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Les usages de la robotique

Interview de André MONTAUD

Directeur Général de Thésame

<< J’ai une vision extensive de la robotique de service. Je pense que la robotique, et en particulier la robotique de service grand public, peut être totalement invisible >>.

Interview réalisée le 1er février 2011 par Boris Chabanel

Créée en 2000 sous statut associatif, Thésame est centre de ressources en mécatronique, gestion industrielle et management de l'innovation. Il informe, met en relation, conseille et accompagne les PMI et les grands groupes dans la gestion de leurs projets. D’abord local, le périmètre d’intervention de Thésame a progressivement été étendu à la France.

Dans cet entretien, André Montaud explique que la principale frontière existant au sein du secteur de la robotique est celle qui sépare la cible grand public de la cible professionnelle. Observateur expert des évolutions de la robotique, il appelle à une grande prudence lorsqu’il s’agit de prévoir le chiffre d’affaire de la robotique de service dans les années qui viennent, ou d’envisager le positionnement rhônalpin sur ce secteur. La participation de Rhône-Alpes à la construction d’une stratégie nationale apparait dès lors comme la voie la plus opportune.

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Date : 01/02/2011

Aujourd’hui, on parle de robotique de service pour désigner ce champ de la robotique qui se trouve en dehors des usines. Quelle différence faites-vous entre robotique industrielle et robotique de service ?

Fondamentalement, je ne fais pas de différence entre robotique industrielle et robotique de service. Dans les deux cas, ce sont exactement les mêmes champs technologiques qui sont mobilisés. J’ajouterais que l’on voit se développer des applications de la robotique dite de service pouvant être utilisées dans les usines. Désignée par le terme de « cobotique », cette robotique industrielle de service vise à assister le geste productif du salarié pour améliorer sa précision, sa puissance. Pour moi, la frontière la plus structurante au sein de la grande famille robotique se situe plutôt au niveau de la distinction cible grand public / cible professionnelle. En effet, la robotique de service grand public d’une part, et l’ensemble de la robotique professionnelle, qu’elle soit industrielle ou de service, d’autre part, ne renvoient pas aux mêmes échelles de grandeur en termes de volumes de marchés et de prix de vente. Schématiquement, la robotique professionnelle correspond à des petits volumes et des prix élevés, tandis que la robotique grand public correspond à de très grands volumes et des prix adaptés à une cible plus large.

 

Un robot de service est donc forcément dans une situation d’interaction avec l’homme ?

On peut effectivement distinguer les robots dont la fonction suppose une interaction directe avec l’homme de ceux qui n’ont pas besoin d’être en relation avec l’homme pour fonctionner. Dans la première famille, on aurait la cobotique, les robots médicaux ou encore les robots d’assistance à la personne, et dans la seconde les robots industriels mais également les robots aspirateurs. Mais on voit bien que cette lecture ne permet pas de clarifier la distinction robotique industrielle / robotique de service.

 

La robotique de service peut-elle être assimilée aux systèmes dits intelligents ?

J’ai une vision extensive de la robotique de service. Je pense que la robotique, et en particulier la robotique de service grand public, peut être totalement invisible. Autrement dit, la robotique de service ne prend pas forcément la forme d’un robot ! C’est la raison pour laquelle j’associerais la notion de systèmes intelligents à la robotique de service. Pour moi, l’idée de système intelligent correspond à la renaissance sous une autre forme de ce que l’on a longtemps appelé domotique. La maison intelligente, avec la gestion intelligente de l’énergie, des ouvertures, etc. est une forme de robotique adaptée à la maison. De même, l’émergence de systèmes de transports automatiques correspond à une autre forme de la robotique déclinée cette fois-ci dans le champ de la mobilité.
Dans tous ces cas de figure, nous avons affaire aux mêmes problématiques technologiques – percevoir l’environnement, prendre des décisions, agir sur l’environnement – mais celles-ci vont s’incarner dans des objets qui peuvent avoir des physionomies très diverses, adaptées à des tâches et des contextes différents. De même, le niveau d’intelligence du robot sera peut-être plus ou moins élevé selon les applications. Il ne sert à rien de mettre une intelligence très élevée sur un robot appelé à répéter toujours les mêmes tâches ! C’est ce qui va différencier le robot aspirateur du robot humanoïde. Ce qui peut changer également d’un système intelligent à un autre, c’est la répartition de l’intelligence. Est-ce qu’on va la centraliser dans la « tête » du robot ? Faut-il plutôt la répartir dans ses « membres » ? Faut-il distinguer des cerveaux spécialisés et un cerveau qui va les coordonner ? Sur cette question, on voit que, dans l’automobile, la tendance consiste à traiter localement la majorité de l’information et à ne transférer vers le calculateur central que l’information pertinente, ce qui permet de simplifier grandement la circulation de l’information, ce qu’on appelle les bus dans le jargon.

 

Selon certains observateurs, le chiffre d’affaire de la robotique de service pourrait connaitre un essor considérable dans les toutes prochaines années. Qu’en pensez-vous ?

C’est très difficile d’être affirmatif. Le succès du drone de Parrot ou celui du robot aspirateur d’IRobot sont de bons exemples du développement de la robotique de service. De là à affirmer que cette dernière va exploser dans les années à venir, je n’en mettrais pas ma main au feu…

 

Quelles sont les briques technologiques de la robotique qui ont le plus progressé ces dix dernières années ?

Il y a eu des progrès énormes en matière de capteurs. Au travers de la téléphonie et des jeux vidéo, nous avons toute une série de capteurs dont la qualité s’est fortement améliorée et  dont le prix a chuté. C’est notamment le cas des accéléromètres, des systèmes de reconnaissance de formes. Il y a une autre brique technologique où l’on a énormément progressé, c’est la capacité de calcul dont le coût unitaire a également plongé.

 

Quels freins technologiques majeurs restent-t-il à lever à l’avenir ?

Selon moi, il reste deux points faibles majeurs que ce soit en termes de coût comme en termes de fiabilité. D’une part, ce sont les actionneurs, c'est-à-dire tout ce qui concerne la gestion du mouvement. D’autre part, c’est l’autonomie énergétique. A ce titre, il est clair que tous les progrès accomplis en matière de batteries automobiles seront bénéfiques à la robotique.
Quoi qu’il en soit, je pense que nous allons vers une convergence technologique de la robotique grand public et de la robotique professionnelle. Les baisses de coût des composants permises par la première vont bénéficier à la seconde. Et inversement, les méthodes de développement utilisées pour les robots professionnels seront utilisées dans la robotique grand public pour faire des produits plus robustes.

 

Pour certains, le déploiement des robots de service viendra d’abord du Japon et de la Corée où la population est plus ouverte aux nouvelles technologies. Qu’en pensez-vous ?

C’est une question difficile. C’est vrai qu’il y a une différence fondamentale entre l’Europe et le Japon au niveau de la place accordée à la robotique de service dans les réponses à apporter au vieillissement de la population. Je peux en parler parce que je connais très bien le Japon où je suis allé plusieurs dizaines de fois en mission. Ce qu’il y a de frappant au Japon, c’est que la puissance publique a mis sur pied une stratégie extrêmement pragmatique de prise en charge du vieillissement par la robotique. Derrière l’image fun et technophile que l’on peut avoir des projets de R&D réalisés au Japon, se cache le constat lucide d’une société touchée par un vieillissement accéléré avec le risque d’une pénurie de main d’œuvre pour s’occuper des personnes âgées. Ainsi, de façon tout à fait assumée, le Japon mise à fond sur le robot d’assistance à la personne pour favoriser le maintien à domicile. Autrement dit, au Japon, la robotique de service est un enjeu de société !

 

Pouvez-vous nous présenter Thésame et ses liens avec le pôle de compétitivité Arve Industries ?

Thésame est une association de loi 1901 créée en 2000 à l’initiative d’industriels et de collectivités locales, avec notamment la Communauté d’Agglomération d’Annecy, le Conseil Général de Haute-Savoie, le Conseil Régional Rhône-Alpes. Par la suite, les ministères de la recherche et de l’industrie nous ont rejoints. Une des missions qui a été confiée à Thésame lors de sa création consistait à agréger les compétences en mécatronique présentes en Haute-Savoie. Progressivement, notre périmètre d’intervention a été étendu, d’abord à la région Rhône-Alpes, puis à l’échelle nationale. Ce qui fait que nous sommes aujourd’hui le réseau de référence sur la mécatronique en France. Ceci nous amène à travailler avec les syndicats professionnels du secteur : ARTEMA, le syndicat des industriels de la mécatronique ; SYMOP, le syndicat des entreprises de technologies de production ; SYROBO, le syndicat de la robotique de service. Nous interagissons également avec des universités, des pôles compétitivité comme Arve Industries, ViaMéca, Minalogic ou encore Moveo, des grands programmes européens. Enfin, nous avons établi assez rapidement des liens forts avec le Japon puisque c’est là-bas qu’est née la mécatronique.
Concernant le pôle de compétitivité Arve Industries, Thésame en est un des membres fondateurs et l’une des parties prenantes de son comité de direction. Même si nous sommes amenés aujourd’hui à travailler avec de nombreux territoires, nous restons un centre de ressources de proximité pour les deux Savoies sur ce champ de la mécatronique.

 

Quel lien y-a-t-il entre la mécatronique et la robotique ?

C’est l’objet d’une grande discussion que nous avons eu récemment avec Bruno Bonnell, le président du SYROBO. Je pense que l’on met à peu près la même chose derrière ces mots. La robotique ou la mécatronique c’est la conception de systèmes mettant en synergie la mécanique, l’électronique et l’informatique. D’une certaine manière, la notion de mécatronique intègre différentes briques technologiques unitaires en mettant l’accent sur leur fusion dans un même système complexe. Simplement, nous n’employons pas le même mot selon que l’on prend le sujet sous l’angle des technologies utilisées ou du produit fini ! Le robot constitue un type de produit fini composé de systèmes mécatroniques.

 

Quel est l’historique du positionnement du territoire savoyard sur la mécatronique ?

C’est une histoire qui remonte au début des années 1990. De grandes entreprises mécaniciennes comme SNR, TEFAL ou SOMFY ont été visionnaires. Elles se sont dit « notre avenir se joue dans notre capacité à faire de l’intégration de technologies ». C’est la direction qu’elles ont souhaité emprunter, une direction que l’on commençait à appeler mécatronique au Japon. Les choses ont été mises en musique progressivement avec la mobilisation des PME-PMI du territoire, la création de plateformes technologiques puis la création de Thésame et celle du pôle Arve Industries. Ce positionnement a été conforté par la présence des deux principaux fabricants de robots industriels en France, STAUBLI et ADEPT.

 

Jusqu’à présent la mécatronique était surtout utilisée dans la robotique industrielle. Aujourd’hui, la robotique de service constitue-t-elle un nouveau champ d’opportunité pour ce tissu industriel savoyard ?

Sans dévoiler les stratégies des sociétés, nous estimons que la robotique de service, qu’elle s’adresse au grand public ou aux professionnels, présente un intérêt certain pour plusieurs acteurs savoyards. Il y a deux secteurs sur lesquels nous pouvons être relativement pertinents. Il y a tout d’abord celui de la robotique médicale, avec sa déclinaison industrielle qu’est la cobotique. Tout l’enjeu consiste ici à développer l’interaction entre l’homme et le robot pour faire de ce dernier un assistant performant. C’est une problématique qui intéresse fortement les fabricants de robots industriels, dans la mesure où elle offre des possibilités de diversification importante. On peut imaginer par exemple la création de start-up issues de ces groupes pour concevoir de nouveaux produits.
Ensuite, il y a le domaine de la maison intelligente. Nul doute que des acteurs comme TEFAL, qui conçoit et fabrique en Haute-Savoie certains de ses produits concernant le pesage et le soin de la personne, SOMFY ou encore MOBALPA doivent étudier les opportunités offertes par l’introduction de systèmes intelligents dans l’habitat, que ce soit les objets ou la construction.
Pour moi, il y a une vraie révolution qui se prépare et nous disposons d’acteurs en capacité de mettre sur le marché de nouveaux produits. Cette démarche fait écho au projet HOME porté par Minalogic. Ce projet, qui comprend notamment SCHNEIDER ELECTRIC et SOMFY, vise à définir les prochains standards de la maison intelligente.

 

Voyez-vous d’autres segments de la robotique de service sur lesquels il semble possible de bâtir une «offre rhônalpine » ?

Il faut se poser la question des secteurs où l’on dispose d’acteurs industriels en capacité de jouer un rôle d’intégrateur de technologies. Pour moi, les deux seuls domaines d’application de la robotique de service où l’on dispose de ce type d’acteur sont ceux que j’évoquais précédemment : la robotique médicale et la cobotique d’une part, et la maison intelligente d’autre part. Dans les autres secteurs, je ne les vois pas ! Par exemple, nous avons de belles entreprises sur les jeux vidéo mais aucune d’entre elles n’est en capacité aujourd’hui d’assembler des technologies.

 

Nous avons à Lyon un leader mondial de l’équipement domestique qui est SEB. Un acteur de cette nature pourrait-il assumer ce leadership sur la filière robotique rhônalpine ?

C’est à cet acteur de se prononcer avant tout ! Mais il existe des signaux réels. SNR et SOMFY travaillent avec le site haut-savoyard de TEFAL (Groupe SEB) pour développer des capteurs autonomes communicants. Ce sont des capteurs qui récupèrent leur énergie dans leur environnement, analysent l’information localement et n’envoient que l’information pertinente. C’est une technologie de niveau mondial et c’est bien à cette échelle que raisonne le groupe SEB.

 

Globalement, quel regard portez-vous sur le potentiel technologique et industriel de la région Rhône-Alpes en matière de robotique de service ?

Si nous avons une certitude en la matière, c’est qu’il faut rester particulièrement modeste lorsque l’on aborde ce champ de la robotique de service. Rhône-Alpes n’en est qu’à ses balbutiements, nous avons des briques technologiques de tout premier ordre mais nous n’avons pas du tout de filière constituée. Surtout, il faut avoir en tête que la robotique de service est un pari qui consiste à investir massivement sur un marché dont le décollage n’est pas encore visible. Pour réussir, il faut être capable de rassembler des ressources qui ne sont pas à la taille de Rhône-Alpes ! Rappelons que le Japon et la Corée ont mis en place des stratégies nationales qui mobilisent l’ensemble des acteurs académiques et industriels concernés. Et malgré l’ampleur de leurs investissements et de leurs efforts, les japonais affirment qu’ils sont eux-mêmes très en retard dans leur stratégie…
Si l’on veut nous aussi construire une stratégie pertinente en la matière, il faut donc raisonner au moins à l’échelle du pays voire entre plusieurs régions européennes ! Il parait illusoire d’envisager un cluster robotique de service exclusivement Rhône-Alpin, d’autant qu’il existe déjà celui de Cap Robotique en Ile-de-France et que celui-ci  n’est d’ores et déjà pas à la taille des enjeux ! Pour moi, la question essentielle est donc de se dire comment Rhône-Alpes peut-elle contribuer intelligemment à une grande stratégie européenne autour de la robotique de service. Cela ne doit pas nous décourager ou nous laisser immobiles. Tel que je l’ai évoqué, il y a des niches que nous pouvons intelligemment occuper et sur lesquelles nous pouvons tenir une place de leader. De plus, si l’on se place à un horizon de dix ans, je suis persuadé que la robotique sera un facteur de croissance essentiel pour toutes les entreprises et c’est maintenant que nous devons monter dans le train !