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L'énergie dans la ville de demain

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Portrait de Françoise Charbit
Déléguée générale de Tenerrdis

Interview de Françoise Charbit

<< Le mix énergétique en milieu urbain sera plus diversifié >>.

Interview réalisé par Anne-Caroline Jambaud, mai 2010.

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Date : 29/05/2010

La ville de demain sera-t-elle moins consommatrice d'énergies ? Sera-t-elle plus économe en énergies fossiles et donc moins impactante sur l'environnement et le climat ?

Elle sera autant consommatrice d’énergie car les villes se développent (l’urbanisation est une tendance lourde) et les besoins aussi, mais le mix énergétique en milieu urbain sera plus diversifié. Moins de fossiles (bien qu’il soit difficile de s’en passer totalement à court terme), plus de renouvelables, et surtout des solutions de stockage de l’énergie développées pour faire face à l’intermittence des renouvelables (solaire, éolien). Les solutions à base d’hydrogène par exemple seront certainement une voie d’avenir à explorer, que les Allemands ont clairement compris.

 

A quelles conditions, et dans quel délai, les énergies renouvelables peuvent-elles se développer massivement, y compris en milieu urbain ?

Les conditions sont aujourd’hui assez favorables : volonté politique, tarifs de rachat en général favorables (pas pour tout, le biogaz par exemple reste peu attractif), perception positive des citoyens. On peut développer massivement l’énergie solaire en milieu urbain ou les microéoliennes, ou la géothermie, mais il y a un prix à payer au plan de l’organisation des filières industrielles correspondantes. Pour Tenerrdis tout cela a un sens si, en plus des objectifs environnementaux, le développement économique et social est de la partie. Cela signifie en clair : des conditions favorables aux énergies renouvelables en milieu urbain, mais on peut aussi faire du vrai développement durable en ajoutant le volet économique et social, c’est-à-dire en favorisant nos filières industrielles françaises, en leur donnant la capacité d’être compétitives au plan mondial, en particulier grâce à l’innovation qu’elles demandent.

Un déploiement massif ne va pas sans solutions de stockage. Or les solutions sont nombreuses : hydraulique (pompage turbinage dans les barrages), batteries, hydrogène bien sûr. De même, il est nécessaire de mettre à niveau les réseaux électriques qui doivent devenir flexibles et intelligents de manière à pourvoir absorber l’intermittence de la production et de la demande. En particulier le déploiement de véhicules hybrides rechargeables ou de véhicules électriques va demander une capacité accrue d’électricité, et cela ne servira à rien de faire produire en pointe des centrales thermiques qui fonctionnent au fossile.

 

Les innovations de demain, dans le domaine de l'énergie, passent-elles par des ruptures technologiques (et sociétales) ? Lesquelles ?

Des ruptures technologiques évidemment. Elles sont très nombreuses. Sur le stockage, sur l’intelligence des réseaux, sur les rendements à obtenir de la part des systèmes de production d’énergie, électricité, chaleur, froid… C’est l’objectif de Tenerrdis de faire le point sur ces évolutions, qui ne sont pas toutes à proprement parler des ruptures. Les nanomatériaux par exemple, dont on a beaucoup parlé et pas toujours en bien, peuvent évidemment créer de vraies ruptures en termes de performances et de coûts, voire en termes de limitation de l’emploi de ressources rares (comme le platine ou le lithium).

Mais je ne pense pas qu’il existe de ruptures sociétales. Il y a des tendances lourdes, des évolutions, qui guident les choix technologiques.

 

Pouvez-vous donner des exemples d'innovation en préparation au sein du pôle Tenerrdis (à court, moyen ou long terme) qui auront un impact dans le futur sur la vie du citadin ?

Je pense à trois projets. Multisol permettra d’optimiser, suivant des critères économiques et environnementaux, l’utilisation de différentes sources d’énergies électriques (photovoltaïque, batterie, groupe électrogène, réseau électrique) dans un même bâtiment.

Voltarec travaille à la création d’une filière de recyclage des panneaux photovoltaïques. Reflex vise à anticiper de nouveaux modes de gestion des réseaux et à développer des outils pour répondre à l’essor de la production décentralisée (dont l’éolien).

 

Quelles innovations sont-elles susceptibles d'intéresser les gestionnaires de la ville, et notamment les collectivités locales afin d'optimiser leur fonctionnement et les services aux citoyens ?

Tout ce qui concerne les réseaux et le stockage. Ce sont deux éléments clés en milieu urbain. Et bien évidemment le reste : la conversion de la biomasse, le solaire, l’éolien, mais sans les deux premiers, rien ne se passera en milieu urbain.

 

Concevez-vous le pôle de compétitivité comme un lieu de dialogue entre le monde de l'entreprise et de l'industrie, celui de la recherche et de la formation, les institutions et enfin les citoyens ? Comment ce dialogue a-t-il lieu ?

Il a lieu principalement dans les activités d’animation du pôle, dans les évènements que nous organisons, en France et à l’étranger. Notre objectif est de favoriser l’action collective. En France, les énergies renouvelables n’ont pas toujours été bien considérées, mais on peut aussi se vanter d’avoir l’électricité la plus décarbonée du monde, grâce au nucléaire. Pour cette raison, et du fait du relatif « retard » de la France (ce qui n’est pas vrai pour l’hydraulique et l’hydroélectricité par exemple, nos acteurs sont des leaders mondiaux), une action collective tournée vers l’innovation est absolument nécessaire. Sinon, on verra arriver tous les leaders étrangers des renouvelables qui profiteront de notre marché sans beaucoup d’impact sur l’emploi industriel et la création de valeur dans notre pays. Par exemple, sur le solaire, on a beaucoup entendu : le marché est spéculatif, la France a perdu la bataille…Tout cela est faux ! Il y aura de la place pour tout le monde ; la diversification des applications va appeler de multiples technologies, aussi bien en photovoltaïque qu’en solaire concentré ou en thermique.

Ce dialogue passe d’abord par celui des entreprises : grands groupes et PME  associés au sein de nos filières : solaire et bâtiment, hydrogène et piles à combustible, biomasse, gestion des réseaux et stockage, hydraulique.
 
Evidemment il passe aussi par un lien organique avec les laboratoires publics de recherche de Rhône-Alpes : c’est un élément assez différenciant de notre région, qui comporte quelques uns des plus grands laboratoires français sur l’énergie (CEA, IFP, CNRS, universités).

 

Est-ce selon vous une forme originale de management territorial de l'innovation ?

Originale je ne dirais pas, intéressante oui. Le concept de cluster n’est pas original : Grenoble l’a mis en place il y a bien longtemps et cela existe ailleurs dans le monde depuis très longtemps. La particularité de Rhône-Alpes, par rapport à d’autres territoires dans le monde, c’est que les collectivités sont très présentes dans nos actions, sans jamais nous imposer leurs vues. C’est vraiment ce qui fait notre force. Elles apportent un soutien au développement économique et à l’innovation, jamais démenti.

 

Que va permettre la réunion de quatre pôles de compétitivité rhônalpins en vaste pôle « éco-tech » ?

A ma connaissance rien de plus que ce qui existe, c'est-à-dire une coordination interpôles. Nous ne souhaitons pas voir fusionner nos pôles en un seul. La raison en est simple : les industriels ne s’y retrouvent pas. Ils sont placés dans une logique de filière et pas dans une logique multi filières propre aux « éco-techs ». De plus, nous n’avons pas de pôle sur l’eau ni sur les déchets, en Rhône-Alpes. Ce qui revient à faire un pôle éco-techs avec des compétences qui n’en sont pas, à part l’énergie.
 
En 2005, le gouvernement a créé 71 pôles (il en récemment enlevé 7 et rajouté 6). C’était beaucoup trop, mais chaque territoire voulait le sien. Les rassembler maintenant, alors qu’ils ont chacun leur positionnement propre n’apporte pas grand-chose. Une bonne coordination et des bons projets sont une solution bien plus efficace. Elle a un coût, que sans doute les promoteurs de ce méta pôle n’ont pas estimé à leur juste valeur.