Vous êtes ici :

Communication : Renouveler le discours public sur les déchets pour mieux sensibiliser ?

< Retour au sommaire du dossier

Illustration de moyen de communication

Étude

Année après année, les différentes institutions en charge de la transition écologique multiplient les actions de communication. Les enjeux sont posés, des solutions proposés, pourtant les actes peinent à suivre.

Une fois ce constat dressé, par où aller pour communiquer autrement, renouveler les discours et les récits, en visant à devenir audible auprès de publics divers ?

Quelles limites ont été révélées par l’efficacité relative des messages portés jusqu’à présent par les acteurs publics ?
Quels facteurs semblent déterminants dans le succès d’une communication institutionnelle visant à responsabiliser l’usager-citoyen face aux enjeux environnementaux ?
En bref, comment parler des déchets pour atteindre enfin les objectifs fixés par les politiques publiques ?

Tag(s) :

Date : 14/01/2022

La communication est un levier clé pour sensibiliser les citoyens.

Certes, elle ne suffit pas à faire changer les comportements, comme l’a démontré la psychologie sociale, mais elle reste indispensable pour faire de la pédagogie, faire connaître les initiatives portées par la collectivité et transmettre des consignes claires aux habitants. Aujourd’hui, pourtant, les besoins de messages ciblés et de transparence pour sensibiliser de manière efficace questionnent la communication institutionnelle.

 

Les motivations à s’engager diffèrent selon les individus

 

Les facteurs psychologiques de l’engagement…

Comme le démontrent les travaux de chercheurs, nous ne sommes pas tous sensibles aux mêmes motivations, valeurs et besoins et donc aux mêmes arguments. Une étude (Roberts, 1996) a révélé que les caractéristiques socio-démographiques jouaient très peu sur les pratiques de tri (avec une force prédictive évaluée à 9 %). En revanche, les facteurs psychosociaux (habitudes, traits de personnalité, mécanismes de prise de décision…) ont une influence majeure.

→ La personnalité et les valeurs de l’individu. Le sentiment d’une responsabilité à l’égard de l’environnement, l’accès à la culpabilité ou le fait d’être consciencieux favorisent des comportements éco-responsables. L’attachement à la communauté ou à la nature également. À l’inverse le cynisme, le conservatisme ou un faible altruisme dissuadent d’agir.

La sensibilité à la pression sociale. Certaines personnes seront influencées par les pratiques de tri de leurs voisins et recycleront leurs déchets pour se conformer au groupe, d’autres y seront indifférentes.

→ Le sentiment d’une prise sur les choses. Les plus susceptibles d’agir se disent assez informés, savent comment agir et croient en l’effet de leurs actions.

→ La perception des contraintes. Ce calcul nous amène à nous demander si tel effort vaut la peine. Les contraintes perçues peuvent être de tout type : temps, argent, pénibilité physique ou intellectuelle… et dissuadent les écogestes. Ces motifs permettent à l’individu de protéger ses convictions et l’image qu’il a de lui-même. Même les plus engagés d’entre nous se retrouvent parfois en prise avec ces petites négociations internes.

 

Les limites du discours environnemental et le besoin de transparence renouvellent les formes de la communication

 

On le voit, nous ne sommes pas tous sensibles aux mêmes motivations, valeurs et besoins, et donc aux mêmes ressorts de la communication. Les arguments sont donc à adapter. « Il s’agit de comprendre ce qui fait sens pour la personne : certains sont plus sensibles au bénéfice immédiat de leur action, à son impact local, à un gain matériel et au profit personnel. D’autres, à un bénéfice futur, planétaire, à des arguments abstraits (valeurs), à un profit pour la société. Il ne faut pas y voir de jugement. Nous n’avons pas tous les mêmes contraintes. Ceux qui doivent penser à se nourrir au quotidien sont moins enclins à se préoccuper de l’état de la planète dans 20 ans… », commente Mélanie Gat, psychologue social.

 

L’argument environnemental montre ses limites

 

Surtout, il ne faut pas leur parler environnement ! Cela ne sert à rien. 95 % des Français se disent sensibles à l’environnement.
Et pourtant, si cela les poussait à agir, on l’aurait vu depuis longtemps... !  Mickael Dupré, psychologue social spécialiste de l’environnement, Université de Bretagne occidentale.

 

La communication environnementale est-elle arrivée à un tournant de sa jeune histoire ? Après plus d’un quart de siècle d’information et de sensibilisation, les études confirment qu’il est temps de passer à de nouvelles formes de communication. « L’argument environnemental ne semble pas offrir un levier particulièrement pertinent pour le changement de pratiques (Moser, 2009).»

Plutôt qu’un argument vert, des arguments économiques ou une haute valorisation du comportement associé à la citoyenneté pourraient avoir davantage d’impact. De même, le gain de temps pourrait inciter les non-trieurs à réduire leurs déchets. À juste titre : une étude révèle que « les usagers qui trient régulièrement leurs déchets consacrent en moyenne trente minutes par semaine à leur gestion » (Bruvoll et al., 2002). On peut aussi jouer sur le sentiment d’agréabilité, par exemple, pour encourager le compostage, (« on va se faire des amis »).

 

Les images catastrophiques ? Pas pour tous les publics

De même que les arguments sont à affiner, les visuels sont à adapter aux cibles. En effet, selon l’étude « Des images et des actes» (2017, Place to B, Ademe), les images chocs suscitent des réactions très différentes selon notre degré d’engagement environnemental. Chez les publics indifférents à l’écologie, elles risquent de susciter des réactions de déni (mieux vaut des images modérées, pour leur donner envie de s’informer). À l’inverse, ces mêmes images chocs vont donner envie d’agir aux « ambassadeurs » de l’environnement, déjà très engagés. Entre les deux, les « consom’acteurs », qui pratiquent quelques écogestes dans leur quotidien (achètent bio, recyclent leurs déchets) se montrent sensibles à certaines émotions négatives (colère, dégoût, tristesse, mépris) mais peu à la honte, la peur ou la culpabilité. Pour leur donner envie d’agir, il serait préférable de les engager sans charge émotionnelle trop forte.

En aurait-on fini avec les images d’ours polaire dérivant sur un bout de banquise et autres visions catastrophistes ? Les études recommandent plutôt de mettre l’accent sur les solutions, les alternatives, à l’instar de ce que font déjà plusieurs médias (Les documentaires « Demain et Après-Demain », le journalisme « de solutions » comme L’Info Durable, We Demain, Kaizen, etc.).

 

Adapter sa communication à son statut d’émetteur

L’étude « Des images et des actes » (2017, Place to B, Ademe) s’est aussi intéressée à la légitimité de la communication selon son diffuseur. Alors que les associations et ONG bénéficient d’une crédibilité large, quelle que soit la thématique abordée (cause, conséquence, solution) et le ton (traditionnel ou décalé), les administrations publiques locales sont invitées à privilégier les photographies mettant en scène des solutions locales, sans forcer sur l’humour ou le décalé.

 

Moins jouer sur le changement que sur la continuité

Dans la même ligne, l’Ademe, dans un rapport de 2016, recommande de moins jouer sur les discontinuités que sur les pratiques déjà en place. « Le discours public… tend à insister sur le changement, présenté comme une rupture de fond… Au contraire, les individus mettent en œuvre des pratiques de consommation durable parce qu’elles sont compatibles avec des logiques très partagées dans la société : des logiques d’économie…, de praticité (comme le fait de ne pas acheter de produits trop emballés pour ne pas être encombré), de sociabilité (comme le fait de partager plutôt que de posséder) ».

 

Face au doute, jouer la transparence et la cohérence

Si un ton positif semble être de mise, une communication trop optimiste des collectivités risque de susciter la méfiance des habitants. Un élément clé pour les engager est de partager des constats fiables avec eux. Ainsi, selon les travaux de chercheurs, si les ménages trieurs font preuve de confiance envers les institutions pour accomplir leur part du travail, « les pratiques de tri sont remises en cause dès qu’un doute s’installe sur la réalité de la valorisation des déchets triés ou encore si ceux qui édictent ou relayent les consignes de tri font preuve d’incohérence ». (Etéicos, 2012).

De son côté, l’association Zéro Waste observe : « les collectivités ouvrent de plus en plus leurs portes aux usagers, notamment celles des décharges et des usines d’incinération, et c’est tant mieux. Mais le discours y est excessivement optimiste, Les installations sont à la pointe des normes, elles valorisent telle énergie, il n’y a aucun souci à se faire… or la réalité est que ces déchets seront stockés pendant des siècles ou brûlés. Assumer la présence d’installations polluantes sur le territoire, pointer les efforts faits pour en maîtriser les impacts, tout en rappelant la nécessité de les réduire le plus vite possible semblerait plus efficace. Les usagers sont capables d’entendre que le système a des imperfections et qu’ils peuvent donc agir. »

S’entendre sur les performances réelles du territoire, expliquer aux citoyens ce que deviennent leurs ordures permet d’identifier ensemble les marges de progrès. Certaines collectivités vont jusqu’à ouvrir l’accès à leurs données de gestion des déchets, en vue de booster l’offre de services et la créativité d’éventuels entrepreneurs. Par exemple, la ville de Paris diffuse en accès libre et temps réel les taux de remplissage de ses stations de tri. Viser une information transparente n’est toutefois pas aisée et risque de susciter des résistances (de la part des industriels, des collectivités), tant cela reste encore éloigné des codes habituels de communication.

Pour être bien reçue, une communication doit veiller à garder une cohérence entre ses différents messages et consignes. Or, la communication sur les déchets, en vertu des multiples modes de traitement de gestion des déchets (de la réduction à l’incinération), multiplie les messages. On peut ainsi s’interroger sur d’éventuels risques de conflits entre des messages qui tout à la fois saluent les nouvelles performances de l’usine d’incinération, du recyclage et affirment que « le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas ».

 

Déployer une communication « efficace » et « sur-mesure » : un vœu pieu ?

 

Pour la collectivité, la communication sur la réduction et le tri des déchets s’avère être un exercice délicat : elle doit assumer des messages clairs pour tous, tout en s’adressant à des publics très divers, pour lesquels un même message (par exemple, trier pour l’environnement) n’aura pas le même effet. En outre, les messages qu’elle porte peuvent être noyés par les campagnes publicitaires de grands groupes qui contribuent à façonner les représentations des habitants et incitent à toujours davantage de consommation.

↪ Comment cibler sans stigmatiser ?

Une communication est plus efficace si elle est ciblée (marketing). Pour autant, les collectivités sont historiquement prudentes à l’idée de donner des consignes à un public spécifique : comment concilier cette condition de réussite avec le principe d’une campagne grand public qui s’adresse à tous ? Différencier les usagers ne conduit-il pas à leur stigmatisation ? Faut-il pour autant renoncer à tout ciblage ?

↪ Agir par la réduction ou par le tri : comment porter deux messages a priori contradictoires ?

Le message de la réduction à la source peut être ambitieux (même s’il ne touche pas tout le monde), mais il perd en vigueur quand on parle de tri, donnant l’impression que finalement, « ce n’est pas si grave de produire des déchets, puisque derrière on participe à l’économie circulaire, en les recyclant ou en valorisant leur matière ».

Comment peut-on assumer de jouer sur ces deux tableaux sans que le message ne soit brouillé ? Faut-il davantage communiquer sur un aspect plutôt qu’un autre (au risque de voir une partie de nos objectifs non atteinte) ? Est-il pertinent de prioriser un objectif pour une catégorie de public (par exemple, demander aux citoyens déjà sensibilisés au tri de s’engager dans la réduction car ils seraient plus réceptifs) ?

↪ Comment gérer le retour de bâton de la transparence ?

On l’a dit, il y a une demande de transparence dans nos fonctionnements : comment donner à voir les réalités du terrain de manière simple ? Comment faire cela sans exposer les agents de terrain à des critiques acerbes (dans un contexte de sur-réaction via les réseaux sociaux) et leur donner les moyens de répondre ?

 

à retenir

Renouveler le discours public pour mieux sensibiliser les citoyens ?

Si la communication sur les déchets reste indispensable pour faire connaître les initiatives de la collectivité et transmettre des consignes aux habitants, elle doit néanmoins renouveler son discours. Notre degré d’engagement dépend de facteurs psychosociaux et nous ne sommes pas tous sensibles aux mêmes motivations, valeurs et besoins. Chez certains, l’argument économique aura ainsi beaucoup plus de poids que l’argument vert. Autres constats : mieux vaut jouer sur la continuité des pratiques que sur les changements de rupture et privilégier les solutions que les images chocs (celles-ci tendent à braquer les publics indifférents à l’écologie). Sans, toutefois, enjoliver la réalité : les pratiques de tri sont remises en cause dès qu’un doute s’installe sur la valorisation des déchets ou que les administrations publiques font preuve d’incohérence. Communiquer est alors un exercice délicat pour la Collectivité : donner à voir les réalités du terrain, tout en gérant le retour de bâton de la transparence ; déployer des campagnes massives, tout en tenant compte de la diversité des profils ; encourager le geste du tri, sans donner l’impression que, « ce n’est pas grave de produire des déchets, puisque derrière on les recycle ou les valorise ».

 

Sources

  • Ademe (2016), « Changer les comportements, faire évoluer les pratiques sociales vers plus de durabilité », www.ademe.fr
  • Bruvoll et Al. (2002), « Resources, Conservation and Recycling », volume 36, Issue 4.
  • Dupré, Michael & Meineri Sébastien (2016), « Increasing recycling through displayed feedback and socially comparative feedback », Journal of Environmental Psychology, 48, p.101-116.
  • Dupré Michael (2013), « Représentations sociales du tri sélectif et des déchets en fonction des pratiques de tri », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale 2013/2 (Numéro 98), 173-209.
  • ETIcS/université François Rabelais de Tours/Etéicos (2012), « Détritus/déchets, Tri et usages sociax gestion des déchets et tri sélectifs en habitat collectif », HLM, Avril 2012, p.9.
  • Hamon Caroline (2019), « Les déchets ménagers sur la métropole de Lyon, actes de la rencontre Informations-débats, CCSPL.
  • Moser Gabriel (2009), « Psychologie environnementale. Les relations homme environnement », Bruxelles, De Boeck.
  • Place to B, Ademe (2017), « Des images et des actes », www.theconversation.com.
  • Zéro Waste France (2019), «Territoires Zéro Waste. Guide pratique pour révolutionner la gestion locale des déchets », Éditions Rue de l’échiquier.