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Le quid des finances d'une collectivité locale

Interview de Régine PERRAUDIN

<< Au Grand Lyon…nous devons suivre une ligne directrice qui consiste à maintenir notre niveau d’autofinancement afin de financer les opérations d’investissement. >>.

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Date : 29/10/2005

Interview réalisée par Geoffroy Bing et Brigitte Yvray-Danguis- octobre 2005Quels sont les « temps forts financiers » de l’année pour une collectivité ?
 Dans une année budgétaire, il y a deux moments importants qui donnent lieu à des débats politiques, au sein de l’assemblée communautaire. Le premier c’est en hiver, avec le Débat d’Orientations Budgétaires (DOB) suivi dans les deux mois par le vote du Budget Primitif (BP). Le deuxième temps fort pour la collectivité, c’est le vote du Compte Administratif (CA) avant la fin du mois de juin. Le CA permet aux élus de vérifier que les crédits votés à l’occasion du BP ont bien été utilisés comme ils l’avaient souhaité. De fait, sur une année budgétaire, on travaille toujours de façon décalée dans le temps en faisant le bilan de ce que l’on a consommé l’année précédente (CA), en prévoyant les crédits de l’année d’après (BP), en réajustant ce que l’on va investir dans les prochaines années avec la Programmation Pluriannuelle des Investissements (PPI), tout en faisant le suivi quotidien de l’utilisation, des crédits de l’année en cours, voire en les modifiantPréalablement à la présentation du Budget Primitif et du Débat d’orientations budgétaires  à l’assemblée communautaire, il y a une préparation importante, tant sur le plan politique qu’administratif, pouvez-vous nous dire de quelle façon cela se passe ?
Le processus de travail pour le DOB commence en général dès le printemps. Au vu des premiers résultats de l’année précédente, on calcule la prospective financière pour les années futures avec différentes hypothèses d’évolution des ressources et donc des dépenses. Cet outil permet au Président de déterminer le cadrage pour le budget suivant. Il envoie une « lettre de cadrage budgétaire » aux vice-présidents de l’Assemblée communautaire. Cette lettre fixe les objectifs qui président à la préparation budgétaire et notamment l’enveloppe financière affectée à chaque direction. A partir de là, les services recensent leurs besoins et déterminent avec le Vice-président chargé de leur domaine, quelles propositions il convient de formuler au Président. Au cours de ce travail, les services doivent évaluer les moyens financiers mais aussi humains qui leurs sont nécessaires pour mener à bien les projets.
Une fois établies, ces propositions font l’objet d’un arbitrage d’abord au niveau administratif, puis sont présentées au niveau politique au sein du comité budgétaire. L’arbitrage définitif revient au Président lui-même sur proposition du Vice-président aux finances. Au sein du Comité budgétaire tous les groupes politiques sont représentés  ce qui permet une véritable prise de connaissance détaillée par ses membres du budget. En pratique, on considère que le Budget Primitif est « ficelé » à la mi-novembre pour un vote autour du 20 décembre.
L’ensemble du processus de travail qui associe élus et professionnels de la collectivité est très important dans l’élaboration budgétaire.
Une précision, le cadrage financier et l’arrêt du budget relèvent d’une décision politique, le cadrage et les arbitrages administratifs sont faits de façon détaillée par les services et validés par la direction générale avant d’être proposés au Vice-président aux finances et au Président.

Pouvez-vous nous expliquer de quelle façon le cadrage est élaboré ? Quels sont les objectifs et les contraintes, sur un plan général, qui déterminent les choix budgétaires de la collectivité ?
Au Grand Lyon, notre fil conducteur, c’est le Plan de mandat ! Et dans ce Plan de mandat, outre les orientations relatives aux projets d’aménagement et aux actions à mener par la Communauté, nous devons suivre une ligne directrice qui consiste à maintenir un niveau d’autofinancement suffisant afin de financer les opérations d’investissement. Ce « fil rouge » nous oblige à vérifier et à sauvegarder, en permanence, l’écart positif entre l’évolution des recettes et des dépenses de fonctionnement.
Cette ligne directrice a été déterminée, en début de mandat, grâce une prospective financière qui  a permis de déterminer le niveau de capacité financière nécessaire pour réaliser les projets d’aménagements et conduire les politiques prévues par l’exécutif communautaire.
La capacité d’investissement de la collectivité, pour toute la durée du mandat, s’élève à 1,4 milliard d’euros sans dégradation de la capacité financière globale de la collectivité. Concrètement, le vote de crédits pluriannuels (AP) sur la base des opérations prévues par une délibération de 2002, révisée, intervient quand le projet est étudié pour pouvoir être lancé. A savoir quand que le Chef de projet est désigné, le foncier est maitrisé, lorsque les études préalables sont menées. Finalement, la collectivité raisonne comme un ménage, elle adapte ses projets à ses ressources financières.Comment se positionne la Communauté urbaine de Lyon comparée aux autres communautés ?
Sur la plan du niveau de la capacité d’investissement, nous faisons partie des collectivités les plus « à l’aise », le volume des investissements est très élevé. Comme dans de nombreuses collectivités, au début du mandat, la consommation de crédits d’investissement a été relativement faible, le temps de finaliser les projets et de mener à terme les procédures, notamment de marchés publics. Après le bouclage de cette première phase, on assiste depuis 2004 à une forte montée en puissance des réalisations.
Attention la capacité d’investissement ne constitue pas une réserve d’argent dans laquelle on puise quand on en a besoin ! Les crédits nécessaires aux projets sont inscrits budgétairement et financés en trésorerie quand la collectivité est prête. Le système de gestion des autorisations de programme (AP) et des crédits de paiement (CP) mis en place au Grand Lyon depuis 2002 permet l’affectation de financement au fur et à mesure des besoins, ce qui évite de mobiliser des emprunts prématurément, nous réalisons ainsi des économies sur les frais financiers.
Malgré tout, nous sommes de très bons clients des banquiers puisque notre encours global de dette s’élève à environ 1 milliard d’euros.Concernant la question de l’endettement, le Grand Lyon est-il bien noté par les banquiers ? Pouvons-nous bénéficier de financements privilégiés ?
Grâce à certains projets d’envergure nous pouvons accéder directement aux prêts de la Banque Européenne d’Investissement (BEI). C’est un privilège car, en principe, ce sont les établissements bancaires eux-mêmes qui se financent auprès de la BEI. Nous y avons recours depuis plusieurs années mais la BEI développe son intervention auprès d’autres collectivités. Le SYTRAL, par exemple, se finance également auprès d’elle.
En contrepartie, les exigences de la BEI sont très fortes en termes de bonne santé financière et de qualité environnementale des équipements réalisés. Sur ce dernier point, nous devons nous plier à des expertises techniques préalables très poussées avant d’obtenir un accord sur le plan financier. Ensuite, une fois le projet réalisé et financé, la BEI nous demande de procéder à une évaluation des équipements, ce qui oblige véritablement la collectivité à viser un niveau de qualité élevé pour ses équipements.Certaines collectivités locales n’hésitent pas à se faire « noter » pour obtenir des coûts d’emprunt plus intéressants. Quelle est la position du Grand Lyon en la matière ?
Nous n’avons pas besoin d’une notation pour affirmer notre bonne situation financière, les banquiers se contentent de leur propre analyse. Et le principe de notation s’avère dans les faits contraignant et couteux car il faut solliciter chaque année les structures qui sont habilitées à le faire, et il faut maintenir la note, ce qui compte c’est d’être bien noté dans la durée.
Malgré tout, le Grand Lyon  fait l’objet, pour la troisième année, d’une « notation groupée » dans le cadre d’un emprunt obligataire lancé par l’ensemble des communautés urbaines de France. Pour lever des fonds directement sur le marché obligataire, la notation reste obligatoire. Pouvez-vous nous parler des autres sources de financement et, notamment de la fiscalité ?
Au système de fiscalité antérieure - perception des quatre taxes de la fiscalité locale - s’est substitué le dispositif de Taxe Professionnelle Unique (TPU). Cette TPU constitue la principale source de financement de la collectivité. Le passage des quatre taxes à la TPU s’avère compliqué puisqu’il faut parvenir, sur une période de convergence décidée au Grand Lyon de six années, à uniformiser le taux de taxe professionnelle pour l’ensemble des 55 communes du Grand Lyon. La TPU s’est également traduite par la mise en place de mécanismes de compensation pour maintenir le niveau des ressources des communes. Le passage en TPU devait être neutre pour les ressources des communes et de la Communauté au 1er janvier 2003.
Par ailleurs, lors de l’instauration de la TPU un accord politique a été passé qui impose le maintien du taux moyen d’imposition sur toute la durée du mandat. La conséquence de cet accord, c’est que seule l’augmentation des bases fiscales liée à l’investissement des entreprises, peut générer des gains fiscaux supplémentaires pour la Communauté. Dès lors, nous dépendons de la propension à investir des entreprises. Or, en 2005, nous avons assisté à un ralentissement de l’évolution de ces bases, ce qui a obligé à diminuer le montant des recettes prévues au budget et par conséquent celui des dépenses, pour maintenir l’objectif d’autofinancement prévu au plan de mandat. Cela a été une douche froide et nous l’avons ressenti comme une alerte qui nous conduit à être vigilants sur les questions fiscales.Comment cette vigilance peut-elle être organisée vis-à-vis du secteur économique ?
C’est une vraie question ! Deux axes de travail peuvent être dégagés autour de cette problématique. Le premier renvoie à la nécessité de s’appuyer davantage sur la Direction économique du Grand Lyon  qui peut nous aider dans la connaissance du tissu économique et son évolution. Le deuxième axe consiste à travailler avec les services fiscaux qui peuvent également nous aider dans la compréhension des mécanismes et des stratégies comptables mises en place par les entreprises (« nettoyages » de bilan, recours à la location etc.).La fiscalité directe constitue l’essentiel des ressources des collectivités ; ces ressources sont complétées par les dotations de l’État, essentiellement la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF). De quelle façon évoluent ces dotations, sont-elles sources de fragilité en terme d’équilibre financier ?
La part de financement des collectivités qui provient de l’État est importante, on peut penser que c’est une réduction de l’autonomie financière des collectivités, mais  on peut aussi considérer que c’est un élément de péréquation et de « solidarité » au niveau national. Ces dotations subissent des réformes très régulièrement, par exemple, la DGF a été « grossie » de la compensation de la suppression progressive de la part salaires de la taxe professionnelle. Les élus des collectivités doivent se battre, chaque année, pour que l’État propose des taux d’évolution acceptables de ces dotations !Nous avons évoqué la potentielle fragilité des ressources fiscales et l’incertitude qui peut peser sur les dotations. D’une façon générale quelles sont les conséquences, pour la collectivité et les services du Grand Lyon, d’une baisse des ressources ?
Comme je vous l’ai expliqué, notre fil rouge c’est la sauvegarde de l’autofinancement. Si les ressources de fonctionnement diminuent, la seule solution consiste à diminuer les dépenses de fonctionnement. Et là les choses se compliquent, car les dépenses de fonctionnement sont pour une bonne part difficilement incompressibles, soit pour des raisons d’engagements contractuels - frais financiers de la dette, conventionnements d’associations, participations aux bilans de ZAC par exemple- ou en raison de participations obligatoires - par exemple le financement du Sytral ou du Service départemental d’incendie et secours.
En réalité les dépenses sur lesquelles nous pouvons envisager des économies ne sont pas nombreuses ! En amont de la préparation budgétaire, nous menons un travail de prospective financière avec les directeurs de services pour déterminer, en concertation, les enveloppes financières pour chaque politique. La recherche d’économies se fait ensemble. Parallèlement nous travaillons avec les services pour améliorer la recherche de financements externes et veillons au bon encaissement des recettes obtenues de l’Europe par exemple.

Les autres réformes décidées par l’État, notamment celles du code des marchés publics et la dématérialisation des marchés publics ont-elles impacté les rythmes financiers de la collectivité ?
Oui, inévitablement, car il a fallu mettre en place des procédures internes pour préciser le cadre, assez général, proposé par le code des marchés, former les personnels concernés réajuster les processus internes pour tenir compte des premières jurisprudences, etc. Dans un premier temps, la première réforme a ralenti la réalisation des projets mais, désormais le temps est largement rattrapé ! La deuxième réforme plus légère a mieux été anticipée
En ce qui concerne la dématérialisation, tout va très vite. On peut imaginer, à court terme que la remise des offres des prestataires se fera sur internet ainsi que la facturation. Déjà les entreprises retirent les DCE sur internet, et on travaille à la dématérialisation des pièces justificatives à fournir au comptable public.  Pour aller plus loin, on peut même envisager qu’à terme le principe même de la séparation de l’ordonnateur et du comptable pourrait être remis en cause, ce qui permettrait aux collectivités de se caler sur des rythmes financiers davantage en phase avec le monde économique.