Vous êtes ici :

La maison du Rhône, un projet local innovant

Interview de Jacky VIEUX

Photographie de la Maison du fleuve Rhône
Maison du fleuve Rhône

<< On peut dire que notre projet sur la ville et le fleuve a apporté la preuve de sa pertinence parce qu’on nous a laissé le temps de faire cette démonstration. >>.

Jacky Vieux  est administrateur de la maison du Rhône.

Il explique ici l’histoire de la maison du Rhône, de sa réussite et de sa pérennité en tant que projet innovant.

Propos recueillis par Pierre-Alain Four pour le Cahiers Millénaire 3, n° 17 (1999), pp 22-23.

Réalisée par :

Tag(s) :

Date : 15/02/2000

Pourriez-vous nous rappeler brièvement les origines et les circonstances de la création de la Maison du Rhône à Givors ?

La Maison du Rhône regroupe depuis dix ans deux entités. L’une, qui s’intéresse au fleuve, fut une façon de revenir sur le passé industriel de la ville, à un moment où elle connaît un drame économique. Le Rhône a été un moyen de s’ouvrir sur le territoire et d’éviter le repliement sur soi. L’autre, qui est connue sous le nom d’Institut Art et Ville (art, architecture, urbanisme), s’explique par la présence à Givors d’un quartier construit par l’architecte Renaudie à la fin des années 1970, une réalisation qui a fait l’effet d’une bombe moderniste dans une ville de taille moyenne.

Avec la Maison du Rhône, on assiste à l’émergence d’une ville “post-industrielle” où la question urbaine et tout ce qui y est afférent occupent désormais une place majeure dans la vie locale.

 

En quoi est-ce un outil intéressant pour Givors ?

Pour que la ville en ait un bénéfice significatif, il faut que l’outil soit pertinent au niveau local, mais aussi national et international. La Maison du Rhône rompt avec les politiques culturelles usuelles en ce qu’elle n’est pas un équipement de plus qui s’ajoute au catalogue (théâtre, musée, etc.). Elle est un équipement spécifique, dépassant le cadre uniquement culturel, imaginé à partir des contraintes et des atouts locaux. Cependant, il ne faut pas rester local, sinon, on refuse la confrontation avec l’extérieur : il faut conjuguer pertinence et résonance.

Dès l’origine, nous avons fait appel à un réseau de professionnels capables d’instruire les questions urbaines et ethnologiques que nous voulions poser. Cela ne veut pas dire que nous avons importé de “grandes pointures”, mais nous avons su faire travailler des intellectuels légitimes dans leur domaine, sans pour autant s’intéresser à des vedettes consacrées par les médias.

 

Comment expliquez-vous la réussite de ce projet ?

En bonne logique, cela n’aurait pas dû marcher… Je crois que le maire de l’époque a eu la bonne idée de nous faire confiance et de nous appuyer, même dans les passages difficiles. L’appui politique en ce sens a été décisif et le demeure au regard des ambitions nouvelles qui sont les nôtres. Mais pour cela, il fallait aussi que nous ayions une démarche cohérente et claire.

On peut dire que notre projet sur la ville et le fleuve a apporté la preuve de sa pertinence parce qu’on nous a laissé le temps de faire cette démonstration. Par ailleurs, nous ne disposions pas de “locomotive politique” qui soutienne notre projet et cela nous a “condamné” à être pertinents, sinon nous n’aurions pu nous développer. Nous avons fait d’une contrainte une vertu, mais cela veut dire aussi que lorsqu’un projet est en prise avec un problème concret majeur, une aspiration dynamique, il peut s’imposer, à l’ère de la fin des dogmatismes.

 

Seul le secteur public peut donner ces conditions de travail ?

Je pense qu’il n’y a pas de règle en la matière. La ville nous offre une base logistique vitale et bénéficie de travaux que nous menons avec le concours de l’État, mais toutes nos actions ont leurs financements propres. C’est-à-dire que la Maison du Rhône n’est pas une machine lourde, elle assure son existence sur projets.

L’idée, c’est de ne pas chercher à pérenniser pour s’institutionnaliser, sinon on entre dans une phase d’auto-protection qui nuit le plus souvent à la qualité du projet. Nous ne cultivons pas la précarité, mais nous acceptons de remettre en jeu régulièrement nos problématiques. Par exemple, alors que nous arrivons au terme de notre convention en label ethnopôle, s’ouvrent plusieurs perspectives au regard du champ de compétences qui est désormais le nôtre (développement territorial, culture et tourisme fluvial, art-architecture-urbanisme).

 

Comment faire pour que les projets innovants soient soutenus ?

On a trop souvent recours à l’expertise en pensant qu’elle va mettre au jour une solution préexistante… Dès lors, lorsqu’on a un problème, on se préoccupe de trouver le “bon” spécialiste. En fait, les solutions s’inventent dans la pratique. Je pense par conséquent qu’il est par exemple préférable de faire travailler plusieurs équipes sur une question, de mobiliser plusieurs logiques et que ce travail soit régulièrement suivi et enrichi par le commanditaire. Se forme alors une meilleure adéquation entre les besoins et les apports extérieurs : ainsi, l’évolution des points de vue se fait en douceur.

Aujourd’hui, il faut parvenir à un travail de co-élaboration. C’est particulièrement vrai dans le domaine des sciences humaines ou pour des questions complexes à entrées multiples comme l’urbanisme contemporain. Aujourd’hui, pour développer l’intelligence, il faut développer des projets qui assurent des connections entre des champs divers : intellectuels, sociaux, médicaux, urbains, etc. On ne peut plus vivre uniquement sur des ressources internes.

 

Pourquoi les commanditaires sont-ils si frileux ?

Je ne partage pas votre point de vue. L’idée que l’intelligence, c’est-à-dire le détour par l’abstraction soit indispensable est aujourd’hui omniprésente. Il y a eu une élévation significative de la formation initiale, la culture de base est sans commune mesure avec celle d’il y a 30 ans. Aujourd’hui, rien n’échappe au recours de la pensée. La Maison du Rhône, pas ses approches pluridisciplinaires, ses entrées diverses, symbolise bien cette acceptation de la complexité. Une ville moyenne n’échappe pas à cette situation, d’où le besoin de ressources conceptuelles simultanément locales et globales pour penser son devenir et ses relations avec l’extérieur.

 

Que pensez-vous de la position de Lyon par rapport à celle de Paris ?

Je répondrais en prenant le cas de Givors, qui est à côté de Lyon, ce qui nous a plus servi que nuit. La proximité avec une capitale régionale nous permet de multiples relations intellectuelles et institutionnelles au quotidien. Mais nous voyons Lyon avec un peu de recul, sans être absorbés, sans être handicapés par le jeu de la concurrence parfois neutralisante entre institutions. Toutes choses égales par ailleurs, Lyon est dans la même situation à l'égard de Paris...et c'est de mon point de vue un avantage.