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Lyon 2010 dans l'histoire de la prospective et de la planification stratégique

Interview de Jean FREBAULT

Président du Conseil de développement de la Communauté urbaine de Lyon

<< En 1986 avec Isaac Joseph et Jean Métral nous avons créé un lieu d’échanges entre universitaires et opérateurs, un pôle de recherche urbain, inscrit dans le territoire. L’atelier s’appelle Cultures urbaines >>.

Interview de Jean Frébault, ancien directeur de l’agence d’urbanisme de la Communauté Urbaine de Lyon, sur la démarche LYON 2010
Propos recueillis par Stéphane Autran les 14 et 28 mai 2008, actualisés le 23 juillet 2009

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Préambule :  40 ans du Grand Lyon, un récit à partager

Après avoir créé une communauté de moyens il y a 40 ans de cela, sous l’impulsion de l’Etat, le Grand Lyon constitue aujourd’hui une communauté de projets autonome, reconnue pour son efficacité dans la gestion d’un territoire qui regroupe actuellement 57 communes et plus de 1,3 millions d'habitants. Cette collectivité reste en devenir et l’enjeu est désormais de constituer une véritable communauté de destin, inscrite dans le grand bassin de vie de l'agglomération qui regroupe plus de 2 millions d'habitants. La Direction Prospective et Stratégie d’Agglomération du Grand Lyon a engagé un travail de fond visant à écrire une première histoire de l’institution. Cette interview constitue l’un des éléments de cette histoire, mémoire encore vivante de l’agglomération.

Jean Frébault est ingénieur polytechnicien, diplômé de l’Ecole nationale des ponts et chaussées, où il suit une formation à l’urbanisme. Il commence sa carrière en 1966 au ministère de l’Equipement qui vient d’être créé, dans le domaine des transports urbains. Il est ensuite directeur de l’agence d’urbanisme de Toulouse de 1971 à 1978. Il est nommé directeur de l’agence d’urbanisme de la communauté urbaine de Lyon à sa création en 1978 jusqu’en 1988. Il est ensuite successivement directeur de l’urbanisme et de l’architecture au ministère de l’Equipement, directeur de l’établissement public d’aménagement de la ville nouvelle de l’Isle d’Abeau puis président de la section « aménagement et environnement » au Conseil général des ponts et chaussées. Depuis juillet 2006, Jean Frébault est président du Conseil de développement du Grand Lyon

Date : 22/07/2009

La planification de1978 à  1984Où en sont les études de planification quand vous arrivez à la direction de l’agence d’urbanisme de l’agglomération lyonnaise en 1978 ?

Au niveau national, on peut dire qu’il y avait une sorte d’essoufflement des exercices de projection à long terme, et de la planification urbaine incarnée par les outils et procédures issues de la loi foncière de 1967 tels que les SDAU (Schémas Directeurs d’Aménagement et d’Urbanisme).
Dans le cas de l’agglomération lyonnaise, le SDAU venait d’être approuvé en 1978 après une longue procédure administrative. La conception du document datait en fait du début des années 70. C’était, au plan de la méthode, un SDAU de l’ancienne génération, d’avant la décentralisation, marqué par le contexte des « trente glorieuses », avec une démarche assez « technocratique » correspondant aux pratiques de l’époque. Il avait été élaboré par les services de l’Etat, en l’occurrence principalement la DDE du Rhône et l’atelier d’urbanisme de Charles Delfante.

J’avais vécu cette façon de faire à Toulouse. Les CLAU (Commissions locales d’Aménagement et d’Urbanisme), rassemblant élus et chambres consulaires et présidées par le préfet, se réunissaient en général deux fois par an autour de grands discours préparés en chambre. La pensée était plutôt descendante, « top down ». Les « spécialistes » de l’aménagement réfléchissent et expliquent aux élus locaux, parfois dépassés par les événements, comment il faut analyser et penser l’avenir d’un territoire ! La séance de questions se transformait très vite en séance d’approbation des décisions ! Les débats étaient quasiment inexistants, les élus étaient presque au garde à vous devant le préfet ! Il y avait un côté un peu condescendant mais de bonne foi car c’était la procédure en vigueur à l’époque.

En revanche, le SDAU de l’agglomération lyonnaise s’inscrit dans une histoire de la planification très riche. C’est certainement l’une des agglomérations françaises où il y a une sédimentation de la démarche planificatrice la plus importante. Différents plans d’aménagement comme le PADOG en 1962  ou le schéma de l’aire métropolitaine élaboré par l’OREAM  en 1970 (à l’instigation de la Datar) avaient  posé des jalons marquants. Ils auront permis d’inscrire quelques orientations fortes d’aménagement du territoire comme l’organisation multipolaire, les nouvelles infrastructures, la protection des zones vertes… Mais avec la fin de la période des trente glorieuses, puis la réforme de la décentralisation des années 80, on peut dire que le SDAU de 78 marque la fin d’un cycle.

L’exercice Lyon 2010 s’est inscrit dans cette histoire tout en marquant une rupture, vers la fin des années 80. Porté à la fois par les élus et les techniciens, il a constitué un exercice refondateur – on peut dire cela avec le recul – mais aussi largement anticipateur. On a cherché à renouveler le regard, la posture en matière de planification pour qu’elle ne soit plus « descendante » mais appropriée par les premiers concernés – les acteurs du territoire – responsabilisés après les nouvelles lois de décentralisation. Il fallait que la démarche soit porteuse d’une vision stratégique, d’un projet de territoire, et donc éviter qu’elle soit enfermée dans un carcan réglementaire ou dans un langage uniquement spatialo-urbanistique. La vision proposée devait mettre en relation l’aménagement urbain avec les enjeux de la société locale, la nouvelle donne de l’économie, l’évolution des modes de vie, les nouvelles préoccupations environnementales, etc… La prise de conscience que les défis urbains avaient profondément changé de nature après la fin des « trente glorieuses » a bien entendu favorisé cette mutation.

 

Le contexte législatif à l’époque est-il en décalage avec la réalité urbaine et sociale ?

La loi de l’époque est en retard mais suffisamment floue pour laisser place à l’innovation et l’expérimentation. L’administration de l’Etat (locale et centrale) nous a appuyé en ce sens. Nous avons pu engager notre démarche de projet de territoire, avant que la loi SRU n’en systématise le principe, une dizaine d’années plus tard.

 

La déconnexion instantanée du SDAU avec la réalité urbaine et sociale de l’époque vous amène-t-elle à le remettre en question ?

Pas immédiatement. Après 1978, il y a une première période où la planification à long terme est largement oubliée, et aussi quelque peu discréditée en France, car associée à des exercices excessivement théoriques ou utopiques. La décentralisation consacre ensuite cet état d’esprit, et avec le ralentissement de la croissance, c’est plutôt l’action locale et les projets concrets d’urbanisme et de requalification urbaine qui sont privilégiés. Nos réflexions portent d’abord sur l’écoute des habitants, la vie quotidienne, les quartiers, les plans de référence, avec une vision – ambitieuse mais d’abord qualitative – attachée à la transformation de la ville existante et pas uniquement aux projets d’extension de type ville nouvelle, ZUP, lotissements, ZAC, etc. qui étaient au cœur de la démarche du développement urbain des années 70.

Dans les réflexions sur la ville, on note donc un retour à l’échelle du quartier. Quand j’arrive à la direction de l’agence d’urbanisme, le plan d’occupation des sols est approuvé et mis en révision le jour même ! Cela pouvait paraître surprenant ! Il y avait 4000 observations des habitants, dans les quartiers, qui trouvaient que la prise en compte de leur histoire, de leur patrimoine et de la spécificité des formes urbaines était insuffisante.

L’élaboration du POS héritait également d’une vision « descendante ». Elle était davantage fondée sur une pensée globale des formes urbaines à l’échelle de la ville que sur la prise en compte des spécificités et potentialités de chaque quartier. C’était la manière de travailler à cette époque, notamment à l’atelier d’urbanisme. De leur côté, les élus se sont demandés si leur méthode ne devait pas être revue avec une démarche plus participative. La mission de l’agence d’urbanisme a été de réinvestir ces questions et d’y associer les partenaires de la société civile, les associations, les acteurs économiques... On l’a fait dans le POS, dans les études des quartiers, les plans de référence et ensuite lors de la révision du SDAU.

La révision du POS est donc entreprise de 1978 à 1984. Il est alors question de l’échelle fine et la construction d’un regard plus qualitatif sur les démarches d’urbanisme, à la fois sur les petits et les grands projets, par exemple sur Saxe Paul Bert, Gerland, Vaise, etc. L’agence mène des études sur le centre des villages des communes périphériques ainsi que sur des projets majeurs comme l’arrivée du TGV à la Part-Dieu. Les réflexions pré-opérationnelles se développent. Elles recadrent la toute puissance de la SERL .

 

Quels sont les événements qui déclenchent la mise en révision du SDAU ?

Je voudrais d’abord mettre en avant de nouveaux éléments de contexte essentiels. Après les élections municipales de 1983 et le vote des lois de décentralisation, on prend conscience de la montée en puissance du rôle des villes et des métropoles. L’arrivée du TGV à Lyon et les importantes transformations sociales et urbaines que connaît l’agglomération accélèrent la prise de conscience des dynamiques en cours et des nouveaux défis à relever. Elles font ressortir le besoin de se projeter dans le futur et de faire émerger une vision stratégique plus globale. L’agence organise en 1984 un colloque intitulé : « Demain l’agglomération lyonnaise », qui connaît un réel succès. Plus de 400 personnes, élus, monde professionnel, acteurs économiques, experts et universitaires, journalistes… viennent participer aux débats de prospective et confirment cette nouvelle attente. Penser l’avenir du territoire doit devenir l’affaire de tous les acteurs locaux : nous sommes dans la « décentralisation ».

Un contentieux dans l’application du SDAU met en évidence sa rigidité. Un projet de zone d’activités dans l’ouest lyonnais est non conforme puisque le schéma n’avait pas prévu d’accueillir des emplois dans ces secteurs à dominante résidentielle. Le SDAU est ensuite annulé à cause d’un défaut de procédure. Ces défaillances dans l’application du schéma se transforment en opportunité.

Les élus questionnent la pertinence d’un tel outil. Est-ce que la collectivité a vraiment besoin d’un schéma directeur ? On envisage un moment un toilettage rapide du SDAU en injectant un peu de mixité dans les zonages trop stricts. Après le colloque de 1984, avec Jean Rigaud, nous convainquons les élus de ne pas faire a minima mais de s’appuyer sur la nécessaire révision du SDAU pour engager une démarche innovante, à dimension prospective et stratégique, répondant aux nouveaux défis alors identifiés. Conduire ce chantier dans le cadre de la procédure de révision officielle nous permet d’avoir les soutiens financiers de l’Etat et des collectivités. Le syndicat d’études Sepal , regroupant la Communauté urbaine de Lyon et quelques communes de l’est lyonnais incluant l’aéroport de Satolas est alors constitué. Jean Rigaud le préside.

 

Les élus ont-ils souffert de la période antérieure ?

Ils voyaient bien que les pratiques et le rituel politique devaient être remis en cause. Il était temps de mettre un terme à ce qui était ressenti comme un processus technocratique largement obsolète. Il fallait impliquer une nouvelle génération de responsables politiques, avec des élus ouverts à la société civile, au monde économique et associatif. La transformation s’est passée en douceur. Les changements ont été introduits « à la lyonnaise », ils ont été voulus par Francisque Collomb, marquant la rupture avec la période Pradel, en déléguant et en développant le travail en équipe. Les élus « historiques » majeurs comme Charles Béraudier, André Soulier ou Félix Rollet sont restés dans le circuit politique mais ont laissé émerger une nouvelle génération. Le changement était managé et ne se faisait pas contre les « anciens ».

 

De Lyon 2010 au schéma directeur
 

Quels souvenirs gardez-vous de la mise en place de la démarche « Lyon 2010 » ?

Nous disposions d’un espace de liberté et de créativité qui était rendu possible et même demandé par les élus. C’était une sorte « d’état de grâce » que je ressentais déjà à l’époque et dont je mesure aujourd’hui le caractère exceptionnel. Fort de la confiance de Jean Rigaud et de l’équipe d’élus qui l’entourait, je m’y implique personnellement avec une forte motivation. Dès le début du chantier, en 1985, avec à mes côtés Jean Dellus, nous mobilisons quasiment l’ensemble du personnel de l’agence sur ce projet dans un enthousiasme collectif, avec une équipe d’animation travaillant dans un esprit « commando ». C’était d’autant plus stimulant que la démarche était portée politiquement et suivie de près dès son lancement par les élus. Je suis également attentif à faire alliance avec les services de l’Etat, officiellement « associés » (principalement DDE et DDAF) et à établir une vraie complicité, de même à la qualité des relations avec les services de la Courly et le secrétariat du Sepal.

 

Comment associez-vous les élus à la démarche ?

Le chantier a bénéficié d’emblée d’une implication convergente des élus et techniciens. Il y a eu un véritable portage politique incarné par Jean Rigaud, qui a manifesté beaucoup d’enthousiasme et de volonté et par les élus du Sepal. Le groupe d’élus était majoritairement jeune et couvrait l’ensemble de l’échiquier politique. On retrouvait Jacques Moulinier, Bernard Rivalta, Jean Salles, Guy Fischer, Bertrand Sauzay, Roland Bernard, Albéric de Lavernée, Claude Roche, etc… Tous exprimaient l’envie de construire une vision pour l’avenir du territoire métropolitain, et de développer une pensée stratégique faisant écho à la culture d’entreprise. La participation des élus dès la phase « amont », avant que les techniciens n’aient écrit quoi que ce soit, était de nature à donner beaucoup de crédibilité et de légitimité à l’exercice. C’était assez nouveau parce que d’habitude, on commençait à écrire un premier rapport puis on le soumettait aux élus pour voir s’ils étaient d’accord ou pas.

Nous partagions donc avec les élus l’analyse des décalages de l’ancien SDAU avec les réalités urbaines, puis un état des lieux et la construction d’un diagnostic du territoire, avec les points forts et, une nouveauté, les points faibles de l’agglomération. Nous avons auditionné des experts extérieurs qui nous ont renvoyé une image de Lyon souvent différente et moins complaisante que celle que peuvent s’en faire les élus. L’agence d’urbanisme jouait son rôle de « poil à gratter », c’était un lieu ouvert, toujours en ébullition. Comme ces nouveaux élus arrivent aux responsabilités, ils ne se sentent pas obligés de défendre une parole « politiquement correcte ». Les débats étaient passionnés, le niveau de réflexion tranchait avec leur quotidien et était stimulant intellectuellement. Cette démarche partagée a créé un grand climat de confiance entre élus et techniciens.
J’ajoute que nous avons associé tout au long du processus les maires et adjoints des communes dans des groupes de travail territoriaux, organisés sur le découpage des POS intercommunaux de la communauté urbaine.

 

Comment avez-vous établi la méthode de travail, étant donné qu’il n’existe pas de « mode d’emploi » ?

Nous avons inventé la méthode de manière pragmatique, en étant très à l’écoute de tous les signaux que pouvait nous envoyer le monde extérieur. Poser la question de l’existence d’un « mode d’emploi », c’est faire référence à une pratique très française, celle de la « pensée méthodologique descendante », liée au rôle qu’on attribue depuis longue date à l’Etat et qui n’a pas complètement disparu après la décentralisation. Cette pratique répondait à l’ attente des acteurs locaux, elle était rassurante à certains égards. Dans les années 80, cela est mis en cause : la décentralisation implique une véritable responsabilisation locale et le rôle de l’Etat central sera de plus en plus de capitaliser les expériences de terrain pour promouvoir l’innovation méthodologique (à l’exemple du Certu ).

Nous vivions en effet une grande mutation de la société et du monde : importance croissante de l’Europe, mondialisation de l’économie, montée en puissance des préoccupations locales et écologistes, etc. La question de la ségrégation sociale et urbaine prend de l’ampleur et interpelle fortement élus et urbanistes. A quoi sert la planification dans un contexte incertain ? Comme les acteurs locaux, l’Etat central se posait aussi beaucoup de questions. Il y avait parmi nos élus des gens issus du monde de l’entreprise qui défendaient beaucoup la nécessité de développer la prospective et de construire une vision stratégique, dans un contexte où les territoires sont de plus en plus en concurrence entre eux.

Nous avons donc privilégié une posture d’écoute du monde extérieur pour nourrir une nouvelle façon de faire, et aussi éviter de s’enfermer dans une vision « lyonno-lyonnaise », souvent dénoncée. Nous avons brassé beaucoup d’idées, pris connaissance des travaux les plus récents des chercheurs, sollicité des approches comparatives internationales entre métropoles, et écouté des universitaires et experts indépendants pouvant se permettre d’avoir un point de vue critique.

Cet « appel d’air » a produit trois registres d’innovations dans la démarche de Lyon 2010 : un changement de posture sur la planification, l’introduction de nouvelles thématiques et une méthodologie inspirée de la « prospective participative » ouverte à la société civile.

 

Pouvez-vous préciser ce qu’ont été ces trois axes d’innovation dans la méthode ?

1 - Sur le premier point la critique des anciens SDAU était de trop s’être focalisés sur la planification spatiale (à travers certaines formes comme le zoning..) et réglementaire (les contraintes, les interdits…). Nous portions avec les élus une autre façon de se projeter dans l’avenir d’un territoire, plus transversale et « pro-active », axée sur les fonctions à développer et les stratégies à promouvoir pour relever les principaux défis qui se posent au territoire. C’est ce qui a été appelé par la suite la « planification stratégique ». Dans cette optique, l’organisation urbaine apparaît comme une conséquence, un outil pour mettre en valeur le territoire, non comme une finalité autonome. Et elle doit se combiner avec d’autres leviers de politiques publiques. Nous pensions que le nouveau schéma directeur devait être la traduction de cette vision stratégique. Le code de l’urbanisme, à l’époque plus souple qu’aujourd’hui, nous laissait en fait une grande liberté d’imagination..

2 - L’introduction de nouvelles thématiques est la conséquence de cette posture. Aux côtés des fonctions urbaines classiques comme le logement, les activités économiques, les infrastructures, la protection des zones vertes (fonctions traditionnellement abordées en priorité sous l’angle quantitatif et par les besoins en consommation d’espace)…, ont été posés des questionnements beaucoup plus larges et qualitatifs. Ont ainsi pris place des thématiques habituellement absentes dans les outils de planification comme les fonctions métropolitaines, la place de l’université et de la recherche, la culture, des loisirs et sports, le rayonnement international, les inégalités sociales et territoriales, la transformation de la ville existante (qu’on désigne aujourd’hui par « renouvellement urbain ») et le devenir des « grands ensembles » des années 60, le paysage à grande échelle, l’environnement dans une problématique plus large que la question des zones vertes. De tels sujets, nouveaux à l’époque, ont pris aujourd’hui une toute autre ampleur.

J’ai également vécu, avec mes collègues de la Chambre de commerce et d’industrie et de l’ADERLY  une approche réellement renouvelée sur la façon de penser l’organisation urbaine au service du développement économique. C’est l’époque où se construisait le discours sur les technopôles, pensés comme de véritables projets d’aménagement, intégrant les questions de rapprochement avec la recherche et l’université, les transports, et la qualité urbaine. Antérieurement les responsables économiques percevaient souvent l’urbanisme comme un ensemble de freins réglementaires pénalisant le développement des entreprises.

3 - Enfin, la méthode d’élaboration que nous avons progressivement adoptée s’apparente largement à celle de la « prospective participative ». Nous introduisons l’idée d’audit, de diagnostic critique mettant en évidence les forces et faiblesse du territoire, de comparaison avec d’autres agglomérations, de scénarios, dans une démarche que nous voulons partagée avec les principaux acteurs de la métropole (publics et privés) et sous le regard d’experts extérieurs. Les meilleurs spécialistes (français, parfois étrangers), ont été associés, auditionnés, lors de séances où les élus participaient également. Ce système a beaucoup aidé la construction d’une culture commune. C’était d’ailleurs « gagnant-gagnant » : les experts étaient eux-aussi intéressés par cette immersion dans une démarche métropolitaine, et de notre côté nous étions tirés vers le haut. François Ascher, l’un des artisans du renouveau de la prospective en France, a nourri entre-autre ses réflexions avec Lyon 2010. Sont intervenus des experts de l’INED , de l’INRETS  et du LET , des sociologues, des géographes (par exemple Roger Brunet fondateur du GIP Reclus), des prospectivistes (Thierry Gaudin..). Des bureaux d’études comme la COFREMCA et TETRA ont établi pour l’agglomération lyonnaise des scénarios inédits. Nous auditionnons le Maire de Genève qui donne son regard sur l’évolution de la métropole lyonnaise.

Nous ouvrons aussi largement les débats à la société civile locale, à travers une vingtaine de  groupes de travail thématiques rassemblant industriels et chefs d’entreprises, acteurs de l’immobilier ou des transports, organismes publics, urbanistes, architectes et paysagistes, responsables culturels et associatifs, sans oublier des fonctionnaires de l’administration territoriale de l’Etat, de la Région, du Département et de la Communauté urbaine particulièrement motivés. Un comité d’experts à caractère transversal, réunissant une quarantaine d’universitaires et spécialistes parmi les plus engagés est mis en place dès le départ. Il joue le rôle de « groupe miroir ». L’agence lui rend régulièrement compte de l’avancement des travaux et le fait réagir de manière critique.

Cette ouverture permet d’associer à la démarche une large gamme de partenaires, non seulement pour enrichir le projet, mais aussi pour qu’il soit approprié par le maximum de « forces vives ». Progressivement, nous élargissons le cercle à une plus grande diversité d’acteurs… C’est un processus extrêmement important : j’ai pris conscience que cela lui donnait une grande légitimité vis à vis des politiques. Quand vous avez réuni les forces vives de l’agglomération derrière un projet, les élus ne peuvent pas dire « vous êtes à côté de la plaque » ! Ce ne sont pas uniquement des « utopistes », ou les « techniciens » de l’agence d’urbanisme qui portent le projet.

A la fin de l’année 1988, lors de la mise en débat du projet « Lyon 2010 », des tables rondes et ateliers de synthèse ont réuni à nouveau ces partenaires extérieurs. Plus d’un millier auront au total été associés à l’exercice. Le foisonnement d’idées qui en résulta a été extrêmement enthousiasmant, riche et communicatif. La prospective est un prétexte pour ouvrir l’imaginaire, se projeter. Les élus avaient le sentiment d’être portés par la vague sans être débordés, le niveau des débats leur donnant une grande « respiration ». Ils étaient les organisateurs avec l’agence et tous ces partenaires d’une dynamique très partagée. C’était assez exceptionnel, je l’ai peu retrouvé dans la suite de mon parcours et on a du mal à refaire l’équivalent aujourd’hui. Cette organisation a, de mon point de vue, donné beaucoup de force à la validation politique de « Lyon 2010 », avant même qu’il soit transformé trois ans plus tard en « schéma directeur », document juridiquement opposable.

 

L'urbanisme  outil pour le  développement d’un territoire Revenons sur les nouvelles thématiques mises en avant. Considérez-vous qu’elles doivent faire partie du champ de l’urbanisme ?

Disons pour simplifier que la planification urbaine dans les années 60 70 s’était restreinte à décrire la façon dont s’organise le dessin de l’urbain, les zones d’activités, de protection, les infrastructures, etc. Son langage, le zonage était lui-même très réducteur. On ne peut plus limiter ainsi les ingrédients de l’urbanisme .

Pour moi l’urbanisme, ce n’est pas un but en soi, c’est un moyen, un outil au service d’une vision du développement d’un territoire qui a forcément une dimension sociétale, économique, culturelle…

La ville existante redevient aussi un espace de projet, qu’il s’agisse des espaces centraux, de la banlieue ou de la périphérie. C’est dans ces territoires que s’expriment les grands défis de la société urbaine. C’est une rupture par rapport aux anciens schémas directeurs, époque de la croissance forte où l’on travaillait majoritairement sur les extensions urbaines.

Les nouvelles thématiques évoquées plus haut, les fonctions métropolitaines, les questions de vie sociale et de mode de vie, la culture, l’environnement…sont comme l’habitat et les déplacements : au cœur des débats urbains aujourd’hui. Elles ne nous ont pas été imposées de l’extérieur. Elles sont maintenant évidentes, mais à l’époque, établir par exemple une relation entre la culture et l’urbanisme était assez nouveau.

La culture apparaît pourtant comme un élément essentiel dans la construction de l’identité d’un territoire et le développement d’une société urbaine. C’est à cette époque que se multiplient les constructions de belles salles polyvalentes à vocation culturelle dans les communes périphériques de l’agglomération, que la culture hip-hop émerge en banlieue… L’établissement d’une relation entre la création culturelle et le maillage du territoire était nouveau. Il s’agissait d’en faire une composante forte et positive de la vie urbaine. C’est sur cette problématique que nous avons réuni pour la première fois entre eux les acteurs culturels de l’agglomération lors d’un des ateliers du débat « Lyon 2010 » à l’automne 1988. Aujourd’hui, ces questions reviennent à l’ordre du jour à l’initiative du Sepal sur le projet de SCOT. Le conseil de développement est consulté sur le sport et la culture.

 

Le périmètre d’intervention du projet d’agglomération ne pouvait-il pas être plus étendu ?

Le périmètre correspond à celui de l’ancien SDAU. Il était déjà critiqué comme trop restreint dans les années 80, la vision métropolitaine était plus large. Ce périmètre était tout de même une avancée par rapport à celui de la Communauté Urbaine, puisqu’il incluait l’aéroport de Satolas et le syndicat des communes de l’Est lyonnais. Dans l’état d’esprit de certains Lyonnais à l’époque, ce territoire était considéré comme un monde un peu « à part ». Pour se rendre à l’aéroport de Satolas, il fallait d’abord franchir la « banlieue rouge », qui commençait à Villeurbanne…

La question de l’extension du périmètre ne pouvait cependant être réglée par les seuls responsables du schéma directeur de Lyon. Il fallait négocier avec les schémas directeurs voisins, et surtout que l’Etat prenne ses responsabilités. L’Etat n’était pas prêt à fusionner « autoritairement » les schémas directeurs. Nous avons renoncé à rentrer dans ces négociations, de peur de perdre un ou deux ans. Il y avait urgence de lancer un chantier mobilisateur.

Nous avons par contre fait le choix d’ouvrir le dialogue avec les territoires voisins, en particulier le large espace de la Région Urbaine de Lyon (RUL). Cela paraît évident aujourd’hui, mais c’était la première fois qu’un document de planification parlait de la RUL. Il était nécessaire de faire évoluer les représentations du territoire métropolitain. Nous avons pris l’initiative de réunions à l’Isle d’Abeau pour parler avec les voisins du schéma directeur de Lyon. C’était une innovation ! Le préfet avait fait d’ailleurs une intervention remarquée sur le « lyonno-centrisme » des Lyonnais ! Depuis, les esprits ont tout de même beaucoup progressé. Si le SCOT actuel a permis quelques ajustements pertinents mais limités du périmètre, des initiatives comme la DTA et l’Interscot ont mis en avant la bonne échelle de l’espace métropolitain. Il faut espérer que l’étape suivante permettra d’aller plus loin.

 

Comment avez-vous fait pour produire une vision qui ne soit pas limitée à celle des seuls acteurs locaux ?

L’enjeu de l’image et du rayonnement de Lyon à l’extérieur faisait partie intégrante du discours. C’était nouveau, la plupart des SDAU étaient fermés sur eux-même. Rayonnement s’entendait au sens large, mêlant l’économie, les fonctions supérieures, l’international, la culture... Les auditions d’experts extérieurs nous ont apporté des respirations intéressantes. Par exemple, un spécialiste de l’INED nous a renvoyé des faiblesses sur l’attractivité démographique de Lyon, le directeur de la recherche de la SNCF nous a parlé des enjeux pour Lyon du futur réseau TGV européen, différents sujets que nous n’avions pas l’habitude de débattre… Nous avons fait intervenir trois paysagistes, Michel Corajoud, Bernard Lassus et Michel Cantal-Dupart pour qu’ils révèlent les enjeux paysagers de Lyon et les points faibles à corriger. Nous organisions des séances hors les murs afin de mettre les intervenants dans une situation non institutionnelle.

L’élaboration de scénarios sur l’évolution de la métropole a joué aussi un rôle dérangeant. L’idée même que l’on puisse faire plusieurs scénarios signifiait que l’avenir n’était pas écrit à l’avance.  Ces démarches étaient différentes des scénarios d’organisation spatiale produits auparavant par la DATAR  ou l’OREAM. Les bureaux d’études COFREMCA puis TETRA ont produit des scénarios axés sur la « spatio-gouvernance » avec une dimension sociétale et une analyse des jeux d’acteurs. Ils pointaient les risques d’éclatement de l’agglomération, de déséquilibre entre le centre et la périphérie, sur l’ouverture, la fermeture, etc.

Je signale également le travail comparatif conduit avec Pierre Yves-Tesse, directeur du développement à la CCI. Il s’appuyait sur une banque de données internationale pour mettre en évidence les points forts et points faibles de Lyon dans sa vocation de métropole internationale.

 

Un projet d'agglomération

 

Y a t-il eu des travaux d’évaluation de la démarche entreprise ?

Oui. J’étais en relation avec le Plan urbain, animé par Bernard Archer, et avec Jean-Eudes Roullier, délégué à la recherche et innovation au ministère de l’Equipement. Ils étaient très intéressés par nos travaux, enthousiastes à l’idée d’étudier un exemple concret de démarche de planification qui se voulait innovante et expérimentale. Ils m’ont demandé si un travail d’évaluation en cours pouvait nous intéresser. Avoir un regard extérieur pouvait être un moyen d’améliorer le processus. Je pense même que l’Etat jouait pleinement son rôle en finançant ce travail d’évaluation. Cette recherche appliquée rentrait dans le champ d’évaluation du renouveau des pratiques locales. Les équipes mobilisées ont été Economie et Humanisme, les laboratoires l’Œil et l’Institut d’urbanisme de Lyon. Un rapport a été remis à l’issue du chantier Lyon 2010.

Sur quoi aboutit l’exercice « Lyon 2010 » et comment sont présentés les fruits du travail ?

La démarche participative s’était déjà développée depuis 3 ans autour des élus, du réseau d’ experts et des acteurs du territoire. L’aboutissement de la réflexion est la publication du résultat de nos travaux en 1988, à travers le projet d’agglomération, avant de sortir le « vrai » schéma directeur, opposable. Il y a eu des discussions pour savoir si nous devions sortir le document juste avant les élections municipales de 1989. Après un débat, la majorité des élus a préféré «  marquer le coup ». Nous avons convenu de publier le projet au plus tard à l’automne 1988. Grâce à l’appui des élus, nous avons obtenu un budget de communication important, d’un million de Francs. Nous avons pu solliciter des organismes de communication d’envergure nationale comme TEN, dirigé par Claude Neuschwander, l’ancien patron de LIP et des acteurs locaux : Cachemire, Michèle Neyret Communication et Mediacité.

Claude Neuschwander nous a conseillé de manière très pertinente. Selon lui, un événement majeur doit être organisé associant la campagne de presse, une grande mise en scène des groupes participatifs et la publication du rapport.

La manifestation s’organisait autour d’un colloque intitulé « Lyon 2010 », terme inventé par les communicants pour dénommer le projet d’agglomération. Je trouvais la formulation un peu trop « lyonnaise», j’ai insisté pour qu’on écrive de façon plus complète : « Lyon 2010, un projet d’agglomération pour une métropole européenne ». L’usage a ensuite montré que c’était trop long.

Pendant une semaine, en octobre 1988, nous avons réuni à la communauté urbaine des ateliers par thème, sur l’économie, le commerce, l’université et la recherche, l’habitat, le transport et télécommunications, le paysage et l’aménagement de l’espace, le rayonnement culturel et l’accueil international. Les débats s’organisaient à la manière de forums où l’on pouvait s’exprimer librement. Les maires des communes de l’agglomération furent également conviés à des débats lors de six rencontres territoriales par secteurs. Nous avons fait des réunions avec la Région, le Département, la RUL. L’Etat était systématiquement invité et considérait que la démarche était innovante.

Toutes les conditions favorables étaient réunies pour organiser un point d’orgue final le 5 décembre 1988 à l’ENS. Sur l’estrade, il y avait Jean Rigaud, les maires et adjoints importants de l’agglomération, toutes tendances confondues : André Soulier, Charles Béraudier et Jacques Moulinier, le maire de Villeurbanne, Charles Hernu, le maire d’Oullins, Roland Bernard. Charles Million, président de la Région, Raymond Barre, député et Michel Noir, député, complétaient le tableau d’élus. L’Etat était représenté par Gilbert Carrère, préfet de Région, Yves Dauge, délégué interministériel à la ville et Claude Robert, directeur de l’architecture et de l’urbanisme. L’animation de la séance était faite par Jean Carrière, rapporteur du chantier de prospective Rhône-Alpes et Guy Aubert, directeur de la nouvelle ENS. Le seul absent de ce grand rassemblement était notre président Francisque Collomb. Retenu par une  réunion au Sénat, il avait enregistré un message sur vidéo pour nous apporter son soutien.
Jean Rigaud, rapporteur général, a fait la synthèse des remarques et propositions complémentaires apportées par tous les débats participatifs, et proposé qu’ils viennent enrichir l’écriture de Lyon 2010. Le débat qui a suivi a consacré, en quelque sorte, la validation politique du projet « Lyon 2010 ». Une version grand public a ensuite été écrite par Pierre Gras et vendue en librairie.

La campagne de communication a eu une résonance nationale, « Le Monde » a fait un article dans les pages nationales et le débat sur Lyon 2010 s’est retrouvé en « une » du Progrès, du Figaro-Lyon et de Libération-Lyon. Au colloque national des agences d’urbanisme qui a lieu fin 1988 à La Réunion, le projet alimente beaucoup les discussions. Il y a ensuite des échos internationaux, notamment à travers les réseaux universitaires. Lyon 2010 a reçu en 1994 le prix européen décerné par la commission européenne et le conseil européen des urbanistes avec la mention « Lyon 2010, la planification stratégique en action ».

 

L’opposition de gauche ne trouve rien à redire sur cette publication pré-électorale ? Dans la presse de l’époque, Charles Hernu, maire de Villeurbanne, se plaint de ne pas avoir été consulté sur le projet d’agglomération.

La décision a été prise en conseil d’administration du Sepal où il y avait des élus de droite et de gauche. C’est Bernard Rivalta qui représentait Charles Hernu. Il y avait une mauvaise entente entre-eux. Charles Hernu était peu impliqué mais je l’avais rencontré (ainsi que d’autres adjoints) pour l’informer et éclairer la rédaction du rapport final. Il a essayé de convaincre les élus de la périphérie de se grouper derrière lui mais ça n’a pas pris et la polémique s’est vite estompée. Plus personne ne conteste le rôle de métropole européenne, critiquée à l’époque par Charles Hernu. Michel Noir a tout de suite rebondi sur ce thème.

 

Parmi les quelques critiques négatives, on trouve celles de l’architecte René Gagès. Il estime que le plan est consensuel au point que personne ne peut être contre. C’est aussi un document prospectif où le futur n’est pas dessiné. L’architecte s’attendait à voir une image projetée de l’agglomération dans 20 ans

Ce que dit René Gagès sur le côté consensuel est exact, mais c’est à mes yeux une grande qualité car la démarche était bien celle de produire un projet partagé, contrairement au SDAU précédent. J’assume totalement le côté consensuel car c’est grâce à cela qu’on a pu avancer, notamment sur quelques orientations fortes qui ont encore aujourd’hui du sens. Si on parle encore de ce schéma aujourd’hui, c’est parce que le concept était largement partagé.

René Gagès campe une posture de créateur. Il y a des contextes où il a raison. Quand on fait un projet architectural, et à certains égards un projet urbain, faire appel à un grand concepteur est utile pour porter une ambition, cela n’empêche pas ensuite le débat. Par contre, un projet de territoire ne relève pas de la même démarche de créativité : c’est forcément complexe, avec une multiplicité d’acteurs. Avec le grand respect que j’ai pour René Gagès, je ne peux être d’accord avec lui sur ce point : un projet de territoire ne peut pas être le résultat d’une vision d’un grand créatif qui va penser à la place des autres !

Concernant le dessin du projet, je trouve cependant intéressant que des images allant plus loin que les orientations cartographiées puissent accompagner un document stratégique mais je ne les mettrais pas dans le document. Les images sont forcément évolutives et vites périmées. Elles peuvent à la fois ouvrir et limiter l’imaginaire. Les images ont une place mais elles ne doivent pas rigidifier un document stratégique, d’autant que la ville future ne peut être pensée uniquement à travers son dessin. Cependant, à certaines échelles, les images peuvent être très utiles pour alimenter le débat public. René Gagès avait publié de très beaux dessins sur le Confluent. Le projet était largement utopique, avec un pont habité…mais il a contribué à sensibiliser l’opinion et a fait progresser l’ambition sur cet espace urbain.

 

Un document stratégique

 

Quel bilan pouvez-vous tirer aujourd’hui de l’impact de Lyon 2010 ? N’y a-t-il pas eu un déficit d’outils de suivi du schéma directeur et de sa mise en œuvre ? Par exemple sur la poursuite de l’étalement urbain ?

Il est exact qu’un dispositif de suivi actif du SDAL n’a pas vraiment été mis en place, même si le Sepal a bien été maintenu. Les travaux de « Lyon 2010 » ont cependant engendré au Grand Lyon une démarche « refondatrice » de prospective et de planification stratégique.

Tous les observateurs soulignent en effet l’influence importante que le document stratégique « Lyon 2010 » a eu sur les politiques territoriales du Grand Lyon et cela dès les années 90. « Lyon 2010 » a directement inspiré des chantiers de planification comme le plan bleu, le PLH, le PDU, etc. Il a influencé la perception qu’ont eu les acteurs économiques de la stratégie territoriale de la métropole lyonnaise (cela a souvent été cité comme un point fort de Lyon vis-à-vis des investisseurs) ou le lancement opérationnel de grands projets dans l’agglomération. Un dont on a peu parlé par exemple est la réalisation du « V Vert » dans l’est lyonnais. Cette influence est d’abord culturelle. « Lyon 2010 » est resté largement dans l’esprit des acteurs du territoire, c’est à mon sens plus puissant que la seule opposabilité juridique. Cela a validé notre idée qu’il fallait d’abord élaborer un projet largement approprié et éviter de le confondre avec le document juridiquement opposable qu’il était ensuite nécessaire de produire. Le schéma directeur (le SDAL) a été approuvé en 1992, il reprend dans son fondement l’essentiel de « Lyon 2010 ». A la fin des années 90, Raymond Barre, Président du Grand Lyon, lance « Millénaire 3 », un grand chantier de prospective participative. Cette démarche fait incontestablement écho à ce qui avait été initié par « Lyon 2010 » dix ans plus tôt mais avec des moyens supérieurs et consolidés dans la durée et une impulsion politique très forte. Un travail remarquable a été conduit par un nouveau service du Grand Lyon créé à cet effet, la direction de la prospective, confiée à Patrick Lusson, venant du réseau des agences d’urbanisme. La création du conseil de développement du Grand Lyon est issu de la transformation du « conseil consultatif » suite à la loi « Voynet » de 1999. C’est un « enfant  » de Millénaire 3.Je regrette cependant que la mise en œuvre de ce chantier se soit accompagnée d’une dissociation entre la démarche de prospective (pilotée au Grand Lyon) et celle de planification (du ressort de l’agence et du Sepal), la première ayant faiblement imprégné la seconde lors du chantier actuel du SCOT. A cela s’ajoute la césure, classique en France, entre le monde de la planification et le monde opérationnel, contrairement à beaucoup de pays étrangers. Cette coupure  est à la fois institutionnelle et culturelle. Le monde des planificateurs, notamment les équipes des agences d’urbanisme, s’articule en général faiblement avec les aménageurs et opérateurs publics ou privés qui interviennent sur les ZAC, les lotissements, les projets immobiliers, etc. A Lyon, j’espère que la réorganisation récente des services et la suite du SCOT contribueront à renforcer le dialogue entre acteurs et permettront de promouvoir une approche beaucoup plus intégrée entre la prospective, la planification et l’urbanisme de projets.

Vous avez raison de soulever la question de l’étalement urbain mais cela interpelle l’échelle métropolitaine, sur un périmètre beaucoup plus large, où la gouvernance reste très fragmentée (il y a aujourd’hui 11 SCOT à l’échelle de la Région urbaine). Dans les années 80, on a sous-estimé l’ampleur à venir de ce phénomène, car après les « trente glorieuses », le contexte était celui d’un moindre développement urbain par extension. Dans les années 90-2000, on s’est aperçu que malgré une croissance démographique plus faible, le grignotage se poursuivait dans les couronnes périphériques. Il a même « explosé » dans les années 2000. L’étalement urbain s’est particulièrement développé à l’extérieur du périmètre du Grand Lyon et du schéma directeur, là où le pilotage intercommunal de l’urbanisme est faible voir inexistant. La réponse à ce défi a été l’élaboration par l’Etat d’une DTA (Directive territoriale d’aménagement ). Les maîtres d’ouvrage des SCOT ont lancé la démarche « Interscot ». La DTA affiche des orientations fortes sur la maîtrise de l’étalement urbain, le problème est celui de sa mise en œuvre, à l’échelle Interscot. Il y a encore beaucoup de progrès à faire pour que la planification ne reste pas sur le seul registre incantatoire et s’accompagne d’une gouvernance du territoire à la bonne échelle, celle de la RUL.

Concernant le suivi de la mise en œuvre des documents de planification, ma proposition serait qu’un dispositif structuré de suivi soit mis en place à l’échelle de l’ensemble des SCOT de la Région urbaine. Un rapport annuel, rendu public, recenserait les actions engagées et les décalages par rapport aux objectifs initiaux, avec un système d’indicateurs adapté. Il ferait des recommandations sur les mesures ou initiatives à prendre et éventuellement sur la réactualisation des objectifs. Ce serait une première en France ! En 1986, nous avions étudié les décalages entre la réalité et les prévisions du SDAU de 1978. Nous avions par exemple pointé le discours incantatoire concernant l’axe Décines-Meyzieu qui devait être structuré par une densité urbaine forte autour de la voie ferrée….En réalité, la desserte ferrée n’a pas été améliorée, et n’ont été construits que des lotissements pavillonnaires produisant un étalement urbain conséquent ! Cela avait interpellé les élus. A l’ ’époque, personne n’avait encore été alerté sur ce décalage. Un même exercice a été fait sur le SDAL par l’agence il y a trois ans. La question est de le réaliser plus systématiquement, et de faire en sorte qu’avec les acteurs concernés, cela soit suivi d’effets.

Je rappelle enfin que les mutations de la société urbaine se sont fortement accélérées au cours des deux dernières décennies. Même si la capacité d’anticipation de « Lyon 2010 » a été largement reconnue, la question de l’actualisation d’un tel document de planification finit pour ce motif également par se poser pendant sa mise en oeuvre. C’est bien l’objet du SCOT en cours d’élaboration. Mais peut-être aurait-on pu imaginer d’engager plus tôt un processus d’actualisation continu, dans le cadre du suivi du SDAL ?

 

Quels enseignements peut-on tirer de Lyon 2010 sur la façon de faire aujourd’hui un document de planification ?

La problématique de la planification stratégique et de la prospective participative est à mon sens toujours d’actualité. La question qui me vient à l’esprit est de savoir si l’on peut être aujourd’hui inventif comme on l’a été il y a vingt ans, dans un contexte sensiblement différent. Beaucoup de changements sont en effet intervenus, à la fois sur les enjeux, dans le système d’acteurs et la gouvernance des politiques publiques, le cadre juridique…

Ce changement de contexte peut être illustré dans trois registres.

D’abord les grands défis urbains et territoriaux ont changé d’ampleur, d’échelle et parfois de nature : mondialisation de l’économie, métropolisation et mobilité, relance de la démographie, crise du logement, progression de la fracture sociale et des processus de ségrégation urbaine dans beaucoup d’agglomérations malgré les efforts développés en matière de « politique de la ville ». Les questions environnementales ont pris une importance majeure après Kyoto en 1992. Le Grenelle de l’environnement, les travaux du GIEC etc. ont mis la question écologique et le développement durable au cœur de toutes les politiques publiques d’aménagement du territoire et de développement urbain. L’échelle métropolitaine est enfin de plus en plus le territoire sur lequel se joue la cohérence des politiques publiques. Il est normal que par rapport à ces mutations, le contenu du document de planification soit sensiblement revisité, c’est un des objectifs du SCOT en cours d’élaboration.

Ensuite la place de la planification dans le champ des politiques publiques locales n’est peut-être plus la même aujourd’hui. Elle est moins centrale. Les politiques publiques et leur gouvernance se sont énormément complexifiées. Les scènes mobilisant les élus dans l’agglomération se sont multipliées. Je constate avec un peu de regrets que le SCOT n’est qu’une scène parmi d’autres, elle a plus de difficulté qu’à l’époque à jouer ce rôle « fédérateur » des différentes politiques territoriales. J’ajouterai que l’envie de prospective s’est affaiblie, notamment chez les décideurs politiques. On est dans un monde de plus en plus marqué par des formes d’incertitude sur l’avenir, d’angoisse, voire même de peur. La crise actuelle ne fait que renforcer cela. Se projeter à 20 ans ou 30 ans alors qu’il faut rassurer les gens sur le court terme est très difficile. Il y a moins de visionnaires, on est surtout dans l’action.

Enfin, je mesure l’ampleur de la production législative et réglementaire depuis 20 ans. Le code de l’urbanisme s’est ouvert à de nouvelles thématiques, de nouvelles lois sont apparues : sur l’eau, sur l’air, les risques, la protection de la nature, le logement, les intercommunalités, la loi SRU et celles qui l’ont suivie, le Grenelle de l’environnement…Tout cela rigidifie l’écriture d’un schéma de cohérence territorial qui doit composer avec cet ensemble de textes. Je regrette cette complexification, même si en même temps, elle traduit l’attente du législateur de prendre en compte les nouveaux enjeux sociétaux.

On ne peut donc pas refaire aujourd’hui le même exercice qu’il y a 20 ans, le contexte est trop différent, les marges de manœuvre ne sont plus les mêmes… En revanche, s’inspirer de l’esprit de « Lyon 2010 » pourrait consister à inventer de nouveaux modes de faire « décalés » et imaginatifs, répondant à ce contexte d’incertitude et de tentation de repli sur soi, offrant des espaces de respiration et de créativité par rapport à un arsenal réglementaire contraignant, et de nouveaux horizons métropolitains. On pourrait par exemple connecter l’exercice de planification « pur et dur » avec d’autres chantiers faisant d’avantage « rêver » et mobilisant plus aisément les enthousiasmes, les débats et controverses. Les projets des équipes du « Grand Paris » présentés en 2009, malgré toutes leurs faiblesses, tracent des pistes innovantes au niveau de la méthode. Les chantiers « Millénaire 3 » et « Lyon 2020 » ont aussi à Lyon beaucoup mobilisé, ils constituent une ressource que l’on pourrait davantage valoriser dans les politiques territoriales. Une piste serait ainsi d’ouvrir davantage le champ de la planification à d’autres cultures, d’associer ceux qui s’intéressent à la prospective des modes de vie et nouvelles technologies, au défi écologique et à l’impact du changement climatique, aux dimensions immatérielles et à la créativité, à la place de la culture et des artistes dans la transformation des territoires…Cette question mériterait un vrai débat, tant avec les animateurs du SCOT qu’avec ses « repreneurs ».
De mon expérience d’accompagnement du SCOT par le Conseil de développement, demandée par le Sepal, je retiens l’idée que les acteurs de la société civile peuvent apporter des ouvertures, être des alliés d’une planification rénovée, qu’on peut aller plus loin dans la mobilisation des forces vives du territoire et de la participation citoyenne.

 

Carrière après Lyon 2010

 

Professionnellement, vous auriez aimé rester à l’agence d’urbanisme pour mettre en œuvre les préconisations du schéma directeur ?

Cela pouvait être une tentation, mais ouvrir une nouvelle page professionnelle avait du sens à ce moment là. Après cinq mois trop courts passés au SYTRAL, j’ai été appelé en 1989 à un poste passionnant à la tête de la direction de l’architecture et de l’urbanisme du ministère de l’Equipement, succédant à Claude Robert. Rester un peu plus à Lyon, dans un autre contexte politique, aurait peut-être été source de frustrations. Il était sain pour la maison que je passe le relais à d’autres. L’enjeu de Gérard Blanc qui m’a succédé et de l’équipe était de faire vivre « Lyon 2010 » et ses suites, pas de recommencer à zéro.

 

Votre expérience lyonnaise vous-a-t-elle aidé pour l’attribution de votre poste au ministère ?

C’est probable, le ministère cherchait quelqu’un ayant une expérience de terrain dans un contexte de décentralisation pour redonner sens à l’action de l’Etat. Mon expérience lyonnaise, très riche sur les différentes dimensions de l’urbanisme, m’a été plus qu’utile. Elle m’a permis de toujours rester en contact avec la réalité territoriale, d’avoir des repères de comparaison lorsque j’ai fait le tour des villes françaises et de faire avec d’autres collègues issus du terrain contre-poids à une culture d’administration centrale brillante mais parfois trop fermée sur elle-même.

 

Une fois installé au ministère de l’Equipement, quel a été votre rôle dans la modernisation des pratiques de planification et du cadre législatif qui aboutira à la loi SRU en 1999 ? L’exemple lyonnais a-t-il eu une influence ?

J’ai été directeur de l’architecture et de l’urbanisme de mai 1989 à janvier 1994. Mon passage s’est principalement traduit par la mission de redonner du sens, du contenu, et du fond à l’action de l’Etat et de porter ce message dans les outils de l’urbanisme. J’arrive dans une position de « décentralisé », plus légitime pour cette mission qu’un fonctionnaire venant d’un service interne à l’Etat. Le contexte est difficile, l’Etat est en crise et commence à être accusé d’être trop procédurier, mettant l’accent sur le juridique en inventant les lois. Des réactions s’élèvent face à la monté du contentieux dans l’urbanisme : loi littoral, annulation de SDAU, etc. Mon prédécesseur le plus emblématique était Yves Dauge, directeur de l’urbanisme au moment des lois de décentralisation. Grand pédagogue, il avait su promouvoir la décentralisation de l’urbanisme auprès des élus locaux. Mais le discours n’était pas encore audible auprès des services de l’Etat. La DAU et les DDE ne savaient plus très bien comment se situer dans ce nouveau contexte.

J’avais explicitement la commande de remettre un peu de contenu et de faire en sorte que l’Etat soit présent sur les questions de prospective et les grands enjeux des territoires. Je mets un point d’honneur à avoir un discours remobilisateur de l’Etat et notamment sur la planification. L’Etat doit travailler en partenariat avec les collectivités. Il doit se repositionner, trouver de nouvelles postures. Je n’avais pas d’état d’âme puisqu’à Lyon, on respectait l’Etat, le préfet, les administrations territoriales. Je lance dès 1989 le chantier « renouveau de la planification urbaine» en direction des DDE, DRE et agences d’urbanisme en m’appuyant beaucoup sur l’expérience lyonnaise, et sur le bureau de la DAU qui nous avait soutenu, dirigé par Jean-Claude Lemosquet.

Un colloque sur la planification est organisé à l’initiative de la DAU à Lyon, en octobre 1989, cinq mois après ma prise de fonction, avec le réseau des agences d’urbanisme et celui des DDE, qui travaillaient peu ensemble, c’était une première. Il est conclu par le Ministre… Beaucoup de chantiers locaux ont été ainsi lancés, ou dynamisés et un colloque sur la prospective est organisé à Metz. L’exemple de « Lyon 2010 » a influencé certains exercices de planification, comme le nouveau Schéma Directeur de Lille, conduit par Francis Ampe, ou le Schéma Directeur de la Région Ile-de-France conduit à l’époque par le DRE d’Ile-de-France, Michel Rousselot. Ils m’avaient proposé de les accompagner.

Quand je suis devenu en 1999 président de la section aménagement et environnement au Conseil Général des Ponts et Chaussées, j’ai participé avec Georges Mercadal au groupe d’appui, mis en place par les deux ministres Jean-Claude Gayssot et Louis Besson pour les aider à accompagner leur démarche vers le chantier législatif qui s’appellera Solidarité et Renouvellement Urbain (projet de loi SRU). On a notamment organisé des rencontres préparatoires dans six villes (Lille, Lyon, Perpignan, Orléans, Nîmes, Dijon). Lors de ces rencontres, on s’est mis à l’écoute des attentes des élus et de la société civile sur les grands sujets urbains : fracture sociale et ségrégation urbaine, habitat, déplacements, étalement urbain, commerces et centralité, etc… La loi SRU a été en partie inspirée de ces rencontres. Un des slogans était « le projet doit passer avant la procédure ». C’est finalement la philosophie qu’a consacrée la loi SRU en 2000, avec l’invention des PADD, les « projets d’aménagement et de développement durables ».