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Entretien croisé MMIe et DIE : « Il y a désormais une volonté de développer les clauses d’insertion dans l’ensemble des marchés »

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Illustration de mains aidant une famille

Interview de MMIe - Maison Métropolitaine d'Insertion pour l'emploi et DIE - Direction de l'Insertion et de l'Emploi

Au sein de la Métropole de Lyon, et dans le cadre de sa feuille de route stratégique, la Direction de l’Insertion par l’Emploi (DIE) a développé une expertise sur les questions d’insertion dans la Commande publique, qu’elle met au service de ses acheteurs pour les aider à prendre en compte les objectifs d’insertion dans leurs marchés.

Elle développe cette démarche en lien étroit avec l’intervention des acteurs de l’insertion par l’activité économique (SIAE), lesquels constituent des outils essentiels de l’achat socialement responsable.

La Maison Métropolitaine d’Insertion pour l’emploi (MMIe) est un groupement d’intérêt public dont l’objet est de répondre à l’ambition métropolitaine de développer une offre d’insertion par l’emploi des publics qui en sont les plus éloignés. Composée de 27 membres (collectivités locales, chambres consulaires, pôle emploi, …), elle accompagne les maîtres d’ouvrage et les entreprises qui s’engagent dans une démarche « d’achat socialement responsable », et mène diverses actions d’inclusion sur le territoire.

Elle joue un rôle de « facilitateur » en se positionnant comme intermédiaire entre les acheteurs, les entreprises attributaires (appui dans le recrutement, mise en place d’actions de formation collective, visites de chantiers, réunions d’information collectives...) et les partenaires de l’emploi et de l’insertion, prescripteurs des publics prioritaires.

 

Entretien avec :

Raphaèle Grange et Pauline Berger, facilitatrices clauses sociales à la MMIe

Maxime Bontemps, responsable RH et service clauses sociales à la MMIe

Isabelle Curtil, responsable du service Offre et Parcours d’Insertion à la Direction de l’insertion de la Métropole de Lyon

Laetitia Salendres, chargée de mission clauses sociales à la Métropole de Lyon

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Date : 01/11/2021

Quelle est votre vision de l’état actuel de la commande publique responsable sur le territoire lyonnais ?

Il y a désormais une volonté d’étudier la possibilité de mettre des clauses d’insertion dans le plus de marchés publics possibles et d’augmenter fortement le nombre de marchés réservés

Il y a énormément de disparités entre les territoires sur les clauses sociales et sans doute environnementales, mais c’est moins notre domaine. Notre territoire est plutôt en avance sur le volet social et l’insertion. C’est particulièrement vrai dans le cas de la Métropole de Lyon, notamment grâce au fait que dès 2004, la communauté urbaine de l’époque s’est engagée tout de suite sur ces sujets d’insertion et s’est impliquée de manière croissante dans le développement des clauses sociales dans les marchés.

Avec la création de la Métropole en 2015, le mouvement s’est accéléré, notamment parce qu’à ce moment-là, l’institution a récupéré le champ de l’action sociale en intégrant les compétences du Département. Ce mouvement continue de s’accélérer depuis l’arrivée du nouvel exécutif : il y a désormais une volonté d’étudier la possibilité de mettre des clauses d’insertion dans le plus de marchés publics possibles et d’augmenter fortement le nombre de marchés réservés, en les doublant voire en les triplant d’ici la fin du mandat. On observe ainsi depuis plusieurs années une croissance des heures d’insertion avec une forte accélération sur les derniers mandats. Ces progrès ont également été stimulés par des initiatives nationales, comme le Nouveau Programme de Renouvellement Urbain.

Aujourd’hui, la commande publique responsable est un sujet central. On le voit à travers tout le travail que la Métropole de Lyon a mené durant le courant de l’année 2021 pour identifier la manière dont elle pourrait questionner l’impact des entreprises sur tous les champs de l’achat public. Ce travail va aboutir à la création d’une plateforme d’impact qui sera portée par Gen’éthic. 

Comment s’assurer du réel impact des mesures prises par la commande publique ?

Ce qui est central dans nos modes de faire, c’est l’adaptation de toutes nos préconisations au pouls du territoire

La MMIe accompagne toutes les étapes de la commande publique pour y insuffler une dynamique d’insertion, de l’intégration des clauses sociales aux marchés publics jusqu’à l’évaluation des effets par la suite dans le cadre de la réalisation de ces marchés. Nous accompagnons les entreprises pour intégrer des volumes de contrats en insertion, en les aidant à poser le cadre et à choisir leurs options. Nous accompagnons aussi les maîtres d’ouvrage en amont lorsque nous contribuons à l’évaluation des propositions d’insertion dans les réponses des candidats aux marchés publics. Il y a un travail en partenariat qui se fait pour toujours garder en tête le fait qu’il faut intégrer des clauses sociales aux marchés, à travers un travail de pédagogie auprès des acheteurs pour qu’ils maîtrisent bien cela. Nous organisons des temps forts pour leur présenter ce que sont les structures de l’insertion et engager des échanges entre les différentes parties prenantes : collectivités, entreprises, structures de l’insertion. De manière générale, nous œuvrons à favoriser l’interconnaissance et essaimer les principes de l’insertion pour les systématiser.

Nous intervenons aussi lors de la réalisation des marchés, en suivant l’effectivité des clauses au niveau du nombre d’heures prévues par le contrat et de la qualité du travail. Ce dispositif de contrôle est facilité par le fait que nous travaillons avec une donnée-clé qui est l’heure d’insertion, qui nous permet de chiffrer, d’évaluer et de suivre. À l’issue du marché, nous analysons l’impact qu’a eu l’insertion sur les publics touchés et sur l’entreprise. Ce qui est central dans nos modes de faire, c’est l’adaptation de toutes nos préconisations au pouls du territoire, en nous appuyant sur nos connaissances et nos expertises qui évoluent grâce à l’évaluation. Ainsi, le calibrage et l’accompagnement de l’insertion dans les marchés publics sur le territoire se fait de manière réaliste, ce qui permet d’obtenir des progrès durables et satisfaisants. C’est ce principe de réalité qui fait que par la suite, on est en mesure de tester et de générer des retours d’expériences.

 

Photo d'un bureau
© Métropole de Lyon

Qu’est-ce qui n’est pas encore acquis ? Quels sont vos objectifs ?

Il s’agit de lever les freins et les réactions négatives des entreprises des secteurs d’activité qui ne sont pas encore sensibilisés

En termes de vision, les clauses se sont historiquement beaucoup développées dans le domaine du bâtiment, des travaux publics, du nettoiement… L’ambition aujourd’hui, c’est de continuer à pouvoir toucher de nouveaux métiers. Cet objectif de diversification peut être facilité grâce à la richesse du portefeuille d’achats de la Métropole, qui permet d’offrir de nouvelles opportunités d’emploi en acculturant davantage les acheteurs aux principes de l’insertion. Les entreprises ont aussi besoin d’être sensibilisées et accompagnées sur la manière dont elles peuvent répondre à leurs obligations d’insertion, qui vont peut-être passer sur un découpage différent des missions, une manière différente de recruter ou de gérer les ressources humaines… Il s’agit en tous cas de lever les freins et les réactions négatives des entreprises des secteurs d’activité qui ne sont pas encore sensibilisés. On avance de plus en plus. Par exemple, le Sytral vient de lancer l’un de ses premiers marchés de prestations intellectuelles qui intègre des clauses sociales.

Ce type de marchés n’est généralement pas en avance sur les questions d’insertion, mais il faut réussir à faire des achats publics un levier pour stimuler ces entreprises pour qu’elles avancent concrètement en leur facilitant la réponse aux appels d’offre. En effet, l’insertion va de plus en plus devenir un atout concurrentiel et grâce à cela on peut espérer que les entreprises fassent de plus en plus de démarches dans ce sens. Le tout est de bien les accompagner.

Pour cela, il y a un autre défi à continuer de relever dans notre domaine, c’est celui du sourcing des publics à qui proposer des parcours d’insertion. Malgré l’existence et le développement de nombreux dispositifs pour y parvenir (organisation et participation à des événements, outils de gestion et de diffusion des offres d’emploi, dispositifs comme les territoires zéro chômeurs longue durée…), cette étape n’est pas toujours évidente, et encore moins depuis la crise sanitaire qui a révélé des difficultés de mobilisation des publics. La MMIe mobilise donc plusieurs types de réseaux (entreprises, bailleurs sociaux, associations…) pour chercher des publics et rendre plus solide le maillage territorial qui permet ces mises en lien.

Pour lever ces différentes difficultés et continuer de progresser, on a différents moyens. On a déjà la possibilité de capitaliser sur vingt ans de bonnes pratiques, et de continuer à favoriser les échanges avec d’autres territoires qui expérimentent aussi. Cette expertise que l’on développe permet notamment d’améliorer le suivi et l’accompagnement de l’insertion lorsque nous contrôlons l’exécution des clauses sociales.

 

Quelles sont pour vous les étapes à franchir pour atteindre une commande publique responsable ?

Il faut que tous les « donneurs d’ordre » de cette volonté d’achat responsable, notamment l’État et les collectivités locales, aillent dans le même sens

La première chose est de bien évaluer ce qui est produit par les nouveaux critères et de pouvoir répondre grâce à cela à un principe de réalité, pour que ces objectifs et ces démarches soient pertinentes et apportent une plus-value à l’ensemble des acteurs. L’idée, c’est de ne pas faire des heures d’insertion juste pour répondre à des contraintes, mais de les instaurer de manière qualitative.

Il faut aussi encore une fois bien accompagner l’ensemble des acteurs qui vont être soumis de plus en plus à ces nouvelles clauses, du côté des acheteurs comme des prestataires. Il faut que les critères dimensionnés dans les marchés publics soient réalistes pour que les réponses puissent être qualitatives et apporter de la prospérité au territoire. De ce point de vue, il faut que tous les « donneurs d’ordre » de cette volonté  d’achat responsable, notamment l’État et les collectivités locales, aillent dans le même sens et qu’on évite les injonctions propres à tel ou tel dispositif. Sur notre territoire, on y parvient, parce qu’on travaille avec la DDEETS et la DREETS, mais ce n’est pas le cas partout. Cela a pour conséquence de créer de l’erreur, et un effet de communication très nocif auprès des entreprises, qui ne savent plus comment répondre à un marché. Il y a encore ce maillon manquant de l’accompagnement, qui sera résolu de plus en plus grâce à l’acculturation des agents des collectivités sur ces sujets. Il faut commencer un véritable plan d’accompagnement, en ciblant les types de marchés au cas par cas.

 

Si on a pris beaucoup d’avance sur le volet social de la commande publique, c’est moins le cas sur le volet environnement. Est-ce que c’est plus compliqué pour les acheteurs et les entreprises ?

Il faut capitaliser sur ce que le domaine de l’insertion sociale a développé depuis vingt ans, il faut qu’on puisse annoncer progressivement les besoins de demain

Il y a 20 ans, on disait aussi que l’insertion c’était compliqué, et finalement on a réussi à identifier les bons leviers et à accompagner les acteurs pour les actionner. Il n’y a pas de raison que ce soit plus difficile sur ce volet. Il faut capitaliser sur ce que le domaine de l’insertion sociale a développé depuis vingt ans, quand les clauses sociales ont commencé à être mises en place. Les données de calcul que nous avons (les heures d’insertion, par exemple) nous permettent d’établir un système d’évaluation solide et de quantifier les avancées. Il faut pouvoir s’inspirer de ça et l’étendre à la dimension environnementale de la commande publique responsable, qui pour l’instant ne dispose pas d’un tel dénominateur commun.

Par exemple la dimension locale des entreprises attributaires, il semble qu’on n’a pas encore d’indicateurs là-dessus. On ne peut évidemment pas en faire un critère, car il y a des questions juridiques autour de cette notion. Sur le bilan carbone des achats, cela peut-être compliqué aujourd’hui pour les acheteurs, en tout cas pour certains segments d’achat. Et au-delà de ces aspects techniques, il faut bien entendu accompagner l’écosystème. On peut avoir des exigences techniques, mais si les entreprises n’ont pas les bons circuits d’approvisionnement, cela crée un problème. Il faut qu’on puisse annoncer progressivement les besoins de demain, pour aider les entreprises à anticiper et orienter leurs investissements car cela peut représenter dans certains des coûts importants. En tout cas, c’est tout à fait possible d’élargir le travail fait sur le volet social en adaptant les outils et la démarche aux autres champs de la commande publique.