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Opportunités entre l’industrie du jeu vidéo et la robotique

Interview de Lubna CECILLON

Artefacts Studio

<< Si le jeu veut participer à la robotique, il va falloir qu'il y ait une alliance plus forte entre les deux industries pour créer un système commun, au risque d'être très vite limités >>.

Entretien réalisé par Geoffroy Bing (Nova7), le 22 février 2010

Société créée par Bruno Chabanel, ancien d’Infogrames, en 2003,  Artefacts Studio est l’un des fleurons de l’industrie du jeu vidéo à Lyon. D’abord orientée dans la sous-traitance, la société développe aujourd’hui des jeux complets sur trois segments : les jeux « c», les « serious games » et la branche « game » (qui compte les jeux de stratégie, Role Playing Game, etc.).  Artefacts Studio compte une quarantaine de personnes dont une vingtaine de permanents : programmeurs, designers, graphistes et gestionnaires de projet.
Lubna Cecillon, en charge du marketing de l’entreprise, témoigne du partenariat noué en 2010 entre Artefacts Studio et la société robotique Aldebaran dans le but de développer un jeu avec le robot Nao. Outre les modalités originales de ce partenariat, ce rapprochement illustre les opportunités naissantes entre l’industrie du jeu vidéo et la robotique.

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Date : 22/02/2011

Pouvez-vous nous expliquer la place du support dans le développement d’un jeu vidéo ?

La question du support est avant tout un choix d’éditeur. Ils sont obligés de sortir des jeux compatibles avec l’ensemble des nouvelles plateformes pour rentabiliser leurs investissements. En tant que développeur de jeu vidéo, nous pouvons développer sur tout type de plateformes (PC, robot, tout type de console). Nous avons notre propre moteur, Age, qui fonctionne sur la WIi, DS, 3DS, PC, PSP.  Nous nous sommes également rapprochés du consortium de studios parisiens sous le label PLAYALL (porté par Cap Digital) au sein duquel les studios ont développé leur propre moteur nouvelle génération, et auquel nous avons décidé de nous associer, ce qui nous permet aujourd’hui de développer sur PS3 ou XBOX 360 avec de hautes qualités graphiques.

 

Comment en êtes-vous arrivés à développer un jeu sur le robot Nao d’Aldebaran ?

Nous avons été contactés par Aldebaran en 2010 car ils cherchaient à diversifier leur robot vers la cible des joueurs. L’idée de départ était donc de trouver un lien entre le jeu vidéo et le robot. Or les seuls qu’on leur avait proposés jusque là étaient des petits jeux de type SIMON . Ce n’était pas assez poussé pour eux. C’était un challenge scénaristique proche des mécaniques du jeu de rôle, genre important chez Artefacts studio. Nous sommes allés les voir avec un designer et nous leur avons fait une proposition de jeu qui faisait du robot bien plus qu’une interface.

 

Quel est ce jeu ?

Il est fondé sur le principe de la réalité augmentée. En résumé, le robot est possédé par  un esprit que le joueur doit libérer au travers de la résolution d’énigmes. Ces énigmes (sur le principe de la chouette d’or) sont mises en place entre le corps du robot et le corps du joueur.

 

En travaillant sur Nao, vous saviez dès le départ que vous ne toucheriez pas le grand public. Quel est le modèle économique qu’il y a derrière ?

Il faut savoir que le modèle économique des développeurs de jeux est très particulier. Les débouchés commerciaux du support de nos jeux n’impactent que peu notre activité puisque nous vendons en général la totalité du jeu à l’éditeur ou au distributeur sans être impliqués dans les résultats des ventes. Seuls quelques studios arrivent à préserver de la valeur dans la chaine mais c’est plutôt rare. Le jeu que nous avons développé pour Nao est destiné dans un premier temps aux universitaires et aux chercheurs et nous le savions dès le départ !

 

Comment expliquez-vous la fragilité du milieu du développement des jeux vidéo ?

L’image du jeu vidéo n’est pas bonne malgré la croissance du secteur et ses volumes de ventes. Le jeu est en effet connoté comme n’étant pas sérieux, c’est pour les « boutonneux de 16 ans », bien que tout le monde en achète dans la réalité. Du coup, les financeurs sont les éditeurs. Par conséquent, soit vous êtes en très bonne relation avec un éditeur, soit vous décidez de coproduire votre jeu en le finançant pour partie. L’Etat commence à comprendre cette situation de fragilité et met en place des aides.

 

Envisagez-vous de développer des jeux sur d’autres formes de robots ?

Je pense qu’il y a vraiment quelque chose à faire sur ce type de plateforme. Le moteur SDK de Nao, qui permet de coder les mouvements ou l’interaction avec le robot par exemple est proche de notre savoir-faire et c’était une chance. Nous avons quand même dû repenser nos méthodes travail car Nao était d’abord programmé pour faire de la domotique. La scénarisation inhérente au jeu renvoie à une arborescence beaucoup plus complexe que ne l’exigent des applications domotiques. Il nous a fallu anticiper tout ce que va pouvoir faire le robot selon ce que va vouloir le joueur, donc travailler sur des boîtes de choix très nombreuses. Si le jeu doit participer à la robotique, il va falloir qu’il y ait une alliance plus forte entre les deux industries pour créer un système commun, au risque d’être très vite limités. Il ne s’agit pas pour nous de se limiter à faire danser le robot ou le faire claquer des mains ! Si l’on fait quelque chose dans la robotique, c’est pour proposer au joueur une nouvelle façon de jouer et pas uniquement une nouvelle plate-forme de jeu. La scénarisation est pour nous essentielle.

 

Nao se développe aujourd’hui sur le modèle appstore. Comment appréhendez-vous ce modèle d’innovation auquel vous pourriez participer ?

Ce modèle fonctionne très bien mais il a aussi ses limites ! D’abord, il faut être capable de référencer son offre parmi une multitude d’applications. C’est un pari risqué où il y a beaucoup de candidats et peu d’élus ! Ensuite, nous avons 40 personnes à faire vivre, nous ne sommes pas le geek qui développe tout seul derrière son ordinateur. Dans ce modèle, nous sommes en concurrence avec des amateurs passionnés qui travaillent la nuit et pour lesquels le risque économique est beaucoup moins important. Nous ne sommes pas rentrés dans ce modèle là avec Aldebaran. Nous sommes plutôt dans une logique de partenariat pour le moment.

 

Quel regard portez-vous sur l’industrie du jeu vidéo à Lyon ?

Quand je me suis intéressé au jeu vidéo et que j’ai voulu m’y engager professionnellement, Lyon était pour moi la ville de référence sur ce secteur. Depuis que j’y travaille, j’ai l’impression que cette dynamique est en train de se perdre. Les quelques départs récents d’entreprises du jeu vidéo sont assez emblématiques de la crise que traverse le milieu lyonnais du jeu vidéo. Heureusement,  il y a encore la Game Co à Lyon et j’espère qu’elle va y rester ! J’en profite pour dire que les aides régionales accordées aux entreprises parisiennes et bordelaises du jeu vidéo sont beaucoup plus généreuses qu’ici. Autrement dit, nous ne sentons pas une préoccupation majeure des pouvoirs publics locaux vis-à-vis de l’avenir de cette profession qui créé pourtant des emplois.

 

Le pôle de compétitivité Imaginove n’est-il pas un dispositif d’aide suffisant ?

Nous sommes régulièrement mobilisés par Imaginove pour participer à des événements (exemple, Innorobo,  Cartoon Movie). Ils mettent du liant dans le milieu de l’audiovisuel mais les aides financières sont marginales et ce n’est pas leur rôle d’ailleurs.  Je ne pense pas que le problème vienne de querelles de clochers parmi les acteurs locaux du jeu vidéo. Au contraire, nous sommes très souvent en contact avec des développeurs et éditeurs lyonnais et dans des relations d’entraide. En revanche, nous manquons d’oxygène pour développer les projets à la hauteur de nos ambitions et de notre savoir-faire.

 

Pensez-vous que la robotique peut apporter cet oxygène ?

Nous n’avons travaillé que sur un projet robotique pour le moment. Il est donc difficile pour nous de nous prononcer. D’ailleurs, je me réjouis de me rendre au salon INNOROBO  pour en savoir plus sur les projets et les opportunités de la robotique. Nous ne connaissons pas suffisamment ce secteur. Mais si la robotique devait devenir une plateforme importante du jeu vidéo, ce ne serait certainement pas la seule.  Nous voyons bien également que la tendance est aussi à la dématérialisation du jeu, au cloud gaming et aux jeux sur supports mobiles type I Phone.  A court ou moyen terme, ces virages sont tout aussi importants !