Une pensée de rupture
Saint-Simon est contemporain des débuts de l’industrialisation et de la mise en place d’une société industrielle, dont la règle est le développement de la production et l’acquisition de nouvelles connaissances qui ont pour but de conquérir la nature et de « produire des choses utiles ».
Désormais, avec une pensée résolument tournée vers l’avenir, l’âge d’or n’est plus le passé, mais est pour demain. La nouvelle société en train d’émerger, en remplacement de la société féodale, ne peut plus être fondée sur des rapports de commandement, mais sur des rapports de coopération et de division des tâches, même si Saint-Simon est conscient des conflits possibles, car l’objectif à atteindre est collectif, soit un mieux-être social et plus de consommation pour tous. Chaque individu devient un associé ou plutôt un sociétaire, car le travailleur sait qu’il poursuit son intérêt personnel à travers l’action commune.
Dans son Nouveau Christianisme, écrit en 1825, il montre que désormais il n’y a plus de place pour les oisifs qui vivent aux dépens des autres et qui sont des exploiteurs. La société industrielle voit le producteur agir pour autrui et est, en cela, plus morale que les précédentes. Cette société se doit d’être une oeuvre permanente de justice et pour ce faire, le gouvernement doit émaner de la classe industrielle, en particulier des élites patronales qui savent planifier le bonheur à atteindre. Tel est le sens de la fameuse parabole des abeilles publiée dans L’Organisateur en 1819 qui lui vaut comparution en Cour d’assises et acquittement en 1820.
Une théorie sociale et sociologique
Cependant, Saint-Simon observe que cette société continue à engendrer de la pauvreté tant urbaine que rurale. La société industrielle doit donc améliorer le sort des plus démunis. Il propose un système agraire où il préconise la protection du paysan face au propriétaire et ce, grâce à la loi qui devrait faire partager la plus-value acquise par la terre en cours de bail entre le bailleur et son fermier.
Mais sa pensée sociale s’exprime davantage dans le domaine des grands travaux industriels qui doivent permettre d’améliorer le territoire. Dans son ouvrage, Le système industriel (1820-1822), il imagine une élite qui organise, réalise des grands travaux et éduque par l’exemple l’ensemble de la société. En effet, les entrepreneurs ne devraient pas hésiter à investir, puisqu’ils en seraient les bénéficiaires. Ces travaux résorberaient le chômage et leurs bienfaits se diffuseraient du haut en bas de la société. Il ne faut donc pas se contenter de poser la question de la répartition des richesses, il faut apporter une réponse au sort des plus pauvres en développant les forces productives.
Pour ce faire, il faut produire davantage pour satisfaire les besoins matériels des différents membres de la société. La société repose bien sur la compétence de chacun, donc sur l’éducation et non sur la naissance. L’éducation est érigée en élément de cohésion sociale permettant à chacun de trouver sa place au sein de la collectivité.
Une doctrine largement diffusée
La diffusion du saint-simonisme après 1825 est l’un des phénomènes intellectuels les plus marquants de la première moitié du XIXe siècle, aussi bien en France qu’en Europe. A la mort de Saint-Simon, sa pensée ne touche encore qu’un cercle restreint de penseurs. Ce sont donc ses disciples qui diffusent sa pensée et la font connaître. En effet, si certains voient en lui un nouveau Messie, fondateur d’une nouvelle religion, Marx déclare, de son côté, avoir été imprégné de la pensée de Saint-Simon dès son enfance.
Pour sa part, Pierre Leroux, un de ceux qu’il a fortement marqués, déclare que Saint-Simon a été le prophète du socialisme. Le saint-simonisme est donc une pensée qui embrasse large ! Cette pensée novatrice a également joué un rôle indiscutable dans le mouvement politique des Trois Glorieuses de 1830 en favorisant l’avènement d’une nouvelle génération en rupture avec le passé. Sur le plan économique, les nouvelles recrues se font parmi l’élite nationale, en particulier les polytechniciens. Parmi elles, il y a Prosper Enfantin, Michel Chevalier, Bazard, les frères Talabot, des esprits d’envergure qui prônent le développement de la production en construisant des lignes de chemins de fer, plus tard des grands canaux, afin de faciliter les échanges, l’accessibilité facilitée du crédit afin d’encourager la consommation.
Cette démarche, qui associe progrès technique et progrès social pour une meilleure entente entre les peuples, va séduire de nombreux dirigeants au cours du XIXe siècle. La France de Napoléon III est marquée par le saint-simonisme.
Saint-Simon est le dernier des encyclopédistes. C’est un homme de transition, dont la diffusion de la pensée tient moins à l’originalité des idées qu’à la personnalité chaleureuse et visionnaire de leur auteur. Libéral social ou présocialiste, le saint-simonsime échappe à son fondateur pour devenir avec les successeurs soit un socialisme utopique, porteur d’observations pertinentes sur la société industrielle et ses problèmes soit une politique économique cherchant à engendrer le bien être collectif.
Bibliographie :
- Jean Walch, Bibliographie du saint-simonisme, Paris, 1967
- Pierre Ansart, Sociologie de Saint-Simon, PUF, 1970