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La politique du logement du Grand Lyon

Interview de Michel ROUGE

<< Les inégalités se creusent entre l’Est populaire et l’Ouest résidentiel >>.

Entretien avec Michel Rouge, responsable de la mission habitat du Grand Lyon

Entretien réalisé par  Geoffroy Bing et Brigitte Yvray-Danguis, juin 2005

Date : 02/06/2005

Pouvez-vous, brièvement, nous exposer les enjeux globaux auxquels répond la politique de l’Habitat ?

On pourrait plutôt dire qu’elle tente d’y répondre. Finalement, l’enjeu de la Politique de l’habitat, c’est d’arriver à offrir un toit à qui en a besoin, là ou il en a envie. On peut dire qu’on tente d’y répondre car le contexte économique actuel, notamment en matière immobilière, rend les choses particulièrement difficiles. Et malgré les moyens que la collectivité met dans cet objectif, l’adéquation entre l’offre de logement et la demande des habitants devient périlleuse. Il faut savoir qu’environ 88 % des grands lyonnais ne peuvent pas s’acheter un logement, y compris dans l’habitat ancien. Cela signifie que l’offre de logement doit être assurée, en grande partie, par le parc locatif, à des conditions financières accessibles pour les personnes à faibles ou bas revenus.

Le problème du moment, c’est d’arriver à produire du logement social ou intermédiaire dans un contexte économique où le pouvoir d’achat stagne, les prix de l’immobilier explosent…il nous faut donc nous adapter à cette nouvelle donne économique.

Il y a des liens évidents entre la Politique de la ville et la Politique de l’habitat. La Politique de la ville a pour enjeu majeur d’améliorer les conditions de vie dans les grands quartiers. 

 

Quels liens, quelle articulation existe entre ces deux politiques du Grand Lyon ? Comment pouvez-vous définir le rôle de votre service ?

La Mission habitat, il s’agit en effet d’une mission, a essentiellement pour objectif de mettre en place la stratégie du Grand Lyon en matière d’habitat.  Ce rôle se décline de plusieurs façons. Tout d’abord, la mission doit assurer une cohérence entre les services de la Communauté urbaine, pour tout ce qui concerne l’habitat. A titre d’exemple, on peut citer les dossiers GPV (Grands Projets de Ville) qui sont montés en étroite collaboration, sur la partie habitat, entre la Mission Habitat et le service du Politique de la ville et Renouvellement Urbain (PVRU).Par ailleurs, nous pilotons la programmation de logements sociaux dans le parc HLM. C’est en effet le Grand Lyon qui gère l’articulation nécessaire au montage des dossiers entre les différentes institutions en présence, l’Etat, les organismes de logement social …Enfin, la mission habitat a préparé la deuxième version du Plan Local de l’Habitat (PLH). La première qui datait de 1995 était, en effet, à réactualiser.

Entre ces deux PLH le contexte, notamment économique ainsi que vous le souligniez précédemment a fortement évolué.

 

Pouvez-vous nous retracer les évolutions marquantes de ces 10 dernières années, en matière de politique de l’habitat ?

En premier lieu, cette politique a été marquée par la mise en place de la Politique de la ville, en particulier dans son volet renouvellement urbain qui prévoit la démolition et la reconstruction d’un patrimoine important de logement social. Le renouvellement urbain a démarré dans les années 1999-2000.

Le deuxième axe important, antérieur au renouvellement urbain, c’est la mise en œuvre, à partir du milieu des années 1990, d’une opération importante de réhabilitation du parc immobilier privé, avec un volume de patrimoine concerné en croissance. Aujourd’hui on considère que tout ce qui pouvait être rénové dans le parc ancien avec les outils incitatifs de l’époque l’a été. Une délibération adoptée en décembre 2004 a redonné au Grand Lyon les moyens d’agir pour maintenir une fonction sociale du parc privé :
• En s’attaquant aux situations les plus critiques, avec des moyens d’intervention plus puissants
• En permettant à tout propriétaire qui souhaiterait conventionner son logement de le faire quel que soit l’endroit où se trouve ce logement.

Toujours sur le parc privé, mais cette fois-ci dans les copropriétés dégradées ou en difficulté des « plans de  sauvegarde immobilière » ont été mis en place…Dernière chose, c’est la mise en place, en 1998, de la Conférence d’agglomération de l’Habitat. C’est un dispositif qui a pour vocation de mettre, « autour de la table », les partenaires institutionnels qui travaillent sur l’habitat. L’objectif étant d’élaborer ensemble une politique de l’habitat, en pleine concertation. Siègent au sein de cette conférence : les services de l’Etat, les financeurs de l’habitat social, la Caisse des dépôts et Consignations, les organismes HLM, la Caisse d’Allocations Familiales, les élus municipaux mais aussi les promoteurs privés, le milieu associatif, les administrateurs de biens...Ces conférences ont été initiées, en 1994, par Michel Noir ; elles ont été institutionnalisée ensuite par la loi de lutte contre les exclusions de 1999. Sous la présidence de Raymond Barre, et en partenariat étroit avec le Préfet de l’époque, elles ont été davantage orientées sur l’implication des élus municipaux, avec la mise en place d’ateliers d’élaboration de nouveaux modes de faire et de débat.

La conférence d’agglomération de l’habitat, en tant qu’espace de concertation, constitue le lieu de débat privilégié pour l’élaboration du nouveau PLH.

 

Quelles seront les orientations de ce nouveau PLH, à partir de quand sera-t-il en vigueur ?

Il sera définitif à l’horizon de fin 2006. Ce nouveau PLH offre l’occasion de faire évoluer les outils, les « modes de faire » et les outils budgétaires. En effet, jusqu’en 2004, les équilibres budgétaires étaient à peu près assurés. Et puis, l’augmentation des prix du foncier est intervenue. Et, il faut bien le dire, le budget de l’Etat n’a pas du tout supporté l’augmentation des prix. Il a fallu trouver des solutions. Par exemple, la maîtrise du foncier passe désormais largement par le recours à des baux emphytéotiques, à côté des acquisitions par les organismes HLM.  Actuellement, malgré tout, le budget annuel consacré au foncier pour le logement social oscille autour de 35-40 millions d’euros par an ; il sera de 50 millions, fin 2006.Depuis le 1er janvier 2006, une nouvelle réforme est devenue opérationnelle ; le Grand Lyon est désormais « autorité organisatrice » de l’Habitat sur l’agglomération, en lieu et place de L’Etat. Quelle est la portée de cette réforme, qu’est-ce que cela change en terme d’organisation et d’articulation entre les institutions parties prenantes du dispositif ?
Concrètement, cela signifie que le Grand Lyon devient délégataire des aides de l’Etat ; il est chargé de superviser la répartition de ces aides. Une convention, à signer entre l’Etat et la Communauté urbaine , précise les modalités du transfert. Notamment les modalités concrètes, à savoir la mise à disposition du Grand Lyon des services de la DDE (Direction Départementale de l’Equipement). Par ailleurs, la Mission habitat doit réfléchir à la mise en place de nouveaux processus de travail. Il lui faudra s’inscrire dans le suivi de l’application de la convention.

A mon sens,  on dire que ce dispositif nous apportera plus de cohérence ; cela sera en particulier plus simple pour les OPAC, qui auront désormais un interlocuteur unique, le Grand Lyon, au lieu de trois auparavant.

 

Cette réforme résulte de la loi Libertés et Responsabilités locales du 13 août 2004, c’est une possibilité offerte par la loi. D’autres collectivités ont-elles déjà fait ce choix ?

Oui, en effet, certaines l’ont fait  et comme le Grand Lyon, elles en ont été demanderesses.

 

Pouvez-vous nous dresser un bilan rapide des actions menées à la Communauté urbaine, en matière d’habitat ?

On peut malheureusement établir un constat de régression en 2004 et, très vraisemblablement, ce constat ne sera pas non plus très bon sur 2005. Ce bilan intervient après une phase plutôt positive sur 2000-2003 . Par contre, sur le plan qualitatif on peut être plus optimiste, grâce au rééquilibrage à l’œuvre entre l’ouest et l’est de l’agglomération, au bénéfice de l’ouest ! Le coté négatif reste malgré tout une offre plus importante de logements intermédiaires, au détriment du logement social pour lequel nous restons très en-deçà de nos objectifs initiaux. Concrètement, cela signifie qu’une grande partie des personnes qui sollicitent un logement social ne voient pas leur demande aboutir. Sur plus de 40 000 demandes enregistrées chaque année, 10 à 12 000 peuvent être satisfaites.

 

Quelles sont les solutions de logement pour ces personnes dont la demande a été refoulée ?

Il faut savoir que 75 à 80% environ des demandeurs de logement social ont des revenus inférieurs de 60 % du minimum requis pour bénéficier d’un logement social. Quelle est alors leur solution pour se loger ? Ca mériterait une étude approfondie. Les personnes en grande difficulté trouvent des solutions au sein de leur famille ou dans des hébergements collectifs. Une bonne moitié de ces personnes sont exclues du circuit de l’emploi.  Et malheureusement le levier le plus efficace résiderait,  tout simplement, dans plus de richesse économique.  Il faudrait également parvenir à produire davantage de logement social. Une autre solution également serait d’assurer une meilleure rotation des locataires dans le parc HLM. Actuellement, c’est un réel souci. Traditionnellement, l’occupation d’un logement HLM était une solution temporaire, dans l’attente de l’acquisition d’un logement ou d’une solution de logement dans le parc privé. Ca n’est plus le cas actuellement, le logement privé en location ou en accession à la propriété est devenu beaucoup trop cher pour beaucoup.

 

Comment voyez-vous l’avenir en matière de la politique de l’habitat ?

Je pense que l’avenir de cette politique dépend, en grande partie, de ce qu’on souhaite en faire. De ce que les hommes politiques veulent en faire et de ce que la société, dans son ensemble, est prête à y consacrer.  Au Grand Lyon, le portage politique s’affiche clairement, sur le principe de la mixité sociale. Les tensions politiques locales sur le logement social, qu’on connaissait au début des années 90, se sont progressivement apaisées. Finalement, c’est bien le contexte économique qui met des freins importants à cette politique. Les marges de manœuvre  financières offertes par l’Etat ont fondu depuis 10 ans, alors que c’est maintenant que nous aurions besoin de davantage de moyens. Au niveau national, la France consacre 2% de son PIB au logement social, la Grande-Bretagne 3%. Cela interpelle. Quel effort la France est-elle prête à fournir pour que l’accès au logement soit facilité ?Force est de constater que l’agglomération lyonnaise  fournit des efforts particuliers sur le logement social, mais les dispositifs d’accompagnement n’ont pas forcément suivi. Les moyens sont de plus en plus inadaptés et pas forcément aux mains du Grand Lyon. - ex.

Les dispositifs du « 1% » ou APL qui sont gérés au niveau national.

Un des derniers points importants, c’est de veiller à l’articulation entre la politique de l’habitat et les politiques urbaines. De quelle façon cette articulation peut intervenir, outre la nécessaire coordination entre les élus et les services du Grand Lyon chargés de mettre en œuvre ces politiques ?
C’est un des enjeux du SCOT, sur lequel  on travaille. Il s’agit, dans le cadre de ce document de planification, de veiller à « économiser le territoire ». Il y a des pressions, parfois virulentes, pour l’étalement urbain, contre la densification urbaine qui va pourtant dans le sens du développement durable. On ne peut pas véritablement lutter contre cette pression, mais cet étalement urbain on peut l’organiser, c’est un des axes de travail du SCOT. Il y a beaucoup de pédagogie à faire là-dessus.

 

Voyez-vous d’autres points qui préfigurent l’avenir de l’habitat social ?

Un élément auquel on ne pense pas toujours et qui est pourtant un des rouages essentiels de l’habitat social, c’est l’industrie du bâtiment. Il n’y a plus assez de main d’œuvre, ces métiers n’attirent pas beaucoup les jeunes et la technicité des personnes employées tend à baisser. C’est une filière qui mériterait d’être soutenue sur le plan économique par le Grand Lyon, pour préparer l’avenir en la matière. Actuellement, il manque des maçons pour répondre aux appels d’offre.

Enfin, un dernier point qui ne facilite pas les choses ce sont les projets calés sur le plan de mandat. Les commandes aux entreprises suivent ce rythme ce qui ne leur assure pas une régularité économique dans le temps.