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Le dynamisme des établissements Thalès-Angénieux

Interview de Gérard CORBASSON

<< Aujourd’hui 9 films sur 10 sont réalisés avec des objectifs Angénieux, dans le monde entier ! >>.

Propos recueillis par Geoffroy Bing (Nova7), le 5 juin 2008
Entretien avec Monsieur Gérard Corbasson.

Gérard Corbasson est actuellement le Délégué Général du Pôle Optique Rhône-Alpes, après avoir travaillé de 1962 à 1993 en qualité de directeur technique puis de directeur général adjoint d’Angénieux.
Le génie de Pierre Angénieux, fondateur des Etablissements Angénieux devenus Thalès-Angénieux (5), a ouvert la voie à l’instrumentation optique de haute technologie. Appliquée à la télévision, au cinéma, puis à l’aérospatial, à la défense et au médical, cette technologie n’a cessé de se perfectionner sous l’impulsion de l’entreprise de Saint Héand (dans la Loire). Gérard Corbasson témoigne ici du chemin parcouru par Angénieux, devenu un des piliers du Pôle Optique Rhône-Alpes.

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Date : 04/06/2008

Quelles ont été les principales innovations de Pierre Angénieux ?

Il faut savoir tout d’abord que Pierre Angénieux était un ingénieur des Arts et Métiers et de l’Ecole Supérieure d’Optique  Cette double compétence en optique et mécanique lui a été d’une grande utilité. En 1950, il a mis au point un nouvel objectif à très grand champ appelé Rétrofocus. Cet objectif put être adapté sur des appareils photographiques reflex et des caméras à tourelle d’objectifs à hautes performances de champs. C’est une des principales innovations réalisées par Angénieux. L’autre grande idée qu’il a eue juste après la guerre, était de fabriquer un zoom à compensation mécanique alors que nous ne connaissions que des zooms dits à compensation optique. Ce fut un tournant décisif dans l’histoire de l’optique à l’époque ! Tout le monde pensait que c’était infaisable. Et il a réussi à le faire principalement parce qu’il a trouvé sur place les mécaniciens qualifiés ! Pierre Angénieux a mis à profit le savoir-faire en mécanique de précision de la région stéphanoise pour se développer dans l’optique. Le premier objectif à focale variable à compensation mécanique, réalisé en production industrielle, est sorti en 1956. Il permettait des rapports de focales allant jusqu’à 10 fois contre 3 ou 4 fois auparavant.

 

Angénieux est connu pour avoir travailler pour la NASA. Quelle est la technologie développée par Angénieux qui intéressait l’Agence américaine ?

Il s’est trouvé que dans les années 60, la NASA, qui menait des explorations autour de la lune, utilisait des objectifs Angénieux qu’elle achetait aux USA, sans qu’Angénieux ne le sache ! Les Américains ont ainsi fait les premières photos de la face cachée de la lune avec ces objectifs. Par la suite, la NASA s’est adressée directement à nous pour concevoir des objectifs sur mesure, ainsi que des zooms.
Les premiers pas de l’homme sur la lune ont été filmés par un objectif Angénieux.

 

Pouvez-vous nous raconter cette aventure ?

Ce fut un épisode extraordinaire ! Dans l’entreprise, nous étions tous réunis devant un poste de télévision, à regarder les images en direct. Ce fut un important travail préparatoire pour adapter l’objectif à l’environnement spatial. Il a fallu adapter le calcul de l’optique à cet environnement, faire des  recherches en matière de lubrification de la mécanique, des traitements de surfaces optiques, ainsi que de la protection de l’ensemble du rayonnement solaire! C’est en travaillant en étroite collaboration avec la NASA que notre objectif a pu être mis au point. Beaucoup d’allers-retours aux Etats-Unis ont été nécessaires pour travailler en commun à la mise au point finale. Puis ce furent d’autres réalisations pour toutes  les opérations spatiales de la NASA (Apollo, Skylab et Columbia).
A l’origine, les Etablissements Angénieux étaient spécialisés dans le domaine cinématographique.

 

Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?

Bien sûr ! Après avoir développé de nombreux objectifs pour la photo et le cinéma amateurs, Angénieux est le leader de la conception et du développement des plus prestigieux objectifs à focale variable pour le cinéma professionnel depuis plus de 50 ans ! Aujourd’hui, 9 films sur 10 sont réalisés avec des objectifs zooms Angénieux, dans le monde entier ! La série actuelle de zooms « Optimo » en particulier, est devenue la série d’objectifs la plus recherchée à Hollywood. Thalès-Angénieux est la seule entreprise au monde apte à faire des zooms de cette qualité. Pierre Angénieux a reçu un Oscar en 1964 à Hollywood pour récompenser l’apport fait au cinéma par son premier zoom de rapport 10x. Et en 1990, un deuxième Oscar lui fut décerné pour récompenser l’ensemble de son œuvre.

 

Quels ont été les autres débouchés de la technologie Angénieux par la suite ?

Les équipements militaires de défense sont devenus, à la fin des années 70, un marché important pour Angénieux, avec toute la technologie optique appliquée au spectre infrarouge notamment. Aujourd’hui, la défense représente 60% du chiffre d’affaires d’Angénieux qui fabrique des objectifs zooms, des jumelles de vision nocturne pour les fantassins, des casques de visée pour les pilotes d’hélicoptère dont la qualité optique et électronique leur permet d’identifier les cibles en même temps que tous les paramètres de leur environnement. Et puis les technologies médicales représentent un marché croissant. Je pense notamment aux caméras chirurgicales pour opérations non-invasives qui permettent d’opérer des patients en observant sur écran les images données par un endoscope!

 

Quels ont été les principaux défis technologiques qui ont impacté les produits Angénieux ?

La puissance de calcul des ordinateurs a été et est toujours un facteur décisif de progrès dans l’aide à la conception de l’optique. Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire de réaliser plusieurs  prototypes d’essais! Autrement dit, quand on a fini de calculer un objectif, on peut directement passer à la phase de la maquette du produit industriel, du fait que l’on a la capacité de simuler les images par le calcul et d’évaluer toutes leurs performances de qualité. Et puis, il faut parler de la création de verres de plus en plus performants, des nouvelles techniques de polissage de surfaces asphériques de haute précision, qui ont permis de considérablement améliorer la qualité des objectifs. Ensuite, le développement de l’électronique et de l’informatique a été une réelle source de progrès permettant de motoriser et de programmer tous les déplacements des nombreux éléments mobiles des zooms. Il a par exemple été possible de produire un grand zoom à distance de mise au point nulle.
Angénieux n’a pas connu que des périodes fastes.

 

Quels ont été les moments difficiles ?

La disparition progressive des appareils de photographie et de cinéma à films argentiques pour grand public avait conduit Angénieux, appartenant alors au groupe Essilor, à réduire son activité. La montée en puissance du Japon dans le domaine de la télévision numérique et le développement de produits très concurrentiels par les sociétés Canon et Fujinon (il n’y a que trois fabricants de zooms de télévision au monde) a marqué la fin d’une époque. Angénieux est alors passé dans le groupe Thalès, et a accru ses activités de produits Défense et poursuivi fortement le développement de ses activités dans le cinéma professionnel ainsi que dans la télévision de studio et de reportage.

 

Les pouvoirs publics locaux semblent conscients des développements futurs de l’optique et de la photonique en investissant fortement dans le Pôle Optique et Vision. Pouvez-vous nous en expliquer les missions ?

En 1995, Thalès-Angénieux était face à des défis à relever et n’avait pas suffisamment de moyens pour investir dans des programmes de technologiques de rupture très risqués. L’idée de mutualiser les investissements et les efforts de recherche avec d’autres entreprises et laboratoires de la région au sein d’un pôle optique a abouti à la création du Pôle Optique et Vision en association avec l’Université Jean Monnet. Le Pôle Optique et Vision a alors établi sept plates-formes technologiques, propriétés de l’Université,  mis à la disposition de tous les acteurs du territoire. Thalès-Angénieux a particulièrement profité de ces plates-formes pour acquérir de nouveaux savoir-faire.

 

Quels étaient les défis à relever et dont le Pôle Optique et Vision s’est saisi pour soutenir les entreprises de la région ?

Je citerai la production de surfaces asphériques de haute précision qui apporte des paramètres de calcul tout à fait nouveaux permettant d’augmenter les performances optiques, de réduire le volume, le poids, et le coût des objectifs ! Le Pôle Optique Vision s’est engagé aussi dans la recherche de solutions pour la réalisation des traitements des composants optiques de la  ligne pilote du laser Mégajoule. Cette plate-forme est aujourd'hui réorientée vers des applications plus ouvertes à la fois en termes de type de revêtements et de secteurs applicatifs.
Il faut compter également sur les travaux portant sur les diodes électroluminescentes blanches qui ont des performances extraordinaires et vont révolutionner tous les systèmes d’éclairage dans les prochaines années. Par exemple, il est possible de réaliser aujourd’hui des textiles tissés avec des fibres optiques, tels que ceux produits par Cédric Brochier Soieries. Ces tissus sont structurés et peuvent distribuer la lumière.
Il y a de grandes opportunités dans le domaine de l’éclairage également. Bientôt, les ampoules à filament disparaîtront et pour cause, seulement 5% de l’énergie qu’elles consomment produisent de la lumière, le reste étant émis sous forme de chaleur, et leur durée de vie n’est que de 1 mois alors que les diodes électroluminescentes ont une durée de vie de l’ordre  de 10 ans !
Le Pôle Optique et Vision illustre assez bien ce changement de paradigme dans le domaine de l’innovation qui n’est plus cantonnée à une entreprise mais se réalise en partenariat avec des laboratoires de recherche et l’université.

 

Vous qui avez travaillé longtemps chez Angénieux en qualité de responsable de la R&D en êtes une parfaite illustration !

Bien sûr, connaissant les besoins en R&D de l’industrie optique, et en particulier ceux de Thalès-Angénieux, j’ai été  bien placé pour assurer ce rôle de coordination et d’intermédiaire entre les acteurs de la recherche et de l’industrie, pour orienter les programmes de recherche du pôle, pour favoriser le développement de la formation. Ici nous avons sur ce même site  un laboratoire de recherche, des entreprises, de la formation supérieure universitaire, des Ecoles d’ingénieurs (ISTASE, École Supérieure d’Optique). Il y a un travail collaboratif qui porte ses premiers fruits aujourd’hui. La communication, c’est important, mais la relation qui s’établit ici entre tous ces partenaires l’est encore plus, et c’est elle qui permet que le pôle Optique Rhône-Alpes se structure sur des relations de confiance.

 

Le pôle s’est engagé récemment dans une démarche d’ouverture régionale, quelles sont les autres ressources dont peut profiter le pôle à l’échelle régionale ?

Nous avons tout à gagner à nous ouvrir à d’autres compétences régionales. Le Pôle Optique et Vision est devenu en 2004 le Pôle Optique Rhône-Alpes. Dans la région, il y a 140 d’entreprises qui fabriquent ou intègrent de l’optique dans leurs instruments. C’est formidable de travailler avec des entreprises de plasturgie d’Oyonnax par exemple. Par ailleurs, la région grenobloise a joué un rôle pionnier dans les recherches sur les écrans plats LCD. Une antenne du CEA-LITEN s’est d’ailleurs installée à Saint-Etienne. De même, le développement des biotechnologies entre Lyon et Grenoble devrait à terme favoriser le développement de l’instrumentation optique dans le secteur de la détection biologique par exemple. A Valence, il y a des industriels dans le domaine des capteurs, des microsystèmes et du marquage, qui sont aussi utilisateurs des techniques de l’optique. L’Optique ophtalmique, bien présente aussi, développe constamment de nouvelles technologies.
Le potentiel régional est important ! Les 6000 emplois industriels, les 37 laboratoires, les 2700 chercheurs qui travaillent dans les domaines de l’optique et de la photonique font de cette région la seconde de France, et la placent bien au niveau européen.