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Témoignage sur les aides allouées aux handicapées et la nécessité de l'accompagnement

Interview de Samuel GAUTHIER

<< Les deux apports les plus marquants de la loi de février 2005 sont la création des MDPH (Maison Départementale pour Personnes Handicapées) et l’accessibilité >>.

Monographie réalisée dans le cadre de la réflexion conduite par la DPDP sur le thème « Ville et handicap », et plus particulièrement sur la question des solidarités en faveur des personnes handicapées.

Echanges organisés et propos recueillis par Catherine Panassier - mai 2011

Samuel Gauthier est un jeune villeurbannais de 28 ans atteint d’une myopathie de Duchenne. Cette myopathie est la plus fréquente et la plus connue des maladies dégénératives du muscle, due à l'absence ou à l'altération d'une protéine : la dystrophine. Elle se caractérise par une perte progressive de la force musculaire et des insuffisances respiratoire ou cardiaque.
Samuel a besoin d’aide pour tous les actes de la vie quotidienne (toilette, lever, etc.). Il dispose d’un appareil respiratoire 24h/24h. Depuis quelques années, il est dans l’impossibilité de déglutir et a donc besoin d’une gastrostomie pour s’alimenter et d’une machine pour aspirer la salive.
Il ne peut pas sortir seul d’autant plus qu’il rencontre de plus en plus de difficultés pour conduire son fauteuil, surtout par temps froid, et ce malgré le mini-joystick ultra-sensible. Il a également de plus en plus de gêne pour pouvoir réaliser ses centres d’intérêts, notamment la photo, mais aussi le dessin et la musique sur ordinateur, et d’une manière générale, pour utiliser l’ordinateur.

Dans cet entretien, Samuel Gauthier présente les aides qui lui sont allouées, montre la nécessaire complémentarité entre l’accompagnement familial, associatif et institutionnel et expose son point de vue  sur l’évolution de la place des personnes handicapées dans la société et dans la ville.

Date : 30/05/2011

Présentation des conditions d’habitat et du dispositif d’aides et d’accompagnement

 

Avez-vous de la famille que vous voyez régulièrement et où habitez-vous ?

Je vois très régulièrement mes parents qui habitent en région lyonnaise, j’ai deux frères plus âgés que moi et j’ai deux petites nièces.
Je vis dans un logement adapté avec un système d’appartements groupés que nous avons organisé entre personnes dans la même situation de handicap. Nous sommes quatre à partager nos heures d’auxiliaires de vie et nos moyens financiers pour se permettre plus de liberté. Ceci était indispensable à l’époque où la MDPH (Maison Départementale pour Personnes Handicapées) n’existait pas encore et que le Conseil général ne nous donnait pas suffisamment de moyens pour financer une présence 24h/24 d’auxiliaires de vie afin de subvenir à nos besoins en étant seul dans un appartement.
Depuis que la MDPH existe, le problème se pose moins. Mais la colocation reste une manière bien conviviale de vivre et oblige à une entraide bienvenue, surtout lorsque nous quittons un foyer de vie qui inspire tout sauf la vie, justement.

 

Comment avez-vous pu élaborer ce projet d’habitat en colocation ?

Pour élaborer notre projet de colocation, mes parents m’ont beaucoup aidé (mon père est architecte), mais aussi l’association APAIRL (association pour l’autonomie des insuffisants respiratoires lyonnais) qui a été créée par des personnes en situation de handicap. Ces personnes ont été les premières sur Lyon à vivre dans un appartement en totale autonomie malgré le handicap. Grâce à leur expérience et leur aide, ainsi que celle de mes parents qui sont entrés en contact avec le président de l’association Habitat et humanisme, après plusieurs concours de circonstances, nous avons pu monter ce projet qui est plutôt un habitat groupé puisque nous ne vivons pas dans le même logement contrairement à une colocation classique. Habitat et humanisme est implanté à plusieurs endroits en France et propose des logements sociaux pour les plus démunis. Avec la Régie nouvelle qui est notre bailleur nous louons des appartements à l’hospitalité de Béthanie qui est un immeuble tenu par des sœurs. Cependant, je vais déménager en juin prochain.

 

Pourquoi souhaitez-vous déménager aujourd’hui ?

L’hospitalité de Béthanie est en train de prendre la tournure d’une structure médicalisée, ce qui ne me convient pas trop. Et surtout, j’ai le projet de vivre seul dans un appartement parce que cela représente une étape de plus vers l’autonomie et vers une vie « normale » pour quelqu’un de 28 ans. En colocation, c’est un peu dur d’avoir son intimité et encore plus quand on a les mêmes auxiliaires de vie. Pour moi, la colocation est une étape, elle a été bénéfique et restera toujours un bon souvenir, mais au bout de presque dix ans, cette étape a duré bien assez longtemps. Le fait d’être en promiscuité pendant autant de temps est un peu lassant à la longue.
Avec la MDPH, on peut maintenant se permettre de vivre seul, financièrement parlant.
Pour toutes ces raisons, j’ai eu l’envie d’évoluer vers un mode de vie encore plus autonome. Donc, quand j’ai eu l’opportunité de participer à un nouveau projet d’appartement adapté avec la SACVL, j’ai sauté sur l’occasion. Un projet similaire avait déjà échoué trois ou quatre ans plus tôt, donc cette fois-ci, mes espoirs étaient encore plus forts. Dans ce projet-là, deux de mes colocataires actuels deviendront mes voisins. Nous ne partagerons plus nos ressources ni nos heures d’auxiliaire de vie, mais toujours notre amitié.

 

Pensez-vous que la création de logements adaptés de façon diffuse dans la ville  et/ou de type habitat coopératif (petites résidences favorisant l’entraide) serait un moyen efficace pour mieux vivre au quotidien ?

Je suis convaincu que ce type d’habitat est un excellent moyen, peut-être pas pour mieux vivre mais en tous les cas, pour être mieux intégré et considéré comme une personne lambda. Bien sûr, ce type de solution ne peut pas satisfaire tout le monde, certains ne peuvent, ou ne souhaitent, pas vivre dans ce type d’habitat. Mais pour d’autres, il peut représenter une solution temporaire ou durable vraiment intéressante.

 

Quand vous étiez mineur, l’un ou l’autre de vos parents a t-il bénéficié d’une aide et vous-même aujourd’hui comment êtes-vous aidé ?

Lorsque j’étais mineur, ma mère a bénéficié de l’allocation éducation spéciale 3ème catégorie, avant qu’existe l’AEEH (Allocation d'Education de l'Enfant Handicapé). Aujourd’hui, je perçois l’AAH (Allocation Adulte Handicapé) et le complément de ressources.

 

Utilisez-vous, ou avez-vous utilisé, la prestation de compensation du handicap (PCH), et si oui, à quelle(s) occasion(s) ?

Effectivement, j’ai utilisé la prestation de compensation du handicap « aides techniques » pour le financement de mon fauteuil roulant, de mon contrôle d’environnement, de mon ordinateur, et de toutes mes aides techniques d’une manière générale. J’utilise également la prestation de compensation du handicap « aides humaines » pour financer mes 24 heures d’auxiliaire de vie.

 

Avez-vous d’autres aides financières et la sécurité sociale couvre t-elle l’ensemble des frais liés au traitement de votre maladie ?

Je bénéficie de l’APL (Allocation Personnalisée au Logement) et ma mutuelle prend en charge à 1 fois ½ la prise en charge de la sécurité sociale qui ne couvre pas tout l’ensemble des frais.

 

Que ce soit pour vous ou pour vos parents, les démarches pour obtenir ces aides ont-elles été faciles ?

Non, il a fallu beaucoup de militance et de suite dans les idées pour ma mère,  notamment pour plaider en CDES (Commission Départementale d’Education Spécialisée).

 

Qui était et est votre, ou vos, interlocuteur(s) ?

Les techniciens d’insertion de l’AFM (Association Française contre les Myopathies), le service de soins SSESD (Service de Soins et d'Education Spéciale à Domicile) de l’APF (Association des Paralysés de France) lorsque j’étais plus jeune, puis l’équipe de l’IEM (Institut d'Education Motrice) de l’APF du Chevalon de Voreppe dans l’Isère pendant une partie de ma scolarité (à partir de la 3e).

 

Comment caractériseriez-vous l’accompagnement et l’aide de l’AFM et adhérez-vous à une autre association ?

L’accompagnement et l’aide de l’AFM est bénéfique, mais insuffisante. Je n’adhère pas à d’autres associations.

 

Quel rôle joue et a joué votre famille dans votre quotidien ?

Une aide quotidienne de mes parents pendant toute mon enfance où j’ai vécu avec eux, et encore régulière aujourd’hui surtout pour la gestion administrative qui reste tout de même complexe.
La présence et l’aide de mes frères, même si je sais que quand j’étais petit cela n’a pas toujours été facile pour eux. J’étais très demandeur, mais mes frères ont toujours su se mettre à la bonne place et m’ont souvent aidé, ce qui a pu soulager mes parents. Maintenant les relations sont différentes, nous ne sommes plus sous le même toit et mes frères vivent plus éloignés. Nous nous voyons toujours avec beaucoup de plaisir, mais moins souvent.

 

Comment caractérisez-vous l’évolution des aides publiques ces dix dernières années ?

En amélioration grâce à la MDPH (Maison Départementale pour Personnes Handicapées) malgré l’extrême lourdeur des démarches à effectuer.

 

Êtes-vous confiant dans la stabilité ou l’augmentation des aides à l’avenir ?

Je ne suis pas du tout confiant du fait des orientations politiques de notre gouvernement,  qui s’expriment à travers  les positions soutenues  lors du débat 5ème risque, et tout cela dans un contexte de crise financière. J'avoue que je n’ai pas étudié scrupuleusement le sujet, de fait, je ne peux pas précisément décrire  et détailler mon inquiétude. Cependant, pour en avoir parlé plusieurs fois avec mes parents, je trouve que le  "problème" n’est pas posé clairement.
Quoi qu'il en soit je trouve inquiétant que tous ces systèmes d'aide aux personnes en situation de dépendance soient aussi peu stables.
Les nouvelles aides n'existent pas depuis si longtemps et déjà elles devraient être modifiées alors que nous n'avons pas eu le temps de nous y habituer. Car si je comprends bien, cette histoire de cinquième risque remettrait en cause le système de financement des aides humaines et techniques pour toutes les personnes dépendantes.
Je trouve tout cela très complexe et même le simple fait de faire un dossier de financement MDPH n'est vraiment pas facile, et donne l'impression que l’on veut nous décourager de demander des financements.

 

Opinion et ressenti sur la place des personnes handicapées dans la société et dans la ville

 

D’une manière générale pensez-vous que le regard sur le handicap a évolué ces dix ou quinze dernières années et vous sentez-vous un citoyen à part entière et désormais reconnu comme tel ?

Oui heureusement, le regard sur le handicap a un peu évolué. Cependant, je pense que beaucoup reste à faire pour atténuer ce ressentiment d’être à l’écart. Il est vrai que dans un sens, je me sens citoyen puisque j’ai le droit de vote, que je suis libre de vivre où je veux, et que j’ai la liberté de parole. Mais cette perception est à relativiser, je n’ai pas l’impression d’être un complet citoyen. Je me ressens toujours en marge à cause de mes différences et pas vraiment inséré dans la société. Les regards sont toujours pesants ce qui démontre le peu d’habitude qu’ont les gens de voir des personnes en fauteuil.

 

Vous sentez-vous discriminé ? Pourquoi ? Aujourd’hui moins qu’hier ?

Je me sens discriminé, mais moins qu’avant. Je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir accès aux mêmes choses que tout le monde, ou en tous les cas pas aussi facilement. Peut-être que j’y suis un petit peu pour quelque chose, mais quoi qu’il en soit chaque fois que je suis dehors, je rencontre des difficultés de cheminement (par exemple, un trottoir impraticable, une marche devant un cinéma, une entrée différente par une porte à l’arrière d’un bâtiment…), ou alors des problèmes relationnels. Par exemple, une personne qui ne va pas me parler directement, mais plutôt s’adresser à la personne qui m’accompagne.
La discrimination liée au handicap est difficile à résoudre puisqu’elle n’est pas ressentie seulement par les attitudes des gens, mais également par leur manière de vivre et aussi par la configuration des lieux.

 

Pour vous, quels sont les apports les plus marquants de la loi de février 2005 ?

A l’évidence, les deux apports les plus marquants de la loi de février 2005 sont la création des MDPH (Maison Départementale pour Personnes Handicapées) et l’accessibilité.

 

Pensez-vous que nous progressions vers de plus grandes solidarités, voire vers une réelle mise en œuvre du principe d’égalité ?

Il semble qu’effectivement nous progressions un peu vers de plus grandes solidarités pour le handicap malgré une société qui semble prôner de plus en plus l’individualisme.

 

Pour vous, que signifie le principe d’égalité ?

Avoir les mêmes droits pour tous ; Avoir accès aux mêmes choses que tout le monde (travail, logement, culture…) ; Avoir le choix de suivre ses convictions (politique, religieuse…) sans discrimination…

 

Les villes, notamment sous l’impulsion de la loi, mettent en œuvre différents dispositifs pour rendre la ville plus accessible. Comment percevez-vous ces évolutions ?

Il reste beaucoup à faire en termes d’accessibilité mais cette dynamique est positive. Cependant, nombreux sont encore ceux qui ne respectent pas totalement les normes d’accessibilités dans les immeubles et certains lieux publiques. De même, quelques entreprises ne suivent pas toujours la loi pour l’emploi des personnes en situation de handicap. Mais ces évolutions sont en amélioration et, je l’espère, cela continuera.

 

Souhaiteriez-vous que de nouveaux types de travail (à domicile, à horaires adaptés, à la tâche, postes adaptés …) soient mis en place dans l’entreprise et les services publics pour favoriser l’intégration des personnes handicapées dans le monde du travail ? Et vous même, si une mission et un poste de travail pouvaient être adaptés à votre handicap, aimeriez-vous travailler ?

Mieux aménager les conditions de travail des personnes en situation de handicap serait effectivement une bonne chose. Et ce qui me semble essentiel serait d’offrir des choix. Le travail engendre de la fatigue, de fait, tout le monde n’a pas la capacité et le courage de travailler même si, à priori, chaque personne sait de quoi elle est capable. Toutefois, je pense que l’informatique et Internet ouvrent beaucoup de possibilités aux personnes handicapées. Personnellement, j’aimerais travailler dans le milieu du graphisme depuis mon domicile, en freelance par exemple.

 

En prônant le principe d’accessibilité à tout de tous, ne risquons nous pas de nier des envies ou des besoins des personnes handicapées à se retrouver entre elles, ou d’être très spécifiquement accompagnées ?

Je ne pense pas, chaque personne est libre de voir n’importe qui, autant valide qu’handicapé. Rendre accessible à tous ne veut pas dire supprimer ce qui existe déjà. L’accompagnement est et sera toujours indispensable dans certaines circonstances.