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Les mobilités comme modèle d'évolution

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Photographie vintage représentant 4 jeunes gens dans une automobile.

Texte de Bruno Marzloff

Les mobilités sont les meilleures vitrines d’une ville servicielle.

Dans les mobilités, on observe à la fois une offre, qui ne cesse de s’enrichir par le truchement des services, et des processus de dialogue qui s’instaurent, avec les usagers au centre. L’invention est partout et les mobilités sont bien mieux servies.

→ Texte écrit pour la revue M3 n°8.

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Date : 30/11/2014

Le jour de mai 2006 où Vélo’v fut livré à Lyon, le système informatique de l’opérateur eut du mal à suivre tant les Lyonnais se précipitèrent massivement vers les vélos en libre-service. Pourquoi ? Parce qu’ils avaient eu le temps d’intégrer cette offre qu’ils voyaient se construire sous leurs yeux depuis quelques mois. Ils ont dès lors adopté spontanément cette commodité qui participait de leurs organisations de déplacement et facilitait leur mobilité.

Cette dernière est sans doute le champ où la confrontation entre l’offre innovante et l’agilité de la demande est le plus spectaculaire, celui où la ville servicielle se construit de manière la plus évidente. Cette démarche itérative conduit à réfléchir en permanence sur les services de mobilité, ce qu’ils changent dans le quotidien des citadins, ce qu’ils transforment dans la ville. Elle conduit aussi à s’interroger sur le processus de construction de la ville servicielle et sur son modèle.

 

Des citadins très adaptables

Quatre grands axes dessinent la suite servicielle dans ce secteur. Tous reposent sur son appropriation par les citadins et l’immense capacité d’adaptation de ceux-ci. Tous appellent l’attention des acteurs publics pour à la fois consolider des pratiques vertueuses et s’extraire de la fuite en avant d’une demande de transport motorisé, en large partie subie. On observe à cette occasion la stabilisation, voire, l’inversion d’une logique infrastructurelle de transport, pour laquelle les ressources s’assèchent, au bénéfice d’une affirmation servicielle du service public. L’opportunité s’offre alors d’élaborer des outils neufs de dialogue avec ses citadins. Cette ville servicielle trouve là une expression tangible. Par ailleurs, ses applications à d’autres domaines, comme les maîtrises de l’énergie, de l’eau ou des déchets, sont déjà engagées.

La première piste renvoie à l’optimisation de l’existant par la continuité servicielle, soit la promesse d’une fluidité du parcours physique. La multimodalité, c’est-à-dire l’arbitrage vers le mode de transport le plus efficient par rapport à l’occurrence de mobilité, y participe. L’intermodalité également ou, dit autrement, la combinaison la plus intelligente des modes proposés. Le succès de ces optimisations passe par une information fluide, en temps réel et circonstanciée. Les applications numériques et la mobilisation généralisée des données, publique, privée et personnelle, sont là pour cela. Optimod Lyon est sur cette veine qui entremêle dans une même base l’intégralité des offres existantes et leurs articulations. Les applications Waze ou Google Maps participent aussi de cette fonction de continuité.

La seconde famille de services renvoie au développement des modes actifs — la marche et le vélo —, attendu par les usagers. Ce projet se pense en complément ou au détriment des modes motorisés, souvent congestionnés. Ce service est à l’oeuvre par l’aménagement ad hoc des espaces de circulation et une ponction progressive sur l’espace de la voiture. Il se consolide également en matière d’informations.

Le troisième axe de services, les partages, (dit comodalité, en matière de mobilité) conduit à mutualiser l’offre de transport. Vélo’v en est à l’origine à Lyon, mais on pense aussi aux offres d’auto partage et de covoiturage (le Grand Lyon a développé en la matière une offre spécifique dont l’audience ne cesse de croître). Ce secteur appelle aussi des services particuliers. Les configurations de places de marché explorent toutes les variétés possibles de partage : offres de flottes publiques, ajustements directs entre particuliers, exploitation de flottes d’entreprise. L’objectif est toujours le même. Il revient aux concertations de divers acteurs de faire croître les volumes des deux parties pour augmenter ce gisement considérable de productivité des usages.

Une quatrième famille de services de mobilité se développe. Elle est plus surprenante. La démobilité est l’art d’éviter des déplacements quand une solution de substitution se propose. Cette démarche paraît contradictoire avec une logique de croissance des mobilités motorisées en place depuis plus d’un siècle. Il s’agit d’éviter des excès de déplacements devenus insupportables pour beaucoup. Pour les salariés éloignés de leur travail et contraints à des parcours chronophages et souvent épuisants. Pour les collectivités, dont la charge financière des transports devient insupportable. Pour les entreprises, qui subissent l’absentéisme, les retards, la fatigue de leurs salariés liés à cette inflation, donc un épuisement inutile et une perte de productivité.

Cette piste trouve sa résolution dans la formulation de services et d’espaces partagés de travail à distance. On pense bien sûr au réseau des Smart Work Centers d’Amsterdam. La ville dispose désormais dans sa périphérie d’une centaine de télécentres. On y vérifie les bénéfices attendus et notamment une réduction, selon leur responsable, de 20 % des congestions routières. La même pression se renforce aux frontières de l’Île-de-France. Au point que Gares & Connexions, la filiale gares de la SNCF, a lancé au mois d’avril 2014 un appel aux investisseurs et aux promoteurs immobiliers afin de formuler des réponses pour soulager ces déplacements. Ils représentent en moyenne deux heures vingt par jour liées au travail pour les commuters de la seconde couronne.

La bascule de l’objet au service, qui se dessine, vise à une économie drastique des ressources, à un apaisement des mobilités et à une maîtrise des usages. Cette démarche innovante impose une dialectique entre les infrastructures existantes, l’aire numérique urbaine et les usages. Ce sont les services qui officient. Dans le même temps, l’architecture des services bouleverse le jeu des acteurs et leur gouvernance. L’implication des usagers y est incontournable. La ville servicielle, c’est une philosophie de la ville qui se repense.