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La qualité de l’air, une affaire d’experts ?

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Illustration représentant un triangle de ciel bleu dans un ciel gris

Interview de Nicolas VIGIER

<< "Les messages sont parfois assez difficiles à faire passer parce que les cibles principales de la lutte contre la pollution deviennent les citoyens, avec le chauffage individuel au bois et la voiture" >>.

Nicolas Vigier est responsable du service exploitation d’Air Rhône-Alpes. Air Rhône-Alpes est une association (loi 1901) régionale s’occupant d’évaluer la qualité de l’air dans notre région et d’informer la population, dans le cadre d’un agrément du ministère de l’écologie.

Dans cet entretien organisé à l'occasion de la réflexion menée sur le monitoring environnemental participatif, Nicolas Vigier se consacre aux enjeux de la pollution de l'air et aux nouveaux rapports entre experts et profanes que ces enjeux questionnent.

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Date : 02/07/2014

Quelles sont les sources de pollution les plus importantes actuellement ?

Les émissions individuelles du chauffage au bois constituent aujourd’hui une source importante de particules en période hivernale. Les émissions des chaufferies collectives au bois sont plus facilement maitrisables et mieux contrôlées. Le chauffage au gaz est peu émetteur de pollution, il émet des oxydes d’azote mais pas de particules. C’est donc un mode de chauffage moins défavorable à la qualité de l’air. Si le chauffage au bois est aujourd’hui peu utilisé dans les cœurs d’agglomération, il reste très présent en périphérie. Or les particules émises sont régulièrement redirigées par le vent vers les centres urbains, qui subissent déjà la pollution du trafic routier. Pour préserver la qualité de l’air dans les centres villes, il faut aussi réduire les émissions de particules en périphérie.

Le trafic automobile est une autre source importante de pollution atmosphérique dans les cœurs d’agglomération. Les activités industrielles sont également une source de pollution dans certaines portions du territoire. Cependant, le renforcement des normes et des technologies a progressivement permis de faire baisser les rejets industriels. Aujourd’hui, en milieu urbain, le principal problème est lié au trafic routier, auquel s’ajoute le chauffage en hiver.

 

Quels sont les types de chauffages moins polluants que le chauffage au bois ?

Sans compter les systèmes de géothermie, en ville, le chauffage au gaz est un des moins polluants. Les poêles et les cheminées à granulés sont moins émetteurs de particules que les chaudières ou chaufferie à bûches. Les chauffages aux granulés ont des performances acceptables parce que la combustion des granules ou des plaquettes de bois est beaucoup plus complète que pour une bûche. Il existe un classement avec le label Flamme verte pour les poêles à bois et les cheminées, le label 5 étoiles est celui qui garantit les meilleurs rendements. Quant au chauffage à l’électricité, il n’est pas vraiment à l’origine de rejets de polluants atmosphériques chimiques dans notre région parce que la production d’électricité en Rhône-Alpes provient soit du nucléaire, soit de l’hydraulique, ou de l’éolien. En France il y a cependant encore quelques centrales thermiques, fonctionnant au fuel ou au charbon, qui émettent beaucoup de particules polluantes. Elles sont principalement utilisées en appoint lors des périodes les plus critiques en hiver. Au niveau national, les émissions de ces centrales peuvent tout de même avoir un impact négatif sur la qualité de l’air.

Localement, le chauffage électrique n’a donc pas d’inconvénient majeur au niveau de la qualité de l’air. Il reste que c’est un chauffage qui a d’autres inconvénients dont un rendement très moyen et une forte consommation d’énergie.

 

Constatez-vous une augmentation de la fréquentation du site Internet d’Air Rhône-Alpes lors des pics de pollution ?

D’une façon générale nous avons de plus en plus de sollicitations des particuliers, parfois sur des questions auxquelles nous n’avons pas les compétences pour répondre, comme les impacts sanitaires de la pollution.

Il y a en effet une augmentation de la fréquentation du site dès l’annonce un pic de pollution. Lors de l’épisode de mars 2014, il y a eu une telle augmentation que notre site internet s’est bloqué, n’étant pas dimensionné pour autant d’affluence. Les épisodes de pollution ont deux conséquences immédiates : une forte recrudescence des consultations sur le site internet et, en parallèle, une forte augmentation des appels téléphoniques ou des mails envoyés par les particuliers. Evidemment les interviews médias se multiplient aussi.

 

Quelles sont les principales sollicitations dont vous faîtes l’objet ?

Les individus nous sollicitent par exemple sur les gestes à faire pour se protéger de la pollution ou sur les endroits où aller pour éviter les épisodes de pollution. Ce sont les principales questions récurrentes lors d’un pic. Indépendamment des épisodes de pollution, nous sommes régulièrement interrogés sur les quartiers où il est préférable d’habiter pour éviter de trop subir la pollution. Il y a aussi de plus en plus de questions qui concernent la qualité de l’air intérieur.

Les particuliers questionnent aussi sur la véracité des résultats annoncés. Nos données sont parfois remises en question par les individus, notamment sur la responsabilité d’une source de pollution lors d’un pic, en particulier dès lors que l’on évoque le chauffage au bois ou le trafic automobile. On nous interroge aussi sur l’interdiction de l’incinération des déchets verts, fixée par arrêté préfectoral, depuis qu’il a été montré que cela avait un impact négatif sur la qualité de l’air.

Dès que les données vont à l’encontre des comportements des citoyens, elles sont remises en question. Les messages sont parfois assez difficiles à faire passer parce que les cibles principales de la lutte contre la pollution deviennent les citoyens, avec le chauffage individuel au bois et la voiture, tandis que la pollution industrielle a bien diminué. Ces sujets demandent et demanderont encore beaucoup de pédagogie pour changer les comportements.

 

Est-ce que vous apportez une réponse aux personnes qui vous demandent quels sont les quartiers les moins pollués ?

Les réponses sont souvent assez complexes, ce qui est un peu déstabilisant pour les interlocuteurs. Dans un premier temps, nous expliquons ce qu’est l’exposition à la pollution de l’air. Lorsque nous pouvons, nous donnons des conseils comme par exemple essayer d’éviter les expositions à proximité des voies de circulation. Dans la mesure du possible il vaut mieux habiter à plus de 200 mètres d’un grand axe que d’être à 10 ou 20 mètres. Il en va de même sur les zones de retombées industrielles. Ce sont les deux points sur lesquels il est possible d’être vigilant et informer assez facilement.

En dehors de ce constat, il est beaucoup plus compliqué de conseiller les individus sur les lieux les moins exposés à la pollution car même en milieu rural on peut se retrouver exposé à des concentrations élevées de polluant. Ce n’est pas parce qu’on s’éloigne d’un cœur d’agglomération que la qualité de l’air sera meilleure.

En montagne en bordure d’un axe très fréquenté par les voitures en hiver, les taux de pollution seront du même ordre de grandeur que dans les villes. Nous essayons donc surtout d’orienter nos interlocuteurs en fonction des risques de surexposition potentielle. La première intention des habitants est souvent de sortir de l’agglomération pour moins subir la pollution. Nous essayons de sensibiliser les personnes qui nous appellent pour qu’elles gardent à l’esprit l’impact que cela peut avoir. Dans l’hypothèse où il n’existe pas ou peu de réseau de transport en commun dans leur commune, elles prendront leur voiture pour se déplacer et participeront ainsi à la pollution urbaine. Ce sont des éléments que les populations ne prennent pas toujours en compte dans leur choix de logement.

 

Et sur la qualité de l’air intérieur ?

Nous avons mené quelques travaux sur la qualité de l’air intérieur avec des volontaires qui avaient quelques capteurs le jour et la nuit pour mesurer l’exposition à la pollution dans leur logement. Les différentes études menées ont démontré que l’exposition à la pollution de l’air peut être plus importante à l’intérieur qu’à l’extérieur. C’est donc un sujet de préoccupation qui demande là aussi une importante pédagogie, auprès des citoyens bien sûr, mais aussi des professionnels de l’immobilier et de la construction.

C’est un sujet que nous abordons régulièrement avec les personnes qui souhaitent déménager pour profiter d’une meilleure qualité de l’air. La contribution de l’air intérieur à l’exposition à la pollution de l’air que nous subissons peut être supérieure à celle de l’air extérieur. Il convient donc d’être très vigilant sur le renouvellement d’air de l’habitat et sur l’utilisation de produits ou matériaux susceptibles de dégrader la qualité de l’air intérieur.

 

Constatez-vous une tendance à la baisse de la pollution de l’air ?

Même si nous alertons de plus en plus sur les épisodes de pollution, notamment parce que les normes se sont renforcées, le constat fait aujourd’hui est bien meilleur qu’il y a 15 ou 20 ans. Il y a indéniablement une baisse de la pollution de l’air. Les principaux indicateurs ont diminué et il y a certains polluants industriels qui ont presque disparu. Le dioxyde de souffre par exemple, posait vraiment problème il y a 20 ans mais il n’existe presque plus aujourd’hui. Certains composés organiques volatils ont aussi énormément diminué.

Il y a cependant des polluants pour lesquels la diminution est beaucoup plus modeste au fil des ans, comme les particules fines et les oxydes d’azote, principalement liés au trafic routier. Il y a certes une évolution favorable qui est en partie liée au changement des comportements mais surtout aux évolutions technologiques. Du fait du renforcement des normes, les véhicules sont de moins en moins polluants (pots catalytiques, filtres à particules) et le parc automobile se renouvelle progressivement. Mais le trafic routier, même s’il n’augmente plus autant qu’autrefois, est encore en progression.  

 

Comment aider les personnes à obtenir des informations très situées sur la qualité de l’air ?

Il faut probablement créer et investir dans des outils plus adaptés. Nous travaillons actuellement sur la refonte du site web d’Air Rhône-Alpes, pour faciliter l’accès aux informations locales en temps réel comme « l’air de votre commune ». Il y aura l’équivalent en application smartphone aussi. Une transmission d’informations plus efficace passe aussi probablement par l’augmentation du nombre d’outils de diagnostics, pour couvrir davantage et mieux le territoire.

 

Est-ce qu’Air Rhône-Alpes réfléchit à la participation des usagers à la mesure de la qualité de l’air ?

C’est totalement à l’ordre du jour mais peut-être pas sur le type de mesure que nous avons évoqué jusqu’à présent. Il y a deux sujets sur lesquels l’intervention humaine et la mesure par la population sont indispensables.

Le premier sujet concerne les odeurs, la nuisance olfactive. A l’heure actuelle, les odeurs, dans la majorité des cas, proviennent de composés sont la concentration est bien inférieure à celle que les analyseurs sont capables de mesurer. Le nez humain est beaucoup plus efficace que les capteurs dans ce domaine. C’est pour cela que dans bien des cas nous nous appuyons sur des réseaux d’observateurs humains, des réseaux de nez, qui font des relevés et qui alertent sur des dysfonctionnements. Ils permettent aussi de constater une évolution dès lors qu’un industriel met en place des moyens de réduire ses émissions olfactives. C’est grâce à des jurys de nez, professionnels ou riverains, qu’il est possible de quantifier une évolution positive ou négative des odeurs. Il existe un dispositif dans l’agglomération lyonnaise, Respiralyon, qui avait intégré cette logique de réseau de nez. Le dispositif a évolué ces dernières années, en abandonnant le réseau de nez, qui a rendu bien des services mais était assez compliqué à maintenir en activité, au profit d’outils facilitant la participation citoyenne de l’ensemble de la population, via notamment la mise en place d’une plateforme téléphonique permettant de faire un signalement d’odeurs 24h/24 (0800 800 709), en complément du site internet. Ce réseau « d’alerte » est très efficace et semble indispensable.

Le second sujet concerne l’ambroisie. Dans le cadre d’un partenariat avec l’ARS1 , le RNSA2  et Valence Agglomération notamment, une plateforme régionale de signalements d’ambroisie a été mise en place. Elle permet aux citoyens d’identifier et de signaler les pieds d’ambroisie pour que les communes procèdent à l’arrachage. Cette plateforme repose sur un site internet et une application smartphone.

Le réseau est en train de se constituer. Certains secteurs sont plus actifs que d’autres dans l’identification et l’arrachage, notamment ceux qui sont le plus concernés par l’ambroisie : la vallée du Rhône, le pays Viennois,… Il y a normalement des référents dans chaque commune. L’idée est que les référents puissent s’emparer de l’outil que représente la plateforme pour mieux lutter contre l’ambroisie. Nous ne savons pas encore si les citoyens vont s’investir. Cependant c’est un outil qui sera déjà pratique pour qu’un référent dans chaque commune puisse faire du repérage et un signalement dynamique, et évaluer l’efficacité de l’arrachage. La participation citoyenne sera un plus.

 

A la faveur des outils numériques (smartphones, capteurs), le citoyen est de plus en plus à même de mesurer par lui-même des paramètres de son environnement, dont la pollution de l’air, et d’en référer sur des plateformes internet. Que pensez-vous de cette tendance ?

Il y aura indéniablement des difficultés. Le respect de la qualité de la donnée en est une. Si chacun produit sa donnée, chacun essaiera de l’interpréter et de la comparer à des normes, sachant que ces capteurs n’auront jamais la fiabilité nécessaire pour faire cela. S’il y a énormément d’incertitudes sur ces valeurs, le risque est de se penser en dépassement de norme alors que ce ne sera pas le cas. Ou a contrario le capteur n’indiquera rien, faute de sensibilité, alors que finalement il y aura un pic. C’est d’ailleurs plutôt dans ce sens-là que cela risque d’arriver. Ce type de capteur pourrait ne pas être assez sensible pour détecter véritablement la pollution.

 

Le principe du « citoyen capteur » n’est-il pas de produire des données en masse pour réduire les marges d’erreur et pouvoir faire des comparaisons dans le temps ?

Dans le cadre d’une approche statistique avec une diffusion massive auprès d’un grand nombre de personnes, cela devrait en effet rendre des services. C’est uniquement sur le nombre et par une approche statistique qu’il sera possible de recueillir des données exploitables, car un même micro-capteur peut fournir des données parfois très différentes ou aberrantes. Si l’on raisonne de manière globale et à grande échelle, il y a effectivement un intérêt pour voir les évolutions d’un site par rapport à un autre par exemple.

En revanche, je pense que cela ne permettra jamais de caractériser la qualité de l’air en bas de chez soi parce qu’il n’y aura pas la précision nécessaire. Cela pourrait laisser à penser à chacun qu’il peut obtenir un indicateur de la qualité de l’air par ses propres moyens mais en fait les capteurs ne seront pas assez fiables pour cela, et pas suffisamment exhaustifs.

 

Quelle forme de complémentarité pourrait exister entre Air Rhône-Alpes et un réseau de citoyens munis de capteurs de mesure de la qualité de l’air ?

Le fait d’avoir des capteurs répartis partout sur le territoire est une richesse que nous n’aurons jamais avec un observatoire tel que le nôtre. Cela pourrait bien fonctionner avec des capteurs spécifiques sur quelques molécules. L’approche sur un polluant unique, avec un traceur bien défini, peut permettre aux participants d’y voir quelques avantages. Premièrement leur donnée augmentera la finesse de l’information que nous pourrons fournir, soit sur la qualité de l’air en générale, soit sur un polluant donné. L’autre intérêt est que les citoyens pourraient participer  à l’identification de « points noirs », repérer des incidents ayant un impact sur la qualité de l’air pas seulement  par du visuel mais avec une mesure objective. S’il y a un faisceau d’indices via plusieurs capteurs qui ont mis en évidence une augmentation atypique de niveaux de pollution une zone donnée, cela permettra d’enquêter et d’identifier les sources à l’origine de cette hausse des taux de pollution, et bien sûr d’y remédier.

 

Quelles sont les limites que vous identifiez dans cette complémentarité ?

Nous avons de besoin d’une participation citoyenne pour constituer un réseau d’alerte via une évaluation qualitative des nuisances ressenties. Il y a ainsi encore beaucoup à faire sur les odeurs et les poussières. De temps en temps des personnes nous contactent pour se plaindre de retombées de poussières et nous ne savons pas toujours qu’elle en est l’origine. Une veille citoyenne nous permettrait d’identifier plus facilement la source. Il n’y a pas forcément besoin d’appareils sophistiqués, un ressenti ou un constat visuel peuvent suffire. Dès lors qu’il est fait par un grand nombre de personnes, nous pouvons faire des recoupements et identifier le type d’accident et sa source.

En clair, il n’y a pas forcément besoin de capteurs mais plutôt d’une structure regroupant le plus de veilleurs citoyens possibles. En fait nous avons besoin d’avoir des signaux complémentaires à tout ce que nous avons par nos propres outils de surveillance. Or ce n’est pas très bien structuré aujourd’hui. Les habitants ne savent pas auprès de qui se plaindre lorsqu’ils constatent des odeurs ou des poussières inhabituelles. Les plaintes sont réparties entre les mairies, la préfecture et les services de l’Etat, les associations de surveillance de qualité de l’air… Cette richesse de signaux n’est pas suffisamment centralisée et valorisée aujourd’hui.

 

Du côté de la collectivité, quelles seraient les actions à entreprendre pour approfondir la complémentarité entre Air Rhône-Alpes et des réseaux de citoyens capteurs ?

La collectivité peut avoir un rôle pour mettre en relation les différents acteurs susceptibles de travailler sur ces sujets-là. Cela semble logique qu’Air Rhône-Alpes soit partie prenante parce que nous gérons l’observatoire de la qualité de l’air mais il y a  aussi d’autres acteurs experts à faire rentrer dans la réflexion : des universitaires, des ingénieurs qui travaillent sur les outils etc. Si l’on souhaite aller vers des outils qui soient faciles à diffuser en gardant une certaine fiabilité, il ne faut pas uniquement associer Air Rhône-Alpes à cette réflexion. A ce niveau-là, la collectivité peut jouer un rôle de médiation et de mise en lien des différents acteurs. 

 

1  Agence Régionale de Santé

2  Réseau National de Surveillance des Allergènes