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La filière des textiles techniques en Rhône-Alpes

Interview de Agnès ELISABELAR

Société Rhodiaceta. Atelier d'ourdissage© Bibliothèque municipale de Lyon
Chef de Marché International à l'Espace Textile

<< Cette concentration d’acteurs en Rhône-Alpes permet une émulation multi-disciplinaire et multi-sectorielle qui favorisent la capacité de la région à se remettre en question >>.

Interview réalisée le 26 février 2007 par Geoffroy Bing (Nova7)

Agnès Elisabelar est chargée de la promotion des entreprises régionales du textile habillement, de la décoration et des textiles techniques à l’international. Dans cette interview, elle met l’accent sur la richesse du tissu régional et de l’enjeu lié à l’internationalisation de la filière des textiles techniques. 

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Date : 26/02/2007

Quel regard portez-vous sur la filière des textiles techniques en Rhône-Alpes ?

La filière des textiles techniques est en pleine effervescence en Rhône-Alpes, c’est certain. D’ailleurs, elle fait partie des axes prioritaires à l’Espace Textile. Jusqu’à peu, la filière n’était pas maillée et manquait de lisibilité locale! Le Programme d’Action Régionale au Développement Industriel consacré aux textiles techniques (PARDI) et mené de 2001 à 2004 a fortement contribué à organiser le secteur et à coordonner les actions. Il a sans aucun doute permis au pôle Techtera de voir le jour.

 

En quoi, cette filière se différencie-t-elle de la filière du textile/habillement ?

Ne serait-ce qu’en comparant les taux d’exportation. Grosso modo dans l’habillement, ce taux atteint environ 65% en moyenne. Dans les textiles techniques, à part quelques grands leaders comme Porcher, Thuasne ou Ferrari qui exportent beaucoup, la plupart des entreprises de textiles techniques sont en-dessous de 10% d’exportation parce qu’elles sont sur des niches très spécifiques. L’enjeu pour elles est pourtant aussi le développement international. Mais elles ne peuvent pas y aller toutes seules, elles ont besoin de structures d’accompagnement et nous sommes là pour les y aider.

Ensuite, ce sont deux secteurs très différents en termes de cycles de vie et d’investissement. Dans le textile technique, les investissements se font à horizon de 3 ans alors que dans l’habillement, où tout change très vite sous l’effet de la mode, ils sont à 6 mois ! Dans l’habillement prévaut une stratégie d’offre où c’est le produit qui créé la demande (c’est le principe de la mode) alors que dans les textiles techniques, les entreprises répondent à une demande précise qui se présente sous la forme d’un cahier des charges fonctionnel ultra-contraignant. Enfin, les entreprises de textiles techniques travaillent pour une large variété de secteur (automobile, aéronautique, bâtiment, sport, ameublement, etc.), les stratégies commerciales sont donc toutes autres. Je dirais tout simplement que ce ne sont pas les mêmes métiers !

 

En d’autres termes, le textile technique apparaît comme un matériau destiné à d’autres industries ? 

Tout à fait, et l’industrie textile locale gagnerait à mettre plus en avant son savoir-faire au service des autres industries. Le textile regroupe un ensemble de matériaux tels que le verre ou les fibres synthétiques dont la maîtrise relève d’un réel savoir faire que les industries aéronautique, automobile et autres ne peuvent pas avoir en interne. Aujourd’hui les industries situées en aval telles que l’industrie automobile ou aéronautique sont à la recherche de compétences dans le travail du textile. Les entreprises rhonalpines ont de sérieux atouts de ce point de vue là.

 

Quels sont ces atouts ?

En comparaison avec la région Nord-Pas-de-Calais notamment, il me semble qu’il y a en Rhône-Alpes une concentration de savoir-faire et ressources très complémentaires : une industrie chimique de pointe, des pôles de compétitivité offrant des débouchés certains aux entreprises de textiles techniques comme Sporaltec, il y a un centre technique de référence (l’Institut Français du Textile Habillement), des laboratoires et des écoles à la pointe sur ces questions (l’ITECH, l’INSA, l’ECL, l’INRETS, etc), toute la filière est représentée en Rhône-Alpes, c’est une grande chance !

Cette concentration d’acteurs en Rhône-Alpes permet une émulation multi-disciplinaire et multi-sectorielle qui favorisent la capacité de la région à se remettre en question. Il n’est pas anodin que la région Rhône-Alpes ait su affronter mieux que d’autres la crise de l’industrie textile ! Regardez l’exemple de l’entreprise Porcher ! Elle est l’illustration de cette capacité de renouvellement. D’une entreprise qui fabriquait du fil de soie, elle est devenue une entreprise leader dans les textiles techniques !

 

Quelles sont alors les faiblesses locales ?

Si l’on regarde les entreprises allemandes, premier pays producteur et exportateurs de produits textiles techniques, on se rend compte qu’il nous reste du chemin à parcourir. En Allemagne, les entreprises, et les PME en particulier, sont beaucoup plus offensives sur le plan commercial. Il n’y a pas cette dichotomie entre grands groupes et PME comme en France. Chez nos voisins, les PME s’appuient beaucoup plus facilement sur les groupes pour exporter, les groupes leur servent de tête de pont. On voit beaucoup moins cela en France. Ce ne sont pas des faiblesses uniquement locales, ni spécifiques au secteur des textiles techniques, c’est un problème récurrent que l’on retrouve partout en France et dans tous les secteurs.

 

Quelles sont les évolutions que vous pressentez dans les prochaines années dans notre région ?

Je pense que l’on va assister dans les prochaines années à un mouvement de concentration des entreprises dans ce secteur, car la notion de taille critique est essentielle et en particulier pour pouvoir exporter. Ensuite, la complémentarité territoriale va s’affirmer entre les différents pôles régionaux qui ont chacun leurs spécificités et leurs cartes à jouer : la production de fibres chimiques, le tissage et l’ennoblissement du côté de Lyon, Roanne, Bourgoin et Valence, le moulinage et la texturation en Ardèche et dans la Drôme, la passementerie, la rubanerie, les textiles médicaux autour de Saint Etienne, et la maille et la bonneterie sur Roanne. Mais croyez-moi, quand vous êtes sur des marchés internationaux, peu importe que vous soyez de Saint Etienne, de l’Isère ou de l’Ain ! Avec la mondialisation, on change complètement d’échelle, seule celle de la région a du sens !

 

Quels sont, selon vous, les produits du futur issus de la filière des textiles techniques ?

Il y a une tendance forte à la fabrication de produits textiles dont la finalité est la protection individuelle. Cela va de paire avec l’affirmation de la société à risques liés aux menaces terroristes ou de bio-terrorisme. Le marché de la protection des individus tant du point de vue des applications militaires que civiles va s’accroître.

Il y ensuite le domaine de la santé où les débouchés sont prometteurs : le vieillissement de la population conduit à l’émergence de nouveaux besoins, notamment des besoins de surveillance grâce à des textiles « intelligents » (équipés de capteurs capables de suivre en temps réel les fonctions vitales de la personne). L’usage de ces nouveaux textiles permettra d’accroître l’autonomie du malade et de répondre ainsi aux soucis d’économie des hôpitaux ! Je pense que dans ce domaine, l’enjeu sociétal est de taille ! Comment garder le malade chez lui ? Par la convergence de l’habillement, des textiles fonctionnels et de l’électronique !
Dans l’environnement domestique enfin, la domotique par exemple va également être le champ d’application multiples. Il existera bientôt des rideaux lumineux, des coussins faisant office de télécommande pour la TV, des claviers d’ordinateur en matériau textile, très fins et que l’on pourra rouler après utilisation. Ce ne sont pas des produits si futuristes que cela. Ils existent déjà pour la plupart, je les vois sur les salons, mais ils sont encore pour beaucoup à l’état de prototype.