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Performance et solidarité(s) : les principes de la LOLF

Interview de Damien Catteau

Maître de conférences en droit public, Directeur du Master 2 Droit public - Parcours Carrières publiques - Université Jean Moulin Lyon3.

<< La Métropole, en elle-même, est un nouvel outil de la mise en œuvre d’une gouvernance locale modernisée. Développer des outils « inspirés de la LOLF »…permettrait réellement de faire de la Métropole un nouveau modèle de gestion publique locale véritablement novateur en matière de techniques budgétaires et comptables. >>.

Auteur d’une thèse sur la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et la modernisation de la gestion publique (Prix de Thèse du Sénat 2006 – Dalloz 2007), Damien Catteau est spécialiste de la Nouvelle Gestion Publique et de la modernisation des systèmes budgétaires et comptables. Ses travaux portent essentiellement sur les innovations issues du mouvement initié dans les pays pionniers de l’OCDE et leur implémentation dans le système français : modernisation des cadres normatifs sur les plans budgétaire et comptable, mises en oeuvre des nouveaux outils de gestion, des nouvelles formes de contrôles, extension progressive des principes aux autres secteurs des finances publiques(finances sociales et locales), aux nouveaux concepts applicables aux finances publiques (transparence, déontologie et soutenabilité). 

Dans sa lutte contre le déficit public, sa volonté de rationaliser les dépenses et moderniser l'action publique, l'État met en avant la notion de solidarité pour impliquer les collectivités territoriales. Si cette solidarité est très visible au niveau financier (transferts financiers, réduction des dotations, pacte de responsabilité par exemple) rendant les budgets des différentes collectivités de plus en plus solidaires les uns des autres, ce n'est pas le cas des comptabilités nationales et locales qui sont très différentes. Si l’État s'est engagé depuis le début des années 2000 sur une approche par la performance avec l'adoption de la LOLF (Loi organique relative aux finances publiques), les collectivités locales sont soumises à un régime très différent inspiré de celui du secteur privé. Dès lors il est important de bien comprendre la démarche promue par l'État et de se questionner sur l'intérêt d'étendre ce modèle aux collectivités et l’impact de cette évolution en termes de solidarité(s).

Cet entretien fait partie d’une série d’entretiens et de textes d’auteurs consacrés aux relations entre finances publiques, fiscalité et solidarité.

Date : 08/01/2016

Que signifie le terme de performance appliqué aux acteurs et politiques publiques ? D’où vient-il ? Qu’en attend-on ?

. Ainsi, la performance serait avant tout l’efficacité socio-économique d’une politique publique du point de vue du citoyen, la qualité du service rendu, du point de vue de l’usager et l’efficience de la gestion, la gestion à moindre coût, du point de vue du contribuable.

C’est une question simple en apparence mais qui, en réalité, est plutôt complexe. La performance est un concept issu du secteur privé et qui a été progressivement étendu au secteur public sous l’impulsion du New Public Management, essentiellement à partir des années 80. Du point de vue budgétaire, les premières expérimentations ont été conduites aux États-Unis avec le Planning Programming Budget System (PPBS) dans les années 60 et qui a inspiré, en France, et avec plus ou moins de succès il est vrai, la Rationalisation des Choix Budgétaires (RCB). Ce n’est en réalité qu’avec la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, la LOLF, que la performance a réellement, efficacement et durablement, été implémentée dans les techniques budgétaires françaises.

Quant à la question de savoir ce qu’est la performance, c’est, à elle seule, un champ d’étude à part entière. Il ne s’agit pas d’une notion juridique et nombreux sont les auteurs, juristes, économistes, gestionnaires, qui, depuis une trentaine d’années, essayent d’en définir précisément les contours. La performance n’est pas définie dans la LOLF. Le terme lui-même n’apparaît que de manière anecdotique dans le texte (il est fait mention « d’indicateurs de performance » art. 48 ; de « projet annuel de performances » - art. 51 et de « rapport annuel de performances » - art. 53). De manière empirique, et positive, on peut définir la performance par rapport aux catégories d’objectifs et d’indicateurs de performance mis en place par la LOLF. Ainsi, la performance serait avant tout l’efficacité socio-économique d’une politique publique du point de vue du citoyen, la qualité du service rendu, du point de vue de l’usager et l’efficience de la gestion, la gestion à moindre coût, du point de vue du contribuable.

Comment se traduit concrètement cette notion de performance ?

Rigoureusement, la logique de résultats induite par la LOLF se matérialise par ce que l’on appelle la démarche de performance, sur laquelle je reviendrais dans un instant. Mais en réalité, le système, pris globalement et qu’on peut qualifier de « budgétisation orientée par la performance », suppose deux mécanismes distincts mais parfaitement complémentaires. Il s’agit tout d’abord de la budgétisation par programme qui consiste à présenter (et donc à planifier) les dépenses du budget en les regroupant par programmes, c'est-à-dire par finalité de la dépense, concrètement par politiques publiques, plutôt que par « poste de dépenses », c'est-à-dire en fonction de leur nature comptable. Pour le budget de l’État, avec la LOLF, le budget est donc présenté aujourd’hui selon la nomenclature MPA, classant les dépenses en Missions, Programmes et Actions. D’autre part, il s’agit à proprement parler de la démarche de performance qui consiste, pour chaque programme (ou pour chaque action dans la LOLF), à définir des objectifs à atteindre, mesuré par des indicateurs de performance. Présentés de manière indicative en annexe de la loi de finances (dans les fameux « projets annuels de performances »), ces objectifs et indicateurs permettent d’améliorer la programmation (priorités d’action) mais également le suivi de la gestion (mesures correctrices en cours d’exercice) et même le contrôle (résultats obtenus par rapport aux objectifs attendus).

Quels sont les atouts d'une telle organisation, de la budgétisation par programmes ?

L’idée est de dépense mieux, et non de dépenser moins.

Les atouts de la budgétisation par programme sont multiples. Pour simplifier, elle permet tout d’abord d’axer la programmation autour de la finalité de la dépense plutôt que sur les moyens mis en œuvre. L’idée est simple mais efficace, il s’agit de se demander non plus quelles dépenses vont être réalisées mais tout simplement à quoi vont-elles servir. Couplée à la démarche de performance, la budgétisation par programme permet également de prioriser ses actions et ainsi l’affectation des crédits. En fonction des objectifs, des arbitrages vont pouvoir être opérés non plus sur une simple logique de masses de dépenses, mais en fonction des résultats que l’on cherche à atteindre et des priorités que l’organisme se fixe. Enfin, la budgétisation par programmes permet de mesurer le coût complet des politiques publique, ce qui non seulement est un outil de pilotage de la dépense assez appréciable mais apparaît également plus lisible et transparent à l’égard des contribuables. Bien entendu, la budgétisation par programme, et la gestion par la performance plus généralement, impactent également la maîtrise de la dépense. La budgétisation par la performance permet de rationnaliser la dépense, de « dépenser plus efficacement » ce qui peut aboutir à des économies. Notons néanmoins qu’il s’agit, contrairement à ce que l’on peut parfois entendre, que d’une finalité « accessoire » de la LOLF. L’idée est de dépense mieux, et non de dépenser moins. 

Quel est le bilan de sa mise en œuvre pour l'État ?

la logique de moyens continue à être particulièrement centrale dans l’affectation et dans la gestion des crédits

La mise en place du nouveau système de budgétisation par la performance a été implémentée progressivement à partir de l’entrée en vigueur de la LOLF. Si certaines dispositions sont entrées en vigueur dès 2002, la budgétisation orientée par la performance, la nouvelle nomenclature et les objectifs/indicateurs, devaient être mis en place en 2005 pour le projet de loi de finances 2006. Or, ce délai de quatre ans pour réformer le système de programmation budgétaire était, en réalité, plutôt ambitieux. Force est de constater que malgré quelques écueils, et eu égard à l’ampleur de la tâche, la réforme a été un succès puisque le budget 2006, premier en mode « LOLF » était, du point de vue des nouveaux outils, certainement perfectible mais parfaitement opérationnelle. Du reste, l’une des idées maîtresses de la budgétisation par programmes est d’être évolutive. Dès lors, que ce soit au niveau de la nomenclature ou au niveau des outils de la performance, le budget de l’État fait l’objet d’une amélioration continue depuis la mise en œuvre de la LOLF.

Il est plus délicat, en revanche, de se prononcer sur les effets de la LOLF en termes d’efficacité des politiques publiques. Tout simplement parce qu’il n’y a pas véritablement de point de comparaison et que c’est une analyse de longue haleine. Les politiques publiques sont-elles mieux gérée aujourd’hui, avec la démarche de performance, qu’elles ne l’étaient avant ? Je gage qu’elles le sont ne serait-ce que parce que l’État dispose désormais d’outils formalisés pour que cela soit le cas. Mais la LOLF n’est justement qu’une « boîte à outils » qui ne produit des effets que si elle est utilisée à bon escient.

Par ailleurs, on notera également que si les outils sont parfaitement implémentés, les habitudes demeurent bien ancrées dans l’administration (et plus généralement dans les institutions). On constate que la logique de moyens continue à être particulièrement centrale dans l’affectation et dans la gestion des crédits. En témoigne, par exemple, les modalités de préparation du budget qui restent fortement axées sur la logique de moyens (lettre de cadrage, lettres-plafonds, conférence de répartition) ou les discussions budgétaires qui portent souvent plus sur les moyens mis en œuvre que sur les finalités, les objectifs et les résultats. Au-delà des outils, il faut du temps pour appréhender et intégrer ces nouvelles logiques. De même, du point de vue de la rationalisation des dépenses, force est de constater que la LOLF n’a pas eu d’impacts significatifs sur la maîtrise des déficits. Mais là encore, il faut considérer que telle n’était pas, contrairement à ce que l’on a pu dire, la finalité première de la réforme. La LOLF ne permet pas à elle seule d’établir une orthodoxie budgétaire, une gestion prudente et, en tout état de cause, elle a été mise en œuvre dans un contexte de crise financière qui a pesé fortement sur les résultats

Les logiques à l’œuvre dans la sphère publique d’État se retrouvent-elle dans la sphère locale sous une autre forme ?

de très nombreuses collectivités locales auraient développé, de longues dates parfois d’ailleurs, des outils inspirés de la LOLF ou suivant une logique similaire

On notera tout d’abord qu’avant même la mise en œuvre complète de la LOLF pour l’État, les principes qui s’y rattachent ont été transposés au secteur social par la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale (LOLFSS), notamment par le biais de la mise en place des Programmes de Qualité et d’Efficience (PQE). En revanche, même si le sujet a parfois été évoqué, dix ans plus tard, aucun chantier visant à transposer ces principes aux collectivités locales n’a été véritablement amorcé. Quant aux outils « inspirés de la LOLF », la réponse est à nuancer. Selon les travaux de l’Association Finance, Gestion et Évaluation des collectivités locales (AFIGESE-CT, notamment une étude réalisée en 2006), de très nombreuses collectivités locales auraient développé, de longues dates parfois d’ailleurs, des outils inspirés de la LOLF ou suivant une logique similaire. Sans être exhaustif, on peut citer le développement des tableaux de bord, des outils de contrôle de gestion, des outils de planification stratégique (notamment en matière d’investissement), sans même parler de l’enrichissement de la classification fonctionnelle développée depuis les années 90 dans le cadre de la M14. En revanche, la plupart des commentateurs s’accordent à dire que la comparaison est assez malaisée. Si développer des outils isolés plus ou moins inspirés de la LOLF, sur des processus ciblés, de manière temporaire et/ou expérimentale est une chose, adopter une approche systémique et intégrée de la budgétisation par la performance en est une autre, que ce soit en termes de difficultés d’implémentation ou, à l’inverse, d’effets attendus sur la programmation et la gestion.

Peut-on avoir une solidarité dans l'allocation des ressources et les dépenses mais pas d'harmonisation des outils ?

une harmonisation des outils faciliterait cet objectif de solidarité

Tout dépend de ce que l’on entend par solidarité mais la budgétisation orientée par programmes demeure un outil de programmation et de gestion budgétaire. Dès lors, elle est globalement sans impact à la fois sur la mise en œuvre de politiques solidaires et globalement indépendante des questions de solidarité entre l’État et les collectivités, entre les collectivités elles-mêmes ou entre les contribuables. En revanche, il semble assez logique de penser qu’une harmonisation des outils faciliterait cet objectif de solidarité, notamment en ce qu’elle permettrait de mieux coordonner à la fois la mise en place des politiques publiquesdont la mise en œuvre est partagée entre l’État et les collectivités locales mais également, du point de vue du contribuable, de gérer de manière globale la maîtrise des dépenses publiques. A l’inverse, indiscutablement, les principes de la LOLF vont dans le sens d’une autonomie croissante des collectivités locales. La budgétisation par programmes suppose, par exemple, un abandon des nomenclatures unifiées et imposées aux collectivités locales. Plus généralement d’ailleurs, la logique de responsabilisation de la LOLF s’oppose quelque peu aux mécanismes de solidarité, notamment de péréquation verticale, entre l’État et les collectivités locales et, dans une moindre mesure, à la péréquation horizontale, entre collectivités locales.

Étendre la démarche de performance à l'ensemble des acteurs publics permettrait-il de renforcer une solidarité organique entre acteurs publics ? D’améliorer la lisibilité et l’évaluation de l'ensemble des politiques ou encore de permettre un « contrôle » accru de l’État sur les collectivités ?

Une démarche de performance « harmonisée » entre les acteurs publics favorise en revanche très clairement une meilleure programmation, une meilleure lisibilité et une meilleure évaluation des politiques publiques

Pour ce qui est d’une solidarité organique (face à la lutte contre le déficit public excessif par exemple), je ne le pense pas. La démarche de performance, en principe, ne porte que sur l’efficacité des politiques publiques selon une logique de résultats et non sur la mise en œuvre d’un objectif de maîtrise de la dépense selon une logique de moyens. Ce n’est pas sa finalité. En revanche, l’harmonisation des règles budgétaires et surtout comptables, elle, peut renforcer cet objectif. Une démarche de performance « harmonisée » entre les acteurs publics favorise en revanche très clairement une meilleure programmation, une meilleure lisibilité et une meilleure évaluation des politiques publiques, c’est même sa finalité première : structurer le budget autour de politiques publiques lisibles, afin d’en évaluer le coût complet mais également l’efficacité (objectifs/résultats). L’intérêt est d’autant plus grand s’agissant des compétences partagées entre l’État et les collectivités. De même, la démarche de performance appliquée aux collectivités locales, et plus généralement, à l’ensemble des acteurs publics permet effectivement d’effectuer des comparaisons, du « benchmarking », afin de dégager les meilleures pratiques de gestion (notamment en matière de fonction support). Néanmoins, notons que l’intérêt est beaucoup plus grand s’agissant de comparer des collectivités locales de même catégorie, avec les mêmes compétences et les mêmes contraintes budgétaires, que de comparer les acteurs de différents niveaux.

Quant au renforcement du contrôle de l’État, non, ce serait même tout l’inverse. L’enjeu fondamental de la transposition de la LOLF pour les collectivités locales réside dans le renforcement « mécanique » de leur autonomie. La budgétisation par programme s’accommode mal d’une nomenclature unifiée et imposée aux collectivités locales, j’ai déjà pu le dire. Mais, au-delà, la responsabilisation induites par la LOLF suppose de diminuer/rationnaliser les contrôles et même, pourquoi pas, de revenir sur la règle d’équilibre strict du budget local qui apparaît « peu dans l’esprit » de la LOLF, même si elle garantit une certaine orthodoxie budgétaire locale.

Y-at-t-il un enjeu particulier en matière de compétences transférées ?

L’État, par le biais d’une coordination des objectifs de performances pilotée par lui, va avoir tendance à « imposer », sous couvert d’harmonisation territoriale, des objectifs à atteindre

Tout à fait. Pour ces compétences, l’absence d’harmonisation du système budgétaire, et notamment de la démarche de performance, va aboutir à un paradoxe assez dérangeant. L’État, par le biais d’une coordination des objectifs de performances pilotée par lui, va avoir tendance à « imposer », sous couvert d’harmonisation territoriale, des objectifs à atteindre aux acteurs de la politique publique qui dépendent pourtant financièrement des collectivités territoriales et qui n’ont donc pas le statut d’opérateurs de l’État. L’exemple des services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, illustre parfaitement cette tendance. Le principe est assez simple : l’État, dans le cadre de sa mission « Sécurité civile » va définir des objectifs à atteindre. Il en a même l’obligation. Les collectivités locales, départements, communes et intercommunalités, qui financent les SDIS, n’ont pas cette obligation, pas plus que les SDIS. Dès lors, l’État, dans le cadre d’une harmonisation, au demeurant légitime, va en réalité avoir tendance à imposer les objectifs ainsi définis. Ce faisant l’État va donc recentraliser si ce n’est la mise en œuvre, à tout le moins la gouvernance de cette politique publique partagée. Dans ce cadre, la budgétisation orientée par la performance ainsi que la mise en place d’un statut d’opérateur local permettraient sans doute de clarifier les rôles respectifs de l’État et des collectivités locales pour ces compétences et de favoriser une véritable coordination des acteurs publics

Cette approche peut-elle faciliter la lecture des solidarités à l’œuvre (qui paie pour quelles politiques pour qui...) ? Peut-elle améliorer la lisibilité des politiques publiques pour les citoyens et in fine renforcer la légitimité de l’impôt ?

la budgétisation orientée par la performance est un outil essentiel vis-à-vis de la lisibilité pour le citoyen

Je parlerais plutôt d’indentification et de clarification des responsabilités. L’un des processus clés en matière de budgétisation orientée par la performance, appliquée à l’État, consiste justement, pour chaque programme à identifier les acteurs (concrètement les services déconcentrés de l’État) et les opérateurs de l’État (extérieurs et autonomes, dotés de la personnalité juridique, les établissements publics notamment), de définir leur part dans la réalisation du programme mais aussi des objectifs à atteindre et, plus avant, d’identifier des responsables de la réalisation (ou non) des objectifs. Dès lors, étendre cette approche aux collectivités permettrait non seulement de clarifier ces mêmes responsabilités pour la collectivité elle-même (quels services, pour quelles politiques et avec quels objectifs) mais également, notamment pour les compétences partagées, pour clarifier les responsabilités des différents acteurs (État, collectivités locales, y compris intercommunalités, opérateurs nationaux et/ou locaux). Il en résulterait nécessairement des politiques publiques plus lisibles pour le citoyen et surtout plus transparentes en termes de responsabilités dans la conduite de ces politiques.

D’une manière générale, pour rebondir sur cette question, la budgétisation orientée par la performance est un outil essentiel vis-à-vis de la lisibilité pour le citoyen. Celui-ci est censé suivre l’emploi des deniers publics – on pourrait rappeler l’article 15 de la DDHC : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ». Et pourtant force est de constater que la technicité du budget par postes de dépense rend cet objectif quelque peu « abstrait », symbolique à tout le moins. La budgétisation par programme renforce cette lisibilité. Le budget n’est plus construit autour d’une nomenclature comptable mais autour de programmes qui identifient clairement des politiques publiques mises en œuvre (et à quel coût) avec des objectifs identifiées à atteindre (à quoi sert la dépense ?). Sans chercher à amplifier l’avancée que cela pourrait entraîner, il me semble évident que cette « grille de lecture » est plus aisée à appréhender pour le citoyen lambda que l’analyse d’un compte prévisionnel. De facto, cela renforcera donc la légitimité de la contribution publique. Là encore, l’idée est assez simple. Plutôt que de financer des « charges publiques », des dépenses classées sur une nomenclature comptable, nécessairement très variées, on pourrait, avec la budgétisation orientée par la performance, mettre en avant la « finalité de la dépense ». L’argent public sert à financer telle politique publique (encore une fois avec un coût complet identifié), pour atteindre tels objectifs, parfaitement identifiés et surtout dont la réalisation pourra être mesurée. Là encore, sans maximiser l’impact d’une telle démarche, il me semble que le citoyen sera mieux à même de savoir, selon une formule traditionnelle, « s’il en a pour son argent ».

Cette approche change-t-elle la manière dont se décident les politiques ou se négocient les compromis entre élus ?

La lisibilité des programmes d’action et des objectifs qui s’y rattachent permet de rendre plus accessible les orientations budgétaires et donc la participation à la prise de décision.

Je le pense également. D’abord, parce qu’encore une fois, on raisonnerait en termes de finalité de la dépense, d’objectifs concrets à atteindre. Or, on rappellera que la budgétisation orientée par la performance ne se substitue pas à une approche « comptable » de la dépense, elle la complète. Dès lors, outre la réalisation de dépenses concrètes, et détaillée dans la documentation budgétaire, l’élu pourrait s’appuyer sur cette démarche de performance pour discuter des orientations budgétaires, des priorités d’actions, des objectifs à atteindre. Plus simplement, ce qui vaut pour le citoyen, vaut pour l’élu également. On le sait très bien, la technicité aboutit, notamment dans les petites collectivités, à ce que les choix budgétaires, techniques, soient largement laissés au maire, le cas échéant aux membres de la commission des finances. La lisibilité des programmes d’action et des objectifs qui s’y rattachent permet, me semble-t-il, de rendre plus accessible les orientations budgétaires et donc la participation à la prise de décision.

Quels sont les freins à son implantation ?

la budgétisation orientée par la performance est un mécanisme complexe, qui demande des moyens humains importants et des compétences techniques qui sont globalement hors de portée pour des collectivités de taille modeste

Le sujet est particulièrement complexe, ce qui explique pourquoi ce chantier n’est pas, dix ans après l’entrée en vigueur complète de la LOLF, très avancé. Tout d’abord, et pour raisonner de manière très pragmatique, l’enjeu réel de l’extension des principes de la LOLF au secteur local réside dans le fait qu’elle doit nécessairement s’accompagner d’un renforcement de l’autonomie locale. Sans revenir sur ce point déjà abordé, il me semble que dans le contexte actuel de maîtrise globale des déficits publics, il peut apparaître délicat, pour l’État, d’opérer une telle réforme qui à l’évidence le conduirait à devoir repenser, sans doute dans le sens de l’allégement, ses contrôles sur les finances locales.

Plus intrinsèquement, une telle réforme se heurte à de nombreuses difficultés techniques. Pour synthétiser un peu, la contrainte essentielle d’une telle réforme réside dans l’hétérogénéité des collectivités locales. Les expérimentations locales de budget « en mode LOLF » ont montré que la budgétisation orientée par la performance est un mécanisme complexe, qui demande des moyens humains importants et des compétences techniques qui sont globalement hors de portée pour des collectivités de taille modeste, des petites communes par exemple (qui, parfois, feront appel au comptable – aux services de l’État plus généralement - pour les assister à élaborer leur budget). De même et selon une approche plus systémique, la budgétisation par programme suppose la mise en place, sur le modèle de l’État, d’un système d’information financière permettant d’alimenter les données financières suivant les différentes comptabilités mises en œuvre : comptabilité budgétaire (suivi de la réalisation des dépenses de l’engagement jusqu’au paiement), comptabilité générale (approche patrimoniale) et comptabilité d’analyse du coût des actions (logique de performance). Lorsque l’on sait les difficultés de l’État pour mettre en place un tel système, on imagine, là encore, les difficultés que cela pourrait poser pour les collectivités locales de taille modeste. Du reste, la question est également de savoir si la « balance » entre cette complexité technique et les avantages que ces collectivités pourraient en tirer est positive. Lorsqu’une petite collectivité a un budget modeste, avec quelques investissements à programmer (essentiellement d’entretien du patrimoine communal), la logique de programme est-elle nécessaire ? Justifierait-elle de telles difficultés techniques pour sa mise en œuvre ? C’est loin d’être évident.

Dès lors, globalement deux solutions sont envisageables : il faut soit réserver cette innovation aux grandes collectivités locales, avec par exemple, un mécanisme de seuil similaire à celui mis en place pour la M14, solution qui apparaît peu élégante, et dont on a pu constater les limites. Soit, au contraire, simplifier au préalable, la structuration administrative française, le « mille-feuille » territorial, pour ensuite opérer une telle réforme. Dans les deux cas, la tâche apparaît comme relativement ardue, mais incontestablement nécessaire, y compris pour des raisons sans lien direct avec la modernisation des techniques budgétaires et comptables.

Quel est le bilan des expériences conduites localement ?

ces expérimentations démontrent à la fois la faisabilité et l’intérêt que peuvent avoir les collectivités locales à mettre en place une telle démarche

La réforme constitutionnelle de 2003 a ouvert la possibilité pour les collectivités locales de conduire de telles expérimentations. En dehors, d’expériences ponctuelles (voir les travaux de l’AFIGESE-CT), certaines collectivités locales se sont effectivement essayées à des expérimentations de budget « en mode LOLF », assez poussées pour certaines. On peut citer notamment le cas de la Région Bretagne, du Département de la Mayenne ou de la Ville de Lyon, entre autres. Selon moi, ces expérimentations démontrent à la fois la faisabilité et l’intérêt que peuvent avoir les collectivités locales à mettre en place une telle démarche, et dans le même temps, et pour faire écho à la question précédente, les difficultés techniques, voire méthodologiques, à mettre en place une telle démarche. Elles démontrent également que le chantier aurait tout à gagner à faire l’objet d’un accompagnement par les services de l’État, qui ont déjà opéré cette transition, dans le cadre d’une réforme globale et unifiée.

Pour ne prendre qu’un exemple, on peut citer l’expérimentation, pérenne du reste, de la région Bretagne qui encore aujourd’hui, dispose d’un budget suivant une démarche type LOLF relativement avancée. Le budget de la région Bretagne 2015 est articulé autour 12 missions déclinées en quelques 55 programmes de politiques publiques (et une dizaine de programmes-supports) élaborés à partir de plusieurs « actions par objectif », 3 par programmes en moyenne, parfois déclinés en sous-objectifs, et pour lesquels seront même parfois définis des indicateurs de mesure des résultats. La démarche est pourtant loin d’être aboutie notamment en termes d’outils de la performance (des objectifs généraux, manquant parfois d’imputabilité, des indicateurs peu nombreux, pas toujours renseignés et souvent axés sur une logique de moyens et de volume plutôt qu’une logique de performance en termes d’efficacité, de qualité de service et d’efficience). 

La Métropole de Lyon aurait-elle eu un intérêt à mettre en place cette approche par exemple pour faciliter la mise en place de politiques transversales liant compétences traditionnelles de la communauté urbaine et compétences sociales ? Y-a-t-il finalement des voies autres mais dont les finalités sont similaires ?

la Métropole, en elle-même, est un nouvel outil de la mise en œuvre d’une gouvernance locale modernisée

D’abord, il m’apparait que la mise en place des métropoles et notamment la Métropole de Lyon était une occasion unique de réfléchir à l’adaptation des mécanismes « lolfiens » à certaines catégories de collectivités locales, et ce d’autant plus que, justement, la loi MAPAM du 27 janvier 2014 avait opéré cet effort de restructuration des compétences de la future métropole à partir de celles du Grand Lyon et du département du Rhône. S’agissant de la Métropole de Lyon, le contexte y était d’autant plus favorable qu’elle dispose du statut de collectivité à statut particulier, permettant toute innovation en matière budgétaire, en dehors du carcan du statut d’établissement public (ou même de collectivités territoriales). Néanmoins, force est de constater que la création de la métropole constitue une occasion manquée concernant l’adaptation de la LOLF. L’article 43 de la loi du 27 janvier 2014 soumettait, pour principe, les métropoles aux règles budgétaires et comptables applicables aux EPCI. Néanmoins, pour tenir compte des spécificités de leurs compétences, l’article 73 (et 39 s’agissant de la Métropole de Lyon) invitait le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures de nature législative propres à compléter et préciser les règles budgétaires, financières, fiscales et comptables applicables aux métropoles. S’agissant de la Métropole lyonnaise, il en ressort que ces « spécificités » n’ont finalement justifiées que la mise en place de quelques règles largement inspirées des budgets départementaux (notamment s’agissant de la présentation) et régionaux (pluriannualité, fongibilité)[1]. L’essentiel de la procédure reste calqué sur celle applicable aux EPCI. Or, si ce choix s’explique par le délai relativement bref de mise en place de la Métropole Lyonnaise (au 1er janvier 2015), il apparaît comme le « choix de la facilité ».

Mais pour ce qui est de se tourner vers l’avenir, et répondre véritablement à la question, je pense que la Métropole de Lyon aurait tout intérêt à mettre en place cette démarche, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, parce que le droit positif local le lui permet, comme je viens de le décrire. Ensuite, parce qu’à l’évidence, la budgétisation orientée par la performance a un intérêt en soi pour les collectivités locales, comme il l’a été envisagé dans les questions précédentes et qui est tout particulièrement accentué pour la Métropole s’agissant de ces relations avec les autres acteurs publics (l’État, les communes de la Métropole mais aussi l’articulation entre la Métropole et le Département), ou s’agissant de l’orientation stratégique sur certaines politiques publiques clairement identifiées, notamment en matière sociale, pour reprendre la question.

Quant à savoir s’il existe d’autres voies, c’est très certainement le cas. Du reste, sans passer par une transposition systémique des principes de la LOLF, il est possible, et je ne doute pas, d’ores et déjà envisagé, de développer des outils « inspirés de la LOLF » en terme de programmation et de suivi des activités. Cela étant dit, la Métropole, en elle-même, est un nouvel outil de la mise en œuvre d’une gouvernance locale modernisée. Je pense ainsi, tout simplement, qu’une telle démarche permettrait réellement de faire de la Métropole un nouveau modèle de gestion publique locale véritablement novateur en matière de techniques budgétaires et comptables.