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Thuasne : les enjeux de développement et son ancrage dans la métropole

Interview de Elisabeth Ducottet

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© Thusane

<< Je crois personnellement beaucoup au design, au maillage entre la beauté et la fonctionnalité du produit. >>.

Le Groupe Thuasne est spécialisé dans la fabrication et la vente de produits textiles techniques destinés aux secteurs médical et sportif. Le site historique du Groupe se situe à Saint-Etienne.

Cet entretien avec la PDG du Groupe est l’occasion d’aborder les enjeux de développement d’une entreprise leader sur son marché et son ancrage dans la métropole. 

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Date : 21/09/2006

Thuasne a débuté en vendant du ruban et est aujourd’hui leader européen du textile médical. L’histoire de votre entreprise met en avant des choix stratégiques qui vous ont permis de passer du textile « classique » au textile technique à haute valeur ajoutée. Un moyen de rester dans la course sur un marché hautement concurrentiel ?

Bien sûr ! Mon grand-père avait très bien compris que hors du produit fini à haute valeur ajoutée et totalement intégré, point de salut ! Tous les autres fabricants de produits semi-finis qui sont entrés dans la confection ont pratiquement disparu ! Notre force est d’avoir dès le début maîtrisé l’intégralité du processus afin de nous prémunir des aléas de ce secteur.

Et quel a été le cheminement qui vous a conduit dans la voie du textile technique médical ?

Tout est parti en effet du ruban. En 1847, mon arrière-arrière-grand-père, Auguste Cattaert, ouvre un négoce de rubans dans la Somme. Très vite, il noue un partenariat avec Saint Etienne, fief français de la rubanerie. Puis le fils d’Auguste, Gustave Cattaert, rachète en 1881une entreprise de production de bretelles, de jarretières et de caoutchouc pour chaussures implantée dans la Somme. Maurice Thuasne, mon grand-père et neveu de Gustave Cattaert, reprend par la suite l’activité de production d’élastique étroit. Au moment de la seconde guerre mondiale, il décide d’orienter l’activité vers le textile médical, essentiellement les bandages médicaux et les bandes de compression. Ce fut un choix visionnaire et courageux !
Nous nous sommes alors lancés dans la fabrication d’un produit fini à vocation médicale, vendu à des pharmaciens et conçu sur la base d’études médicales et scientifiques qui en font aujourd’hui un produit à haute valeur ajoutée. Et c’est dans cet élan que s’est initié ensuite tout le développement à l’ensemble du textile technique médical : genouillères, chevillières, ceintures médicales de contention, etc.
Aujourd’hui, nous sommes spécialisés dans l’insuffisance veineuse et la traumatologie

Quelles ont été les principales raisons de votre implantation à Saint Etienne ?

Bien qu’originaire de la Somme, nous sommes implantés en terre stéphanoise depuis 1910 ! Plusieurs raisons expliquent ce choix. L’industrie de l’élastique étroit, qui est une sous spécialité du tissage textile, est implantée à Saint Etienne depuis très longtemps, ce qui se traduisait par la présence de nombreux fabricants de métiers à tisser cet élastique étroit. L’autre raison, géographique, tient à la présence, dans le Furan, d’une qualité d’acier trempé exceptionnelle dont se servaient les fabricants de métiers.

Aujourd’hui, quel est le statut et la taille de votre entreprise ?

Thuasne reste une entreprise entièrement familiale, je suis la petite fille de Maurice Thuasne. Elle compte 900 salariés dont la moitié en France avec des implantations dans toute l’Europe et des distributeurs dans le monde entier. Son chiffre d’affaires approche les 100M€ dont les deux tiers en France.
Ces dernières années, nous avons investi dans de nombreux pays européens pour y installer nos propres filiales de productions, notre propre réseau commercial et nos propres marques. En outre, nous avons au moins 30 distributeurs exclusifs au Japon et Etats-Unis. Nous avons racheté une société suédoise cet été et créé tout récemment un Thuasne Algérie. Comme vous le voyez, nous sommes dans une phase d’expansion géographique très rapide mais aussi d’élargissement constant de notre gamme de produits et de dépôt de brevets.

Comment se traduit concrètement ce souci constant d’innovation dans votre organisation ?

Nous sommes partie prenante de trois pôles de compétitivité régionaux ( Techtera, Sporaltec et Minalogic ). Nous sommes dans une dynamique absolument permanente d’innovation, avec tout ce que cela suppose en terme d’organisation de l’innovation et de la recherche. Une partie importante de nos capacités de recherche est basée à Saint Etienne avec plus de 30 personnes dédiées, soit 8% des effectifs. Ces personnes collaborent ponctuellement avec les pôles bien que la majeure partie de leurs travaux soit dédiée au développement interne… !
Mais nous n’avons pas de relations qu’avec les pôles compétitivité régionaux. Nous travaillons également en étroite collaboration avec des laboratoires implantés un peu partout dans le monde et notamment en interne, dans nos filiales où nous avons également des équipes spécialisées ( comme en Allemagne ou en Hollande ). En effet, il n’y a pas que les fonctions commerciales que nous avons réparties partout en Europe mais également les fonctions d’innovation pour que nos produits s’adaptent aux demandes locales.Vous parlez de votre implication dans le pôle des nanotechnologies Minalogic. On semble s’éloigner de plus en plus de la filière textile !
Nous allons vers un textile qui contient de plus en plus de technologies mais nous restons bien dans le domaine du textile. Nous sommes effectivement très impliqués dans la plate-forme Métis ( plate-forme expérimentale de diffusion des micro-nanotechnologies vers les industries " traditionnelles " et les PME ) qui est à Bourgoin-Jallieu. Le marché de la contention étant très concurrentiel, il faut sans cesse améliorer la performance de nos produits vers plus de confort et d’esthétisme. Intégrer des nanotechnologies à nos produits pourra permettre d’en améliorer les fonctionnalités. Les nanotechnologies ouvrent de réelles perspectives pour développer des textiles médicaux intelligents !

Quels avantages tirez-vous de ce travail en réseaux, dans le cadre des pôles de compétitivité ?

Les pôles sont des canaux très puissants à l’intérieur desquels notre capacité d’innovation et notre visibilité prennent d’emblée une autre dimension. On y trouve de la méthode et des moyens. Ensuite, les pôles favorisent le travail collaboratif qui facilite et rend les recherches plus efficaces en nous confrontant aux opinions des autres. Dans la mesure où nous y trouvons des acteurs qui ne sont pas nos concurrents mais avec lesquels nous avons quand même des axes de recherche communs, c’est très intéressant !
Je crois vraiment que les pôles de compétitivité ont été une initiative très dynamisante pour le tissu industriel français et nous en percevons d’ailleurs les bénéfices pour notre entreprise.
En dehors de ces pôles, en tant que présidente de R2ITH ( Réseau Industriel d'Innovation du Textile et de l'Habillement dont le secrétariat général est à l'IFTH à Ecully ), je suis en relation avec d’autres réseaux nationaux ou internationaux qui peuvent apporter à Thuasne des perspectives intéressantes : des idées d’applications ou de produits nouveaux, des avancées technologiques pour la conception des machines, des partenariats et des marchés à développer...

Quels sont les autres atouts qu’offre la métropole Lyon Saint-Étienne pour développer votre entreprise ?

Nous sommes très sensibles à tout ce qui se fait d’innovant sur le territoire et notamment la dynamique actuelle autour du design à Saint-Étienne. Je crois personnellement beaucoup au design, au maillage entre la beauté et la fonctionnalité du produit, et Thuasne a d’ailleurs été souvent salué pour la qualité du design de ses produits. Depuis des années nous avons fait l’effort de développer une démarche de design, en intégrant par exemple un designer à nos équipes dès 2000, alors que beaucoup n’imaginaient pas encore que c’était l’avenir dans notre secteur d’activité médical. Nous avons d’ailleurs reçu le label « Janus » en 2004 pour une genouillère, signe de reconnaissance de la profession.
Aussi, nous allons certainement nous impliquer dans la Cité du Design de Saint Etienne, c’est un projet qui nous tient à cœur. Et puis, à Paris, sous l’égide du ministre de l’industrie François Loos, une Maison de la Mode et du Design devrait être créée, c’est un très gros projet auquel nous serons associés via le R2ITH. François Loos est d’ailleurs venu visiter notre entreprise l’année dernière et regarde de très prêt ce qui se fait sur Saint Etienne en matière de design.

N’y a–t-il pas également un savoir-faire local dans le textile que vous ne retrouvez pas ailleurs ?

Bien sûr, il y a une très bonne école textile à Lyon mais on peut aussi parler d’un savoir faire stéphanois dans ce domaine. Les tricoteurs ou les tisseurs, qui sont des ouvriers très pointus, très formés et donc très rares, sont encore présents localement même si c’est en très faible nombre… C’est certainement une des raisons de l’ancrage de Thuasne à Saint-Étienne précisément.
Mais attention, nous ne cherchons pas à recruter que des techniciens du textile, nous avons même besoin de mécaniciens, d’électroniciens ou de designers... Nos produits sont tellement composites maintenant que leur développement doit se faire de manière pluridisciplinaire. Et c’est là aussi une raison importante d’être implanté au cœur d’une grande métropole avec un bassin d’emploi large et varié. Notre entreprise a besoin de cette richesse et en retour nous créons de l’emploi.

Vous semblez indiquer une forme de relation partenariale entre votre entreprise et le territoire sur lequel vous êtes implantés ?

Bien sûr, il y a une forme d’engagement et de confiance mutuelle entre nous et ce territoire. Nos relations avec la municipalité de Saint-Étienne par exemple sont très fortes et je salue au passage le travail de Monsieur Thiollière qui a su lancer sa ville dans la course du design, valoriser le patrimoine industriel et renouveler l’urbanisme local. Nous sommes aussi en étroite relation avec la CCI qui nous permet d’être bien identifiés sur la scène économique locale. Nos partenariats avec les établissements d’enseignement supérieur de Saint Etienne, l’Ecole Supérieure de Commerce, l’Ecole des Mines, l’ISTP, etc. témoignent aussi d’un mode de relation partenariale. Ces formations sont pour nous un vivier important de ressources humaines dont nous apprécions la qualité et c’est pourquoi nous contribuons à la professionnalisation des étudiants en proposant régulièrement des contrats CIFRE pour favoriser la recherche ou des emplois en alternance. Dans la même logique, j’ai également accepté de parrainer une promotion d’entrepreneurs de Loire Entreprendre qui est un réseau très actif et dont je trouve les résultats très encourageants en matière de création d’entreprises.
Comme vous le voyez, nous sommes réellement ancrés dans la vie locale et ces relations formelles ou informelles avec ces réseaux d’acteurs contribuent à notre développement.

Votre ancrage stéphanois est bien clair mais est-ce que vous ressentez le même attachement et les mêmes maillages à l’échelle métropolitaine ?

Bien sûr, notre champ de relations s’étend bien au-delà de Saint-Étienne ! Pour moi, ce n’est qu’un pôle dans une région multipolaire et nous avons besoin des autres pôles comme Grenoble et Lyon pour nous développer. Il n’y a qu’à voir le nombre de nos collaborateurs qui viennent de Lyon ! Près de 10 % des cadres habitent Lyon pour des raisons familiales et travaillent chez nous à Saint-Étienne.  On a vraiment l’impression que le bassin de vie c’est la grande métropole Lyon Saint-Étienne et je trouve que cela contribue au brassage et à la diversité des cultures dans notre entreprise !Nous avons également établi des relations de proximité et de partenariat avec deux acteurs importants du textile basés à Lyon. L’Ecole Textile ( ITECH ) d’abord, pour son rayonnement international et l’excellence de son savoir-faire. Je suis également administrateur de l’Institut Français du Textile et de l’Habillement (IFTH) qui joue un rôle de conseil technique auprès des professionnels de la filière et qui valide toutes les homologations des nouveaux produits. C’est très important pour nous. Enfin nous travaillons beaucoup avec l’Espace Textile situé à Lyon-Vaise car c’est un lieu de recherche stratégique et de forum pour les industriels du textile et de l’habillement, c’est une plate forme tout à fait intéressante qui nous permet de glaner de l’information sur les évolutions du marché !
Il est évident que Lyon est un peu une ville carrefour pour la filière textile en France et, en tant que leader sur notre marché, il est important pour nous de faire partie de cette dynamique et de ces réseaux. Nous ressentons, de fait, un vrai sentiment d’appartenance à ce territoire métropolitain. Comme vous le voyez, nous sommes branchés sur un espace beaucoup plus vaste que la ville de Saint-Étienne. Et pour illustrer de manière encore plus concrète notre implication sur le territoire régional, je vous rappelle que nous avons une unité de production à côté de Saint-Exupéry (à Heyrieux) et que nous devons par conséquent gérer la coordination logistique et le transport de marchandises entre ce site et notre site principal de Saint-Étienne.

Globalement, votre implantation à Saint-Étienne semble vous mettre au cœur des réseaux régionaux et vous permettre de profiter au mieux de la proximité de Lyon et de Grenoble. Est-ce que ce n’est pas une vision un peu idéale du fonctionnement d’un territoire métropolitain ?

Même si c’est une vision schématique des choses, elle correspond à une certaine réalité géographique d’abord mais aussi fonctionnelle. Nous tirons un avantage indéniable de nos relations avec les trois pôles de la région. A Saint-Étienne d’abord, la dynamique design nous offre une réelle opportunité pour développer la compétitivité et la différenciation de nos produits. A Lyon ensuite, nous avons l’occasion de collaborer avec des têtes de réseaux et certains acteurs clés de la filière textile. Et à Grenoble enfin, le potentiel de recherche dans les nanotechnologies nous permet d’accéder à de nouvelles applications originales. Notre développement s’appuie sur l’ensemble de ce territoire métropolitain.
Il y a quand même un obstacle de taille qui nuit aujourd’hui au fonctionnement de cette métropole multipolaire, je veux parler des moyens de transport entre Lyon et Saint-Étienne !  Pour notre part, nous livrons tous les jours 2000 commandes depuis Saint-Étienne vers l’Europe entière. Nos entrepôts sont à Saint-Étienne et notre seul moyen de transport est le camion. Je peux vous dire que pour une entreprise comme la nôtre, dont la logistique est un enjeu essentiel, être à Saint-Etienne commence à être un handicap ! Soit nous freinons notre développement soit nous devons délocaliser, c’est ça le risque ! Malheureusement, j’ai l’impression que nous ne sommes pas beaucoup d’entreprises dans ce cas là, avec un rayonnement international et une logistique lourde. C’est peut-être ce qui explique la lenteur des démarches pour améliorer les choses.
Nous devons absolument oublier les rivalités historiques qui ont opposé Lyon et Saint-Étienne et commencer à réfléchir autrement. On ne raisonne plus à l’échelle d’une ville mais d’une métropole, voire d’une région !