Vous êtes ici :

Veille M3 / Et si les énergies renouvelables signaient le retour en force des mines en France ?

< Retour au sommaire du dossier

Couverture de La Guerre des métaux rares, de Guillaume Pitron
La Guerre des métaux rares, de Guillaume Pitron© Éditions Les Liens qui Libèrent

Article

Pour faire face à l’urgence climatique, l’électricité renouvelable est promise à un essor extraordinaire. Mais pour produire localement cette énergie verte, il nous faut avoir la main sur les outils nécessaires.

Dans son ouvrage « La guerre des métaux rares », Guillaume Pitron nous rappelle ainsi que la transition énergétique dépend de l’exploitation de minerais métalliques dont nous avons laissé une poignée de pays devenir les principaux producteurs.

Rétablir notre souveraineté est possible. Cela créerait potentiellement des milliers d’emplois, et nous assurerait un degré minimum d’autonomie, donc de résilience, dans notre gestion de la production d’une énergie durable.

Mais à quelles conditions serions-nous prêts à accepter le retour de cette filière dans notre pays ?

Tag(s) :

Date : 03/01/2022

Qu’il s’agisse de l’éolien ou du solaire, l’électricité produite à partir des énergies renouvelables a connu au cours des deux dernières décennies un essor spectaculaire. Même les spécialistes de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE), pourtant rompus à l’exercice de prospective énergétique, ont été surpris par l’ampleur du phénomène. Dès 2008, l’humanité produisait davantage de panneaux photovoltaïques en une seule année que ce que l’AIE avait envisagé pour toute la période entre 2000 et 2020. Et cet essor ne fait sans doute que commencer.

 

Oui, l’électricité renouvelable est l’avenir de l’énergie !

 

D’un côté, les renouvelables sont boostées par l’urgence climatique. Pour atteindre la neutralité carbone en moins de trente ans, tous les scénarios aujourd’hui mis sur la table prévoient une augmentation considérable de la production d’électricité renouvelable. Cette dernière devra en effet se substituer massivement aux énergies fossiles, là où celles-ci sont aujourd’hui largement majoritaires – par exemple dans le domaine des transports.

D’un autre côté, l’électricité renouvelable est portée par une baisse prodigieuse de ses coûts de production, qui pourrait en faire la forme d’énergie la moins chère et la plus rentable de l’Histoire – comme le signalait encore récemment un article du journal The Guardian. Le nucléaire, dont le développement potentiel sera de toute façon limité à quelques rares pays, est d’ores et déjà dépassé par ce raz de marée des énergies renouvelables. Trop cher, trop dangereux, trop complexe à gérer, la filière nucléaire produit désormais nettement moins d’électricité que ne le font les renouvelables au niveau mondial.

 

 

Graphique représentant les parts respectives des renouvelables et du nucléaire dans la production mondiale d’électricité

Parts respectives des renouvelables et du nucléaire dans la production mondiale d’électricité (Source : Our World in data, 2021)

 

Dans ce contexte, on comprend que l’électricité renouvelable représente sans aucun doute l’avenir de l’énergie mondiale.

 

Mais même la meilleure énergie a un impact

 

L’essor de l’électricité renouvelable est toutefois confronté à plusieurs obstacles.

Le premier concerne l’opposition de plus en plus récurrente des riverains de certaines installations géantes. Le phénomène n’est pas nouveau, mais il prend de l’ampleur dans le monde entier, et particulièrement en France. Comme toute révolution énergétique, le développement massif de l’éolien et du solaire nécessite d’occuper une partie du territoire et d’en modifier les paysages. Or l’esthétique de l’éolien ou des champs de capteurs solaires est loin de faire l’unanimité ! Si bien que la question paysagère est de plus en plus souvent présentée comme un élément clé de l’acceptation sociale des projets.

Le second obstacle au développement de l’électricité renouvelable est jusqu’à présent moins médiatisé. Il s’agit de l’incroyable dépendance de ces énergies à l’égard de plusieurs minerais métalliques, dont certains sont particulièrement rares et précieux. Un sujet dont Philippe Bihouix nous avait déjà entretenus il y a quelques années, et qui a entre-temps fait l’objet d’une enquête particulièrement documentée de la part du journaliste Guillaume Pitron : La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique.

 

Les minerais, ou la matérialité cachée de la transition

 

Devenu un véritable « classique » de la littérature sur les ressources, l’ouvrage de Guillaume Pitron associe de manière plus ou moins ambiguë transition énergétique et transition numérique. Cela mérite quelques explications. Si les énergies renouvelables nécessitent une quantité importante de métaux, elles sont encore loin d’être majoritaires dans notre consommation de minerais métalliques. C’est encore plus vrai des terres rares et autres minerais stratégiques, qui sont au cœur de l’ouvrage, et dont les énergies renouvelables sont en réalité assez peu consommatrices – contrairement aux technologies numériques. Guillaume Pitron légitime cette association en expliquant que l’intermittence des énergies renouvelables nécessite de faire appel à pléthore de technologies numériques, ainsi qu’à des capacités de stockage (batteries) qui s’avèrent grandes consommatrices de minerais stratégiques – comme le lithium, le cobalt, le nickel, le manganèse ou encore le graphite.

Utilisant des chiffres percutants ainsi que des témoignages issus de ses différents voyages à travers le monde, l’auteur nous révèle la matérialité cachée de la transition. On en retient par exemple que, d’ici à 2040, le développement de l’éolien nécessitera « 3 200 millions de tonnes d’acier, 310 millions de tonnes d’aluminium, 40 millions de tonnes de cuivre » ; ou encore qu’il faut purifier huit tonnes de roche pour produire un kilogramme de vanadium, et jusqu’à 1 200 tonnes pour un kilogramme de lutécium.

En Chine, en Afrique, en Amérique latine, la multiplication des mines nécessaires à la production de ces matériaux a des impacts colossaux sur les paysages et les milieux naturels. « Les quelques dix milles mines éparpillées à travers le territoire chinois ont largement contribué à ruiner l’environnement du pays », mais aussi à détruire la santé des humains. Il ne suffit pas d’éventrer la terre pour en extraire les roches. Les métaux rares dont nous sommes devenus si friands sont agrégés dans la matière, si bien qu’il faut mobiliser des procédés physiques et chimiques pour les séparer et les purifier, avec des conséquences souvent dramatiques pour les populations locales et les travailleurs.

 

Des risques de pénurie et de dépendance qui interpellent

 

Au-delà de ce cataclysme environnemental et humain, l’ouvrage montre également à quel point les pays occidentaux se sont laissés enfermer dans une situation de dépendance sidérante à l’égard de la Chine, qui domine aujourd’hui très largement le marché de certains minerais stratégiques. Trop heureux de délocaliser ces industries polluantes, l’Europe et les USA ont laissé l’Empire du Milieu devenir le nouvel « Opep des terres rares ». Contrôlant le marché mondial, la Chine peut aujourd’hui à elle seule organiser une pénurie, faire monter ou baisser les prix, ou encore décider du devenir économique des mines situées en dehors de son territoire.

 

 

Qui plus est, loin de se contenter de dominer le marché des matières premières, la Chine a également cannibalisé le secteur, beaucoup plus rentable, de leur transformation. Premier producteur mondial de photovoltaïque et de semi-conducteurs, elle est également devenue leader de la production de super-aimants utilisant des terres rares – de plus en plus présents dans les moteurs électriques et les générateurs d’éoliennes.

Guillaume Pitron résume la situation d’une formule lapidaire : « En nous engageant dans la transition énergétique, nous nous sommes tous jetés dans la gueule du dragon chinois ».

 

Le recyclage : aussi indispensable qu’insuffisant

 

Comment sortir de cette situation de dépendance ? Une première piste consisterait à développer massivement le recyclage. L’idée paraît séduisante. Elle bute toutefois sur plusieurs difficultés. D’une part, les filières de recyclage de certains métaux sont encore peu développées. D’autre part, ils sont souvent amalgamés pour créer des alliages composites, qui sont ensuite très difficiles à séparer et à recycler. Guillaume Pitron nous rappelle à ce propos que seuls 18 des 60 métaux les plus utilisés par l’industrie sont aujourd’hui recyclés à plus de 50%. Quant aux métaux qualifiés de « terres rares », leur taux de recyclage est souvent proche de 0%.

Imaginons tout de même que le taux de recyclage approche un jour la barre des 100 %. Comme François Grosse nous l’avait expliqué il y a quelques années, cela ne suffirait pas pour autant, car nos besoins augmentent. Et de beaucoup ! « Soutenir le changement de notre modèle énergétique exige déjà un doublement de la production de métaux rares tous les quinze ans environ, et nécessitera au cours de trente prochaines années d’extraire davantage de minerais que ce que l’humanité a prélevé depuis 70 000 ans », nous rappelle l’auteur. Dans ce contexte, on comprend que le recyclage intensif ne suffirait qu’à couvrir une fraction de nos besoins à venir.

 

Faut-il relocaliser l’extraction des minerais stratégiques ?

 

Guillaume Pitron en arrive à cette conclusion qui peut paraître assez paradoxale de prime abord : la transition énergétique devrait nous amener à rouvrir des mines en France. Plus précisément, il s’agirait de relocaliser l’extraction et la transformation des minerais les plus importants pour la transition énergétique. L’enjeu est évidemment stratégique. Mais c’est aussi un devoir sur le plan éthique, car pour l’auteur, « rien ne changera radicalement tant que nous n’expérimenterons pas, sous nos fenêtres, la totalité du coût de notre bonheur standard. La mine responsable chez nous vaudra toujours mieux que la mine irresponsable ailleurs ».

Après plusieurs décennies de cécité, durant lesquelles la politique minière de la France a été largement abandonnée, les prémices d’un changement se font sentir. Notre pays a en effet tout d’un géant minier en sommeil. Comprenant que le retour de ces exploitations sur notre territoire ne pourra s’envisager sans en encadrer très strictement les règles, le gouvernement a initié dès 2015 un travail autour de la notion de « mine responsable ». En Alsace, le concept s’est récemment concrétisé par un projet d’exploitation de lithium dont l’impact est surveillé comme le lait sur le feu. Pas question de répéter ici l’erreur commise récemment en Serbie, où l’expropriation des habitants et la détérioration des paysages sont en train de générer un puissant mouvement de résistance.

 

 

L‘éternel grand oublié des débats : la sobriété

 

L’ouvrage de Guillaume Pitron a le grand mérite de souligner l’hypocrisie de l’Occident en matière d’énergie. Après avoir délocalisé les coûts environnementaux de notre boulimie énergétique dans les pays du Sud, et après avoir reporté sur les générations futures les effets catastrophiques de nos émissions de gaz à effet de serre, nous voici à présent face à nos responsabilités. La transition énergétique nous permet de faire des choix. Celui, par exemple, de relocaliser la production d’électricité renouvelable, du « berceau à la tombe ». Ce scénario permettrait de créer des emplois, de reconquérir une certaine indépendance énergétique et stratégique, mais aussi de mieux maîtriser les cycles de production et de recyclage propres aux énergies renouvelables.

Cette option aurait sans doute encore un autre avantage. En assumant de bout en bout le coût environnemental de nos consommations énergétiques, peut-être serions-nous enfin prêts à considérer sérieusement un levier d’action de la transition encore trop souvent oublié : celui de la sobriété. Comme chacun sait, l’énergie la moins chère et la moins polluante est toujours celle… que l’on ne consomme pas.