Compagnie des libraires. Il y a aussi des éditeurs spécialisés dans le beau livre d’emblèmes, tel Guillaume Rouille et son enseigne à l’Ecu de Venise. La réputation de l’édition lyonnaise tient à la qualité des images, à l’équilibre entre le blanc et le noir, au format maniable, aux nouvelles polices, dont Claude Garamond est l’inventeur. Ce dernier met au point une lettre proche de l’écriture manuelle et spécifiquement française, ce qui ne l’empêche pas d’être diffusée dans toute l’Europe.

La grande époque de l’imprimerie-édition à Lyon commence à connaître son déclin au tournant des années 1560. D’abord les données économiques. Le métal précieux venu d’Amérique pousse les prix à la hausse, les imprimeurs devant rogner sur es salaires pour rester compétitifs. De ce fait, les conditions de vie des plus humbles, dont les compagnons des ateliers du livre, vivent souvent le quotidien avec difficulté, ce qui pousse à la révolte, comme le prouve la grande rebeyne (révolte) de 1529 à Lyon. Les éditeurs, pour garder leur marge, obligent les imprimeurs à augmenter la production, ce qui entraînent aussi des grèves de compagnons imprimeurs dès 1539 et qui ne cessent jamais vraiment.

De plus, le déclin des foires est contemporain de la dégradation des conditions politiques. En effet, les guerres de religion livrent la France à la guerre civile et met en place une surveillance du contenu des livres, sachant que de nombreux éditeurs et ouvriers du livre sont protestants. Lyon n’est-elle pas aux mains des insurgés protestants en 1562 ! La reprise de la ville par les catholiques pousse des élites de cette fonction à fuir vers les Pays-Bas ou Genève qui deviennent les capitales de l’édition européenne. De plus, le roi qui renforce son pouvoir met en place une réglementation des métiers de l’imprimerie, favorisant ainsi ceux qui lui sont proches et soumis, ce qui est un plus pour l’édition parisienne. Il y a donc bien un tournant vers 1560 pour l’édition provinciale, en particulier la lyonnaise, et cette activité, sans disparaître, perd dès lors son importance, même si quelques noms méritent d’être sortis de l’oubli, comme ceux de Cardon ou de Boissat.

 

Quelques portraits d’imprimeurs, éditeurs et libraires lyonnais

Le pionnier de l’édition lyonnaise est Barthélemy Buyer. Né à Lyon vers 1435, il est le fils de Pierre Buyer, originaire de Saint-Claude, et de Marie Buatier, fille de riches merciers. L’argent familial permet aux deux fils Buyer, l’aîné Barthélemy et le cadet Jacques, de fréquenter l’université de Paris au moment où Guillaume Fichet et Jean de la Pierre y installent les premières presses. Barthélemy Buyer prend conscience de l’intérêt que cette nouvelle technique pourrait avoir pour sa ville natale. Il engage un typographe liégeois, Guillaume le Roy qu’il installe dans sa propre maison, et sort en 1473 le Compendium Breve du cardinal Lothaire, feu le pape Innocent III. En 1477, il installe un deuxième atelier et sort un classique du 14ème siècle dont les ventes sont assurées, la Chirurgie de Guy de Chauliac. Chacune de ses publications a son marché assuré. De ses presses sortent des ouvrages théologiques, médicaux et juridiques, mais ce qui fait sa réussite professionnelle sont les ouvrages populaires à tirage important pour l’époque, dont les romans – Ponthus et Sidoine -, les légendes - La légende dorée -, les chansons de geste – Les quatre fils Aymon - et les miroirs - Le miroir de la Rédemption -, ce qui lui permet de résister à la concurrence. Etant devenu un imprimeur-éditeur ayant bien réussi, sa respectabilité lui permet d’épouser une fille de notaire bien dotée. A sa mort à Lyon en 1483, il lègue à St-Nizier, la grande paroisse de la presqu’île, 2000 livres tournois pour une messe quotidienne et pour l’érection d’une chapelle. Son frère Jacques abandonne l’imprimerie pour se consacrer à la seule édition. Il est plusieurs fois consul, ce qui correspond à une fonction de prestige au sein de la municipalité de l’époque.

Un autre nom célèbre de l’imprimerie lyonnaise est Sébastien Gryphe. Né vers 1491 en Souabe à Reutlingen dans une famille d’imprimeurs qui a diffusé un peu partout en Europe, son vrai nom est Greif ou Gryphius et jamais Gryphe, nom qui lui est donné après sa mort pour le franciser. Elevé dans une famille d’imprimeurs, il arrive à Lyon en 1515 et commence à imprimer pour la Compagnie des libraires. Catholique, mais aux nombreuses amitiés protestantes, il est soutenu, après dix ans d’anonymat, par un riche libraire, Hugues de la Porte qui lui procure les moyens financiers pour se lancer à son compte. Entre 1530 et 1540, il réalise 500 éditions, classiques latins, grecs et hébreux ou livres religieux. Les textes édités  sont mis au point par des savants érudits présents à Lyon, Guillaume Scève, Barthélemy Aneau ou Etienne Dolet. La qualité de ses éditions de petit format ne tient pas aux images, car ils sont peu illustrés, mais à la mise en pages et aux caractères. Il meurt à Lyon le 7 septembre 1556 et son fils naturel, mais légitimé, Antoine reprend la maison après sa mort.

Un autre grand nom de l’édition lyonnaise est Jean de Tournes. Né à Noyon en 1504 dans une famille protestante, il est le représentant le plus connu de la dynastie libraire lyonnaise des de Tournes, installés libraires à Lyon. Il fait ses débuts chez Gryphe et commence à imprimer pour son compte en 1542. Il occupe, compte tenu de ses qualités, l’office d’imprimeur du roi à Lyon en 1559. Les livres qu’il publie, plus de 500 éditions, sont souvent illustrés par Bernard Salomon, gendre de Tournes. Il s’intéresse à des livres de médecine, de sciences, de droit, d’histoire et à de la poésie, dont ceux de Louise Labé, Maurice Scève et Pernette du Guillet. Il publie en 1554 une Bible qui reprend une édition genevoise, mais il omet la préface de Calvin. Il meurt de la peste le 7 septembre 1564. Son fils Jean II, encore plus érudit que son père, connaît des difficultés à cause de son protestantisme. Il est emprisonné en 1567 et sa maison est saccagée. Il quitte la France en 1585 pour s’installer à Genève. Il meurt dans cette ville en 1615. On retrouve la famille au 18ème siècle associée à un libraire lyonnais.

On ne peut quitter ce panorama très succinct des éditeurs, imprimeurs et éditeurs lyonnais sans parler d’Etienne Dolet, dont l’itinéraire tranche avec les cas précédents. Né à Orléans le 3 août 1509, ayant étudié à Paris, à Padoue, puis à Toulouse. Il arrive à Lyon en août 1534. Il a dû quitter Toulouse en catastrophe à la suite d’une condamnation pour avoir pris la tête d’un mouvement étudiant. Il a choisi Lyon pour être une ville humaniste, car cette ville n’a ni université, ni parlement et, en revanche, ses archevêques sont humanistes Il entre en relation avec Sébastien Gryphe qui l’emploie comme correcteur et publie ses ouvrages. Le 6 mars 1538, il obtient le privilège d’imprimeur. Installé rue Mercière à l’enseigne de la Doloire d’Or, il publie, en cinq ans, une centaine d’ouvrages, surtout en français et ce dans divers domaines. Il réimprime Gargantua de Rabelais. Il se marie en 1539 avec la lyonnaise Louise Giraud qui lui donne un fils. Il se montre peu prudent dans ses préfaces où il réclame une liberté totale pour l’éditeur, à condition de ne pas contrevenir à l’honneur de Dieu. Son caractère entier lui fait avoir beaucoup d’ennemis dans la profession, surtout après avoir été à l’origine de la première grève des compagnons du livre en 1539. Poursuivi à la suite de nombreuses dénonciations et plaintes pour athéisme et sédition, il part pour l’Italie, mais à son retour à Lyon en 1544, il est arrêté et enfermé à la prison du palais de Roanne, puis à la Conciergerie à Paris. Il est condamné à être brûlé vif en place Maubert à Paris le 3 août 1546 avec l’écriteau : « relaps, épicurien et saducéen ».

 

Ce regard sur les débuts de l’imprimerie à Lyon nous permet de tisser les fils entre hier et aujourd’hui quant à l’histoire de la communication. De plus, ce voyage dans le passé de Lyon prouve la synergie du dynamisme économique, lorsque plusieurs activités s’interpénètrent et s’enrichissent mutuellement. Enfin, les quelques portraits emblématiques de cette profession mis en avant, dont les noms sont inscrits sur des plaques de rue de Lyon, éclairent le 16ème siècle, un des grands siècles de l’histoire de Lyon et permettent de faire un gros plan sur ces esprits libres de la Renaissance, en particulier sur Etienne Dolet, humaniste et  représentant de la libre pensée, qui a désormais une plaque commémorative à l’entrée du passage Mercière et pour lequel une association réclame à la municipalité lyonnaise l’érection d’une statue pour le 500ème anniversaire de sa naissance

 

Bibliographie
◼ Jeanne-Marie Dureau, « Le livre et l’imprimerie », dans Yves Lequin (dir.), 500 années Lumière, Plon, 1991.