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Les métropoles creusent-elles les inégalités sociales et spatiales ?

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Couverture de Le crépuscule de la France d'en haut
Le crépuscule de la France d'en haut, Christophe Guilluy© Flammarion

Article

Le Crépuscule de la France d’en haut, nouvel essai de Christophe Guilluy, dresse un sévère réquisitoire contre « l’idéologie » de la métropolisation qui, selon lui « accentue inexorablement les inégalités sociales et spatiales en laissant de côté une part croissante des classes populaires ». La charge est lourde, le verbe outrancier, mais l’analyse de ce qui défait la société et les liens entre les citoyens interpelle.

Cet article a initialement été écrit en février 2017 pour le blog Ville Inclusive.

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Date : 06/10/2021

Dans ses derniers ouvrages, le géographe analyse les « Fractures françaises » et dénonce l’invisibilité et le décrochage de la « France périphérique », celle des villes petites et moyennes, des zones rurales et du « périurbain subi ». Désormais, il prend acte du divorce du « peuple » avec les politiques, les syndicats, les médias. Comparant les classes populaires d’aujourd’hui aux esclaves noirs qui fuyaient les plantations au 19e siècle, il qualifie cette désaffiliation politique et culturelle de « grand marronnage » annonçant l’ébauche d’une « contre-société » en rupture avec le modèle des classes dominantes.

Pour Christophe Guilluy, ce modèle porté par les élites et la nouvelle bourgeoisie des métropoles – qu’il dépeint en « nouveaux Rougon-Macquart déguisés en hipsters » ou en « gauche hashtag » (#je suis terrasse) - ne fait plus société, génère ségrégations et inégalités et relève du déni de réalité.  

« Derrière le mythe de la société ouverte et égalitaire des métropoles cosmopolites, nous assistons au retour des citadelles médiévales, de la ville fermée, et à la consolidation d’un modèle inégalitaire de type anglo-saxon » écrit le géographe.

Un double processus de gentrification des cœurs de métropoles et de concentration des flux migratoires dans les logements sociaux des banlieues conduirait à l’éviction définitive des métropoles des classes populaires traditionnelles qui se trouvent « reléguées sur les territoires les moins connectés à l’économie-monde ».

Le géographe observe les stratégies de réseautage et d’évitement résidentiel et / ou scolaire mises en place par les classes dominantes afin de préserver l’entre soi mais aussi, de façon très cynique, les intérêts de leur caste (la population immigrée des logements sociaux de la métropole fournit les key-workers nécessaires au maintien de leur qualité de vie). Il détaille l’arsenal sémantique des catégories supérieures : l’antifascisme, cette «  arme de classe » permettant de réduire toute critique des effets de la mondialisation à une dérive fasciste. Ultime cartouche : la délégitimation des résultats électoraux , fruits de l’inculture du peuple, lorsqu’ils ne lui sont plus favorables (traité européen, Brexit).

De leur côté, les réactions de "repli" de la classe populaire ne seraient pas commandées par une idéologie, mais plus prosaïquement par les affres du quotidien, les insécurités sociales et culturelles générées par les flux migratoires et les tensions d’une société multiculturelle. Face à cela, un « séparatisme d’en bas » s’est généralisé comme un moyen très concret de « préserver un capital social et culturel protecteur », qui favorise le lien social et la « solidarité concrète » imposée par l’affaissement de l’État-providence. Ce "séparatisme", couplé à une sédentarisation contrainte (sociale et résidentielle) illustre le gouffre qui sépare la réalité d’en bas de l’idéologie d’en haut et son mythe métropolitain "d’une société hypermobile d’individus déterritorialisés".

Pour Christophe Guilluy, ce que les catégories supérieures raillent comme « un repli » des classes populaires est en fait « une réponse à une société libérale qui détruit toute notion de solidarité ».