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Les dominicains et l'organisation des conférences au couvent de la Tourette

Interview de Jean-Marie Gueullette

Directeur du Centre Interdisciplinaire d'Ethique de l'Université Catholique de Lyon

<< Le couvent est devenu un lieu initiatique pour les architectes du monde entier >>.

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Date : 07/12/2009

Propos recueillis par Stéphane Autran le 7 décembre 2009

Cette interview fait partie du dossier sur l’histoire de l’ordre dominicain dans l’agglomération lyonnaise. Il comprend la synthèse « L’ordre dominicain et la région lyonnaise » et l’interview d’Antoine Lion, ancien directeur du Centre Thomas More.
www.couventdelatourette.fr
accueil.couventdelatourette@orange.fr
Numéro de téléphone du couvent : 04 72 19 10 90

 

Comment est née l’idée d’organiser des rencontres culturelles dans ce lieu ?

Entre les travaux et la mise en service, le couvent n’a jamais eu la centaine d’étudiants prévus et a vu sa raison d’être rapidement remise en cause…
En effet, le couvent a accueilli au maximum 70 frères. Le modèle sur lequel Le Corbusier a construit le couvent n’a fonctionné que neuf ans, de 1959 à 1968.

Il faut rappeler que le parti architectural choisi n’est pas du tout traditionnel dans la formation des jeunes Dominicains. Depuis 1215, les Dominicains vivent et sont formés en ville et non à la campagne : S. Dominique a envoyé ses frères faire leurs études à l’université. Il y a là une rupture par rapport aux moines : il n’y a pas de travail manuel et agricole chez les Dominicains. Cette forme de couvent d’études, retiré du monde, accueillant uniquement des enseignants et des frères en formation n’a existé qu’une très brève période de l’histoire de l’ordre, durant la première moitié du XXe siècle.

On relit la fermeture du couvent d’étude aux événements de 1968. Il est pourtant fort probable qu’il aurait dû cesser son activité tôt ou tard tant il ne proposait pas un équilibre viable dans la vie dominicaine. En 1968, la plupart des frères étudiants ont quitté la vie religieuse. Ceux qui n’ont pas quitté l’Ordre ont continué  leurs études en ville, par exemple à l’université catholique de Lyon.

Après mai 1968, une douzaine de frères professeurs se retrouvent donc dans un grand couvent vide. Au lieu de quitter le site, certainement guidés par la force de l’architecture, ils décident de créer un lieu d’études ouvert au public. L’idée est de transformer le couvent en espace de réflexion ouvert, dialoguant avec le milieu universitaire et les sciences humaines, en particulier la sociologie, discipline vedette de l’époque. Ce n’était pas évident car le couvent est à distance de Lyon et n’a pas du tout été conçu pour accueillir du public, ce qui est d’ailleurs paradoxal pour un couvent dominicain.

A la même période, il est intéressant de constater que les autres couvents d’études de l’ordre construits à la campagne voient eux aussi leur modèle complètement dépassé. Ils sont vendus. La force de l’architecture de la Tourette est l’un des facteurs qui a permis de conserver le bâtiment tout en lui imaginant un nouvel usage.  

Le centre Thomas More est donc créé à la fin des années 60 dans une perspective de dialogue avec le milieu universitaire. C’est une structure associative. Les questions traitées sont d’abord en lien avec le fait religieux. Aux débuts du centre, la sociologie est la discipline dominante puis le centre s’ouvre à d’autres comme la psychanalyse. Parallèlement, l’ouverture du couvent au public a engendré un afflux d’architectes du monde entier. Les questions d’architectures sont progressivement montées en puissance parmi les sujets abordés par le centre.

L’une des originalités du centre Thomas More était sa capacité à établir un dialogue entre les gens de l’église et ceux de l’université. C’était rare à l’époque. Un certain nombre d’intellectuels acceptaient de venir au centre Thomas More alors qu’ils n’auraient jamais mis les pieds dans une église. Je pense que ce rapprochement fut rendu possible par l’architecture. Il y a eu une « grande époque » du centre avec des intervenants de très grande qualité : Pierre Bourdieu, Emmanuel Lévinas, Michel Serres…

 

Par la suite, ce centre Thomas More est devenu un centre culturel ?

A la fin des années 1990, le modèle commençait à s’essouffler. Les frères ont demandé au Ministère de la Culture le label de centre culturel de rencontres habituellement attribué à la réutilisation d’un monument historique vide pour des activités culturelles. Le centre culturel de rencontres de la Tourette est une association qui est née de la fusion du centre Thomas More et de l’Accueil dominicain, la structure qui gérait l’hôtellerie. Le projet était celui d’un partenariat entre les frères et des professionnels de la culture, à parité, au sein du centre culturel. Celui-ci a démarré en 2002. Il ne proposait pas uniquement des sessions de travail intellectuel mais développait des expositions, des concerts et interrogeait l’ensemble des disciplines des sciences humaines.

Dans le milieu universitaire et intellectuel, le label de Centre Thomas More est resté très connu parce que c’est un lieu qui a eu son heure de gloire et de notoriété. Mais la mise sur pied de sessions avec des intervenants de haut niveau et un public nombreux s’est avérée de plus en plus difficile. Nous avons sans doute un carnet d’adresse moins prestigieux que celui de nos frères plus anciens ! Il y a peut être moins de grandes stars intellectuelles aujourd’hui… Il y a aussi une évolution des habitudes préjudiciables à ce genre de rencontres. Les universitaires sont moins enclins à bloquer leur week-end pour réfléchir à des sujets qui les occupent déjà professionnellement la semaine ! Il est délicat de trouver une seule raison. Les causes sont plutôt multifactorielles. Il est partout difficile aujourd’hui de faire fonctionner ce type de structure.

Le centre culturel de la Tourette a fonctionné de 2002 à 2009. Il a été mis en liquidation judiciaire en mai 2009 pour des raisons économiques. C’est désormais à nouveau la communauté des frères dominicains qui porte la responsabilité de l’ensemble des activités de la Tourette : accueil de groupes, en particulier d’architectes, visites guidées, sessions et rencontres, expositions et concerts.

 

Où en est la restauration entreprise du couvent de la Tourette ?

Les travaux de restauration intégrale du bâtiment ont commencé en 2006 et doivent se poursuivre jusqu’en 2011. L’entreprise est soutenue financièrement par l’Etat, la Région Rhône-Alpes, le Département du Rhône ainsi que par des mécènes privés. Le chantier avance vite et nous allons normalement le terminer avec un an d’avance : il reste à restaurer l’oratoire, les conduits et l’église.

 

Les actes des colloques les plus marquants du centre Thomas More et du centre culturel ont-il été publiés ?

Oui, bien sûr, certains ont donné lieu à des publications sous forme de livre chez différents éditeurs. De plus pendant une période, ont été publiés des cahiers du centre Thomas More dont nous conservons les archives.

 

Quelle est votre position face à la volonté de développer le tourisme grâce aux « utopies réalisées », la valorisation de l’architecture XXe dans la région urbaine de Lyon, dont le couvent fait partie ?

En effet, le centre culturel s’était impliqué dans la genèse du projet des utopies réalisées, sans que nous y soyons vraiment associés. Nous sommes aujourd’hui en contact avec les responsables de ce projet pour imaginer  nos relations dans l’avenir, mais il faut nous laisser le temps de nous réorganiser. De plus, le chantier de restauration a rendu les visites impossibles durant six mois, donc nous ne souhaitions pas durant cette période attirer un public que nous ne pouvions accueillir.

Nous avons une place spécifique dans le réseau des utopies réalisées, puisque la Tourette est le seul site qui ne soit pas situé en ville et qui ne soit pas de l’ordre de l’habitat social. La Tourette est un couvent dominicain, dont la mission première est d’accueillir et de dialoguer avec tous ceux que la notoriété du bâtiment et de son architecte attirent. Notre objectif est de proposer un accueil qualitatif qui permette une réelle compréhension du lieu et non pas d’attirer des foules. Nous n’avons pas d’objectifs quantitatifs. Nous sommes convaincus qu’un tourisme de masse à la Tourette est impossible car il rend incompréhensible le lieu. Faire visiter une cellule du couvent avec 15 personnes n’a pas de sens !

 

Quels sont vos projets pour concilier visites, compréhension et respect du lieu ?

Du côté des activités culturelles et des sessions, nous organisons des événements aux retombées et à la portée variables. Le public vient de la région Lyonnaise, de France et très souvent de l’étranger. Nous accueillons environ 12000 personnes par an sur le site. Récemment une exposition de François Morellet a attiré plus de 2 700 personnes en deux mois au couvent, et certains concerts de l’ensemble Energeia ont rassemblé plus de 120 personnes. Cela nous encourage dans l’idée que l’on peut proposer des activités de qualité sans pour autant limiter leur impact à un petit groupe d’initiés.

Du côté de l’accueil et des visites, pour les années à venir, notre objectif est de perpétuer un accueil aussi large et ouvert que possible sans sacrifier à l’esprit du lieu. Il ne s’agit pas de faire du chiffre en accueillant le maximum de monde mais d’organiser des projets aussi personnalisés que possible permettant d’entrer dans l’intelligence du lieu.
Nous accueillons chaque année des milliers d’étudiants en architecture. Nous sommes et serons heureux de le faire s’il s’agit d’une véritable rencontre avec eux, et d’une expérience marquante pour eux, comme pour tant d’architectes qui les ont précédés. Nous restons très pragmatiques face aux demandes qui nous sont faites d’accueil de séjours et nous privilégions les groupes qui veulent s’arrêter plusieurs jours à la Tourette pour y effectuer un séjour de travail. En revanche, si cette dimension de rencontre et d’expérience manque, nous ne cherchons pas à « faire tourner la maison » à tout prix. Il n’est plus question d’héberger un groupe d’étudiants qui a repéré des chambres pas chères et qui souhaite arriver tard le soir et repartir le lendemain au petit déjeuner !

Nous privilégions les demandes qui suscitent un échange avec notre communauté. Nous venons de recevoir une proposition d’un groupe d’architectes pour l’organisation d’un colloque très pointu sur les nouvelles technologies dans les conceptions architecturales. Nous sommes très heureux qu’un frère ait été demandé pour participer au colloque.

Le couvent est devenu un lieu initiatique pour les architectes du monde entier. J’intervenais récemment à la Maison des architectes, à Marseille. De nombreux architectes sont venus me voir à la fin de la conférence en me disant : « je suis venu chez vous quand j’étais étudiant et j’en garde un souvenir marquant » !