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La démarche prospective Millénaire 3 : Histoire

Interview de Patrick LUSSON

Directeur de la Prospective au Grand Lyon de 1997 à 2006

<< Je pense que Millénaire 3 a contribué à faire agglomération, à prendre en compte véritablement l’ensemble de l’agglomération >>.

Entretien avec Patrick Lusson, chef de la mission puis directeur de la prospective et stratégie d’agglomération du Grand Lyon, depuis sa création en décembre 1997 jusqu’en 2005. La démarche Millénaire 3 a impulsé des tournants dans le fonctionnement du Grand Lyon que nous lui demandons d’analyser, une fois sa genèse établie.

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Date : 15/01/2009

Préambule : pour une histoire du Grand Lyon...
Après avoir créé une communauté de moyens il y a 40 ans de cela, sous l’impulsion de l’Etat, le Grand Lyon constitue aujourd’hui une communauté de projets autonome, reconnue pour son efficacité dans la gestion d’un territoire qui regroupe 57 communes et plus de 1,3 millions d'habitants. Cette collectivité reste en devenir et l’enjeu est désormais de constituer une véritable communauté de destin, inscrite dans le grand bassin de vie de l'agglomération qui regroupe plus de 2 millions d'habitants. La Direction Prospective et Stratégie d’Agglomération du Grand Lyon a engagé un travail de fond visant à écrire une première histoire de l’institution. Cette interview constitue l’un des éléments de cette histoire, mémoire encore vivante de l’agglomération.

 

Quel a été votre parcours, avant le lancement de Millénaire 3 ?

J’ai commencé par des études d’économie de l’entreprise et de management à l’ESSEC. Au sein de l’école, nous avons été les premiers en France à être formés à l’économie urbaine, par Alain Sallez, qui avait œuvré sur le schéma d’aménagement de la région parisienne et les villes nouvelles. Le même Alain Sallez, à l’issue de mes études, alors que je voulais travailler dans l’urbanisme et l’aménagement, m’a orienté vers Toulouse, où une agence d’urbanisme se créait. J’ai donc commencé ma carrière professionnelle en 1972 à l’Agence d’urbanisme de l’agglomération toulousaine, et appris mon métier d’économiste urbain auprès de deux grands messieurs, Jean Frébault, bien connu à Lyon, qui a été notamment directeur de l’aménagement et de l’urbanisme au ministère de l’Equipement, et Jean Dellus, grand prix de l’urbanisme, architecte-urbaniste du schéma d’aménagement de la région parisienne.

 

Etiez-vous préparé en 1997 à faire de la prospective ?

A Toulouse, j’ai pratiqué la prospective comme on en faisait à l’époque, dans le cadre du schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme (SDAU) de l’agglomération. Sur un plan personnel, j’ai commencé à en faire sur des questions concernant l’avenir de la planète. Nous étions, au milieu des années 70, au tout début de la prise en compte de l’environnement dans l’aménagement, aux premières lois sur l’environnement, aux études d’impact. J’ai ensuite oeuvré dans la politique de la Ville qui pointait son nez à travers Habitat et Vie Sociale, avec Françoise de Veyrinas, alors adjointe du maire de Toulouse Dominique Baudis, suis revenu à ma formation initiale d’économiste et de développeur pour la mise en place de la technopole toulousaine, puis ai eu l’opportunité de devenir directeur de l’Agence d’urbanisme de Metz. Mon parcours m’a donné l’opportunité de toucher à presque tous les sujets, sauf les transports où je n’ai pas de véritable expertise. J’ai été ensuite délégué de la Fédération Nationale des Agences d’urbanisme (FNAU), où, de 1992 à 1998, à Paris, j’ai représenté les 40 agences d’urbanisme auprès des autorités, et essayé de les développer.

 

Comment devenez-vous chef de la mission prospective du Grand Lyon ?

Un coup de fil de l’Agence d’urbanisme de Lyon m’annonce que le Grand Lyon cherche depuis plusieurs mois une personne pour faire de la prospective. Je reçois, par fax, le profil du poste, pour diffusion au réseau des agences d’urbanisme, le lis, et cela fait tilt : une collectivité s’intéresse à la prospective ! A l’époque, seules les agences d’urbanisme réalisaient un peu de prospective. J’étais curieux de savoir quelle était l’ambition du Grand Lyon. Délégué de la FNAU, j’étais bien dans mon travail, donc je n’étais pas poussé dehors. J’ai posé de multiples questions, j’ai rencontré le directeur général des services du Grand Lyon, Guy Barriolade, le directeur de cabinet de Raymond Barre, Jean-Louis Hélary, le vice-président en charge de la stratégie, Jacques Moulinier, et le président du Grand Lyon, Raymond Barre. J’arrive finalement à Lyon le 1er décembre 1997, pour le lancement officiel de Millénaire 3 par la réunion du « comité des sages ».

 

En 1995, Raymond Barre déclarait que personne parmi les 5000 agents du Grand Lyon ne pensait à l’avenir de l’établissement : c’est pour cela que naît la Mission prospective ?

La Mission prospective est née d’une étude de la CEGOS (conduite par Nathalie Domenach) commandée par l’équipe de Raymond Barre en 1995 pour porter un regard large sur le Grand Lyon et son organisation. L’étude concluait que la machine communautaire fonctionnait bien, mais que personne ne regardait plus loin que ses projets. Elle recommandait à Raymond Barre de s’entourer d’une petite équipe pour penser à l’avenir, et la place de l’institution Grand Lyon dans un contexte en forte évolution. L’époque était en effet déjà bien moins stable que celle des 30 glorieuses. La France avait connu les crises pétrolières, la question de l’immigration, les révoltes urbaines, à Lyon notamment.

 

Ce contexte d’incertitude, c’est ce qui justifie l’intérêt de la prospective dans une collectivité ?

La prospective est plus importante qu’hier, parce que plus rien n’est acquis. Nous sommes entrés dans un monde à la fois plein de promesses, par la société de la connaissance, les potentiels d’innovation..., mais aussi plein d’incertitudes, et beaucoup plus complexe. Quand sur un territoire les entreprises se développaient année après année, que les élus locaux voyaient entrer la taxe professionnelle, assurance de stabilité à leur budget, ils estimaient ne pas avoir besoin de prospective. Le jour où ils apprennent que ces entreprises peuvent, dans un monde globalisé, à tout moment être achetées par un groupe taïwanais ou américain, et leurs activités regroupées au Maghreb ou en Asie, ils reconnaissent qu’il est nécessaire d’éclairer l’avenir. La globalisation révèle les interdépendances, démontre que nous sommes obligés d’exister à un niveau européen, et mondial si possible.

 

Comment la création d’une mission prospective est-elle d’abord perçue au Grand Lyon, et par l’Agence d’urbanisme ?

J’ai en effet demandé à Guy Barriolade pourquoi la prospective n’était pas le boulot de l’Agence d’urbanisme ; pourquoi a-t-elle fait Lyon 2010 et ne fait-elle pas Millénaire 3 ? La réponse était simple : les services de la communauté urbaine étaient  montés en puissance et les élus avaient pris conscience que c’est au niveau de la communauté, sur un plan politique, que devait se faire la réflexion, et non plus au niveau d’un outil technique comme l’Agence d’urbanisme. Je me demandais quand même quelle relation j’allais entretenir avec l’Agence. Comment allais-je être accueilli aussi par mes collègues du Grand Lyon ? Quelle était la sensibilité de cette maison à la prospective ?
Guy Barriolade m’a proposé d’organiser une matinée avec tous les directeurs du Grand Lyon. J’ai présenté la manière dont j’imaginais travailler, mais mon objectif était surtout de faire le tour de table de la douzaine des directeurs du Grand Lyon pour connaître leur vision de l’avenir. Ils ont tous dit : « nous pensons que nous faisons bien notre boulot, savons ce que nous avons à faire, mais sommes persuadés que dans les 5 ans qui viennent, soit notre boulot soit la manière de le faire devra évoluer, pour de multiples raisons : meilleure prise en compte des habitants et des desiderata des maires, impact de plus en plus fort des politiques environnementales et des attentes des citoyens, etc. ». Je suis ressorti en me disant que mon travail serait possible, parce que j’arrivais dans un milieu où des personnes étaient persuadées que la prospective pouvait leur apporter quelque chose.

 

L’expérience de la mission prospective a-t-elle conforté cette première impression ?

Je me suis ensuite rendu compte, en effectuant le tour des services, que les préoccupations étaient multiples et variées. Marc Chabert, qui dirigeait la Délégation Générale au Développement Urbain (DGDU), une véritable puissance, m’a dit : « j’ai deux lignes de tramway à faire, tu ne m’emmerdes pas et je ne t’emmerde pas ». Le modus vivendi qui s’est installé a fait que la DGDU n’a pas été très participative dans la réflexion prospective, mais j’y ai trouvé des gens intéressés dans leurs domaines, comme Philippe Gamon, Michel Rouge, Jean Villien, etc. Pour moi, le plus important au départ était qu’il y ait une commande politique forte. Elle était énorme, elle venait du président ! La volonté de faire Millénaire 3, c’est une volonté politique au plus haut niveau. Quand plus tard, de nombreux techniciens ayant envie de faire la même chose que Millénaire 3 dans leur ville sont venus nous voir, le seul conseil que je leur donnais était de ne rien commencer sans commande politique.

 

Raymond Barre avait-il une idée précise de la manière de faire fonctionner d la mission prospective ?

Il voulait un Lyonnais pour bien connaître le milieu, ce que faisait magnifiquement Jean-Loup Molin  qui sortait de sa thèse sur l’histoire économique de Lyon, avait déjà ses réseaux au Grand Lyon puisqu’il travaillait aux transports dans le service de Philippe Gamon ; et il voulait un non Lyonnais, avec son regard extérieur. Il voulait aussi un économiste et un urbaniste.
Mais il ne nous a pas demandé d’organiser des journées de prospective, ou un groupe de travail sur les Eurocités. Il s’est contenté de nous donner des consignes : il faut que la prospective soit participative. C’était nouveau, car jusque-là en France, la prospective était réservée à des cercles d’initiés. D’ailleurs, beaucoup de spécialistes de la prospective (Hugues de Jouvenel, Michel Godet…) ont refusé de nous aider à monter les journées de prospective, arguant qu’à plus de 25, il était impossible de conduire un exercice de prospective ! Seul Bernard Devez, jeune retraité de la COFREMCA a accepté avec enthousiasme de relever ce défi en animant ces journées.
Raymond Barre nous a donné une autre directive : travailler avec des villes européennes. Lyon doit se doter d’un projet d’agglomération dans ce nouveau cadre. Nous avons commencé à travailler avec les Eurocités, recrutant pour ce faire Corinne Chodkiewicz. Le travail sur la stratégie des villes européennes a énormément enrichi Millénaire 3 et a donné une ouverture au Grand Lyon. Pour certains élus acceptant mal la prospective participative, c’était le plus important de Millénaire 3, ils lisaient avec assiduité les newsletters.
Une fois ce cadre posé, Raymond Barre attendait nos propositions. C’est assez fantastique, parce qu’il nous fixait les objectifs et en tant qu’ancien prof, il était très clair dans ses demandes et nous laissait proposer les moyens ! Et comme la demande venait du président, nous n’étions pas entravés par l’administration sur ce plan.

 

Sans la décision de Raymond Barre, la mission prospective n’aurait jamais existé ?

Il y a des cycles dans la vie d’une institution, comme il y a des cycles dans la vie tout court. Michel Noir a été l’homme qui a mis en œuvre Lyon 2010. On arrivait à la fin d’un cycle ; on arrivait aussi à la fin d’un cycle politique, puisque les noiristes ne sont pas sortis la tête haute du mandat, suite aux « affaires ». Et nous entrions dans une période d’incertitudes croissantes.
Il faut aussi compter avec la personnalité et le parcours de Raymond Barre. Quand il m’a vu, il m’a dit : « il faut que vous soyez à la fois mon Commissariat général du Plan et ma DATAR ». Je lui ai répondu qu’avec Jean-Loup Molin, ce serait un peu juste pour exercer de telles fonctions. Il avait une hauteur intellectuelle, une hauteur de vue qui l’a par ailleurs fait énormément critiquer à Lyon, parce qu’il considérait, tout à fait gaullien de ce point de vue, que l’ « intendance suivra ». Il était assez péremptoire. Ce qui l’intéressait, c’était les grandes idées, faire bouger les choses. Quand il est parti, il m’a remercié de l’avoir aidé à « ouvrir l’huître lyonnaise » ! Pour lui, Lyon était une ville fermée, repliée sur elle-même ; dans certains discours, il avait glosé sur les Lyonnais, incapables de regarder plus loin que les rives de la Saône. Avec la mondialisation, il sentait bien que le monde était en train de bouger, et que Lyon devait changer d’échelle.
Je pense que Millénaire 3 a été unique parce que le commanditaire en était Raymond Barre ! Quand nous avons porté nos conclusions sur les 5 axes stratégiques à Guy Barriolade, il a dit au Président que « tout ça est un peu de gauche ». Barre aurait répondu : « monsieur le directeur général, vous ne pensez tout de même pas que je suis un homme de droite ! » Cela permet de revenir sur l’histoire politique de Raymond Barre. Il a fait sa thèse avec François Perroux, qui n’est pas un économiste libéral. Il est d’abord prof d’université. Avec son meilleur copain Jean-Marcel Jeanneney, ils sont tous deux proches de Pierre Mendès France. En 1958, Jeanneney se rallie au général de Gaulle et devient ministre de l’Industrie, en tant que gaulliste de gauche. Il demande à Raymond Barre de devenir son directeur de cabinet. Quand il faut envoyer à Bruxelles un commissaire européen, Raymond Barre est nommé ; quand Valéry Giscard d’Estaing est élu, Raymond Barre devient ministre du commerce extérieur, puis Premier ministre. Raymond Barre est un homme du centre, un homme politique non encarté, libéral au sens américain du terme. Il fallait être Raymond Barre pour lancer une réflexion aussi ouverte que Millénaire 3.

 

Que signifie prospective participative ?

L’idée de Raymond Barre, que je partage et qui ma passionnée, c’est que si la prospective n’est pas partagée, débattue, coconstruite, la mise en œuvre de l’action publique derrière devient très difficile, parce que les gens ont l’impression que l’on a décidé pour eux. Il reliait donc la prospective à la question de l’opérationnalité de l’action publique. L’idée de Raymond Barre était que la prospective « top down », descendante, technocratique, avait atteint ses limites, et que ce dont avaient besoin les gens pour se mobiliser, c’était un projet d’agglomération auquel ils soient attachés, car ils y ont contribué à leur manière, et qui permet d’avancer, malgré les incertitudes. L’objectif était d’abord de créer une culture commune permettant de se construire un projet partagé. Cela a donné lieu aux journées de prospective, réflexions à plusieurs centaines de participants, et aux cahiers de prospective Millénaire 3, diffusés à plusieurs milliers d’exemplaires.

 

Justement, comment tiriez-vous parti de ces débats prospectifs, comment passe-t-on du débat à de la stratégie ?

Le jour ou le lendemain du débat, Jean-Loup Molin et moi écrivions une note de deux pages, en essayant de tirer du débat sa substantifique moelle. C’était très important pour poser des jalons, au fur et mesure.
Chaque journée de prospective était ouverte, dans la salle du Conseil, par Guy Barriolade, qui disait de ce que l’on retenait de la précédente journée ; il portait la parole de l’institution. C’était fort sur le plan symbolique, et important pour construire de la confiance mutuelle avec les participants. Jacques Moulinier était aussi toujours présent.

 

Avec Millénaire 3, vous êtes loin de la prospective « académique » et de sa méthode des scénarios. C’était une rupture dans la manière de faire de la prospective ? Une rupture au regard des collectivités territoriales françaises et européennes ?

C’était novateur en France, mais pas en Europe, car le modèle suivi était celui de Barcelone, qui avait commencé ce type de prospective depuis 1988, dans le cadre de la préparation des JO. Barcelone s’était mis en prospective permanente, avait réalisé ce que l’on appelle la prospective stratégique, théorisée entre autres par Fabienne Goux-Baudiment et Paul Bailly. J’avais pratiqué la prospective classique, et j’avais vu ses limites. La prospective territoriale se limitait à des projections démographiques, quantitatives, pour faire face aux besoins générés par les croissances démographique et économique, programmer des équipements, des infrastructures de transport, différents types de logements. En schématisant, on établissait deux scénarios d’aménagement au départ, l’un idéal, l’autre noir, inacceptable ; puis un troisième scénario intermédiaire, pour que les élus se calent dessus. Finalement, ils adoptaient un scénario situé entre l’idéal et l’intermédiaire. Cette prospective, préalable à des schémas d’aménagement du territoire, à travers les OREAM, SDAU, etc., dessinait ce que sera la réalité d’un territoire dans 20 ans, contribuant du coup à figer les choses. Elle était donc peu satisfaisante, et intellectuellement stérilisante, parce que l’on sautait d’une prospective de 20 ans en 20 ans, en oubliant de réfléchir à l’avenir dans la phase intermédiaire, sans suivi véritable, ni évaluation, ni capitalisation. Or, dans la période d’incertitudes dans laquelle nous vivons, il me semble absolument indispensable d’être en permanence en prospective. Du coup, l’idée de prospective stratégique m’allait très bien.

 

Êtes-vous allés voir ce modèle barcelonais ?

Oui, vous avons remplis un avion avec des élus pour comprendre ce qu’ils faisaient. Organisée autour d’un conseil économique et social de la métropole barcelonaise, leur prospective est pour autant un peu différente de celle que nous avons installée, elle s’adresse moins directement à la population.
Après, nous nous sommes lancés. Comme Raymond Barre voulait que ce la prospective soit participative, nous avons essayé ! Pour la première journée de prospective, une centaine de personne est venue, sur 350 invitations. Mais tout de suite, la mayonnaise a pris, le bouche à oreille a joué, dès le lendemain nous recevions des demandes d’inscription sur le fichier. Nous étions dans une démarche d’ouverture, et avions l’onction de Raymond Barre pour cela. Qui voulait venait ! La démarche a concerné tous ceux qui étaient intéressés par l’avenir de l’agglomération, tous ceux qui voulaient dire des choses. Le site Internet a contribué à cette ouverture. Millénaire 3 a permis une énorme liberté d’expression.

 

C’est aussi une prospective permanente…

C’est une prospective plus pertinente, utilisable en permanence, dite stratégique parce qu’elle élabore un projet d’agglomération évolutif, en fonction du contexte. C’est aussi une prospective qui, de territoriale, est devenue sociétale, les questions de société et l’immatériel ayant pris le pas sur les équipements, les infrastructures, le quantitatif.

 

Revenons au projet d’agglomération, intitulé « 21 priorités pour le 21ème siècle », qui est exposé le 19 septembre 2000. Comment y arrive-t-on ?

Lorsqu’il a réuni le comité des sages le 1er décembre 1997, Raymond Barre leur a demandé comment ils voyaient l’avenir de l’agglomération, et les problèmes à prendre en compte. A Jean-Loup Molin et moi, il a demande que pour la réunion suivante de ce comité, 6 mois plus tard, nous énoncions les défis que l’agglomération devait relever. Nous avons tiré des problématiques du socle d’idées et de recommandations des sages, avons ajouté nos propres idées, et organisé les premières journées de prospective pour en débattre, abordant une dizaine de thèmes, à raison de deux thèmes pour chacune des cinq journées. Nous avons choisi les premiers thèmes. Ensuite, en fonction des débats et demandes des citoyens, nous avons inventé d’autres journées et cahiers. Si vous m’aviez demandé si nous savions où nous allions le 1er janvier 1998, j’aurais répondu non. Nous avons tout imaginé chemin faisant.
Début juillet 1998, nous faisons ressortir les défis à l’occasion d’une nouvelle réunion avec le comité des sages. Raymond Barre nous laisse à nouveau six mois pour indiquer comment répondre à ces défis. Nous élaborons cinq axes stratégiques pour le 21ème siècle. Une fois ces axes validés, Raymond Barre nous demande de revenir vers l’institution. Nous ne nous étions pas arrêtés aux compétences de la communauté urbaine, avions réfléchi de manière sociétale, mais pour que cela percole dans les services, il fallait plus se raccrocher aux moyens d’action du Grand Lyon, ou identifier ce qui n’était pas de la compétence communautaire, mais pourrait le devenir si on l’estimait stratégique pour l’avenir de l’agglomération. Pour revenir vers l’institution, Raymond Barre a demandé à des vice présidents de présider des groupes de travail, pour examiner en quoi les axes stratégiques sortis de Millénaire 3 percutaient le fonctionnement de la communauté urbaine. Les « 21 priorités pour le 21ème siècle » en découlent, à raison de quatre actions phares par axe stratégique, plus une 21ème proposition, que Millénaire 3 poursuive sa route.

 

Le thème de l’homme est défini comme fil conducteur de la démarche Millénaire 3 ? Pourquoi ? C’est un thème très large…

Ce thème correspondait bien tant aux idées de Raymond Barre qu’à l’identité de l’agglomération lyonnaise. Le président a voulu donner ce thème dès le départ ; c’était un donné. Ce n’est pas par hasard si, avant Millénaire 3, Anne-Marie Comparini et Raymond Barre avaient lancé le Défilé de la Biennale de la danse ; la mission prospective en a fait un événement emblématique du « faire d’agglomération », d’un espace d’échanges, de convivialité…, mais ce n’est pas nous qui avons inventé le Défilé.

 

Pourquoi Millénaire 3 n’a pas disparu ? Le fait que la mission prospective survive à l’élection de 2001 indique qu’elle répond à un besoin pérenne ?

Une fois les grands débats Millénaire 3 passés, Raymond Barre a installé le Conseil de développement, en février 2001, en pleine période électorale, sur la base d’un accord politique ; c’était le gage d’une certaine continuité dans la vision de la gouvernance qui avait émergée avec Millénaire 3. Mais ce sont son successeur Gérard Collomb, et le nouveau directeur général des services Benoît Quignon qui ont fait de la mission prospective, une direction prospective. Elle est devenue le lieu d’incubation des nouvelles politiques, abritant les cellules développement durable, participation, Conseil de développement, bureau des temps…, permettant au Grand Lyon d’affronter de grands changements culturels.
En devenant une direction, la mission s’est trouvée pérennisée, ce qui lui a permis d’expérimenter de nouvelles politiques. Néanmoins, c’est aussi une fragilité pour la prospective, parce que l’on s’établit. L’enjeu pour la direction prospective consiste à garder sa fraîcheur, sa liberté d’organisation, de garder finalement un équilibre : être dans l’institution, faire évoluer les choses par l’intérieur, et avoir en même temps une capacité d’interrogation, d’interpellation, absolument essentielle à la prospective. Le bon prospectiviste est pour moi celui qui va oser proposer des choses que personne ne va proposer, par autocensure.
On peut mesurer le chemin parcouru. En 1998, quand on parlait avec Edgar Morin de complexité, nous étions un peu sur une autre planète. Aujourd’hui, personne ne conteste que l’on vit dans un monde complexe, que ce n’est pas forcément une mauvaise chose, et qu’il faut adapter notre façon de travailler pour avoir prise sur la réalité de ce monde.


Quels ont été les jeux d’acteurs qui ont rendu possible Millénaire 3 au sein du Grand Lyon ? Nous travaillions dans ce que j’appelais un carré magique. Il était constitué de Guy Barriolade, Jean-Louis Hélary, Jacques Moulinier et Raymond Barre. Jean-Loup Molin et moi-même élaborions des idées et propositions, que nous allions tester auprès des trois premiers, pour les proposer à Raymond Barre s’ils étaient tous d’accord. Le carré a été recréé en 2001 avec, à ces postes, Benoît Quignon, Xavier Doublet, Jean-Jack Queyranne et Gérard Collomb, donc avec des personnalités et des visions totalement différentes ! Les personnalités jouent un rôle très important. Cette caractéristique de la direction prospective est géniale pour travailler. Ce carré fait fonctionner la machine, ce dont on ne se rend pas compte depuis l’extérieur, car c’est la partie immergée de l’iceberg.
Mais nous étions toujours, contrairement à ce que certains ont pu penser, extrêmement contrôlés. Tout ce que nous avons fait, c’était Hélary-Moulinier-Barriolade-Barre. Il n’y avait pas au Grand Lyon plus contrôlée que la mission prospective, dans le bon sens du terme car nous avions besoin de ce contrôle. Je voyais le directeur de cabinet, le directeur général presque tous les jours ; pour le président, la mission prospective était une affaire importante, donc son entourage proche voulait que cela réussisse. D’où ces conditions qui pouvaient paraître exorbitantes, sans toute cette hiérarchie, ces notes sous couvert, etc.

 

Une critique que l’on a entendu dans les services du Grand Lyon, c’est que la mission puis la direction prospective sont « à côté » du Grand Lyon. On se demande aussi ce que c’est, à quoi elle sert, on lui reproche son manque d’opérationnalité… Comment l’expliquer ?  

Pour beaucoup, et des syndicalistes me l’ont dit, Millénaire 3 ou la mission prospective était la « danseuse de Raymond Barre » : le président aurait eu une lubie à vouloir faire de la prospective, et continuerait à se prendre pour un Premier ministre, avec son Commissariat général du Plan ; cette appellation venait aussi des conditions éminemment favorables que j’ai exposées, où il suffisait de vouloir pour pouvoir faire.
Au début, la mission prospective, c’était deux personnes et une secrétaire. Dans notre façon de travailler, nous avons associé autant que faire se pouvait nos collègues et les élus concernés par les problématiques que l’on débattait. Jacques Moulinier nous a énormément aidé par ses contacts avec les élus de tous bords. Durant les journées de prospective, nous avons tenté de partir de l’action du Grand Lyon, et de la réinterroger : « et demain, que faudrait-il faire ? ». Au passage, lors de ces journées, Guy Barriolade et Jacques Moulinier portaient la parole de l’établissement, ce qui indique que Millénaire 3 n’était pas à côté de l’institution, même s’il est indiscutable que nous étions à côté de la manière habituelle de fonctionner du Grand Lyon.
Il est évident que cela a intéressé les uns, et pas les autres, que l’on est dans un processus de changement des mentalités qui se fait plus ou moins vite selon les services, avec des résistances, y compris auprès de collaborateurs qui auraient tout intérêt à travailler avec nous. Je pense à la Mission écologie urbaine qui a vécu Millénaire 3 comme un concurrent, parce qu’elle pensait l’écologie comme l’avenir de l’agglomération. La réalité quotidienne lui donne raison, mais l’effet de levier est totalement différent selon que l’on est « enkysté » dans une grande DGDU, ou placé auprès du président et du directeur général comme l’était la mission prospective.
La volonté de Gérard Collomb a aussi donné de l’opérationnalité au système. A peine élu président, alors que je le croise à la sortie de la salle du conseil, il me déclare, « Raymond Barre l’a pensé, maintenant on va faire Millénaire 3 ! » Il fallait concrétiser les idées et projets qui avaient émergé. C’était assez réconfortant, car les transitions politiques sont difficiles. A Strasbourg, ma collègue s’était entendue dire que ce qu’avaient fait Catherine Trautmann et son adjoint Roland Ries partait à la poubelle, on recommençait à zéro ! Ici à Lyon, on est plus sage : avant de jeter, on regarde.

 

C’est un trait culturel de la communauté urbaine ?

Je pense que c’est un trait culturel de Lyon, et de ce fait de la communauté urbaine. Le modérantisme lyonnais et la manière de faire assez collective font que si l’on réoriente l’action, on essaie de continuer.

 

Pour en revenir à la question des concrétisations opérationnelles de la prospective…

Une fois les élus installés en 2001, le cabinet du président nous requiert pour la réalisation du plan de mandat, dont la responsabilité incombe à Jean-Jack Queyranne en tant que premier vice président à la stratégie. Nous demandons aux maires et vice présidents leur projet pour le nouveau mandat, dans le cadre des « 21 priorités pour le 21ème siècle ». Avec en main leurs réponses, nous réfléchissons durant l’été à ce que pourrait être ce plan.
Millénaire 3 a contribué au plan de mandat, finalement adopté, après négociations, en novembre 2001. Il n’y a pas d’un côté la prospective, de l’autre des réalisations comme les berges du Rhône, le Confluent, ou le Carré de Soie. Si on reprend les « 21 priorités… » et les réalisations du mandat, on s’apercevra que des réalisations sont directement liées à Millénaire 3, la reconquête des berges fluviales par exemple ; d’autres lui sont liées dans la manière de faire, sur les temps, l’Agenda 21 ou les réalisations du vice président Gérard Claisse en matière de participation citoyenne par exemple. Les réalisations du premier mandat Collomb sont imprégnées par Millénaire 3.
Une deuxième accroche à la réalité a été la négociation du contrat d’agglomération en 2003, avec l’Etat et la Région Rhône-Alpes. Jean-Jack Queyranne était encore à la manœuvre, moi en tant que technicien. A partir de notre projet d’agglomération et du plan de mandat, nous avons négocié avec l’Etat et la Région sur ce que nous faisions ensemble.
Quand j’ai quitté Millénaire 3, j’avais bouclé un cycle : prospective, projets, plan de mandat, contrat d’agglomération, passant d’une commande de Raymond Barre à la réalisation de projets. Par exemple, la Halte Jean Macé a été l’objet d’une bagarre terrible pour obtenir un financement de la Région dans le cadre du contrat d’agglomération. Et le projet correspond bien à une vision d’intermodalité, de transports en commun, etc., qui était celle de Millénaire 3.

 

Millénaire 3 se saisit de notions qui sont dans l’air du temps, n’est-ce pas une fragilité ? Par exemple diversité et multiculturalisme ont fait l’objet de maintes réflexions avant de laisser la place à d’autres thèmes…

Il faut toujours replacer ce que l’on fait dans le contexte du moment. Une réunion assez extraordinaire sur l’interculturalité a eu lieu en juin 2001. Après le 11 septembre, cela devenait inconcevable. L’histoire a des aiguillages que l’on ne maîtrise pas. L’important n’est pas l’effet mode mais d’être toujours en réflexion, en lien avec ce que l’on a à gérer. Pour assurer l’avenir d’une agglomération ou d’une région, c’est en permanence que ses institutions doivent être les chefs d’orchestre du  débat public sur la construction d’un avenir commun. C’est ma conception de la prospective, permanente et participative, les trois P comme disait Jacques Moulinier.

 

Peut-on dire que Millénaire 3 fait sauter des cloisonnements entre communes ou thématiques, permettant du coup à des acteurs d’agir ensemble, de penser différemment ?

Oui, Millénaire 3 a été une machine à se rencontrer, à se connaître vraiment au-delà des étiquettes. Cela a été la magie des journées de prospective, liée aussi à la salle des délibérations où l’on se voit tous. Les différents mondes qui constituent l’agglomération, milieux socioprofessionnels, culturels, syndicaux, patronaux, associatifs… ont appris à se connaître, à s’écouter, je pense à s’apprécier aussi. Il y a eu une espèce de melting pot, y compris au-delà de l’aire urbaine, qui a créé une espèce de culture commune et pour les acteurs un décloisonnement qui permet d’imaginer les choses différemment, de faire avec d’autres…

 

Et pour le Grand Lyon un moyen de se faire connaître sous un jour nouveau ?

C’est clair, l’image du Grand Lyon dans l’agglomération et à l’extérieur a été dopée ! S’il n’y avait pas eu Millénaire 3, jamais Gérard Collomb n’aurait par exemple imaginé devenir président des Eurocités.

 

Millénaire 3 a-t-il conforté la dimension d’agglomération, le pouvoir d’agglomération, l’idée d’un gouvernement d’agglomération ?

Je pense que Millénaire 3 a contribué à faire agglomération, à prendre en compte véritablement l’ensemble de l’agglomération, avec d’autres réalisations qui sont intervenues durant le mandat de Raymond Barre.
Avant l’élection de Raymond Barre, la communauté urbaine était dirigée par la droite lyonnaise, au sens de la Ville de Lyon. Raymond Barre a ouvert sa majorité à ceux qui voulaient y participer, sans exclusive : « à la communauté urbaine, disait-il, nous sommes un outil de mise en commun de moyens pour l’avenir de l’agglomération, les enjeux ne sont pas politiciens, mais de fonctionnement, d’aménagement ». Maurice Charrier, maire communiste de Vaulx-en-Velin l’a rejoint, et les socialistes de la périphérie sont venus aux responsabilités.
Quand nous avons ouvert le débat sur l’avenir de l’agglomération, ce n’était plus la Presqu’île qui pensait l’avenir de l’agglomération, c’était l’ensemble de l’agglomération qui pensait son avenir. Au point qu’en sortant de la première journée de prospective, en février 1998, des participants de Vaulx-en-Velin, de Rillieux-la-Pape, de Vénissieux ou de Saint-Fons nous ont fait remarquer que nous avions mis identité de l’agglomération lyonnaise au singulier, alors qu’elle avait plusieurs identités. D’où une seconde journée de prospective sur le même thème, mais élargie aux identités lyonnaises, à l’automne suivant. Avec Millénaire 3, nous avons fait l’agglomération avec les populations de l’Est lyonnais.
De ce fait, le mandat de Barre est le passage d’une agglomération gérée par Lyon pour les autres, à une agglomération gérée par tout le monde pour l’avenir de l’agglomération. C’est à mes yeux un basculement essentiel. Il est toujours difficile de démêler les causalités, mais Millénaire 3 a été un des éléments de ce basculement, à côté de l’ouverture de la majorité de Raymond Barre, de la création du groupe Synergie au sein du Conseil de communauté, et plus tard de la mise en place des Conférences des maires.

 

Je ne vois pas le rapport entre la création d’un groupe politique et le fait de faire agglomération ?

Au moment de l’élection de Raymond Barre en 1995, les maires des petites communes, affiliés majoritairement à des partis de droite, ont refusé de rentrer dans les groupes de ces partis au Conseil de communauté. Ils créent Synergie, affirmant leur refus que ce soit la droite lyonnaise qui décide de leur avenir. Ils affirment par conséquent l’existence des petites communes, et ils dénoncent la manière de gérer l’agglomération. Avant la création de ce groupe, les petites communes étaient dans un accord majoritaire avec les élus de Lyon, mais se sentaient otages de la droite lyonnaise dans la gestion de l’agglomération. Un an ou deux avant chaque élection municipale, Lyon imposait que l’on finisse les projets lyonnais pour ces échéances, renvoyant du coup au mandat suivant les projets promis aux petites communes.

 

La mission prospective s’est affranchie des compétences du Grand Lyon pour aborder de multiples sujets… Quelle est la portée de ce choix ?

Ce sont ces sujets qui intéressent le citoyen, et non les compétences ! Petit à petit, les communautés urbaines et les intercommunalités deviennent adultes. Elles n’ont pas encore l’ensemble des compétences, ne sont pas encore élues au suffrage universel direct, de multiples étapes restent à franchir, mais elles savent que les citoyens attendent que le maire reste pour la proximité, mais que tous les grands problèmes seront pris en compte au niveau de l’agglomération ou de l’aire urbaine.
C’est un autre basculement. Raymond Barre a très bien décrit cette mutation en déclarant que nous entrons dans le troisième âge de la communauté urbaine : elle a traversé son premier âge, celui des services urbains (assainissement, voirie, eau potable, gestion des déchets…) pour lesquels elle a été créée ; est venu ensuite un deuxième âge, celui de l’aménagement urbain, de Lyon 2010, tout ce qu’a réussi magnifiquement Michel Noir et son équipe : maintenant, disait-il, il faut faire prendre conscience à cette communauté que nous entrons dans l’âge du développement global, économique, social, culturel, et environnemental. Un jour, je lui ai fait remarquer que cela avait pour nom développement durable. Ah, c’est ça me dit-il ! Sans utiliser ce terme, c’était sa conception. A la meilleure intégration de l’économique, du social, de l’environnemental, il rajoutait le culturel. Il avait aussi le souci d’une gouvernance participative. Ce développement intégrait à la fois toutes les économies et des économies pour être plus performant. En discutant avec lui, je me suis aperçu qu’il était un élève de François Perroux, économiste qui a le plus théorisé l’internalisation des coûts externes. Cela explique que lorsque nous avons tenu à Lyon, en février 2002, Dialogues pour la Terre, une grande manifestation préparatoire au Sommet de Johannesburg, c’est Raymond Barre qui répondait le mieux aux questions sur le développement durable lors de la conférence de presse, au grand étonnement des journalistes.
Je pense que Millénaire 3 et la mission prospective ont été et sont toujours des outils pour faciliter ces basculements.

 

Quels sont vos principaux regrets ?

J’en ai un gros : ne pas avoir été assez persuasif pour faire un SCOT à l’échelle de l’aire urbaine. C’était une priorité. Cet échec a d’abord été lié aux conflits entre départements. Mais il était trop tôt, les mentalités n’étaient pas mûres, bien que beaucoup d’élus y fussent favorables.

 

Quelle est votre perception, à partir de votre expérience notamment à la Région Rhône-Alpes, de la singularité du Grand Lyon vis-à-vis d’autres collectivités ? quels traits culturels vous paraissent les plus flagrants ?

Je vois deux grandes forces. Alors qu’au Grand Lyon je pestais contre un manque de transversalité, j’ai découvert qu’il y a beaucoup plus de transversalité au Grand Lyon qu’à la Région Rhône-Alpes. Pourquoi ? Parce que l’on travaille sur un territoire plus restreint, qui est notre territoire à tous ; parce que l’on dépend les uns des autres ; parce les compétences sont essentiellement tournées vers les services urbains, l’aménagement, puis le développement économique. Quand la DGDU veut réaliser des zones d’activités ou un « biopôle », il faut s’assurer que la voirie, l’assainissement, l’eau seront bien là, que les transports en commun desserviront la zone, que les poubelles seront ramassées correctement, etc. Il y a une habitude de se parler, d’échanger, parce qu’il faut travailler ensemble sur des projets concrets, physiques, territorialisés. Alors qu’à la Région, si les directions de la culture, des politiques territoriales, des transports ne communiquent pas, cela n’est pas vraiment gênant tant leurs objets sont disjoints. Du coup, la logique de fiefs y est plus importante. Quand Jean-Jack Queyranne, président de la Région Rhône-Alpes, m’a demandé d’y créer une direction transversale de la prospective, de l’évaluation et des relations aux citoyens, il a été plus difficile qu’au Grand Lyon d’associer les uns et les autres. Par comparaison, on s’aperçoit que le Grand Lyon est un collectif, c’est très important.

 

Quelle est la deuxième force que vous identifiez ?

La deuxième force du Grand Lyon est en partie à l’opposé de ce que j’ai toujours défendu et que je défends encore : elle tient au fait qu’il n’est pas élu au suffrage direct. C’est une association de maires qui travaillent ensemble, pour le bien du territoire. On évite ainsi des joutes politiciennes permanentes. A la Région où les élus le sont au suffrage direct, tous les débats sont politiques au sens politicien. Le Grand Lyon a des groupes politiques mais ce sont plutôt les maires qui font fonctionner la machine. Responsables devant leurs électeurs municipaux, les élus comprennent que les uns et les autres ont des projets qui sont bénéfiques pour leurs communes ; on ne s’oppose pas sur la base de ces projets concrets, a contrario des débats au Conseil régional, beaucoup plus idéologiques surtout en début de mandat. Cette majorité de gestion permet au Grand Lyon de bien fonctionner.

Ce sont deux forces du Grand Lyon, mais c’est lié à une proximité, à un territoire assez homogène malgré les disparités sociales, à un territoire urbain, où des urbains doivent vivre ensemble. La communauté urbaine est là pour mettre en place des politiques publiques qui permettent aux gens de vivre du mieux possible ensemble.