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Veille M3 / L’adaptation au changement climatique représente-t-elle un test pour les capacités de résilience de la démocratie ?

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Et si la redirection écologique donnait le cap à une refonte majeure de nos institutions ?

Parce que l’adhésion de la population est un facteur majeur de succès pour les mesures prises, la défiance à l’égard de la démocratie et de ses représentants constitue aujourd’hui un frein réel au changement.

À quelle échelle territoriale doit-on gouverner la transition écologique ?
Quelle place pour les citoyennes et citoyens dans les prises de décision ?
Pour quel projet de société ?

On y réfléchit sans a priori, en croisant les points de vue sur ces questions.

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Date : 04/11/2024

Les collectivités locales jouent un rôle crucial dans l’adaptation aux changements climatiques, une mission qui implique une révision de leurs pratiques de gouvernance et une transformation de leurs modes de fonctionnement. Cette transition pose des questions fondamentales sur la démocratie, la participation citoyenne, et la capacité des institutions locales à répondre efficacement aux défis environnementaux, tout en maintenant un dialogue ouvert avec leurs administrés.

Différentes ressources ont abordé le sujet de la gouvernance et de la démocratie dans un contexte de transition rapide qu’appelle la nécessité de faire face à une crise écologique, à la fois au niveau des modes de production et de consommation (énergie, biens de consommation), et des modes de vie.

Des retours d’expérience et des études relatives aux politiques publiques, telles que le rapport « Paris à 50 degrés : s’adapter aux vagues de chaleur » de la Mission d’information et d’évaluation du Conseil de Paris, ou l’article « Adaptation : ce que peuvent (et doivent) faire les collectivités » de Institut de l’Économie pour le Climat (I4CE), pointent les atouts et les lacunes des politiques de gouvernance locale qui impliquent les acteurs des territoires et le grand public. Elles examinent leur pertinence en termes d’acceptabilité, et de performance pour accélérer et sécuriser les actions d’adaptation locale au changement climatique.

 

 

Multiplier les sources d’inspiration pour irriguer la réflexion

 

Le premier document est le résultat d’une Mission d’information et d’évaluation du Conseil de Paris demandée par le groupe Les Écologistes en 2022 qui a mis en œuvre des auditions, des contributions écrites et des visites de terrain.

Le second est un « Point Climat », qui s’inscrit dans le cadre du projet Quanti-Adapt, réalisé avec le soutien financier de l’ADEME dans le cadre de l’Appel à Projet PACT²e, de l’Observatoire national des effets du changement climatique (ONERC) et du Commissariat général au développement durable (CGDD), et précise les actions d’adaptation que les collectivités françaises peuvent mettre en œuvre dès aujourd’hui. Il est complété par un second Point Climat « Mettre l’adaptation aux impacts du changement climatique au menu des discussions entre les collectivités et l’État » (I4CE 2023).

Au-delà des discussions sur les politiques de gouvernance locale, des articles et des essais tels que Consentir à la finitude ? Écologie et Démocratie (2023) de la philosophe Céline Spector, publié dans la revue en ligne AOC, et Politiser le renoncement (2023) livre d’Alexandre Monnin, explorent les enjeux idéologiques et philosophiques d’un changement de paradigme permettant de traverser cette période de manière soutenable.

 

Quelles priorités pour les Collectivités ?

 

Que disent les rapports d’évaluation des politiques publiques sur la question de la gouvernance et de la démocratie par rapport à la transition ?

Le rapport Paris à 50 degrés se propose d’évaluer les conséquences et les risques sur les conditions de vie dans le territoire parisien, d’évaluer les stratégies actuelles au regard de ces enjeux et de ces risques, et d’évaluer les moyens et les déclinaisons opérationnelles actuelles jusqu’à leurs possibles évolutions. Parmi les sujets primordiaux, afin d’éviter notamment de revivre les quelque 5 000 décès dus à la canicule de 2003 pour la région Île-de-France, il est ainsi recommandé :

  • D’éviter les conflits d’usage de l’eau : en mettant en place ou en renforçant des instances dédiées impliquant les différents usagers ;
     
  • D’impliquer la population en amont de la crise pour promouvoir une culture du risque, et ainsi renforcer la cohésion sociale autour de cette thématique (voir suggestions p. 158) ;
     
  • D’associer les habitants à la construction de stratégies de résilience « opérationnelles », en évaluant les risques en concertation, en multipliant les exercices de crise et en planifiant des stratégies à long terme avec les acteurs de l’urgence.

 

Parmi les mesures proposées, le rapport pour Paris rejoint I4CE sur les besoins de coopération à différentes échelles, avec par exemple un plan régional d’adaptation au changement climatique, ainsi que des investissements adaptés aux enjeux. Il s’agit alors de prendre en compte systématiquement les risques à long terme liés au changement climatique dans les budgets et les projets structurants (« réflexe adaptation »), en dédiant des ressources humaines au sujet, en planifiant des investissements dédiés à l’adaptation (désimperméabilisation, déploiement de solutions fondées sur la nature, etc.), et en conditionnant la commande publique à la prise en compte des projections climatiques.

 

 

Refonder les processus démocratiques pour mieux réagir ?

 

On pourra voir dans ces ressources de nombreuses pistes pratiques et des exemples sur lesquels appuyer la construction d’une politique adaptée au changement climatique. Les retours d’expériences sont bienvenus dans un contexte de bouleversements, où l’on avance certes à tâtons, mais de moins en moins, grâce aux premières expérimentations et au partage de bonnes pratiques. Cependant, comment être certain que nos systèmes démocratiques sont suffisamment robustes pour relever au mieux les défis de la transition ? À quel point faut-il les transformer ?

C’est ce qu’interroge notamment Céline Spector dans son article, où elle parcourt les propositions et les expériences démocratiques menées dans le monde, comme le fait de donner un statut moral aux rivières, de représenter les générations futures dans les assemblées qui peuvent faciliter l’émergence de projets de résilience territoriale, telles que les « solutions fondées sur la nature », et favoriser leurs chances de succès.

Là où le propos se signale par sa singularité, c’est qu’à contre-courant des appels à une démocratie plus directe, la philosophe prend la défense de la démocratie représentative. Bien qu’en crise, car pensée à une échelle « universelle » sans intégrer le vivant non-humain et la possibilité de son effondrement écosystémique, elle ne serait pas encore disqualifiée.

Céline Spector soutient que certes, la démocratie doit évoluer, et inclure davantage de garde-fous garantissant l’intérêt général dans les décisions, jusqu’à trouver sa place dans le quotidien local et les modes de vies des citoyennes et citoyens. Mais la logique représentative reste un outil utile, dans le cadre par exemple d’une « Académie du futur », composée de scientifiques et d’intellectuels, vouée aux intérêts de long terme.

Certaines limites s’avèrent déjà connues dans ce type de dispositifs, entre privilèges d’un noyau de « sachants » et inefficacité de délibérations chronophages, mais pour dépasser ces obstacles potentiels, elle plaide, malgré les faillites actuelles du droit international et la crise qui traverse les institutions telles que l’ONU, en faveur d’instances interétatiques fortes sur les questions écologiques.

 

Une question nécessairement transversale ?

 

C’est bien ce que rappelle Alexandre Monnin dans Politiser le renoncement, où il présente son concept de « communs négatifs », qui sont les externalités négatives de la modernité (pollutions, déchets, systèmes productifs délétères) que nous avons en partage. Nombre d’entre eux ont une dimension planétaire, et la question de « Qui décide ? » demeure cruciale. Le philosophe propose d’une part de mettre en relation auteurs et « victimes », ainsi que tous les êtres attachés à ces activités non viables, et d’autre part de promouvoir la recherche pour sa capacité à produire des données fiables guidant l’action.

Selon lui, pour contrer l’attachement et l’habitude, il faut des choix éclairés notamment par les sciences humaines. Il faut aussi accompagner les renoncements, comme ceux du report modal vers des moyens de transport moins flexibles ou ceux de la consommation de produits à bas coûts, mais à fort impact environnemental, et accompagner la transition autant que la conduire, afin de ne pas étouffer la dynamique de l’intelligence collective.

Dans cette perspective, il est selon lui essentiel de penser des stratégies de sobriété qui n’obèrent pas l’idée de croissance (excepté celle, néfaste, de la consommation) ou l’espoir d’un futur meilleur. Cet essai est ainsi une invitation à considérer « les communs négatifs » justement comme des sujets de convergences, une vision qui permettra de se doter de moyens suffisants pour les traiter sans les subir.

 

 

Une démocratie locale au secours de la gouvernance globale ?

 

La revue n° 137 du CLER — Réseau pour la transition énergétique, dédiée à la place de la démocratie dans les stratégies Énergie Climat, pointait un déficit de démocratie dans les choix de stratégies énergétiques, avec des orientations nationales élaborées hors sol et une vision peu claire des enjeux locaux. Elle les met en regard des projets citoyens et des concertations pour le développement des EnR, qui se multiplient et permettent d’accélérer la transition tout en redynamisant la démocratie autour d’enjeux partagés.

Mais comment passer d’un 20e siècle ayant légué un imaginaire d’abondance, initié par le faible coût des énergies fossiles, et qui n’a pas permis à la démocratie de gérer les choix énergétiques globaux, à une contraction de nos consommations et productions d’énergie socialement juste ? Y parvenir exige un renouveau démocratique, notamment donc sur les enjeux énergétiques.

Sur les sujets de transition, la dimension internationale des enjeux démocratiques est fondamentale. La chercheuse Dominique Méda le montre brillamment dans un essai de 2017 Vers une société post-croissance, sur les stratégies de transition des règles de la comptabilité économique internationale. Il faut souligner que la démocratie locale est essentielle à la réalisation de cet effort. Si le fait de revitaliser la pratique démocratique assure une plus grande facilité de concrétisation et d’acceptabilité aux transformations qu’impose l’adaptation au changement climatique, il révèle également ses propres limites géographiques et rappelle l’importance de coopérations internationales.

Indépendamment de cet environnement planétaire, dépendant des aléas d’une géopolitique sur laquelle les peuples ont finalement peu de prise, le « local » demeure l’échelle la plus adaptée aux débats et à la mise en œuvre concrète des actions de redirection écologique. La démocratie est ainsi à un moment charnière, et ses capacités de résiliences sont mises à l’épreuve. Elle peut à la fois être stimulée et modernisée par les réponses aux besoins pressants de choix de transition, mais aussi être déstabilisée par des crises qui étourdiraient la clairvoyance et le dialogue publics.

Dans ce contexte, il ne serait pas étonnant que le succès des expériences menées nécessite une audace et des ruptures encore peu envisagées, pour des résultats rapides qui démontreraient leur efficacité, leur justesse et leur justice, avant d’être emportées brutalement par le mécontentement des victimes du changement climatique.