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Stéphane Corbin, de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie : « L’important est de conserver une forme individuelle de relation à son logement »

Interview de Stéphane Corbin

Portrait de Stéphane Corbin
© CNSA
Directeur-adjoint de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA)

Stéphane Corbin est directeur-adjoint de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA), un acteur central de l’habitat inclusif, co-animateur notamment de l’Observatoire National de l’Habitat Inclusif créé en 2017.

Loin d’être nouveau dans sa forme, l’habitat inclusif est institué politiquement, administrativement et légalement en 2018 par la loi Elan. Deux ans plus tard, 310 projets sont financés, à destination d’environ 3 000 personnes. 

En 2021, 4,5 millions d’euros sont investis en soutien à 400 projets. Leur déploiement s’appuie sur un travail partenarial engagé entre l’État, la CNSA et les départements, à travers la signature d’un accord-cadre.

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Date : 06/07/2022

La Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) a en charge la gestion du cinquième risque identifié par la Sécurité sociale : ce risque, c’est la perte d’autonomie. Est-ce que vous pouvez m’en dire plus sur les motivations qui ont conduit à sa création ? Comment la CNSA envisage-t-elle la gestion de ce risque, et quel rapport avec l’habitat inclusif ?

nous n’agissons plus seulement sur la perte d’autonomie et sur la capacité de la personne à pouvoir effectuer des gestes élémentaires de la vie quotidienne

La cinquième branche de la Sécurité sociale a été créée par la loi du 7 août 2022. La crise du Covid a mis sur le devant de la scène une question portée depuis de longues années avec le vieillissement de la population. La création de la CNSA, en 2004, était déjà une première étape dans la réponse apportée aux problématiques de soutien à l’autonomie tout au long de la vie.

Mais ce soutien à l’autonomie s’appuie in fine sur deux enjeux de société. Le premier concerne l’accompagnement des personnes en situation de handicap tout au long de leur vie, avec la nécessité de garantir des dispositifs qui facilitent leur inclusion dans la société. La seconde est celle relative au vieillissement de la population : elle amène à avoir une réflexion dans le cadre de notre système de protection sociale qui intègre mieux la question de la longévité.

Cette cinquième branche a pour ambition de couvrir le risque relatif à l’autonomie des personnes dans une vision d’accompagnement tout au long de la vie, provoquant un coût ou une perte de revenu, comme c’est le cas dans la Sécurité sociale : la maladie, la naissance d’un enfant, un arrêt du travail, etc. La création de cette branche amène la CNSA et les pouvoirs publics à faire évoluer la manière dont ils conçoivent son action. Nous assurons, certes, des prestations (APA, PCH…) pour couvrir un plan d’aide et d’accompagnement, mais nous avons une réflexion d’ensemble sur les besoins de la personne, en intégrant la question de son environnement.

En procédant ainsi, nous n’agissons plus seulement sur la perte d’autonomie et sur la capacité de la personne à pouvoir effectuer des gestes élémentaires de la vie quotidienne. C’est un changement de perspective, qui pousse à avoir une réflexion d’ensemble sur les besoins des personnes, en intégrant leur rapport à l’environnement et à leur « chez-soi ».

 

Pour résumer : l’apparition de la « branche autonomie » vient en opposition à ce qui est prévu par la Sécurité sociale depuis sa création, c’est-à-dire prévenir des risques soudains de la vie maladie, chômage ou perte d’autonomie due à la vieillesse). Cette cinquième branche vient à rebours de cette conception, en considérant le risque tout au long de la vie ?

Il serait utile de concevoir globalement notre système de protection sociale autour de l’accompagnement à l’autonomie des personnes tout au long de leur vie

Elle ne vient pas en opposition aux autres branches, elle est complémentaire. C’est effectivement une approche beaucoup plus holistique et longitudinale du risque et de sa couverture, à l’inverse des quatre premiers qui reposent plus fondamentalement sur une logique assurantielle. La logique assurantielle est conservée, mais le suivi tout au long de la vie implique que l’intensité de l’accompagnement varie au moment où survienne des difficultés.

La création de cette nouvelle branche devrait nous amener à réfléchir sur la manière dont la protection sociale doit se réinventer pour couvrir les risques tout au long de la vie. Par exemple, les évolutions de la famille, et notamment la déconjugalisation, bouleverse tout notre système de protection sociale. Ce qui m’amène à dire que, peut-être, il serait utile de concevoir globalement notre système de protection sociale autour de l’accompagnement à l’autonomie des personnes tout au long de leur vie, en considérant que la vulnérabilité concerne l’ensemble de la société et pas une catégorie spécifique de celle-ci. Cela fait partie d’une réflexion plus philosophique sur les enjeux du vieillissement, la place réservée aux plus vulnérables et aux plus fragiles.

En parlant d’autonomie : comment est-elle pensée, définie et défendue par la CNSA ?

Il s’agit bien de partir de la personne

Nous avons travaillé cette question, cela a fait l’objet d’un rapport consacré à la manière dont on considérait cette branche autonomie qu’on a appelé Vers la protection sociale du XXIe siècle. Nous avons retenu l’idée selon laquelle l’autonomie est un droit universel.

Il s’agit bien de partir de la personne et de favoriser, à travers des interventions publiques, tout ce qui permet la vie autonome de chaque citoyen selon ses aspirations (et non pas de ses pathologies), sous forme de réponses personnalisées, et en prévention, quel que soit son âge, sa situation de handicap et de santé et quel que soit le territoire où il vit. C’est une approche qui s’appuie sur la personne et ses aspirations, et pas sur la survenue d’un évènement.

Cela s’appuie, vous l’avez souligné, sur une prise en charge des individus et de leur environnement, notamment le « chez-soi ». Quel rapport, donc, entre autonomie et habitat ? Et plus spécifiquement avec les projets d’habitat inclusif ?

L’important est de conserver une forme individuelle de relation à son logement

L’habitat en est un élément central de cette prise en charge puisqu’il peut être fragilisant et facteur de risque de perte d’autonomie : à la fois parce qu’il peut être mal adapté, mais aussi parce qu’il est source d’isolement social. En effet, la fragilité ou la vulnérabilité sont souvent associées pour les personnes à une forme d’isolement de la vie sociale.

Avec le vieillissement, elle se double souvent d’une dissolution de la structure familiale qui conduit à un dilemme : « Est-ce que je souhaite continuer à vivre dans mon domicile d’origine, mais je me retrouve de plus en plus isolé socialement, ou alors je vais dans un cadre collectif plus sécurisant (un établissement, une résidence autonomie, un EHPAD), dans lequel je ne suis plus considéré comme un habitant mais comme un hébergé, et où je ne me retrouve pas toujours dans ce que l’on m’offre ».

L’habitat inclusif, c’est une solution pour sortir de ce dilemme : on n’est plus seul et isolé mais on reste dans un habitat proche de celui d’origine. L’important est de conserver une forme individuelle de relation à son logement, qui s’inclut parallèlement dans un cadre collectif qui protège du sentiment de solitude, comme cela peut être le cas dans les colocations. Ce projet de vie sociale est d’ailleurs au fondement de l’habitat inclusif. C’est une forme qui trouve beaucoup d’écho aujourd’hui parce qu’elle répond bien aux problématiques que l’on rencontre, entre la peur de l’isolement d’un côté, et la peur d’être dans un établissement spécialisé qui ne correspond pas à ce qui est souhaité.

 

On oppose souvent l’habitat inclusif aux établissements collectifs. Cette opposition est-elle pertinente, selon vous ?

Tout en étant chez eux, les individus vont bénéficier d’un accompagnement

Il ne s’agit pas pour nous de les opposer.

Dans un établissement, la première chose que l’on dit c’est « Bienvenue chez nous ». Dans un habitat inclusif, c’est « Bienvenue chez vous ». Cela signifie que tout en étant chez eux, les individus vont bénéficier d’un accompagnement, parfois mutualisé, dont ils ont besoin. Cette approche laisse la place aux aspirations individuelles et au pouvoir d’agir des personnes, au-delà d’une caractérisation des besoins en fonction de l’âge ou du handicap. C’est un changement conceptuel mais aussi de regard sur la personne.

Vous parlez « d’entretenir une relation individuelle avec son logement » : donc la différence entre un Établissement social et médico-social (ESMS) et l’habitat inclusif, c’est le fait d’être chez soi ? Et est-ce que permettre aux gens d’être chez eux, c’est leur donner le « pouvoir d’habiter », faire des choix, décider de ce dont ils ont envie et qu’ils disposent de plus de liberté d’action au quotidien ?

Juridiquement, dans un Ehpad, les gens sont chez eux, mais ils ne le ressentent pas toujours de cette manière. Il faudrait sûrement, dans les Ehpad, renforcer l’approche domiciliaire pour éloigner la vision hospitalière que peuvent encore en avoir les résidents et leurs familles.

Vous parliez d’agir sur l’environnement des personnes. Dans quelle mesure l’habitat inclusif prend en compte le territoire, c’est-à-dire pas uniquement le logement mais plus largement l’inscription dans un territoire ? Est-ce une dimension importante ?

Sur la programmation départementale, on peut garantir un véritable maillage

Denis Piveteau et Jacques Wolfrom parlent d’habitat « Accompagné, Partagé et Inséré » dans la vie sociale (API). La vocation inclusive de ces dispositifs concerne aussi et surtout l’inscription des personnes âgées ou en situation de handicap dans un territoire. Comme je le disais, les interactions avec l’environnement, y compris au sens large à l’échelle du territoire, permettent d’agir sur le bien-être de la personne et d’être dans une approche en prévention.

Nous ne concevons pas que cet habitat soit dans des territoires urbains déqualifiés, isolés et relégués à des formes de ségrégation urbaine et spatiale, ce qui est arrivé pour les Ehpad ou ESMS. L’habitat inclusif va ramener les personnes âgées et les personnes en situation de handicap au cœur des territoires : c’est en cela qu’il y a un véritable intérêt. Par ailleurs, la construction d’un établissement spécialisé et les cahiers des charges associés impose de lourds enjeux fonciers : c’est le cas, par exemple, d’un Ehpad de 80 lits conçu à plat, sans étage.

Ces spécificités les confinent souvent à la marge d’un territoire. En développant une offre spécialisée, il faut toujours veiller à ne pas créer une forme de ségrégation urbaine et spatiale qui va à l’encontre du projet d’inclusion. Les habitats inclusifs sont des opérations plus petites, dont l’inscription dans un projet d’urbanisme est plus facile. Sur la programmation départementale, on peut garantir un véritable maillage, puisqu’il est plus facile de déployer sur l’ensemble du territoire départemental une programmation d’une trentaine d’habitats inclusifs de petites tailles que celle d’un Ehpad, qui suppose un certain volume.

Cela suppose toutefois que les petites villes disposent des services nécessaires, mais c’est une dynamique possiblement vertueuse et qui profite à tous. Petites villes de demain porté par l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT).

 

Une dernière question : la CNSA pilote le dispositif de l’Observatoire Nationale de l’Habitat Inclusif depuis 2017. Qu’en est-il de ses missions et de ses réalisations ?

La politique publique de l’habitat inclusif est encore en construction

Il fonctionne, nous en sommes les co-animateurs au côté de la Direction Générale de la Cohésion Sociale (DGCS) et de la Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages (DHUP). Il a pour vocation, à l’origine, d’associer l’ensemble des parties prenantes de l’habitat inclusif pour concevoir au fur et à mesure et réguler ce type de projets.

Notre rôle principal est de déployer l’habitat inclusif au travers du financement de l’avant-projet. Mais la politique publique de l’habitat inclusif est encore en construction. Nous posons les fondations et les limites de ce que ce n’est pas. Nous le faisons par l’accompagnement des institutions publiques locales et les porteurs de projets. L’Observatoire réunit tous ceux qui concourent de près ou de loin au développement de ces projets. Il a aussi un rôle consultatif sur les textes : nous avons amplement travaillé, au sein de l’Observatoire, à l’écriture des textes réglementaires issus de la loi Elan, notamment. Il a beaucoup d’intérêt et les acteurs de l’habitat y sont présents.