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La robotique de service chez ViaMéca

Interview de Arnaud BOCQUILLON

Fédérateur industriel de l'axe Véhicules spéciaux du Pôle de compétitivité ViaMéca

<< Les acteurs de ViaMéca ont estimé que l’avenir de la mécanique passait par une mutation de fond : passer d’une position de fabricant de produits à une logique de fournisseur de services >>.

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Date : 21/12/2010

Interview réalisée le 21 décembre 2010 par Boris Chabanel

Dans cette interview, Arnaud Bocquillon évoque la place donnée à la robotique dans la feuille de route 2009-2011 de ViaMéca et décrit notamment les différents domaines d’application de la robotique de service investis par le pôle.
 

Dans sa feuille de route 2009-2011, le pôle de compétitivité ViaMéca se donne pour ambition d’inscrire la filière mécanique dans une logique de « service durable ». Qu’est-ce que cela signifie ?
Par rapport à d’autres pôles orientés marché, le pôle ViaMéca se positionne comme un pôle technologique dont l’ambition est de conduire le territoire à devenir la référence de l’offre dite « spéciale » dans les domaines des machines, des véhicules et des ensembles de structures (par exemple, les pièces de grandes dimensions et/ou multimatériaux). Dans le cadre de sa stratégie 2009-2011, les acteurs de ViaMéca ont estimé que l’avenir de la mécanique passait par une mutation de fond : passer d’une position de fabricant de produits à une logique de fournisseur de services. Plusieurs exemples illustrent ce concept : Michelin qui vend non plus des pneus mais des kilomètres parcourus, des heures de roulage ou un nombre d’atterrissages ; Xerox ou Canon vendent un nombre de photocopies par mois au lieu des photocopieurs. On parle de service durable dans la mesure où appréhender la filière mécanique sous l’angle du service parait vertueux. Le concept de service durable met en effet l’accent sur les questions d’éco-conception, de prise en compte des usages, de valorisation en fin de vie, etc. en remettant en question les pratiques de conception mais aussi souvent le modèle économique.

Le rôle de ViaMéca est de sensibiliser les entreprises à ce concept en leur expliquant qu’elles peuvent désormais vendre non plus une machine mais de la productivité, de la polyvalence… Cette démarche n’est pas simple à mettre en œuvre, en particulier lorsque l’on aborde les questions de modèle économique : comment passe-t-on de la vente d’un bien industriel à la vente d’un service industriel ? Mais nous sommes convaincus de la pertinence du concept qui est déjà à l’œuvre en matière d’automobile avec par exemple le développement de l’autopartage. Il faut que l’on travaille davantage avec les laboratoires de sciences humaines et sociales pour mieux appréhender les questions d’usages, de cadre juridique… liées à ce concept de service.

 

L’axe « Systèmes intelligents et robotique » fait partie des trois thématiques scientifiques prioritaires inscrites sur la feuille de route 2009-2011 de ViaMéca. Comment s’inscrit-elle dans cette perspective de « service durable ».

Une fois que l’on a défini ce concept de service durable, il faut arriver à le décliner dans des applications concrètes. La robotique, et plus largement les systèmes intelligents, constituent justement une opportunité stratégique pour nos entreprises. Ils peuvent leur permettre de se positionner comme apporteur de solutions industrielles globales en prenant davantage en compte la spécificité des usages et des environnements professionnels. Le territoire couvert par le pôle ViaMéca, c'est-à-dire le Massif central et Rhône-Alpes, comprend justement des compétences académiques de haut niveau en matière de robotique et de système intelligents. Dès lors, l’une des missions essentielles de ViaMéca est de faciliter le transfert de briques technologiques des laboratoires vers les entreprises du pôle au travers de projets innovants et collaboratifs. Cette démarche concerne principalement trois domaines : la robotique industrielle, la robotique mobile et la robotique médicale.

 

Quels sont les principaux enjeux et projets engagés pour ce qui concerne la robotique industrielle ?

En matière de robotique industrielle, l’enjeu consiste à concevoir des machines et des lignes de production intelligentes. On raisonne ici à l’échelle de l’atelier avec l’objectif de proposer des ateliers flexibles, reconfigurables, reprogrammables, notamment à distance avec le développement des télé-opérations, de la télé-maintenance. Dans ce cadre, le robot industriel classique, tel que ceux proposés par des entreprises comme Kuka ou Staubli, n’est qu’un élément d’un dispositif qui l’englobe. C’est le thème de l’usine du futur autour duquel s’agrègent différentes PME et laboratoires de recherche des régions Auvergne et Rhône-Alpes et notamment l’Institut Français de Mécanique avancée (IFMA) de Clermont-Ferrand, l’école des mines de Saint-Etienne, l’école nationale supérieure des arts et métiers (ENSAM) de Chambery ou l’IUT de l’université Lyon1. En Rhône-Alpes, des entreprises comme Renault Trucks font office de locomotive sur ce thème.

 

Et pour la robotique mobile ?

L’objectif de ViaMéca est de s’appuyer sur les compétences académiques du territoire pour permettre aux entreprises du pôle d’être en capacité de proposer de véritables solutions de transport automatique intégrées. C’est l’ambition exprimée par la filière du véhicule sans permis dont 75% des capacités de production françaises sont localisés sur le territoire du pôle ViaMéca. Aujourd’hui, la stratégie de constructeurs comme Ligier ou Aixam est de se positionner comme un fournisseur de solution de mobilité urbaine. Le projet de R&D VIPA (Véhicule individuel public automatisé) labellisé par le pôle ViaMéca est une bonne illustration de cette démarche. Il fait intervenir deux entreprises auvergnates : la société Ligier de la région de Vichy et le bureau d’études clermontois Apojee. Ce projet s’appuie également sur les compétences du Laboratoire des sciences et matériaux pour l’électronique et d’automatique (LASMEA) de l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand qui fait partie des deux ou trois laboratoires français les plus en pointe sur les questions de véhicule autonome. On peut noter également la présence du Laboratoire d’analyse des signaux et des processus industriels (LASPI) de l’IUT de Roanne.

Le projet VIPA vise à mettre au point et commercialiser des petits véhicules autonomes électriques pour assurer un certain nombre de déplacements mal satisfaits à l’heure actuelle comme la desserte des parkings d’aéroports, de gares, les déplacements sur les sites industriels étendus, la visite de parcs d’attraction, etc. Le caractère novateur du VIPA réside dans le fait qu’il décline horizontalement la facilité d’usage de l’ascenseur. Une borne permet à l’usager d’appeler un VIPA, une fois dans le véhicule il indique l’endroit où il souhaite se rendre via une interface simplifiée et le véhicule se charge de le conduire en toute autonomie. La force de ce concept est qu’il n’implique aucun travaux d’infrastructures importants, le VIPA n’a pas besoin de rails de guidage et peut fonctionner de façon individuelle ou en convoi. Un système de guidage lui permet de se repérer dans l’espace. Il est également capable de détecter les obstacles qu’il rencontre sur sa route et d’adapter sa vitesse et sa trajectoire grâce aux capteurs intelligents dont il est doté. Ce projet VIPA a été présenté cette année au mondial de l’automobile de Paris.

Ce travail sur le véhicule autonome en milieu urbain trouve son pendant en milieu rural avec le projet FAST qui s’appuie sur les travaux du Cemagref. Ce projet est soutenu par l’ANR dans le cadre du programme de recherche PSIROB (Systèmes Interactifs et Robotique). Il vise à concevoir un véhicule autonome capable d’évoluer à haute vitesse dans un milieu naturel irrégulier. Ce projet pourrait avoir des retombées en matière de véhicules de chantier, agricoles, militaires, etc. Sur cette thématique de la robotique mobile, on peut également citer le projet SafePlatoon qui a été sélectionné par l’ANR dans le cadre du programme de recherche VTT (véhicules pour les transports terrestres). Il concerne la problématique de la sureté de fonctionnement des convois de véhicules autonomes.

 

Comment situez-vous le projet VIPA par rapport à la démarche d’un pôle de compétitivité comme LUTB (Lyon Urban Truck and Bus) ?

Nous avons des échanges réguliers avec LUTB. En fait, nous sommes très complémentaires. LUTB se positionne sur les véhicules urbains lourds et collectifs tandis que VIPA concerne les véhicules légers individuels. On développe des solutions de mobilité complémentaires.

 

Qu’en est-il pour la robotique médicale ?

La robotique médicale occupe une place plus marginale dans la démarche robotique de ViaMéca mais de plus en plus de projets sont engagés sur cette thématique. Avec une équipe de chercheur de Bourges, différents projets de R&D ont été lancés pour développer des techniques permettant des examens médicaux à distance comme la télé-échographie. On peut évoquer également le projet ARMEN (Assistive Robotics to Maintain Elderly people in Natural environment) soutenu lui aussi par l’ANR dans le cadre du programme de recherche TECSAN (Technologies pour la santé et l’autonomie). Ce projet, auquel participent notamment le laboratoire parisien CEA-LIST, le LASMEA de Clermont-Ferrand et la société Robosoft, vise à concevoir un robot d’assistance à domicile des personnes en situation de perte d’autonomie.

Sur ces projets, nous nous efforçons d’organiser des temps d’échanges entre d’une part les entreprises et les laboratoires du pôle et d’autre part différents acteurs qui s’intéressent aux questions d’usages liées à l’assistance des personnes en perte d’autonomie. Il s’agit en particulier de la Cité du design de Saint-Etienne, de l’ARDI Rhône-Alpes, du Centre national de référence sur la santé à domicile et l’autonomie. Ce dernier est implanté notamment à Limoges avec l’Autonom’lab qui est labellisée « living lab » et à Grenoble avec l’association TASDA (Technopole Alpes Santé à domicile et Autonomie).

Pour l’instant la robotique médicale ne figure pas explicitement dans la stratégie du pôle ViaMéca mais il n’est pas exclu qu’elle soit inscrite sur la prochaine feuille de route qui sera définie en 2011. Aujourd’hui, la robotique médicale renvoie plutôt à des marchés de niches dans les domaines militaire, spatial ou humanitaire. Mais elle peut ouvrir sur un marché plus important avec la fermeture des cliniques et hôpitaux en milieu rural. On peut imaginer par exemple que des médecins de campagne soient équipés de machines permettant de réaliser des examens supervisés par des spécialistes situés à des centaines de kilomètres.

 

Finalement, comment se positionne le pôle ViaMéca par rapport au concept de robotique de service ?

ViaMéca est un pôle mécanicien, notre culture est celle de la fourniture industrielle. Nous ne sommes pas positionnés sur les marchés finaux mais bien sur les marchés intermédiaires. De ce point de vue, la robotique de service telle qu’elle est présentée par le syndicat SYROBO ne nous correspond pas puisqu’elle met l’accent sur les applications ludiques, éducatives, domestiques. Il s’agit là d’une déclinaison grand public de briques technologiques industrielles. ViaMéca est concerné par la robotique de service si ce concept ne se limite pas aux marchés B to C (business to consumer) et intègre également la robotique de service industriel (B to B). Pour nous, la robotique mobile ou la robotique médicale sont des offres de service qui s’adressent à des clients professionnels autant qu’à des particuliers. ViaMéca croit au concept de service durable et veille à le diffuser auprès des entreprises mécaniciennes. La robotique ou plutôt les robotiques (mobiles, industrielles et médicales), quand elles sont abordées aux travers des systèmes intelligents intègrent par définition le service. Les systèmes intelligents et la robotique sont essentiels pour l’orientation service que nous voulons donner à la filière mécanique parce qu’ils sont au cœur de l’adaptation de la machine à son environnement.