Le solidarisme

< Retour au sommaire du dossier

Portrait de Léon Bourgeois en 1917
Léon Bourgeois en 1917© Wikipedia

Texte de Bruno BENOIT

Entre libéralisme et socialisme

Le terme solidarisme apparaît pour la première fois sous la plume du socialiste utopique Pierre Leroux (1797-1871), pour qui il fallait remplacer la charité chrétienne par la solidarité humaine.

Il réapparaît en 1848 avec le petit groupe politique dénommé "La Solidarité républicaine", animé par le Ledru-Rollin. Par la suite, l’un des fondateurs de l'Ecole laïque, Paul Bert, insiste en 1880 sur la nécessité d’enseigner l'Instruction civique à l'école primaire, matière qui conjugue à la fois charité, devoir relevant de la morale individuelle, et solidarité, devoir incombant à la société de venir en aide à ceux qui souffrent.

Tag(s) :

Date : 01/06/2006

Léon Bourgeois, théoricien du solidarisme

A la fin du XIXe siècle, le solidarisme devient une doctrine politique, dont le principal théoricien est le français Léon Bourgeois (1841-1925). En 1896, dans son ouvrage Solidarité, il définit un idéal républicain d’entraide humaine, le solidarisme. Cette nouvelle fraternité rejette aussi bien l’individualisme libéral que le socialisme scientifique. Ce franc-maçon, avocat de formation, devenu préfet sous la IIIe République, puis député radical de la Marne en 1888, obtient plusieurs fois des portefeuilles ministériels avant d’être nommé président du Conseil en 1895 par Félix Faure.

Après la victoire du Bloc républicain en 1902, il occupe le perchoir en présidant la Chambre des députés de 1902 à 1906. Le solidarisme dote le parti radical et radical-socialiste d’un corps de doctrine qui permet à ce parti, jusqu’alors simple « état d’esprit », d’avoir une véritable idéologie capable de s’opposer au marxisme des socialistes en pleine progression. En effet, son solidarisme nourrit, sur le plan doctrinal, les programmes de Belleville (Gambetta en 1869) et de Montmartre (Clemenceau en 1881). Désormais, le parti radical se définit comme le parti « de la solidarité républicaine et sociale ». Le solidarisme est plusieurs fois exposé par Léon Bourgeois dans des ouvrages, tels Essai d’une philosophie de la solidarité (1902) et L’idée de solidarité et ses conséquences sociales (1902).

 

Le solidarisme, un nouveau contrat social

Pour Bourgeois, le solidarisme repose sur un contrat, en quelque sorte un « Nouveau contrat social », entre des hommes qui ont la nécessité de vivre ensemble. Pour le bonheur de tous, donc de la société, il est nécessaire que chacun d’entre nous ait les moyens d’enrichir son patrimoine social hérité à sa naissance. De ce fait, pour atteindre cet objectif, tous les hommes doivent être solidaires et cette solidarité est fondée sur l’association.

L’État n’a alors qu’un rôle de surveillance, celui de faire appliquer les règles régissant les associations, tout en pouvant également inciter et faciliter la mise en place d’associations. Les applications du solidarisme sont multiples, de la coopérative de production ou de consommation à la société mutualiste. Ce solidarisme s’exprime donc dans l’assistance aux infirmes, aux vieillards et à la lutte contre toutes les pathologies sociales. Il faut y ajouter les lois sur les retraites ouvrières et les accidents du travail, mais aussi sur le repos hebdomadaire. Toutes ces mesures sont réalisées ou ont commencé à être mises en oeuvre par le parti radical au pouvoir avant 1914.

 

Le solidarisme cherche à lutter contre toutes les inégalités

Ce solidarisme cherche à avoir des applications également internationales. Léon Bourgeois prône l’arbitrage international entre les États aux conférences de La Haye en 1899 et 1907. Après la Grande Guerre, il est à l’origine de la création de la Société des Nations (SDN), dont il est le premier Président, avec la volonté d’établir entre les États les mêmes règles de bonne entente et de solidarité que sa philosophie politique a définies pour les rapports entre les hommes.

Cette vision, qui lui vaut le prix Nobel de la paix en 1925, est typiquement française et donc peu partagée par les autres vainqueurs. Elle est malmenée dès le départ par l’absence à Genève des pays vaincus et des États-unis, mais aussi par la montée des tensions internationales et du manque de moyens de la SDN pour y faire face. Il est évident que la politique de socialisme municipal, mise en place par la municipalité Augagneur à Lyon au début du XXe siècle, poursuivie et enrichie par Édouard Herriot et ses successeurs, s’inscrit dans la tradition du solidarisme de Léon Bourgeois. Construire des logements décents, développer les possibilités de scolarisation des jeunes, élargir l’offre culturelle pour tous, lutter contre toutes les discriminations, sont autant de traductions concrètes du solidarisme.

De plus, l’histoire de Lyon est aussi porteuse de cette notion de solidarisme au travers de l’assistance aux pauvres, du mutuellisme* ou encore de l’association Emmaüs créée par l’abbé Pierre. Pourtant, ce terme solidarisme semble aujourd’hui oublié par les autorités nationales, puisque Le Guide républicain, édité par le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche en 2004, ne lui consacre pas une entrée. Or, il est évident que depuis la fin des Trente Glorieuses et la montée des différents problèmes découlant du chômage, de l’intégration ou de la paupérisation que connaissent les populations anciennement installées et nouvellement arrivées, le solidarisme retrouve aujourd’hui une signification sociale et politique. Il est donc nécessaire de lui redonner vie, ce qui est aujourd’hui la volonté de nombreuses associations, municipalités et communautés de communes, voire d’autres collectivités et ce, jusqu’à l’échelon européen.

 

Bibliographie :
Les cahiers de la Méditerranée, n° 63, juillet 2005.