Intelligence artificielle (1/3) : les origines d’une révolution
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Longtemps confinée aux pages de la science-fiction dans l’esprit du plus grand nombre, cette classe de technologies est désormais omniprésente dans notre quotidien numérique.
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Dans le cadre de l’Accord de Paris, la France s’est engagée à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Concrètement, cela signifie qu’il va nous falloir diviser par six nos émissions de gaz à effet de serre en trente ans – soit une réduction d’environ 80%. Pour mémoire, on se souviendra qu’au cours des trois dernières décennies, ces mêmes émissions ont baissé d’à peine 20%. Et encore, cette baisse n’est qu’apparente, puisque la majorité est liée à la délocalisation de nos émissions dans les pays qui produisent aujourd’hui ce que nous consommons. En intégrant ces émissions importées, le constat est effrayant : notre empreinte carbone n’a quasiment pas bougé en trente ans !
Ce constat amène à poser la question de la souveraineté environnementale de la France et de l’Europe. Comment réduire notre empreinte carbone dans une économie mondialisée ? Comment s’assurer que les produits que nous importons respectent les exigences climatiques que nous imposons à notre propre outil de production ?
Ces questions, régulièrement débattues au Parlement européen, sont particulièrement pertinentes en ce qui concerne le numérique. Récemment, elles furent l’objet de polémiques autour du déploiement de la 5G, cette technologie en pleine expansion qui émet majoritairement des gaz à effet de serre en dehors du territoire national. De ce fait, maîtriser son impact risque de s’avérer particulièrement ardu. C’est notamment ce que souligne un récent avis du Haut Conseil pour le Climat (HCC) sur l’impact carbone de la 5G.
Commandité par le Sénat au printemps 2020, l’expertise scientifique du HCC avait pour but d’éclairer un pan encore mal connu de notre empreinte carbone : celui lié au développement des technologies numériques – et plus particulièrement de la 5G. Or le HCC constate d’emblée que les connaissances en la matière sont lacunaires. Les quelques études qui font référence en France, comme celles du Shift Project, permettent toutefois de donner des ordres de grandeur. Le secteur représenterait aujourd’hui environ 4% des émissions mondiales de CO2. Très majoritairement imputable aux habitants des pays riches, l’empreinte carbone du numérique se répartit ainsi :
Mais le plus important est le taux de croissance annuel impressionnant du secteur : la consommation énergétique du numérique augmente de 9% par an. Un rapide calcul permet de comprendre facilement le problème : avec un tel taux de croissance, les émissions mondiales du numérique pourraient doubler en moins de 10 ans et quintupler en 20 ans. Le numérique pourrait ainsi très rapidement devenir un gouffre énergétique.
L’équation est encore plus délicate lorsqu’on se souvient que, pour respecter les engagements de Paris, l’empreinte carbone de tous les secteurs doit décroître de manière phénoménale, jusqu’à atteindre la neutralité carbone en 2050. Pour la France, rappelons que cela signifie une division par six de nos émissions directes et par huit de notre empreinte carbone.
Comme le note le HCC, l’augmentation des émissions du numérique devra donc être compensée par la diminution dans d’autres secteurs, et ce alors même que les objectifs climatiques paraissent déjà bien difficiles à atteindre.
On peut donc légitimement se demander s’il est raisonnable de mettre en œuvre des technologies comme la 5G, qui visent précisément à pérenniser un fort taux de croissance annuel des flux numériques. C’est ce qui motive la demande de moratoire formulée par les citoyens de la convention sur le climat, ainsi que par des élus.
Partant de ce constat, le HCC a mené une évaluation prospective visant à identifier les effets du développement de la 5G sur l’empreinte carbone de la France.
Pour ce faire, le parti pris du HCC a consisté à ne pas évaluer les effets induits par l’usage de cette technologie. D’abord, parce que ceux-ci sont très rarement ceux qui avaient été imaginés au départ. Ensuite, parce que rien ne permet d’affirmer que l’usage du numérique permettra de réduire ou d’augmenter les émissions dans d’autres secteurs. On peut par exemple espérer que le développement du télétravail réduise l’impact du transport ; pour autant, certaines enquêtes suggèrent que les télétravailleurs réguliers ont tendance à s’éloigner de leur lieu de travail, ce qui pourrait bien n’avoir en bout de chaîne aucun effet positif sur les distances parcourues.
Sur cette base, le HCC a imaginé trois scénarios de développement de la 5G à l’horizon 2030, qui permettraient une croissance plus ou moins maîtrisée des flux de trafic mobile, allant de +35% (scénario « 5G sélective ») à +55% (scénario « la vraie 5G pour tous »).
L’impact carbone de ces scénarios est estimé en prenant en compte les émissions associées à la production et à l’utilisation des infrastructures de réseau, des terminaux et des centres de données. Au final, l’accroissement total des émissions d’ici à 2030 varierait de 2,8 Mt CO2e dans l’évaluation basse, à 6,7 Mt CO2e dans le scénario haut. Cela représenterait une croissance de 18 à 44% de l’empreinte carbone actuelle du numérique en France. Sans surprise, le HCC en déduit que, en l’absence « d’émissions évitées significatives – dont la matérialité reste encore à démontrer -, le déploiement de la 5G ne contribuerait donc pas au respect des budgets carbone ». Doux euphémisme.
Plus intéressant encore, l’analyse du HCC montre que cette hausse des émissions aurait très majoritairement lieu en dehors du territoire national :
Pour le dire simplement, la 5G va participer à la hausse des émissions nationales… mais elle va plus encore entraîner une hausse des émissions importées – ce qui équivaut ni plus ni moins à un transfert de responsabilité vers d’autres pays
Dès lors, quels sont les leviers dont dispose un État comme la France pour réduire l’empreinte carbone d’un secteur aussi mondialisé que le numérique ?
Commençons par le levier de la décarbonation. Même si notre pays parvenait à réduire davantage encore le contenu en carbone de son électricité, cela n’aurait en réalité que peu d’effet, puisque l’impact de l’énergie consommée en France est très minoritaire dans le bilan carbone du numérique.
Pour l’essentiel, en matière de décarbonation, la France dépend donc de la bonne volonté des acteurs privés et des pays qui produisent les terminaux et abritent les data centers.
Afin de limiter cette impuissance, le HCC invite à élaborer « une stratégie spécifique aux émissions importées du numérique » qui « permettrait à la fois de maîtriser les émissions importées dues au déploiement de la 5G et de toute autre nouvelle technologie numérique à venir ». Le principe est salutaire, mais sa mise en œuvre reste toutefois délicate. Le HCC l’admet d’ailleurs à demi-mots puisque, faute de mieux, ses propositions reposent sur une plus grande responsabilité des entreprises et des citoyens : soit en imposant des normes sur les émissions en cycles de vie des équipements électroniques, soit en essayant de contrer les stratégies d’obsolescence technique des fabricants de terminaux (par exemple en exigeant un indice de réparabilité ou de durabilité des produits mis à la vente). Pas sûr que cela suffise.
Il existe bien entendu une solution plus efficace que la décarbonation : la sobriété. C’est dans cette direction que le HCC invite à davantage travailler et réfléchir.
Une première piste consisterait, en amont, à exiger que les infrastructures numériques soient calibrées de façon à ce que leurs usages restent compatibles avec les objectifs climatiques. C’est précisément ce que le gouvernement refuse de faire jusqu’à présent. Là encore, l’argument de la compétitivité de la France arrive en tête des revendications politiques : il ne s’agirait pas de prendre du retard sur nos voisins.
La dernière solution consiste à agir en aval, en incitant les citoyens à une certaine sobriété dans leurs usages. Pour le HCC, cette « stratégie de gouvernement par les conduites » est « un aveu d’impuissance ou d’absence de volonté de réguler l’offre ». Elle revient peu ou prou à construire des autoroutes à quatre voies tout en invitant les citoyens à faire du vélo. De manière plus diplomatique (et moins imagée), le HCC conclue prudemment qu’« il n’existe aucune garantie que la somme des initiatives en cours suffise à ce que l’introduction de la 5G se traduise par moins d’émissions, et suffisamment moins d’émissions pour le respect de la SNBC ».
En conclusion, le HCC pousse toutefois la piste de la maîtrise des usages un cran plus loin. Pourquoi ne pas prioriser les usages d’Internet ? Le HCC constate qu’il s’agit d’« une piste que les pouvoirs publics évitent de travailler pour le moment », au nom de la neutralité du net. Mais puisque l’écrasante majorité des flux est générée par les vidéos et les jeux en ligne, pourquoi ne pas envisager une hiérarchisation des usages en situation de tension sur le réseau, ou afin de favoriser une certaine sobriété ? La question se pose d’autant plus que, techniquement, la 5G permettrait de le faire. Et après tout, comme le rappelle là encore le HCC, « établir une hiérarchie des usages n’est pas une nouveauté dans la société ». Finalement, n’est-ce pas ce qui fonde le débat démocratique ?
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