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La modernisation des services urbains passe par les hommes et par les nouvelles techniques

Interview de Claude MANSAT

<< J’ai toujours essayé de privilégier les embauches d’ingénieurs, par rapport aux ingénieurs qui montent du rang. Si nous voulons avancer dans ces domaines techniques, nous avons besoin de personnes bien formées... >>.

Entretien avec Claude Mansat, ingénieur à la Direction de la voirie
Propos recueillis par Cédric Polère, le 15 février 2008

40 ans du Grand Lyon, un récit à partager :
Après avoir été créée comme une communauté de moyens il y a 40 ans de cela, sous l’impulsion de l’Etat, le Grand Lyon constitue aujourd’hui une communauté de projets autonome, reconnue pour son efficacité dans la gestion d’un territoire qui regroupe 57 communes et plus de 1,3 millions d'habitants. Cette collectivité reste en devenir et l’enjeu est désormais de constituer une véritable communauté de destin, inscrite dans le grand bassin de vie de l'agglomération qui regroupe plus de 2 millions d'habitants. La Direction Prospective et Stratégie d’Agglomération du Grand Lyon a engagé un travail de fond visant à écrire une première histoire de l’institution. Cette interview constitue l’un des éléments de cette histoire, mémoire encore vivante de l’agglomération.
Depuis son entrée à la communauté urbaine en 1970, l’ingénieur Claude Mansat a connu la direction, entre autres, d’une usine d’incinération à Gerland, de la station d’épuration à Pierre-Bénite, aujourd’hui du service circulation/gestion des feux. Son parcours dans les services techniques, de la Propreté à la Voirie en passant par l’Assainissement, nous fait comprendre comment la modernisation des services urbains passe par les hommes, et par les nouvelles techniques qu’ils mettent en place, ce qui ne va jamais de soi ! Prise de risque, expérimentation, remise en cause d’habitudes bien ancrées, et toujours des questions techniques que l’on se casse la tête (mais le plaisir n’est pas forcément absent !) à résoudre au mieux…

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Date : 15/02/2008

Quand êtes-vous entré à la Communauté urbaine ?

Avec un diplôme d’ingénieur INSA en électrotechnique appliquée, et après un stage à EDF et mon service militaire, je suis entré à la Communauté urbaine en décembre 1970 sur un poste d’ingénieur subdivisionnaire, dans une subdivision de la Propreté située à Rillieux. Elle regroupait les éboueurs et cantonniers de tout le Val de Saône et du Nord de l’agglomération. Quand, après environ 7 ans, je suis passé « ingénieur principal adjoint », j’ai été nommé directeur de l’usine d’incinération d’ordures ménagères, à Gerland. Cette usine, en régie directe, était dirigée jusqu’à mon arrivée de manière quelque peu obsolète.

 

J’imagine que vous avez cherché à moderniser son fonctionnement ?

C’était une vieille usine, mais nous avons réussi à accroître sa capacité de destruction d’ordures de 40 %. De mémoire, l’usine brûlait 150 000 tonnes d’ordures par an ; nous avons atteint 240 000 tonnes grâce à l’utilisation de la vapeur pour la production d’énergie électrique. Nous avons aussi amélioré la réception des ordures, l’évacuation des mâchefers, etc. A cette occasion, j’ai, ou plutôt nous avons, car dans ces situations vous n’êtes jamais seul, fait installer le premier automate programmable, le premier certainement à la communauté urbaine. C’était en 1981, un automate Merlin Gerin. Dans les 10 ans qui ont suivi, nous en avons placé beaucoup et avons appris à maîtriser cette nouvelle technique dans les stations d’épuration, dans toutes les stations de relèvement d’eaux usées et dans les stations de pompage des trémies.Autre innovation, en 1982, nous avons raccordé sur le réseau de chauffage urbain, géré alors par la société Prodith, une partie de l’énergie produite par l’usine d’incinération. Pour ce faire, une technologie nouvelle a été utilisée : une turbine à contrepression qui possède un rendement énergétique très supérieur à l’utilisation classique des turbines à condensation et des échangeurs de chaleur ; cette turbine utilise la pression de la vapeur pour produire de l’électricité utilisée dans l’usine elle-même et la température de cette vapeur pour fournir des calories au niveau du chauffage urbain.C’est à ce moment de ma carrière que, sur le plan technique, je me suis régalé sur des problèmes techniques purs et durs, notamment dans ce domaine passionnant qu’est la thermodynamique.Pour en revenir à l’usine, elle avait un gros inconvénient : dépourvue d’électro filtre, ses fumées n’étaient pas traitées. Elle dégageait des poussières en quantité, ce qui a conduit à la fermer et à en construire une nouvelle, encore en activité, dans le port E. Herriot. Je suis ensuite passé au service de l’Assainissement, pour diriger la station d’épuration à Pierre-Bénite, inaugurée en 1972.

 

D’après les archives, cette réalisation emblématique de la communauté urbaine dans les années 70 qu’est la station d’épuration à Pierre-Bénite, avait été d’abord gérée par un exploitant privé ; le passage en régie directe a été difficile pour la communauté urbaine, les fours explosaient…

Je suis arrivé deux trois ans après le passage en régie qui n’a pas été simple, mais j’avais avec moi un collaborateur, Gilbert Veyron, qui connaissait son affaire. Il a fallu former le personnel, car les ouvriers avaient reçu la maîtrise d’une usine dont ils ne savaient pas se servir. On s’était contenté de leur indiquer les procédures à suivre en fonction des situations : « si tel voyant s’allume, vous appuyez sur tel bouton », et de leur procurer une sorte de manuel. Suivant cette logique, les techniciens ne prenaient pas d’initiatives, ne cherchaient pas à raisonner. Nous avons supprimé ce bouquin, pour que les uns et les autres essaient de ré-flé-chir. Après, cela c’est assez bien passé, même s’il y a eu quelques accidents.

 

Quel type d’accidents ?

Je me souviens d’un accident à la station d’épuration à Pierre-Bénite qui a eu des conséquences importantes sur le plan financier. Une usine d’épuration comporte plusieurs bassins de décantation, et des bassins biologiques pour le traitement secondaire, afin d’enlever la pollution carbonée. Le bassin biologique d’environ 35 m de diamètre et de 5 m de profondeur devait être vidé pour entretien. Pour cela nous avions fait placer une pompe dans le fond du bassin, mais nous n’avions pas pensé à arrêter le bras immergé qui aspire les boues biologiques du fond. Si bien que ce bras a buté sur la pompe, et le moteur de très petite puissance (1/2 cv) qui entraînait ce bras avec une démultiplication très importante a fortement détérioré l’ensemble du bassin, y compris le génie civil central : résultat 2 mois d’arrêt et des charges financières importantes.
A Pierre-Bénite, je suis resté 3 ans. Après, je suis passé ingénieur principal, « chef de division » comme on disait à l’époque, pour diriger l’ensemble des stations d’épuration et de relèvement d’eau usées et d’eau pluviale, situées sous les trémies routières. Là aussi, nous avons procédé à des améliorations. Nous avons installé partout des automates programmables, incontournables aujourd’hui. Cela n’a pas été facile : quand on modifie les méthodes de travail, on se heurte à des résistances ! Nous avons réalisé des économies d’énergie réactive sur les pompes, par la mise en place de la vitesse variable, refait le marché d’entretien et d’exploitation de la station d’épuration à St-Fons : marché de type nouveau à l’époque (METP) équivalent du Partenariat Public Privé (PPP) d’aujourd’hui, la somme en jeu à l’époque étaient importante : 350 MF.

 

Pour comprendre : la station d’épuration à Saint-Fons ne fonctionnait pas comme celle située à Pierre-Bénite, pour ne citer que les deux principales ?

Non, dans les bassins, pour séparer l’eau des boues, il existe plusieurs procédés. A Pierre-Bénite, les boues des bassins ont une concentration très faible en matière sèche, de l’ordre de 1 ou 1.5 % du volume d’eau. On met ces boues dans des centrifugeuses, installées au moment où je suis arrivé. Quel baptême du feu, cela empestait ! En centrifugeant et en ajoutant des « poudres de perlimpinpin » comme des polymères, on obtient 30 à 35 % de matière sèche dans les boues ce qui permet presque de les faire brûler dans des fours, et ce sans apport de fuel car c’est auto combustible.
A St-Fons quand l’usine a été construite, le procédé était celui du traitement thermique. Pour enlever l’eau des boues, on les « cuisait » en les faisant transiter par des échangeurs, ce qui produisait de la vapeur d’eau, et au final des « gâteaux » qui, avec 40% de matière sèche, avaient encore moins d’eau qu’à Pierre-Bénite. L’eau était ensuite extraite en pressant ces gâteaux dans des filtres presse. Cela puait terriblement sur la station, mais aussi dans l’environnement urbain. A la place, dans les années 1993-1994 nous avons installé des centrifugeuses. La communauté urbaine a déboursé 50 millions de francs pour abandonner le système de traitement thermique et traiter les odeurs, en couvrant les bassins et en installant des tours de traitement d’air.

 

Vous avez parlé d’automates programmables. C’était le début de l’informatique appliquée aux services techniques ?

Oui, au moment où je dirigeais l’ensemble des stations, j’ai organisé la «  télégestion », ce que l’on appelle aujourd’hui la gestion technique centralisée (GTC) de toutes les stations d’épuration et de relèvement. C’était innovant sur le plan des technologies. Je pense que nous avons été bien inspirés en mettant en place une base de données relationnelle Oracle, base de données relationnelle que tout le monde utilise aujourd’hui dans la GTC. En 1989, on ne savait pas se servir de ces bases de données pour la gestion en temps réel. Le risque a été pris. Techniquement, c’est nous, qui l’avons pris, avec la personne de CEGELEC avec laquelle nous travaillions, Bernard Marquès. Sur le plan politique, l’élu, le vice-président Tournissoux, a bien voulu nous suivre. Je me demande si les élus reprendraient ce risque aujourd’hui.

 

A quoi sert ce système de télégestion des stations ?

Il sert surtout à détecter les pannes et réaliser l’entretien. Depuis les bureaux, des synoptiques permettent de suivre le fonctionnement des installations, de détecter les pannes et d’intervenir. Dans une station de relèvement par exemple, des pompes s’enclenchent en fonction des flux pour maintenir une certaine hauteur d’eau, grâce à un automatisme géré sur place par un automate programmable. Un défaut de capteurs, trop de sable dans l’assainissement, pas assez d’eau, une vanne qui se coince, vous pouvez avec la GTC être alerté en temps réel et intervenir sans être obligé de passer sur la station pour effectuer le diagnostic. D’où un gain en temps, de coût, de personnel, etc. C’était révolutionnaire d’utiliser l’informatique pour le fonctionnement des stations, et changer à ce point les habitudes !
Par ce type d’innovation, on supprime à terme du personnel. C’est un sujet tabou dans la fonction publique, et dans un établissement comme le Grand Lyon ! Mais nous l’avons dit, et avons formé à l’informatique, ou au moins à se servir d’un PC, tout le personnel, y compris les égoutiers. Cela a été énormément apprécié. C’était en 1991. Fait rare, les syndicats, en l’occurrence la CGT, seul syndicat à l’Assainissement, ont reconnu qu’on a fait du bon travail, le personnel s’étant senti valorisé.Nous avons également réalisé des études sophistiquées sur les déversions d’usagers des collecteurs d’assainissement situés en bordure des fleuves. Le but étant d’éviter de déverser trop de pollution aux fleuves et à l’inverse de ne pas envoyer aux stations d’épuration des eaux claires. Ces études ont été réalisées en étroite collaboration avec l’INSA de Lyon, en l’occurrence avec le professeur Bernard Chocat, directeur du URGC-Hydrologie Urbaine.
Cependant, compte tenu des enjeux financiers, les applications concrètes des résultats de l’étude n’ont pu être réalisées. Par contre, la connaissance approfondie des écoulements en égout est effective, et a sûrement été exploitée, depuis, pour gérer au mieux les transferts de pollution.

 

Y a-t-il eu d’autres innovations marquantes ?

Une avancée technologique importante à consisté à mettre en place un «  système expert » à la station d’épuration de Meyzieu. Un système expert consiste à « mettre dans une machine (un ordinateur) » l’expérience des personnes qui exploitent une usine par exemple, en établissant une « base de règles » : « s’il se passe telle chose, il faut agir de telle façon »… Dans une station d’épuration, ce sont des centaines de règles. C’est une assistance au pilotage pour l’exploitant. C’était très moderne à l’époque et nous avons fait des conférences sur ce sujet, à destination des exploitants de stations.

 

Un point commun de bon nombre de ces innovations semble être l’informatique, les systèmes de calcul et les automatismes ?

Certes, mais le plus important, c’est la valorisation des hommes : l’utilisation d’outils performants, modernes qui rendent leur travail intéressant et à travers lequel ils peuvent exprimer leur talent et leur initiative. 
Certains services sont dynamiques, parce qu’ils ont des hommes nouveaux, bien formés à un moment donné, qui se posent des questions, sont même un peu casse-cous… D’autres services sont plus « fonctionnaires » dans leur façon de travailler, parfois presque « arriérés ». C’était le cas du service circulation quand j’y suis arrivé. Ce service qui venait de la ville de Lyon entretenait les carrefours à feux. Il était obsolète, les agents n’avaient rien changé à leur fonctionnement depuis 20 ans, avec des habitudes, pas forcément mauvaises, mais qui ignoraient les nouvelles techniques ! Quelle perte de temps et complications parce que l’on avait l’habitude de « travailler comme ça ». De manière générale, la ville de Lyon a longtemps été moins avancée que la communauté urbaine. Je pense que cela vient surtout des hommes. Son personnel était plus âgé, alors qu’au moment de sa création, la communauté urbaine a embauché un grand nombre de jeunes cadres notamment. Aujourd’hui, nous partons tous à la retraite en même temps. Ce sont ces «  jeunes » de 1970 qui ont fait avancer la communauté urbaine : ce sont ces «  jeunes » qui, avec les entreprises travaillant pour nous, ont préféré aussi travailler avec des jeunes.

Les services n’ont pas tous bénéficié de la même façon d’hommes nouveaux. A l’électromécanique qui gérait les tunnels et usines d’incinération par exemple, il y avait les grands chefs de l’ancien temps, des pontes, qu’il fallait les appeler « Monsieur l’ingénieur » ; ils ne se trompaient jamais, et il ne fallait surtout pas les contredire !

 

Ces ingénieurs de la « vieille école » étaient-ils réticents aux nouvelles techniques ?

Sans doute étaient ils un facteur d’immobilisme, en particulier sur le fait de ne pas confier des responsabilités suffisantes aux chevilles ouvrières des services techniques que sont surtout les ingénieurs subdivisionnaires et les agents de maîtrise.
Imaginez ! A l’usine d’incinération, l’ingénieur en chef avait décidé que l’on ne pouvait faire fonctionner qu’une des deux chaînes de production d’électricité par turboalternateurs, jamais les deux en même temps. Cela restreignait l’usage des fours. Quand il s’absentait ou partait en vacances, il faisait arrêter les turbines. C’était l’esprit d’une époque révolue.

 

En matière de « signalisation lumineuse », la communauté urbaine a pris la maîtrise d’œuvre aux communes. Est-ce un tournant ? 

Ce n’est pas une compétence en tant que telle de la communauté urbaine, en tout cas en matière de construction des carrefours à feux. Leur construction relève du pouvoir de police, donc du maire. Il revient à la commune de décider si, à tel carrefour, il y aura un stationnement, un sens interdit, et des feux. Lorsque j’ai pris la direction du service circulation/gestion des feux en 1999, des communes exerçaient encore leur maîtrise d’œuvre. Jusque 1995-2000, les services techniques des grosses communes, Bron, Villeurbanne, Vaulx-en-Velin, Vénissieux, réalisaient et entretenaient les carrefours à feux, alors que les petites communes dépourvues de ces services faisaient appel aux services du Grand Lyon. Nous avons repris de manière échelonnée la maîtrise d’œuvre. Le passage s’est fait de manière naturelle. A la communauté urbaine, nous avons davantage de moyens financiers et humains que n’en ont les communes pour réaliser et entretenir les carrefours à feux ; de plus, ils étaient obligés de nous confier une partie des travaux pour effectuer la régulation de trafic, car il ne suffit pas de placer un carrefour à feu à un endroit, un autre un peu plus loin. Il faut, pour réguler le trafic de manière cohérente et efficace, que ces carrefours soient coordonnés, par le biais d’un système informatique.

 

Comment votre service s’y prend-il pour finalement réguler le trafic sur l’agglomération ?

Notre service a pour mission de construire et entretenir le parc de carrefours à feux, environ 1500 sur l’agglomération, et coordonner le fonctionnement de 900 d’entre eux par l’intermédiaire du poste central de régulation et d’information du trafic, le PC Criter, localisé ici à l’Hôtel de communauté. Doté d’un système de capteurs et de caméras pour indiquer débit de circulation et perturbations, le PC donne une vision globale de l’état du réseau routier de l’agglomération, permet de coordonner les carrefours, de programmer des « ondes vertes », de surveiller les équipements. La gestion du trafic en temps réel consiste aussi à réagir aux conditions de circulation, de diffuser des informations sur le trafic aux usagers par des panneaux à messages variables. Les bornes mobiles sont aussi reliées au PC. Enfin, autour du PC, il y a des exploitants.
Pour réaliser ces actions, il faut avant tout que les carrefours à feux soient raccordés au PC de régulation : les informations en provenance ou à destination des contrôleurs de feux, des capteurs, des caméras, des panneaux à messages variables transitent par des fibres optiques.De plus, il y a lieu de plus en plus de modifier les règles de régulation pour les adapter aux consignes édictées par le Plan de Déplacement Urbain, donc de privilégier les transports en commun sans pour autant trop pénaliser les autres modes de déplacements. Cela nous oblige à modifier les plans de feux, les algorithmes et les logiciels utilisés par le PC. De ce fait, nous réalisons de plus en plus d’études, de nombreux types : à l’échelle des carrefours, il faut réaliser un nombre de plus en plus important de plans de feux pour adapter le fonctionnement des carrefours aux variations du trafic ; à l’échelle des axes de circulation, il faut des études pour coordonner les carrefours entre eux ; il en faut aussi à l’échelle de manifestations (exposition à Eurexpo, congrès, etc.), de quartiers, et de l’agglomération en lien avec des travaux d’envergure ou des dysfonctionnement de tunnels par exemple.

 

Qu’est-ce qui a changé depuis les années 1990 ? Car déjà les feux étaient coordonnés par un système informatique ?

Le principal changement consiste en l’application du Plan de Déplacement Urbain (PDU) qui nous a contraints à passer d’une stratégie de régulation des flots de véhicules, surtout particuliers, à une régulation des flots multimodaux avec une priorité affichée aux transports en commun.Le changement se situe aussi au niveau des personnes. Au fur et à mesure des départs à la retraite, nous avons recruté des collaborateurs avec plus de compétence et de formation. Dernièrement, nous avons recruté un ingénieur informaticien pour diriger le PC. J’ai toujours essayé de privilégier les embauches d’ingénieurs, par rapport aux ingénieurs qui montent du rang. Si nous voulons avancer dans ces domaines techniques, nous avons besoin de personnes bien formées, qui sachent prendre de la hauteur par rapport aux contraintes du terrain. Tout ce que j’ai réalisé dans ma carrière a nécessité de la technique assez pointue.

 

Depuis votre poste, quelles évolutions percevez-vous dans les domaines des déplacements ? 

En donnant la priorité aux transports en commun, le PDU adopté en 1997 a été une petite révolution. En simplifiant, le PDU préconise une protection de l’air vis-à-vis de la pollution et surtout une priorité aux transports en commun. Il a donc fallu complètement changer les mentalités et les comportements des personnes qui contribuent à mettre en œuvre ces directives, par l’intermédiaire du PC de régulation et du fonctionnement des carrefours.

A titre d’exemple, le cycle d’un carrefour à feu dure 90 secondes : toutes les 90 secondes, la configuration d’un carrefour est la même. Pendant ce laps de temps, il y a lieu de donner le passage sur chacune des voies aux piétons, aux vélos, aux transports en commun et à la voiture. Il y a là un équilibre fragile à trouver, sachant que les piétons doivent traverser en toute sécurité, que les transports en commun doivent être privilégiés, et que chaque seconde de vert que l’on donne à un mode de déplacement doit être pris sur le temps de vert d’un autre mode de déplacement ou d’une autre voie. Autre évolution, on ne peut plus travailler seul. Si nous gérons les déplacements multimodaux, nous devons travailler avec la DDE, le Sytral, etc., également dans le cadre de Vélo’v ou de Coraly qui est un système de régulation des voies rapides de l’agglomération.
Ensuite, les aspirations des usagers se modifient, ils ont notamment des aspirations environnementales, mais nous ne les avons pas cernées de manière assez précise. Autre enjeu important : dans les services techniques, on ne fera plus grand-chose par nous même, on fera de plus en plus faire. Cette évolution est déjà engagée. Le Grand Lyon assurera la maîtrise d’ouvrage et confiera la maîtrise d’œuvre de plus en plus à l’extérieur. C’est un changement car l’idéal chez nous, pour les cadres, c’est exploiter et construire nous-mêmes, faire travailler notre personnel de manière à conserver les compétences et la maîtrise. Ce mouvement doit s’accompagner d’une réflexion. La concession donnée par le Grand Lyon à la Compagnie Générale des Eaux (CGE) continue à me choquer, car j’estime que nous nous sommes débarrassés de la compétence eau, la production, la distribution, mais aussi des hommes, et, avec les archives, de la mémoire ! Sans les hommes et la mémoire, on ne sait plus comment cela s’est passé, quelles sont les canalisations que l’on a construites.

 

Comment percevez-vous l’évolution du rapport au risque en matière d’innovation ? Le Grand Lyon est il plus entreprenant ou frileux qu’autrefois ?

Dans le service, nous prenons des risques en testant de nouveaux équipements, dans la coordination des carrefours, sur les temps de parcours, les bouchons. Mais il me semble certain que nous prenons de moins en moins de risques techniques et financiers, car nous faisons appel à des spécialistes extérieurs, des AMO (assistants à maîtrise d’ouvrage).A mon sens, si l’on veut développer la recherche développement dans nos domaines, c’est bien aux grosses collectivités qu’il appartient de faire les efforts financiers et humains nécessaires, les petites collectivités n’ayant pas ces moyens. Quant à la prise de décision, c’était plus simple en 1970 ou 1980 : dans le cadre du marché négocié qui prévalait alors, il suffisait de trouver un compromis acceptable à quatre : celui qui voulait réaliser quelque chose, l’entreprise, le chef de service, le vice-président délégué. Maintenant, pour 10 000 € de commande, des dizaines de personnes sont concernées d’une manière ou d’une autre. Il faut aller voir le comptable, le service juridique, c’est plus fatigant, plus long. Pour lancer un marché en Recherche et Développement, il faut convaincre de nombreuses personnes, et même si nous y parvenons, les délais avant une mise en service sont très très longs. Cela traduit bien les évolutions que nous autres techniciens avons observées aux cours de nos carrières : au tout début, au sein des agents des collectivités locales, le technicien était primordial, le plus écouté et reconnu. Puis on a vu arriver les gestionnaires, avec de plus en plus d’administratifs.