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Le management public dans une collectivité locale comme le Grand Lyon

Interview de Benoit QUIGNON

Plateau de scrabble où les mots "content" et "management" sont entremêles par le premier "e" de ce dernier
Directeur Général des services du Grand Lyon

<< Mieux mobiliser les ressources humaines, plus qu’un discours ou un objectif, c’est une nécessité qui seule nous permettra de forcer le changement >>.

Le management public vu par le Directeur Général des services d'une collectivité locale comme le  Grand Lyon : ses spécificités, ses axes de travail aujourd'hui et demain, sa complexité.

Interview réalisée par Lionel Gastine, Jean-Loup Molin et Brigitte Yvray-Danguis.

Réalisée par :

Date : 31/05/2006

Pouvez-vous, brièvement nous présenter votre définition du Management public, quelles sont ses spécificités ?

A mon sens, le management public peut être défini par une approche en trois axes. Le premier consiste à utiliser au mieux les ressources, ressources humaines et financières, pour mettre en œuvre les politiques publiques qui incombent à la collectivité.

Le deuxième axe, vise à définir et faire évoluer ces politiques pour les rendre plus performantes et surtout plus adaptées aux besoins des bénéficiaires. Cela peut sembler être une «  lapalissade » mais, de fait, on utilise mieux les ressources si, au préalable, le cadre d’action est clairement défini et posé.

Enfin, le troisième axe consiste à faire travailler ensemble des acteurs, d’horizons divers et avec des préoccupations différentes, sur un territoire commun. Ce dernier point détermine véritablement la spécificité du management public.

 

Tous les observateurs et les professionnels du secteur public s’accordent désormais sur le constat, devenu banal,  d’une complexité grandissante des organisations. Une institution de la taille du Grand Lyon n’y échappe pas. Comment « bien manager » dans ce contexte ?

C’est vrai, le management public est situé au cœur d’un ensemble de contradictions et doit s’en accommoder. Les besoins de service public sont infinis et, dans le même temps, les ressources sont limitées. Il faut en permanence trouver les bonnes adéquations entre ces besoins et ces ressources. Les entreprises peuvent s’ajuster sur les données du marché et adapter leurs offres et les prix de ce qu’elles proposent, les collectivités quant à elles ne bénéficient pas de ce système de référence. La multiplicité des territoires et des partenaires institutionnels ou non, l’enchevêtrement des outils de planification, les besoins de services publics multiples à assurer vis-à-vis de bénéficiaires d’horizons divers génèrent bien de la complexité.

La collectivité doit donc multiplier les métiers, dialoguer avec de nombreux interlocuteurs, usagers ou décideurs. Tout cela devant s’accomplir dans le cadre d’un contexte législatif et règlementaire touffu. Finalement, l’enjeu du management public est de parvenir non pas à maîtriser toutes les dimensions de cette complexité, mais à s’en accommoder, « à faire avec ». Vouloir tout maîtriser, tout contrôler serait illusoire et finalement sans doute très coûteux.

 

A la communauté urbaine de Lyon, on ne peut pas évoquer la question de la complexité sans penser à la composition politique de l’assemblée communautaire, qui présente la particularité d’avoir une majorité qui n’est pas de la même tendance politique que son Président. Comment travailler  dans ce contexte au quotidien ?

La complexité politique ? Au Grand Lyon, on la vit plutôt comme un atout, elle est de « bon aloi », affichée et avérée. On sait qu’elle existe, il faut donc la gérer. L’assemblée communautaire se révèle être une vraie assemblée des maires, qui fonctionne bien, où les élus sont obligés d’aller au fond des dossiers pour transcender les clivages. L’absence de majorité claire est compensée par cette attention plus grande portée aux projets. Dans un tel contexte, l’administration doit davantage expliquer, argumenter et convaincre pour que les élus parviennent aux consensus indispensables pour agir.

Ainsi, les politiques publiques se construisent pas à pas au Grand Lyon. C’est très riche et si l’évaluation des politiques publiques n’est pas encore affichée comme un objectif à part entière à la Communauté urbaine, cette attention particulière portée aux projets revient à en faire.  La diversité a donc produit des effets vertueux, parfois inattendus, et même si la collectivité retrouvait une majorité politique plus marquée, il faudrait conserver cette façon de construire le consensus.

Un autre facteur qui a considérablement enrichi le fonctionnement de la structure et s’est révélé être un véritable levier de changement, c’est la mise en place des Conférences des maires. Ce dispositif convient aux élus, car les Conférences offrent un espace de dialogue qui leur permet de s’extraire de la relation unilatérale Mairie/Communauté urbaine. Les Conférences offrent aussi un espace d’autorégulation des maires entre eux, dans le sens où les débats et les prises de décisions sont collectifs et peuvent ainsi s’inscrire dans une véritable dynamique de groupe au sein duquel les intérêts individuels s’effacent quelque peu ou ne sont plus prioritaires. C’est pour cela que les maires et les Vice-présidents se sont complètement appropriés ce dispositif. Pour les Vice-présidents responsables de politiques à mener, les Conférences constituent aussi des lieux de dialogue privilégiés.

 

Pour revenir à la question de la complexité d’une organisation comme le Grand Lyon, complexité de compétences, de territoires, d’acteurs etc. comment s’en accommoder ?

Il faut parvenir à faire émerger les lignes de force et les choix fondamentaux de la collectivité, et faire en sorte que ceux-ci soient reconnaissables par tout un chacun. Un exemple concret : nous réfléchissons actuellement pour mettre en place une stratégie pour la gestion des  déchets. Nous devons redéfinir cette gestion, en intégrant à notre réflexion les 3 points d’entrée de la problématique « déchets » que sont les paramètres techniques, juridiques et Politiques avec un grand P, au sens noble du terme.

Chacune de ces trois entrées fait intervenir un grand nombre d’éléments. A mon sens, la fonction du manager public réside là, dans la faculté de dégager l’essentiel, pour offrir la possibilité aux élus de décider en toute connaissance de cause, cela suppose une collaboration étroite entre élus et techniciens car ces politiques finalement, sont bien des constructions communes, entre les techniciens et les élus.

 

On parle beaucoup également de la modernisation des services publics. Quels sont les axes de cette modernisation ? La démarche CHRYSALYS  est-elle représentative de cette évolution ?

Oui, bien évidemment, la démarche CHRYSALYS rassemble tous les axes de travail de cette modernisation, aussi bien sur la question des ressources humaines - avec les « chantiers » perspectives des cadres, écoute active, requalification professionnelle et ParRtHage  - qu’au plan de l’organisation - avec « management par les processus » ou « centres de responsabilité ».

A mon sens, Chrysalis nous a permis d’engager une réflexion sur les « modes de faire » et non pas sur l’organisation. Ca ne sert à rien de remodeler l’organisation et de bouleverser les organigrammes si on ne mène pas une réflexion de fond sur le « comment ». D’ores et déjà, nous pouvons afficher des résultats positifs sur des projets comme la « conduite de projet » ou le chantier « requalification professionnelle», par exemple.

Mais la modernisation, comme tout changement, se fera progressivement, dans la durée. On ne peut pas la décréter. A cet égard, on peut citer la démarche de « management par les processus » qui nous amène à dérouler les fils de nos actions, dans chaque service, en partant du point de départ - les besoins des usagers-, ce qui nous amène à reposer des questions, pourtant essentielles, telles que : Quelles sont les prestations que nous rendons, avec quelle mesure de satisfaction, d’efficacité au regard des objectifs de politiques publiques fixés par les élus ? Cette méthodologie nous permet, de redéfinir, de retrouver le sens d’une politique et fait revenir les services aux « fondamentaux » pour mieux faire évoluer le Service Public.

Le Service Public « à la française » est certes une construction juridique, remarquable puisque de nombreux pays nous l’envient et s’en inspirent, mais avant tout il procède d’un ensemble d’actions pour des bénéficiaires. C’est ce que nous (re)déroulons dans la démarche « management par les processus » qui nous amène à « segmenter » ces bénéficiaires pour répondre de façon adaptée à des situations différentes.

 

Une diminution des ressources, notamment fiscales est-elle prévisible? Quelles sont les perspectives en la matière ?

Soyons honnêtes, le Grand Lyon fait partie des collectivités bien dotées en terme de potentiel financier. Toutefois, ce qui apparaît inquiétant, ce sont les faibles perspectives d’évolution des bases  fiscales que nous constatons actuellement. Dans ce contexte, la question de la compétitivité de notre territoire prend tout son sens et doit également nous permettre de conforter nos ressources financières.

En tant que collectivité, une responsabilité énorme nous incombe, mais la difficulté en la matière, c’est que le fait d’agir ne produit pas mécaniquement des résultats. Mais l’enjeu est bien là et il oblige la collectivité à se remettre en question et à s’améliorer. De ce point de vue, force est de constater que le management public reste un exercice difficile, soyons humbles ! Dans certains domaines, plus techniques, toute action conduit forcément à un résultat, c’est mathématique et très rationnel ! Et dans certains champs de l’action publique, on peut déployer beaucoup d’énergie sans que le résultat soit visible ou sans commune mesure avec l’investissement initial, et cela peut être très frustrant.

Un exemple, dans le domaine de la politique de la ville, on travaille sur la Ville du « vivre ensemble », il faut parvenir à une alchimie très délicate à mettre en œuvre. Nous ne sommes jamais sûrs du résultat final mais nous devons faire avec !

 

Une question, plus prospective, quels sont les axes de travail de la structure à moyen terme ?

Notre enjeu le plus proche serait de parvenir à mieux comprendre les attentes des bénéficiaires - notion large qui englobe les usagers mais aussi l’ensemble des acteurs, communes, associations etc. - pour mieux adapter les offres de service public.

Une illustration ? Nous menons un challenge qui  concerne tous les agents de la propreté pour parvenir à véritablement passer du nettoiement à la propreté de la ville, dans le sens d’améliorer le cadre de vie. Pour ce faire, nous devons mobiliser tous les agents de la propreté ; les cadres, l’encadrement de terrain en particulier, ont un rôle majeur à jouer dans cette action.

Je pense que c’est ça notre enjeu à moyen terme, parvenir à mieux mobiliser les ressources humaines, plus qu’un discours ou un objectif, c’est une nécessité qui seule nous permettra de forcer le changement.

 

Finalement, quels seront les grands leviers que le management du Grand Lyon pourra utiliser pour mobiliser les services ?

Nous devons nous inscrire dans l’objectif de faire partie du Top 15 des métropoles européennes, sachant que la condition de réussite de cette ambition va de pair avec un grand enjeu du « vivre ensemble », à décliner au travers de tous nos axes de travail que sont les déplacements urbains, l’aménagement, le renouvellement urbain…Enfin, notre challenge à moyen terme consiste à prendre davantage en compte les besoins des bénéficiaires de service public.

Pour finir, nous devons agir dans un contexte de ressources financières de plus en plus contraintes.