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Les différents modes de prise en charge en psychiatrie

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Vue aérienne du Ventre Hospitalier Le Vinatier
© Centre Hospitalier Le Vinatier

Interview de Jacques HOUVER

<< La prise en charge en psychiatrie s’est considérablement améliorée depuis les années 70 : 80% des patients sont désormais suivis sur un mode ambulatoire >>.

Interview de Jacques Houver, cadre socio-éducatif, coordonnateur du Service Social, Centre Hospitalier le Vinatier, Direction des Relations avec les Usagers et du Service Social.

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Date : 27/10/2008

Quel est votre parcours professionnel ?

Assistant social de formation depuis 1974, j’ai réalisé l’ensemble de ma carrière en psychiatrie adulte, en exerçant sur plusieurs territoires de l’agglomération lyonnaise. Depuis 1998, je suis détaché à la Direction pour travailler sur des missions transversales comme, par exemple, l’insertion sociale des malades. Et depuis 2001, j’assure la coordination des 59 assistants sociaux de l’Hôpital du Vinatier.

 

Pourriez-vous retracer les grandes étapes qui ont marqué le milieu de la psychiatrie depuis une quarantaine d’années ?

Il y a eu une très grande évolution du dispositif public du secteur psychiatrique et une profonde transformation du mode de prise en charge des malades. La sectorisation psychiatrique a été initiée par une circulaire de 1960. Cette politique de santé mentale a été longue à se mettre en place dans de nombreux départements. Elle n’a vraiment pris son essor qu’en 1985, lorsque la loi du 25 juillet lui a conféré un cadre légal. Les dispensaires d’hygiène mentale et les services hospitaliers dédiés ont alors été réunis en un seul dispositif. Cette organisation de la sectorisation psychiatrique fonctionne encore à l’heure actuelle… L’adoption de la loi de 1985 en France résulte aussi de recommandations européennes. Celles-ci ont été prises au début des années 80, après une série de constats faits par les ministres de la santé de l’Union. Il a été observé qu’en Europe, la prise en charge des malades reposait sur des dispositifs fortement hospitaliers. Les concentrations asilaires étaient fortes et totalement inadaptées à des soins de qualité.

Quant aux politiques de prévention des troubles psychiques, elles étaient rares et disparates. Il est important de savoir que l’hôpital a toute son utilité en cas de crise, d’urgence, ou pour des malades atteints de troubles sévères, de longue évolution, qui ont besoin de protocoles de soins intensifs. En revanche, la majorité des patients peut être basculé sur d’autres modes de prise en charge, essentiellement ambulatoires... Enfin, dans la plupart des pays européens, les droits de l’homme des malades mentaux n’étaient absolument pas respectés, avec, en outre, des conditions d’hospitalisation souvent indignes. Il convenait d’urgence de modifier les modalités d’hospitalisation, les normes matérielles et réglementaires, les protocoles, etc. Les règles de soins sans consentement méritaient notamment d’être modifiées dans beaucoup de pays.

 

Quelle était la situation en France à ce sujet ?

A l’époque, il y avait deux sortes d’hospitalisation sans consentement, le placement d’office et le placement volontaire, qui relevait en fait de la volonté de tiers extérieurs, famille ou autre… Un très grand nombre de personnes restait dans ces situations administratives extrêmement contraignantes, sur de longues périodes, bien au-delà du strict nécessaire. Beaucoup de patients étaient ainsi suivis sous la contrainte. Les instances européennes ont estimé que l’encadrement des procédures telles qu’elles étaient n’offrait pas suffisamment de garantie de respect des libertés individuelles. Il était nécessaire de développer des alternatives à la prise en charge à temps plein dans le domaine sanitaire : hôpital de jour, centre d’accueil thérapeutique à temps partiel, structures de réadaptation, de réinsertion, appartements thérapeutiques… Les secteurs social et médico-social ont été incités à se mobiliser pour accompagner vers plus d’autonomie des personnes fortement handicapées par leur maladie.

 

Et au niveau de la prévention ?

Des programmes ciblés pour les groupes de population vulnérables ont été mis en place dans l’Europe entière :

•  Dépistage précoce des troubles chez les nourrissons. Plus la prise en charge des enfants est assurée tôt, plus l’enfant a des chances de se développer harmonieusement et d’avoir une scolarité normale.

•  Suivi des adolescents et des jeunes adultes. L’adolescence est la période de la vie où l’on adopte des conduites addictives : alcoolisme, toxicomanie, etc. Le suicide est l’une des premières causes de mortalité dans cette tranche d’âge. Enfin, c’est chez le jeune adulte que se révèlent des troubles psychiques graves comme certaines psychoses et schizophrénies. Si ces maladies sont détectées et traitées correctement, il est possible de préserver un certain équilibre de vie pour ces personnes.

• Seniors : la catégorie des plus de 80 ans, en nette augmentation, est particulièrement susceptible de manifester des troubles. L’évolution démographique nécessite la mobilisation de nouvelles ressources pour adapter la prise en charge. Par ailleurs, les malades mentaux, dont l’espérance de vie était autrefois limitée, atteignent aujourd’hui des âges avancés. Ils ont besoin de programmes de prise en charge particuliers car ils ne peuvent pas s’intégrer dans les circuits ordinairement prévus pour les personnes âgées.

 

Qu’en est-il de la tranche d’âge adulte ?

Les vagues de crise économique et les mutations sociétales ont des effets ravageurs dans l’Europe entière. Les personnes en situation de précarité et d’exclusion sont de plus en plus nombreuses. Insuffisamment formées, elles deviennent inadaptées au marché du travail. Une partie de la population se trouve prise dans un engrenage difficile : chômage, impossibilité de retrouver un emploi, répercussion sur la famille, ruptures conjugales et familiales, troubles, dépressions graves, alcoolisme, toxicomanie, etc. A ce phénomène, dû aux conditions économiques et sociales, s’ajoute la complexification du monde du travail. Jusque dans les années 70, il existait des postes suffisamment simples pour que des gens ayant des difficultés à organiser leurs pensées soient aptes à les occuper.

Aujourd’hui, le monde du travail exige une réactivité et des compétences telles que nombre de personnes handicapées psychiquement en sont exclues. Pour tous, l’exclusion du milieu professionnel est source de grande souffrance, et la succession de ruptures qui peut s’ensuivre, cause de déclenchement ou d’aggravation de troubles psychiques. Un autre groupe mérite un accompagnement spécifique dans notre société : les migrants, qui doivent faire face au déracinement, à un changement de culture, à des difficultés d’adaptation…

 

Y-a-t-il eu une harmonisation européenne sur les modes de prise en charge ?

Dans la plupart des pays, il y avait un grand flou sur le nombre de malades, les techniques de soins utilisées, etc. Des outils médico-économiques ont été mis en place en 1985/1986 pour identifier les publics-cibles, comparer les modes de prise en charge, leurs coûts et leurs efficiences. De grandes enquêtes épidémiologiques, des programmes de recherche clinique et des études sur les différents systèmes de santé ont été lancées. Le tout ne s’est pas fait sans douleur car l’évaluation était une démarche assez étrangère au milieu psychiatrique… Elle a suscité et suscite encore beaucoup d’émois. L’impulsion européenne s’est traduite par des réformes des politiques de santé mentale dans les pays de l’Union, la nôtre démarrant en 1985. Le centre médico-psychologique (CMP) est devenu le pivot de la nouvelle organisation. Basé sur un territoire donné, il est au centre d’un dispositif de structures supposées être complémentaires : hôpitaux de jour, centres de jour , centres de crises, appartements thérapeutiques, foyers de postcures, accueils familiaux thérapeutiques, ateliers thérapeutiques ayant vocation à développer des soins de réadaptation...

Le dispositif public de psychiatrie a été encouragé à coordonner davantage ses actions avec les autres composants du champ de la santé mentale, à savoir la psychiatrie privée, les psychiatres en cabinet, les médecins généralistes, les services hospitaliers de soins généraux… Et l’incitation de coopérer a été étendue vers d’autres secteurs professionnels, directement concernés par la psychiatrie : le champ social, comprenant l’ensemble des établissements sociaux et médicosociaux, services d’insertion et d’accompagnement des enfants et adultes handicapés, géré par le milieu associatif et les Conseils Généraux ; l’éducation nationale ; la justice ; le logement… C’était une véritable révolution, car pendant longtemps, tous ces dispositifs ont fonctionné de manière cloisonnée, sur fond d’incompréhension réciproque.

 

Comment la réforme de 1985 a-t-elle été accueillie sur le terrain ?

Avec une grande disparité selon les régions… qui reste d’actualité ! Les avancées se font au gré des sensibilités, de l’ouverture d’esprit et du goût pour l’expérimentation des professionnels et des directions concernées. Il y a des départements où l’hôpital psychiatrique est le premier employeur. Les évolutions se font alors lentement, car les résistances au changement sont fortes. Dans l’ensemble, les objectifs sont loin d’être atteints. Les 2/3 des ressources sont consommées par l’hôpital, et seulement 1/3 l’est pour l’ambulatoire. Dans l’idéal, le ratio devrait être inversé, avec 1/3 pour l’hôpital, 2/3 pour l’extrahospitalier : prévention, soins, réadaptation, réinsertion, travail en réseau… Tous les ans, quelques deux millions de personnes s’adressent au moins une fois au service public psychiatrique . Il faut quand même souligner qu’en 50 ans le nombre de lits est passé de 120 000 à 43 000, et que les durées moyennes de séjour sont passées de 300 jours à environ 35…

 

Comment cela s’explique-t-il ?

En psychiatrie, les besoins en équipements techniques sont faibles, le soin passe essentiellement par l’humain. Le développement d’activités nécessite de faire appel à beaucoup de personnel, ce qui a un coût. Depuis 1985, non seulement les budgets alloués n’ont pas autorisé de recrutements massifs, mais les 35h ont, concrètement, diminué le nombre d’heures de travail. Cela a été partiellement compensé, mais pas à hauteur voulue.

Dans le même temps, d’année en année, la demande a augmenté, pour les raisons précédemment évoquées. Cette file active de deux millions d’adultes et d’enfants connaît actuellement une sorte de palier, tout simplement parce que les capacités de prise en charge sont saturées ! Les effets de la démographie médicale se font aussi sentir. La France est l’un des pays européens les plus dotés en psychiatres, mais, curieusement, leur implantation géographique est fort inégale : il y a plus de libéraux installés en cabinet dans quelques rues de Paris que de psychiatres exerçant dans certains départements français ! L’exemple est un peu caricatural, mais il est vrai que le secteur public commence à souffrir d’une pénurie de recrutements. C’est lié à une combinaison de facteurs : faible attractivité des plans de carrières et des rémunérations, absence de régulation de l’installation des psychiatres privés majoritairement concentrés dans les grandes villes et le midi… Dans une période où l’enveloppe générale de la santé est contrainte, les Agences Régionales de Santé redistribuent souvent des parts de budget d’un département à un autre pour réduire des inégalités trop criantes. Beaucoup d’hôpitaux sont en déficit et subissent actuellement des restrictions pour le retour à l’équilibre budgétaire…

En réalité, le budget est déséquilibré par des ponctions étalées sur plusieurs années, qui rendent le développement d’activités ambulatoires assez hypothétique. On voit, par exemple, trop de CMP qui ferment à 17h alors qu’ils devraient être ouverts plus largement ! Il conviendrait d’accroitre la rapidité d’intervention, la performance et les capacités d’accueil de nombreuses structures pour se permettre de poursuivre la diminution du nombre de lits à l’hôpital. Il serait également très pertinent de monter des équipes d’interventions à domicile. Elles pourraient assurer la prise en charge précoce des crises et des rechutes de personnes fragilisées, au lieu d’attendre la détérioration des situations jusqu’à leur transformation en urgence : police, pompiers, Samu, hospitalisation sous contrainte…

 

Pourriez-vous détailler ce processus de détérioration ?

Lorsqu’une personne est en état de grande souffrance psychique, qu’elle est laissée sans contact et sans traitement, son état se détériore. Elle ne parle plus, ne mange plus. Elle peut devenir agressive, se lever et faire du bruit durant la nuit, déranger sa famille si elle en a une, etc. Les voisins vont commencer à se plaindre et la situation peut très vite se dégrader. Par défaut de prévention et de prise en charge précoce, les hospitalisations sous contrainte sont courantes.

•  L’HDT, Hospitalisation sur Demande d’un Tiers, permet à la famille ou à une personne susceptible d’agir dans l’intérêt du malade de le faire hospitaliser sans son consentement si deux médecins prescrivent cette mesure : la personne est généralement complètement repliée sur elle-même, dans une grande confusion, et a besoin d’une prise en charge médicale immédiate à l’hôpital.
•  L’HO, Hospitalisation d’Office, est une mesure administrative qui relève du préfet ou du maire, lorsqu’une personne est susceptible de troubler gravement l’ordre public et de porter atteinte à la sureté de son entourage. L’HO peut être confirmée par un médecin, mais pas nécessairement.

Si des contacts réguliers étaient établis avec ces personnes en grande souffrance psychique, bon nombre d’hospitalisations pourraient être évitées : établir une communication, rassurer en aidant à exprimer difficultés et souffrances, administrer un traitement adapté… est la plupart du temps suffisant. A l’heure actuelle, le dispositif ambulatoire n’est pas assez performant, ni en quantité, ni en qualité. Le recours à l’hospitalisation complète sous contrainte reste, par conséquent, important.

 

Quels sont les recours pour la personne hospitalisée sous contrainte ?

La loi du 27 juin 1990 impose le respect des droits fondamentaux des personnes placées sous contrainte. Nul ne peut être retenu dans un hôpital psychiatrique hors des procédures d’HDT et d’HO. En cas d’abus, directeur et médecin risquent de fortes amendes et/ou la prison. La personne hospitalisée sous contrainte a des droits fondamentaux : conservation de son domicile ; droit d’exercer ses options philosophiques ou religieuses ; droit de contacter le médecin et l’avocat de son choix, le Procureur de la République, le Président du Tribunal de Grande Instance, le Préfet… ; droit de saisir la Commission départementale des hospitalisations psychiatriques ; droit de recevoir et d’émettre des courriers … Si la personne a perdu ses capacités de gestion, elle peut se voir attribuer un curateur provisoire.

En cas d’HDT, différents membres de la famille, selon un ordre hiérarchique défini par la loi, peuvent se rendre à l’hôpital et demander la levée de cette mesure. Le médecin peut refuser, ce qui conduira alors à une procédure de maintien provisoire avec nomination d’experts ou transformation d’HDT en HO. Les procédures sont très encadrées, et les soignants ont conscience des risques qu’ils encourent s’ils forcent quelqu’un à se soigner en dehors des procédures légales. Lorsque j’ai commencé à travailler début des années 70, il m’arrivait de voir plusieurs infirmiers maîtriser un patient en crise et lui faire une injonction contre son gré. Une fois qu’il était calmé, la discussion pouvait reprendre. Un tel comportement professionnel en dehors du cadre légal (HDT, HO) ou de l’urgence est désormais passible de poursuites pénales.

La question du consentement au soin est délicate. Exemple, une personne en hospitalisation libre refuse de prendre un traitement. Si le corps médical estime que, sans ce traitement, son état va sérieusement se détériorer ou mettre sa vie en danger, une HDT va être organisée. C’est ainsi qu’en pratique, le nombre d’HDT et d’HO reste élevé. Par contre, la durée des hospitalisations est bien plus courte qu’avant et continue de diminuer. Elle ne concerne qu’une faible proportion de la population suivie en psychiatrie. Le mode de prise en charge s’est considérablement amélioré depuis les années 70 : 80% de la file active est désormais suivi en ambulatoire.