Le catholicisme social lyonnais
Comment définissez-vous le mouvement du catholicisme social lyonnais?
Je ne suis pas un spécialiste de l’histoire et seulement lyonnais depuis dix ans. Toutefois, en venant d’ailleurs, je perçois bien qu’il existe à Lyon un mouvement social fort, peut-être discret, mais profond. Je pense qu’effectivement aux côtés d’autres courants, je pense au poids de la révolte des canuts et au fait que Proudhon ait passé quatre ans à Lyon, le catholicisme social fait partie de cette tradition qui marque le paysage social lyonnais. Cette influence du catholicisme social a d’ailleurs été bien plus large et a dépassé les frontières lyonnaises.
Je suis un acteur de terrain et souvent dans mes réflexions, je pars de ce que j’observe. Et je considère l’exemple de la MRIE comme « typiquement » lyonnais. J’ai constaté à la MRIE un type de relation avec ses différents partenaires et ses divers interlocuteurs que l’on ne retrouve pas ailleurs. J’ai aussi souvent constaté dans le monde associatif lyonnais un décalage, une différence, une petite musique différente des positions nationales ou parisiennes. Cette réalité peut être source de tensions et tient sans doute aussi de la rivalité entre Lyon et Paris. Mais il me semble, qu’effectivement, il y a à Lyon une manière différente d’aborder les choses, qui est aussi liée à une qualité de dialogue.
Pourquoi existerait-il à Lyon une qualité de dialogue auquel le catholicisme social aurait contribué ?
Parfois, on a tendance à appréhender le catholicisme social comme le catholicisme de gauche : « les cathos de gauche » par rapport à un catholicisme traditionnel, donc de droite. Or, la réalité est plus nuancée car chez les catholiques sociaux, il y a des personnes qui sont certes à gauche de l’échiquier politique, mais aussi d’autres qui sont à droite. Cette mixité facilite le dialogue. Si je regarde mon expérience au Secours Catholique, je constate que j’entretenais de bonnes relations aussi bien avec des élus de gauche avec lesquels nous partagions des analyses en matière de lutte contre l’exclusion, qu’avec des élus de droite, souvent catholiques. Ces croisements facilitent des connections qui contribuent à dépasser les clivages.
Le fait de partager ce que l’on perçoit comme de l’ordre de l’essentiel avec des personnes qu’on pourrait par ailleurs considérer comme « adversaires » dans le champ du politique, crée des ouvertures, des possibilités de progression. Et la qualité des relations et du dialogue à Lyon est probablement liée à tout cela. Peut-être que dans le Nord de la France, à Lille par exemple, on pourrait effectuer des constats similaires, mais je n’y ai jamais vécu, donc je ne peux pas le dire. Mais, il est certain que la vitalité du catholicisme social est particulièrement importante à Lyon.
Comment définissez-vous un « catholique social » ?
Etre un « catholique social », c’est bien évidemment être catholique, et considérer que l’engagement social pour une société plus juste et fraternelle est essentiel. C’est un engagement en référence à l’enseignement social de l’Eglise, dans le mouvement de l’encyclique Rerum Novarum, et même au-delà, avec au fil de l’histoire par exemple des positions de Pères de l’Eglise sur la justice particulièrement fortes et virulentes. Pour moi ces deux dimensions sont même indissociables, je ne saurais pas être chrétien autrement.
A travers quelles structures ou organisations, les catholiques sociaux lyonnais se sont-ils investis ?
Bien sûr, l’Antenne sociale de Lyon est un lieu central qui d’ailleurs réunit les catholiques sociaux, mais avec une ouverture à des personnes qui sont peut-être plus « sociales » que « catholiques ». Plus globalement, les catholiques sociaux s’investissent dans différentes associations, au Secours Catholique comme dans bien d’autres, et dans des syndicats. En fait il y en a partout ! Un Maire d’arrondissement, plutôt pas catholique, s’étonnait un jour de constater le nombre de catholiques engagés dans des associations de son arrondissement y compris au Secours Populaire. Par ailleurs, on trouve aussi des catholiques sociaux dans le patronat.
Le réseau des entrepreneurs et dirigeants chrétiens par exemple. Si je reprends l’histoire de la création de la MRIE, force est de constater qu’ils ont été partie prenante. ATD ¼ Monde a joué un rôle essentiel pour pousser l’ensemble du milieu associatif et caritatif à passer de l’assistanat et du distributif à une volonté d’associer les personnes les plus démunies. Mais, les patrons chrétiens en Rhône Alpes ont également voulu s’engager dans une réflexion plus large sur l’exclusion, bien au delà du caritatif. Xavier Godinot d’ATD ¼ Monde a joué un rôle de fédérateur dans la création de la MRIE, mais il a été suivi par le CESR et les différents collèges qui le composent : celui de la société civile, celui des syndicats et celui des patrons. Des membres du MEDEF sont au Conseil d’Administration de la MRIE.
Engagement, avenir et transmission
Différents responsables d’associations lyonnaises créées dans les années 1980 à l’exemple de Jean Pierre Aldeguer, Olivier Brachet, Bernard Bolze ou Jean Batiste Richardier, ne nient pas l’influence du catholicisme social dans leur éducation voire dans la création de leurs associations et pourtant ils se considèrent avant tout comme des laïques. Aujourd’hui ils atteignent l’âge de la retraite et probablement que leurs successeurs sont ou seront moins marqués par cette influence. Vous semblez être un des rares à conjuguer un engagement religieux et un engagement associatif. Est-ce la marque d’un certain essoufflement du catholicisme social ? Ne vous sentez-vous pas isolé ?
Nous sommes quelques uns à avoir dix ans de moins, je ne sais pas si c’est la génération suivante, mais on peut dire qu’un relais est passé. Cependant, nous pouvons effectivement nous poser la question de la relève chez les jeunes et c’est une vraie question. Les différents mouvements d’action catholique comme ACI, la JOC ou la JEC, sont en perte de vitesse. Le scoutisme garde une certaine vitalité, demeure un vivier et un lieu qui prépare à l’engagement. Cependant, dans l’ensemble des mouvements, on constate que les jeunes qui fréquentent l’Eglise sont souvent motivés par le désir de se retrouver entre eux pour partager des moments forts de convivialité et que leur Foi passe beaucoup par des temps forts. Par exemple, les concerts de GLORIUS, un groupe de rock lyonnais et catholique, remportent un grand succès. Toute la question est de passer de cette volonté de rassemblement à une volonté d’engagement dans la durée et au quotidien. Comment transmettre cet appel à un engagement dans ce qui n’est pas forcément spectaculaire, qui suppose de durer, de se coltiner des pesanteurs, de passer par des médiations ? Comment semer des choses qui vont progressivement murir ?
Comment percevez-vous l’engagement des jeunes aujourd’hui ?
Chez les jeunes, l’attrait pour l’humanitaire est énorme, mais quand on les incite à un engagement syndical dans l’entreprise, on ne fait absolument pas recette. J’ai le sentiment que la conscience qu’il y a chez les jeunes des enjeux et besoins d’engagement est liée à une culture du spectaculaire et du zapping. Or je pense que les choses durables se font lentement. Nous sommes pris à contrepied par des méthodes médiatiques, qui certes peuvent paraître plus radicales à l’exemple des actions coup de poing des Don Quichotte et malgré tout efficaces puisqu’elles ont abouti à la création de la loi DALO, mais qui ne résolvent pas tout. Est-ce que le catholicisme social doit s’adapter à ce type d’action ? Les jeunes sont très à l’aise dans ces démarches, mais personnellement je suis réservé. La militance ne peut se résumer à une militance « choc ».
La transformation sociale ne peut se faire en un claquement de doigts et je reste persuadé que les choses durables demandent du temps.
Il y a un vrai déclin du catholicisme en France et pourtant il y a un véritable enjeu de retrouver des gens, y compris parmi ceux qui ont perdu le fil avec la Foi, mais qui dans leur manière d’être responsables associatifs, élus, patrons… ont cette dimension qui détermine leur pratique et leur réflexion. Cette question de l’engagement rejoint celle de la conscience politique, de la participation aux élections. Et l’importance du taux d’abstention chez les jeunes aux dernières élections régionales est particulièrement source d’interrogations. L’évolution des modes d’engagement est au croisement de nombreuses évolutions de la société, c’est une question complexe.
Que signifie pour vous aujourd’hui au XXIème siècle la « transformation sociale de la société » ?
C’est avant tout une affaire compliquée qui demande du temps et du dialogue. C’est vouloir associer les différents acteurs pour que le changement puisse être profond, pour permettre aux plus défavorisés de vivre dignement. Si je ne suis pas révolutionnaire, ce n’est pas par tiédeur ou manque de radicalité, mais par conviction que le changement social durable passe par ailleurs. Dans les révolutions comme dans les guerres, les pauvres servent de chair à canon, je ne suis pas sûr que ce soient toujours eux qui en profitent vraiment au bout du compte.
Quel passeur êtes-vous ?
Je n’ai jamais décliné les invitations à rencontrer des jeunes, des étudiants pour essayer de transmettre un type d’engagement. Par exemple lorsque j’interviens auprès de scouts ou dans ma façon d’être diacre, il est évident que je tente de faire passer l’intérêt du lien dialectique, réciproque, entre la Foi et un engagement pour la transformation sociale, pour une solidarité avec les plus démunis, les exclus.
En tant que directeur de la MRIE, je me dois d’être vigilant pour ne pas lui donner une image qu’elle ne doit pas avoir. Mais, personnellement, je trouve vraiment du sens à être diacre à la MRIE. D’ailleurs, l’un de mes prédécesseurs, Patrice Sauvage, conjuguait aussi ses missions de directeur de la MRIE et de diacre.
Rapports entre associations et avec la collectivité
Quel bilan faites-vous de vos neuf années en tant que directeur du Secours Catholique de Lyon et des relations que vous avez pu tisser avec les élus et les autres associations ?
J’ai vu évoluer le Secours Catholique dans sa pratique. Ce qui est dit dans le discours « s’associer avec les pauvres pour construire une société plus juste et plus fraternelle » devient peu à peu réalité et c’est une excellente avancée. Au niveau des différents liens de l’association avec son environnement, j’ai particulièrement développé les relations de l’association dans le champ institutionnel. J’ai fait partie du CA du CCAS de la Ville de Lyon et j’ai été nommé par le préfet comme personne qualifiée à celui de la CAF. J’ai rencontré de nombreux élus, expliqué nos démarches et nos actions, écouté leurs réactions et pris en compte leur point de vue.
J’ai par exemple sollicité l’ensemble de nos députés et avec ceux qui ont répondu, j’ai eu de très bonnes relations. Je tenais à les sensibiliser à la question de l’exclusion mais pas de manière idéologique, et par ailleurs j’étais dans une attitude d’écoute et de dialogue. Je crois que cette posture qui consiste à considérer sans apriori son interlocuteur et à rechercher le plus positif qui existe en chacun d’entre nous, a quelque chose à voir avec le catholicisme social. Et j’ai pu mesurer combien cette posture était productive et me permettait de créer des liens personnels avec des personnes avec lesquelles je n’aurais pas imaginé en avoir. Chaque fois que c’était possible, j’ai saisi les occasions de tisser des relations pour rendre le dialogue plus facile : passer du temps à tisser des liens et à créer de la confiance permet d’évoquer plus facilement les choses qui fâchent !
De même, j’ai voulu construire un réseau et le faire vivre avec les autres acteurs associatifs. La qualité du réseau que l’on construit est fonction de ce qu’on y apporte. J’ai aussi développé des formations auprès de bénévoles sur l’enseignement social de l’Eglise. Enfin, j’ai entretenu des relations interpersonnelles avec les autres acteurs, soit dans le cadre d’instances où l’on se retrouvait, soit de façon moins formelle. En étant en relation avec des gens qui ne l’étaient pas, voire qui étaient en conflit, j’ai tenté de jouer un rôle de médiateur ou de facilitateur.
D’une manière générale, j’ai tenu à être toujours franc et honnête dans mes relations, par exemple en cas de désaccord à m’adresser directement aux gens et non publiquement ou par voie de presse. Il me semble essentiel de respecter une certaine éthique de la relation si l’on veut construire des liens solides.
Ces relations vous ont-elles permis de conduire des actions ou de prendre des positions communes et avec quelles associations en particulier ?
Nous étions en relation avec tous ceux qui œuvrent dans le champ de l’exclusion et notamment, ATD1/4 Monde, l’Armée du Salut, la FNARS, le Secours Populaire, NDSA, Forum Réfugiés, la Cimade, Habitat et Humanisme, la Fondation Abbé Pierre, l’ALPIL et ceux que j’oublie. En 2004, neuf associations dont le Secours Catholique se sont réunies pour demander l’ouverture de places en CADA (centre d'accueil pour demandeurs d'asile). Les manifestations autour du bus DALO pour sensibiliser l’opinion publique à la grave question du logement des plus démunis sont un autre exemple d’action commune possible grâce à l’existence de relations inter associatives.
Les associations lyonnaises qui œuvrent dans le champ de l’exclusion travailleraient-elles à l’unisson dans un ciel sans nuage ?
Bien sûr que non. Il existe des clivages qui peuvent parfois être particulièrement forts. Il y a eu des différends importants sur la question de l’hébergement des demandeurs d’asile et des étrangers en situation irrégulière, certaines positions devenant parfois caricaturales parce que renforcées par des conflits de personnes au caractère bien trempé. De fait, les échanges sont souvent l’otage de ces positions qui ne font guère progresser la situation des personnes concernées. L’enjeu est de sortir des postures figées et des jeux de rôles et heureusement le dialogue permet souvent d’y arriver.
Sur cette question de l’hébergement des demandeurs d’asile et des étrangers en situation irrégulière par exemple, quel dialogue avez-vous impulsé ?
Lorsque j’étais au Secours Catholique, avec quelques autres catholiques qu’on peut dire « sociaux », nous avons produit un article pour exprimer notre insatisfaction sur la position de l’Eglise sur cette question, car l’angélisme ne suffit pas. Nous ne pouvons pas considérer, hormis les réfugiés politiques, que tout étranger qui arrive sur le territoire national doit pouvoir y rester. Là encore, il convient de ne pas se figer dans des postures idéologiques. Que deviennent les gens déboutés lorsqu’en termes de droit, on a tout épuisé ?
Je suis partisan d’une démarche et d’un travail sérieux sur le retour volontaire. Avec le réseau Caritas dans le Monde, l’Eglise est équipée pour travailler sur les retours et sur le développement des zones de précarité pour éviter l’exil.
Je préfère contribuer à créer de l’intelligence collective et inventer des solutions dignes pour les personnes concernées plutôt qu’entretenir des conflits idéologiques sur leur dos.
Depuis plus de dix ans que vous êtes à Lyon, vous sentez-vous Lyonnais ?
Oui, de plus en plus, je le deviens.