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Les nouveaux enjeux du dialogue social territorial

Interview de Catherine VINCENT

<< En raison de la multiplication des compétences....un décalage est apparu entre ce que sont traditionnellement les organisations syndicales et les personnes qu’elles doivent représenter >>.

Interview de Catherine Vincent
Propos recueillis le 5 décembre 2008 par Cédric Polère

Catherine Vincent est chercheure à l’IRES, Institut de recherches économiques et sociales (Noisy le Grand). Nous l’interrogeons sur les nouveaux enjeux du dialogue social territorial.

Date : 05/12/2008

Comment le thème du dialogue social est-il arrivé dans vos recherches ?

L’Institut de recherches économiques et sociales, organisme créé pour répondre aux besoins de recherche exprimés par les organisations syndicales, travaille traditionnellement sur les thèmes de la démocratie sociale, des relations professionnelles, de la négociation collective dans le secteur privé. Depuis 2004, nous nous sommes rendus compte qu’il nous échappait tout un champ, celui des négociations professionnelles dans le secteur public ; du coup nous avons commencé à travailler sur ce champ du dialogue social dans les fonctions publiques d’Etat et hospitalière. La fonction publique territoriale n’est pas encore l’objet de nos recherches. Il y a en la matière un véritable « trou » dans la recherche en France.
 

Que signifie la notion de dialogue social dans la  fonction publique ?

Le terme de dialogue social est « fourre tout », puisqu’il recouvre les négociations entre l’administration et les syndicats, leurs interventions au niveau des instances paritaires ainsi que toutes les formes de concertation. Il est apparu dans la fonction publique, où l’on ne peut pas parler de négociation collective, contrairement au secteur privé : juridiquement, il n’existe pas réellement de négociation collective dans la fonction publique, et les accords signés entre les syndicats des différentes fonctions publiques n’ont pas de valeur juridique. Pour autant, on assiste depuis une vingtaine d’années à une montée de la négociation collective dans le cadre public.
 

Les sphères du public et du privé sont-elles comparables en matière de dialogue social ?

Ces deux univers ne sont pas directement comparables sur le plan sociologique, d’abord par la façon dont on y travaille, suscitant des syndicats qui ne sont pas exactement les mêmes. Les fédérations du secteur public ont des modes de fonctionnement distincts de ceux du privé, dans leur relation avec leur employeur, c’est-à-dire l’administration, mais aussi avec leur base. Ensuite, un syndicat de la fonction publique ne peut pas dissocier la défense des intérêts des salariés qu’il représente, sa fonction première, des missions de service public de l’administration dans laquelle il intervient. Cette singularité est au principe même de la création des instances paritaires : dans le statut de la fonction publique, elles servent à faire participer les organisations syndicales à la marche des services. Du coup, dans la fonction publique, on fait appel aux sens des salariés de la réalisation des missions de service public. Les agents de l’Etat et des collectivités territoriales ont l’impression de participer à une mission d’intérêt général et de ce fait s’impliquent dans leur travail, parfois au-delà de ce qu’on pourrait leur demander ; à l’inverse quand ils ne comprennent plus pourquoi ils travaillent, ce que l’on attend d’eux, ils se désinvestissent  énormément, et comme il ne sont pas sous la menace d’un licenciement contrairement au secteur privé, cela peut avoir des effets dramatiques en terme d’efficacité.
 

Quelles sont les singularités du dialogue social de la fonction publique territoriale au regard de la fonction publique d’Etat ?

Dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière, les différences de configuration entre entités sont plus marquées que dans la fonction publique d’Etat, car les établissements hospitaliers et les collectivités territoriales ont une autonomie de gestion, et font intervenir dans le dialogue d’autres acteurs que l’employeur et les syndicats, comme les médecins, patients, collectivités dans un hôpital, ou les citoyens, usagers, associations au niveau d’une commune.
Une autre singularité qui s’accentue avec l’éclatement des compétences exercées par les collectivités en lien avec la décentralisation tient au fait qu’elles ont tendance à recruter dans des métiers qui ne sont pas sur les statuts de la fonction publique, ayant du coup en proportion plus de contractuels que dans la fonction publique d’Etat, mais aussi et surtout une gestion des ressources humaines (RH) qui se rapproche du secteur privé. De là une demande des collectivités de nouvelles compétences dans la gestion des RH que l’on ne trouve pas dans la fonction publique d’Etat, avec des recrutements de jeunes qui ont fait d’abord un parcours RH dans le privé.
Les syndicats se battent pourtant contre une place trop importante des contractuels…Ils se battent sur le principe, mais ne vont pas se battre pour que l’on ne recrute pas une personne compétente. Je l’ai étudié par exemple quand les Régions ont pris la compétence formation professionnelle. Elles ont recruté forcément beaucoup de contractuels. Cela donne une tonalité différente au dialogue social dans la fonction publique territoriale.
 

Comment se passent les négociations dans la fonction publique hospitalière ?

Les négociations se développent fortement au niveau des établissements hospitaliers, à côté des négociations assez anciennes avec le ministère de la santé, en raison de l’autonomie plus grande laissée aux établissements en matière financière et d’organisation. Des textes spécifiques à la fonction publique hospitalière permettent la signature de véritables accords collectifs ; du coup on voit vraiment se développer des négociations, notamment sur l’organisation et la durée du travail.
 

Y-a-t-il plus ou moins de conflits dans les collectivités territoriales que dans la fonction publique d’Etat ou dans le secteur privé ?

Il y a moins de conflits, mais ils peuvent être plus durs en raison de la proximité, et déboucher plus rapidement sur de la négociation et des compromis. Dans une commune par exemple, si les ATSEM se mettent en grève, le maire aura un problème direct à gérer par rapport aux habitants. Dans une commune, le rapport est plus direct que dans la fonction publique d’Etat, où les relations sont diluées, vis-à-vis de l’autorité incarnée par le maire, et vis-à-vis de l’usager touché par le conflit.
 

Comment les syndicats vivent-ils la montée en puissance des collectivités territoriales ?

Traditionnellement, les organisations syndicales sont bien implantées au sein des personnels administratifs et dans les activités ouvrières classiques des collectivités territoriales. En raison de la multiplication des compétences, des parcours, des origines des personnels qui sont recrutés au sein de ces collectivités, un décalage est apparu entre ce que sont traditionnellement les organisations syndicales et les personnes qu’elles doivent représenter. Elles me semblent avoir un certain retard d’adaptation.
 

Quelle est l’attitude des syndicats face à la modernisation de l’administration ?

Dans l’administration des Impôts que nous avons étudiée, autant les syndicats sont très méfiants et réticents sur tout ce qui pourrait modifier le statut des fonctionnaires (rémunération, grade, etc.), autant à l’inverse ils peuvent être très ouverts sur ce qui touche à l’organisation et aux conditions du travail. S’ils ont l’impression qu’une réforme peut amener plus d’efficacité et un meilleur service public, ils peuvent être ouverts. Il n’y a pas une résistance en soi au changement. Il faut rappeler que l’administration des Impôts, où les syndicats sont puissants et mobilisés (l’Education Nationale et les Impôts sont les administrations qui comptabilisent le plus de journées de grève au niveau national) a connu des changements organisationnels importants suite à la fusion de la direction générale des Impôts avec celle du Trésor Public. Les réformes sont allées de pair avec de la négociation. Les accords de Bercy sur la rénovation du dialogue social dans la fonction publique (été 2008) traduisent d’ailleurs la prise de conscience par les responsables administratifs et les ministères de cette spécificité de ces administrations de l’Etat. Quels sont selon vous les grands enjeux à venir du dialogue social dans les collectivités ? On assiste depuis une dizaine d’années à la décentralisation de la gestion des ressources humaines, et du dialogue social au sens large. L’enjeu est maintenant est de concrétiser cette décentralisation en rendant cohérents les lieux du dialogue social et les niveaux de compétences en matière de RH ; il faut une déconcentration réelle des pouvoirs. Il faut aussi une formation de la hiérarchie intermédiaire, car traditionnellement les cadres fonctionnaires ne sont pas des managers.