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Transports et enjeux du pôle de compétitivité Lyon Urban Trucks & Bus

Interview de Bernard FAVRE

<< Hier, nous vendions des camions. Demain, nous vendrons des solutions de transport pour répondre aux besoins de nos clients qui souhaitent exploiter nos véhicules avec la plus grande rentabilité >>.

Propos recueillis par Caroline Januel le 20 février 2007

Le pôle de compétitivité Lyon Urban Trucks & Bus (LUTB) anticipe le besoin croissant de transports de personnes et de marchandises.
Bernard Favre, directeur de la recherche de Renault Trucks (membre co-fondateur du pôle LUTB) revient sur les singularités de la région lyonnaise dans le domaine des transports et sur les enjeux du pôle de compétitivité.

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Date : 20/02/2007

Les pôles de compétitivité mettent en avant la notion de territoire. Les pôles soutiennent l’idée que le développement économique doit s’appuyer sur des spécificités locales : savoirs, savoir-faire… Quelles sont les spécificités locales sur lesquelles s’appuient LUTB ?

Je distinguerais essentiellement trois singularités de la région lyonnaise sur lesquelles reposent LUTB.
Tout d’abord, la région lyonnaise est une région compétente dans les activités du camion et du bus. L’histoire de l’industrie des transports dans la région lyonnaise est intiment liée à celle de la famille Berliet. Au fil du temps, tout le tissu économique associé, constructeurs, fournisseurs, etc., s’est installé et est désormais présent.
Puis, la région lyonnaise constitue un terrain d’expérimentations très riche des solutions de transport car on trouve toutes les typologies urbaines : hyper centre, zones périphériques, collines, fleuves… la ville, et ses interfaces avec le reste des territoires (région, état, Europe). On y trouve tous les types de transport d’une grande agglomération urbaine à une petite échelle. Il y a également beaucoup de transit en région lyonnaise et des échanges interurbains intéressants comme, par exemple, la traversée alpine par des tunnels. La diversité de ce territoire permet de préfigurer les problématiques du transport du futur, comme par exemple celle de l’intermodalité (entre route et fer, voies d’eau, voies aériennes).
Enfin, la région lyonnaise n’est pas seulement riche en modes de transports mais aussi en terme de types d’acteurs compétents. De solides connaissances dans le domaine de l’organisation et des connaissances des transports sont présentes : l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (INRETS), le Centre d’études sur les réseaux de transport et l’urbanisme (Certu), le Laboratoire d’économie des transports (LET)…

 

Renault Trucks est un des membres fondateurs de LUTB. Quels sont les avantages d’une organisation en pôle de compétitivité ?

Le pôle est un catalyseur de connaissances et de compétences, il crée les conditions d’une vision commune en donnant un cadre d’organisation, de financement, etc. Avec un an de recul seulement, nous pouvons apprécier des changements spectaculaires ! LUTB a mobilisé six membres au départ (les « membres fondateurs »). D’autres partenaires nous ont rejoints, et tous, se mobilisent autour d’une problématique commune : la mobilité par des moyens de transport collectifs de personnes et de marchandises, et la ville. Ensemble, nous construisons cette vision des transports du futur. Chacun apporte son expertise et son savoir-faire : des laboratoires de Lyon 1, de l’INSA de Lyon, de Centrale, une trentaine de PME, le Grand Lyon, de grands groupes industriels, etc. Le Grand Lyon a un rôle très important : il est véritablement partenaire et acteur de la recherche car nous recherchons sur son territoire des problématiques représentatives des enjeux, ainsi que des zones d’expérimentations, à échelle réelle, pour de nouvelles solutions de transports. LUTB peut devenir un acteur majeur au niveau européen, mais la métropole lyonnaise doit l’être également !
Le pôle permet également de monter des projets communs et d’obtenir des aides financières pour les mener à bien. Mais, en France, les systèmes d’aides à la recherche sont très lourds. De nombreuses structures coexistent : l’Agence nationale de la recherche, le Fonds de compétitivité des entreprises, l’OSEO-ANVAR, la Région, le Département, l’Agence pour l’innovation industrielle… Dans le domaine des transports, tout ceci se superpose avec le système PREDIT (programme de recherche et d’innovation dans les transports terrestres). Les dispositifs pour obtenir les accords de financement sont complexes, ils gagneraient beaucoup à être optimisés.

 

Ce dernier aspect est-il un frein à l’activité de R&D de Renault Trucks au sein de LUTB ?

Ce n’est pas anodin. Il est parfois difficile de concilier les exigences internes à l’entreprise et les exigences externes. Au sein du groupe Volvo, il existe une compétition interne, entre la R&D du site lyonnais et les autres sites mondiaux. Ce que nous faisons à Lyon ne doit pas être fait en Suède ou aux Etats-Unis et, inversement, ces autres sites de R&D traitent ce que nous ne faisons pas à Lyon. Les équipes de Göteborg s’occupent d’avantage des applications inter-urbaines, celles de Lyon des applications urbaines. Les opportunités financières apportées par LUTB permettent d’ancrer l’activité R&D de Lyon, et ceci profite également à l’ensemble des partenaires. Dans la compétition internationale, le risque de délocalisation de la R&D est bien réel. LUTB permet à la fois de pérenniser, de développer et de promouvoir l’existant.
Daniel Sudour, directeur des relations extérieures, et moi-même avons porté la vision de LUTB au sein du groupe. Aujourd’hui, LUTB suscite une dynamique interne où la Direction générale s’implique. Nous mettons en évidence ce que le groupe peut escompter de LUTB en termes de produits, d’organisation, de financement

 

Quelles sont les perspectives de LUTB pour Renault Trucks ?

Hier, nous vendions des camions. Demain, nous vendrons des « solutions de transport » pour répondre aux besoins de nos clients qui souhaitent exploiter nos véhicules avec la plus grande rentabilité. Le raisonnement est différent puisque c’est la valeur globale d’usage qui est maintenant considérée dans l’acte de transporter : le camion, mais aussi son exploitation, son entretien, l’usure, le recyclage des matériaux à la fin de vie du véhicule. Dans le secteur de l’aviation, les fabricants de freins vendent un nombre d’atterrissage et non des disques de freins… il appartient à eux d’optimiser leur technologie. C’est un peu ce qui se produit pour les véhicules industriels où, à côté d’une amélioration permanente des véhicules eux-mêmes grâce à l’évolution technologique, nous développons les « soft products  » ( données et logiciels d’aide à l’exploitation, navigation, gestion des véhicules, des conducteurs, du fret, de la chaîne logistique… ) qui prennent de plus en plus de place et d’importance dans notre activité. Le potentiel de développement est important. Le pôle de compétitivité LUTB anticipe le besoin croissant en transports de personnes et de marchandises en milieu urbain.

 

Pouvez-vous nous en dire plus ?

La question de la mobilité urbaine est centrale, elle répond à des besoins en croissance permanente dans les métropoles urbaines au niveau mondial. L’homme est d’ailleurs au cœur de tous les programmes développés. LUTB s’efforce de promouvoir une approche transversale entre les programmes. Au-delà des aspects techniques, LUTB s’intéresse aux usagers, aux conducteurs de véhicules, aux logisticiens, aux riverains… Le collège des utilisateurs reflète bien cette approche transversale : il est composé de Keolis, d’Alliance logistique, du Sytral, de La Poste, de TNT bientôt, etc. Et on note également que les sciences économiques, humaines et sociales participent à l’animation du Pôle autant que les sciences de l’ingénieur (mécanique, énergétique, physique, etc.).
Par exemple, le programme de R&D « Systèmes de transports » a pour objectif d’améliorer l’intégration efficace des transports et de la ville, notamment par les échanges et la mutualisation des informations entre les professionnels des véhicules, des infrastructures routières, des centres de contrôles, etc. L’objectif est de concevoir des transports « intelligents » et communicants, reliant par des liens physiques et numériques l’ensemble des entités participant des systèmes de transport et de leur exploitation (les véhicules, les entités transportées, les clients et fournisseurs de la chaîne de transport, les gestionnaires d’infrastructures et de la ville… ). Pour cela, il est nécessaire de prévoir et d’organiser au mieux les transports par la mise à disposition des données d’utilisation des transports, la demande, l’offre, les éléments d’exploitation (trafics, voiries, conditions d’accès, réglementation, conditions météorologiques, disponibilité, transfert modal, etc. ). Par exemple, il s’agit de mieux gérer l’accès des zones sensibles (zonage géographique ou temporel) à des véhicules adaptés, selon des modes d’exploitation adaptés, ou de s’assurer à l’avance de la disponibilité d’emplacements de livraison. Les exemples fourmillent de perspectives d’amélioration de l’exploitation des transports urbains grâce au développement de cette mutualisation des informations. D’une part, les transports gagneront en efficacité et, d’autre part, l’impact environnemental sera diminué.

 

LUTB permet aussi de progresser sur le thème transversal de l’environnement.

En effet, mais les questions environnementales nous occupent depuis de nombreuses années. Depuis longtemps, Renault Trucks travaille sur la réduction des émissions gazeuses de ses véhicules (oxydes d’azote et particules) : aujourd’hui, nos moteurs émettent 5 % de ce qu’ils émettaient dans les années 1980 en terme de pollution gazeuse. Les réglementations européennes anti-pollution ont vraiment fait avancer les choses depuis 1990 avec la norme Euro 0. Les normes se sont ensuite succédées très rapidement avec des seuils de sévérisation successive. Nous nous préparons actuellement aux futures échéances de 2009 (Euro 5) et de 2012 (Euro 6). Ces efforts sont payants, les nouveaux produits sont de plus en plus performants (mais avec un impact sur les coûts). L’ADEME observe une amélioration croissante de la qualité de l’air des villes. Bien sûr, le remplacement des anciens véhicules nécessite du temps et a un coût, mais nous sommes sur la bonne voie.
Aujourd’hui, nos véhicules font 15 fois moins de bruit que ceux des années 1970. Mais la question du bruit peut être encore améliorée et notamment, en réduisant le bruit des équipements (par exemple, des bennes à ordures) et de l’ensemble des opérations de transports.Concernant la réduction des gaz à effet de serre, en particulier le CO2, une des solutions est de diminuer la consommation de nos véhicules : un camion chargé de 40 tonnes consomme 30 litres/100 km. A titre de comparaison, quelle voiture aujourd’hui consomme moins d’1 litre/100 km ? Néanmoins, nous cherchons des solutions alternatives, c’est l’objet du programme de R&D « Motorisation et chaîne cinématique ». Les véhicules fonctionnant avec l’usage partiel d’électricité embarquée (hybridation thermique-électrique) font partie des thèmes du Pôle. Ils sont particulièrement adaptés aux applications urbaines car l’énergie est récupérée au freinage pour être réinjectée en accélération ; les phases accélération/freinage sont fréquentes en exploitation urbaine.
Le recyclage des matériaux des véhicules en fin de vie est aussi étudié, l’objectif est que l’intégralité du camion puisse être recyclée.
Enfin, nous abordons aussi l’environnement dans sa définition plus large et nous travaillons pour que nos véhicules n’endommagent pas les infrastructures, que les risques d’accidents soient réduits, etc.

 

Mener des projets collaboratifs est-il une condition sine qua non pour innover et être compétitif à l’heure actuelle. Est-ce que cela signifie aussi que les différents acteurs sont de plus en plus interdépendants ?

Non, on ne peut pas parler d’interdépendance, mais de coopération. L’innovation est le résultat d’une confrontation d’idées, de l’élaboration d’une vision commune et de solutions nouvelles grâce à des technologies, des compétences, des réseaux, etc. LUTB a permis à tous ses acteurs de redécouvrir l’échelle locale (très importante dans la problématique du transport), tout en conservant une vision mondiale. Le bénéfice pour chacun est important.