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Les Alchimistes Lyon : « Alimentation, gaspillage, compostage : aucun de ces sujets ne laisse indifférent »

Interview de Gaétan Lepoutre

Photo de Gaétan Lepoutre
Co-fondateur et directeur de Les Alchimistes Lyon

Co-fondateur et directeur de l’entreprise Les Alchimistes Lyon, Gaétan Lepoutre revient sur les activités et les valeurs de cette jeune structure de l’économie sociale et solidaire. Pourquoi et comment mettre en œuvre la devise de l’entreprise « Ensemble composter pour nourrir les sols » ? En quoi ces activités participent-elles à la résilience du territoire ?

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Date : 06/06/2021

Pouvez-vous présenter en quelques mots votre structure ?

Nous avons créé la SAS Les Détritivores en avril 2018 avec Vincent Dujardin pour créer un service inédit à l’échelle de la métropole de Lyon : assurer la collecte des biodéchets de la restauration et les composter dans un rayon de 5 km. Nous avons obtenu l’agrément ESUS (entreprise solidaire d’utilité sociale). Nous avons rejoint la famille des Alchimistes début 2020. Actuellement, les Alchimistes Lyon compte 11 personnes.

Quelle est la finalité de vos activités ?

Nourrir les sols urbains pour végétaliser la ville et les sols agricoles, pour les fertiliser. Conserver des sols vivants et fertiles, sans entrants chimiques, présente un double intérêt. Cela contribue à limiter le changement climatique, en piégeant le CO2 de l’atmosphère, en limitant l’eutrophisation des cours d’eau, etc. Cela participe également à l’enjeu d’adaptation au changement climatique car des sols bien nourris et vivants captent et gardent mieux l’eau

« Ensemble composter pour nourrir les sols » résume nos activités. La qualité des sols est à la fois un levier et un enjeu majeur pour l’adaptation au changement climatique. Cela a été identifié notamment par le GIEC, Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, dans son rapport dédié aux sols en 2019, qui a porté le sujet au grand public.

« Nourrir les sols » est la finalité de notre action : nourrir les sols urbains pour végétaliser la ville et les sols agricoles, pour les fertiliser. Conserver des sols vivants et fertiles, sans entrants chimiques, présente un double intérêt. Cela contribue à limiter le changement climatique, en piégeant le CO2 de l’atmosphère, en limitant l’eutrophisation des cours d’eau, etc. Cela participe également à l’enjeu d’adaptation au changement climatique car des sols bien nourris et vivants captent et gardent mieux l’eau. Ils permettent de verdir la ville et de conserver des îlots de fraicheur et ils s’adaptent mieux aux périodes sèches et aux fortes pluies, ce qui est favorable au maintien d’une ceinture maraîchère agricole autour de la ville.

Mais comment augmenter et préserver la qualité des sols ? En reproduisant ce qui se passe dans la nature : la fabrication d’humus grâce aux matières végétales qui se dégradent et contribuent à la stabilité et à la fertilité des sols. D’où la solution de « composter ». Cela permet en outre d’éviter l’incinération ou la mise en décharge de déchets biodégradables.

Nous ajoutons « Ensemble » car nous souhaitons inscrire notre action dans une approche collective de transition, dans un mouvement auquel tout le monde doit participer : collectivités, associations, citoyens, entreprises…

 

Concrètement, comment mettez-vous en œuvre ces objectifs ?

Nous nous adressons aux professionnels car ils produisent des quantités importantes de biodéchets et sont concernés par une obligation de tri à la source lorsqu’ils produisent plus de 10 tonnes / an. Ce seuil sera abaissé à 5 tonnes / an en 2023

Nous collectons les déchets alimentaires des restaurateurs métropolitains et les compostons. Contrairement aux déchets verts, issus par exemple de l’entretien des espaces verts, et déjà bien compostés dans la métropole, ces déchets ne sont pas encore ou très peu compostés et partent encore majoritairement vers l’incinération et l’enfouissement.

Nous nous adressons aux professionnels car ils produisent des quantités importantes de biodéchets et sont concernés par une obligation de tri à la source lorsqu’ils produisent plus de 10 tonnes / an. Ce seuil sera abaissé à 5 tonnes / an en 2023. C’est pourquoi les professionnels représentent notre 1ère cible. Nous avons également en tête les déchets alimentaires des particuliers. Les collectivités sont déjà mobilisées sur le sujet car elles sont dans l’obligation d’ici 2024 de proposer des solutions satisfaisantes.

Vous apportez donc aux professionnels de la restauration une solution de valorisation de leurs biodéchets…

Oui, mais l’enjeu ne se limite pas au tri et à la valorisation des biodéchets. Est-ce que les personnes vont s’approprier le sujet ? Comment obtenir un tri de qualité ? Est-ce que le traitement des biodéchets aura toutes les vertus attendues ? Comment garantir le retour aux sols ?

Vos activités intègrent également une forte dimension sociale. Quels sont les fondements de votre collaboration avec Emerjean, une entreprise villeurbannaise qui a pour principe d’embaucher des personnes éloignées de l’emploi ?

Vincent Dujardin et moi-même avons lancé notre projet au moment où Villeurbanne portait une candidature pour devenir territoire d’expérimentation Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée (TZCLD) sur le quartier Saint Jean. J’avais à titre personnel un peu participé à ce projet et souhaitais y collaborer en créant du travail. Dès le démarrage, les premières collectes et opérations de compostage ont été réalisées avec, puis, par des salariés d’Emerjean. La collaboration perdure mais varie avec le temps, puisque dans les fondements du projet il y a le recrutement sans conditions et le choix de la mission par les salariés. Les personnes ne sont pas toujours intéressées par nos activités. Nous avons eu toutefois des expériences assez positives : une personne est sortie du dispositif TZCLD pour signer son premier CDI chez nous, puis a souhaité se lancer dans une formation. J’ose penser que nous avons contribué à son parcours.

Vous avez donc dû mener vos propres recrutements ?

Oui, et nous privilégions dans la mesure du possible des recrutements auprès des acteurs de l’insertion. Participer à des parcours d’insertion fait partie de notre projet. On recherche des personnes en fin de parcours pour leur proposer des débouchés dans un métier d’avenir et porteur de sens.

Rencontrez-vous des difficultés de recrutement ?

On a un métier très attirant pour les gens ayant envie d’agir pour la transition écologique et la résilience. Nous avons beaucoup de sollicitations. Mais on a aussi des personnes pour qui nos activités ne sont pas du tout attirantes, parce qu’il n’y a pas de prise de conscience ou d’envie d’agir. En outre, les métiers de la collecte et du compostage sont assez physiques, il ne faut pas avoir de problèmes de santé ou de troubles musculosquelettiques. Ce n’est pas un métier facile, même si je ne suis pas sûr qu’il existe des métiers faciles.

 

Photo d'une collecte de biodéchet dans le Vieux Lyon
© Les Alchimistes

En quoi votre activité participe-t-elle à la résilience du territoire ?

On est bien conscients qu’il faut anticiper les changements et pour cela il faut travailler l’adaptation et donc la résilience. Cette notion me parle beaucoup

Notre activité participe à limiter le changement climatique et à s’y adapter. Nous devons freiner ce changement. Or, force est de constater qu’aujourd’hui, on ne freine pas assez fort, et certains, pas du tout. On est bien conscients qu’il faut anticiper les changements et pour cela il faut travailler l’adaptation et donc la résilience. Cette notion me parle beaucoup.

Aborder le sujet de l’alimentation à travers ce prisme est vital. Les études au moment de la définition de la stratégie alimentaire métropolitaine ont mis en évidence le très faible ancrage territorial de l’alimentation : les produits agricoles issus du territoire représentent moins de 5% de l’assiette alimentaire des habitants et, à l’inverse, 95% des produits agricoles du territoire sont exportés. Il y a là un enjeu d’autonomie, qui implique de produire et de consommer localement. Nous avons envie de contribuer à développer cette boucle alimentaire locale, à minimiser le gaspillage et à composter les denrées non consommées pour enrichir les sols.

Sur quoi repose votre modèle économique ?

Quand on collecte les déchets d’une cantine scolaire pendant un an pour produire du compost, c’est important que les enfants, leur famille et l’établissement puissent voir le résultat de leurs gestes. La prise de conscience est beaucoup plus forte

Nos quatre métiers nous apportent quatre lignes de revenus :

  • L’accompagnement à la mise en place du tri à travers de conseil, d’animation et de sensibilisation, auprès des particuliers comme des professionnels. Cet accompagnement est systématique et nécessaire pour mobiliser les personnes, sans cela, ça ne fonctionne pas : il ne suffit pas de mettre des bacs jaunes pour que les gens trient, c’est la même chose avec les biodéchets.
  • La collecte des biodéchets, avec des bacs roulants, des véhicules et du personnel pour assurer ces collectes.
  • La transformation des déchets en compost fertile et certifié, sur nos sites.
  • La distribution et la commercialisation de ce compost, en vrac ou petits volumes pour les particuliers, et en plus grands volumes pour des jardins maraîchers urbains. C’est important de « boucler la boucle ». Quand on collecte les déchets d’une cantine scolaire pendant un an pour produire du compost, c’est important que les enfants, leur famille et l’établissement puissent voir le résultat de leurs gestes. La prise de conscience est beaucoup plus forte.

Pouvez-vous dresser un premier bilan de vos premières années d’existence ?

Nous traitons actuellement 150 points de collecte. L’année 2020, avec la fermeture des restaurants, a évidemment freiné nos activités. Nous avons démarré avec une capacité de traitement de 50 tonnes/an de déchets alimentaires. Puis nous avons modifié ce site pour pouvoir traiter 200 tonnes. Au printemps 2021, nous avons ouvert un nouveau site de traitement à Vénissieux d’une capacité de 2000 tonnes/an.

Quel accueil recevez-vous sur le terrain (usagers, partenaires…) ? Observez-vous une évolution des mentalités/des comportements depuis le début de votre activité ?

Nous n’avons pas rencontré de difficultés avec les riverains jusqu’à présent. Notre enjeu est de continuer à travailler sur des sites compatibles avec le milieu urbain, qui ne produisent pas de nuisances

Nous n’avons pas rencontré de difficultés avec les riverains jusqu’à présent. Notre enjeu est de continuer à travailler sur des sites compatibles avec le milieu urbain, qui ne produisent pas de nuisances. On passe beaucoup de temps et d’énergie sur ce sujet-là.

On ressent une prise de conscience des enjeux climatiques, chacun à son rythme et à son niveau de recul sur le sujet, mais elle s’accélère. L’évolution réglementaire change aussi pas mal la donne car les échéances pour les collectivités comme pour les entreprises se rapprochent.

Enfin, on parle d’alimentation, de gaspillage, de compostage : aucun de ces sujets ne laisse indifférent ! L’appétence pour le sujet se renforce.

Quelles sont vos perspectives d’évolution dans les années qui viennent ?

Sur le territoire métropolitain, on estime la quantité de déchets alimentaires à 100 000 tonnes/an produits par les professionnels et 100 000 tonnes/an par les ménages. Avec notre capacité actuelle de traitement, nous ne traitons donc qu’environ 1% des déchets alimentaires. Notre ambition est bien sûr d’aller au-delà et d’autres acteurs y contribueront également. Nous espérons traiter 10% des déchets alimentaires produits dans 5 à 10 ans.

 

Quel regard portez-vous sur l’avenir de vos débouchés ?

Il nous faut travailler sur nos débouchés : comment refait-on des sols fertiles quand ils ont été artificialisés pendant des années ? Comment le compost peut-il y contribuer ? Cela implique de travailler avec des agriculteurs péri-urbains, des paysagistes urbains, tous les professionnels souhaitant utiliser moins d’entrants chimiques et revoir leur façon de faire

Nous travaillons sur nos liens avec le monde agricole et la végétalisation urbaine. Nous avons plutôt investi jusqu’à présent le monde de l’alimentation car c’est là où les biodéchets sont produits. Nous avons amorcé la pompe, maintenant il nous faut travailler sur nos débouchés : comment refait-on des sols fertiles quand ils ont été artificialisés pendant des années ? Comment le compost peut-il y contribuer ? Cela implique de travailler avec des agriculteurs péri-urbains, des paysagistes urbains, tous les professionnels souhaitant utiliser moins d’entrants chimiques et revoir leur façon de faire. Nous n’avons pas de problème de demande pour notre production, mais on doit avoir une vision client : qu’attendent les agriculteurs ? Les paysagistes ? Est-ce que la façon dont on composte, la granulométrie, l’emballage, le stockage, le mode de transport, la tarification leurs conviennent ? On a un travail à faire sur ce sujet pour que nos clients soient satisfaits. L’utilisation de compost est très réglementée et se durcit un peu plus encore actuellement.

Vous jouez donc le rôle du tiers de confiance en garantissant de fournir un compost respectant les normes en vigueur ?

Oui, notre compost est analysé par des laboratoires indépendants et il correspond bien à la norme NFU 44051. Par ailleurs, il est également labellisé « compatible avec l’Agriculture Biologique ».