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La création du centre commercial de la Part-Dieu : témoignage

Interview de Charles DELFANTE

Photographie du centre commercial de la Part-Dieu
© Unibail
Urbaniste

<< La superficie du centre commercial est passée de 30.000m2 dans les plans initiaux à 40.000 m2 puis à 120.000 m2 ! Louis Pradel était convaincu que c’était un moyen de financement intéressant… >>.

40 ans du Grand Lyon, un récit à partager
Après avoir été créée comme une communauté  de moyens il y a 40 ans de cela, sous l’impulsion de l’Etat, le Grand Lyon constitue aujourd’hui une communauté de projets autonome, reconnue pour son efficacité dans la gestion d’un territoire qui regroupe 57 communes et plus de 1,3 millions d'habitants. Cette collectivité reste en devenir et l’enjeu est désormais de constituer une véritable communauté de destin, inscrite dans le grand bassin de vie de l'agglomération qui regroupe plus de 2 millions d'habitants. La Direction Prospective et Stratégie d’Agglomération du Grand Lyon a engagé un travail de fond visant à écrire une première histoire de l’institution. Cette interview constitue l’un des éléments de cette histoire, mémoire encore vivante de l’agglomération.

Charles Delfante est né à Lyon en 1926. Après des études d’architecture puis d’urbanisme, il intervient en tant qu’urbaniste-conseil pour le ministère de la Reconstruction. Des dizaines de villes bénéficient de ses services, en particulier Bagnols-sur-Cèze et Firminy Vert. Le ministère de la Construction le charge d’entreprendre les études du Plan d'aménagement et d'organisation générale de la région lyonnaise (PADOG) en 1961. Parallèlement, le 1e septembre 1961, l’atelier municipal d’urbanisme de la ville de Lyon est créé par l’Etat et la mairie de Lyon. Charles Delfante en prend la direction. Il dirige également le groupe d’études mis en place par le ministère pour la restructuration du centre de Lyon qui aboutira au quartier de la Part-Dieu. En 1969, la création de la communauté urbaine amène l’atelier d’urbanisme à se transformer en atelier d’urbanisme de la communauté urbaine. Cette société civile est liquidée en 1978 lorsque la décision est prise de créer l’agence d’urbanisme de la communauté urbaine de Lyon (association loi 1901). Après son départ de la direction de l’urbanisme lyonnais, Charles Delfante demeure conseiller technique de l’Agence d'urbanisme pour l'aménagement de la Part-Dieu. Parallèlement à ses activités pour le compte de l’Etat et les collectivités locales, Charles Delfante a conservé son cabinet d’architecture privé jusqu’à la fin des années 90.

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Date : 29/05/2008

Comment se présente le projet d’urbanisation de la Part-Dieu avant que vous n’interveniez en tant qu’urbaniste en chef ?

J’ai vécu la naissance de l’opération Part-Dieu. En 1948-49, Edouard Herriot décide de rénover la cité Rambaud, du nom de son fondateur, un philanthrope. La fondation Rambaud avait installé des familles déshéritées sur un tènement à la Part-Dieu. Le tout était dans un très mauvais état. L’architecte Pierre Bourdeix est chargé par la municipalité de faire un projet de rénovation. J’ai travaillé sur ce premier projet en tant que « nègre ».

L’opération a pris du temps car l’emprise des terrains de la cité Rambaud n’était pas suffisante, il a fallu exproprier et démolir des immeubles du côté Garibaldi-Bonnel pour avoir une forme géométrique simple qui s’inscrive dans le quartier.A la fin du règne d’Edouard Herriot, la SERL est créée en 1957 puis désignée dès l’année suivante pour prendre l’opération en main. La SERL nomme Jacques Perrin-Fayolle, Jean Sillan et Jean Zumbrunnen comme architectes. Jacques Perrin-Fayolle est premier Grand Prix de Rome (G.P.D.R.), talentueux, pas très moderne, plutôt classique. Il a par contre utilisé les techniques modernes, s’entourant de collaborateurs remarquables, je pense en particulier au sculpteur Morog et ses fonds de coffrage sculptés. Jacques Perrin-Fayolle avait fait l’Institut d’Urbanisme mais pourtant l’urbanisme ne le passionnait pas.

Jean Zumbrunnen avait fait ses études à l’Ecole Polytechnique de Lausanne, qui à l’époque ne jurait que par Le Corbusier. Il était donc imprégné des théories « corbusiennes » bien qu’il n’utilisait pas beaucoup le « modulor ». Garçon raffiné, d’une extraordinaire culture, il apportait un soin pointilleux aux détails. Zumbrunnen et son équipe conçoivent en 1958 le plan de ce qui est à l’époque un grand ensemble.

Louis Pradel devient maire fin 1957 alors que les réflexions sur le quartier sont déjà engagées. L’urbaniste en chef de Lyon est Joseph Maillet. Par la série de lois de décembre 1958, la période des « grands ensembles » succède à celles des « secteurs industrialisés » comme Bron-Parilly. Un grand ensemble est composé majoritairement d’habitat mais les équipements sont créés théoriquement simultanément : écoles, commerces, etc.

La Part-Dieu, toujours occupée par les militaires, est donc à l’époque un projet modèle de grand ensemble, bien conçu, composé majoritairement d’habitat, d’espaces verts, sans circulation intérieure, et bien équipé. C’est un bon projet, un quartier Moderne, à l’époque sans équivalent à Lyon, si ce n’est la Duchère, dont l’opération débute en 1954 après les premières études menées par Jacques Henri Lambert en 1945. L’opération commence donc par Moncey-Nord, sur l’emplacement de la cité Rambaud. Jean Zumbrunnen prend l’opération en main et construit les deux barres d’habitation, très « corbusiennes », ainsi que l’école et le petit centre commercial.

 

D’où vient l’impulsion pour faire à Lyon un deuxième centre ville ?

La Part-Dieu telle que nous l’imaginions vient des idées gouvernementales développées en région par le PADOG à savoir les métropoles d’équilibre et la politique des centres. Nous avons inventé la structure d’étude avec le préfet Ricard et la direction de la construction du ministère puis rédigé le plan. Il a ensuite été amendé par Serge Antoine et la DATAR. Le PADOG s’est transformé en OREAM. L’erreur des gouvernements suivants a été de laisser tomber cette politique pour une autre. C’est l’une des raison de l’échec urbanistique de la Part-Dieu, on a finalement donné la priorité à un centre commercial qui n’aurait jamais du exister, du moins sous cette forme. Entre temps, en 1961, je suis nommé en « lyonnais parachuté » urbaniste en chef de la ville de Lyon.


Comment imaginez vous ce nouveau centre ? Quels sont les éléments le composant ?

Le PADOG définit trois grand niveaux de services pour la région. L’équipe arrive à la conclusion qu’il faut limiter la croissance très rapide de Lyon. Si on ne veut pas saccager le territoire et préserver les ressources naturelles, il faut limiter l’extension urbaine par une ceinture verte et reporter la croissance sur des villes nouvelles. Nous nous inspirons du modèle de « ceinture verte » du Grand Londres de Sir Abercrombie.

Simultanément, l’équipe entreprend l’étude des centres-villes. Plusieurs missions d’experts nationaux partent étudier les exemples étrangers de centres-villes. Le chef de la plus importante des missions était Roger Macé, inspecteur général des finances et directeur de l’aménagement foncier et de l’urbanisme au ministère de la construction. Il était accompagné d’un groupe de hauts fonctionnaires du budget (Boulet), la DATAR (Serge Antoine et Aubert), du commissariat au plan et de techniciens privés dont j’étais.

Les groupes ont analysé les projets britanniques : la reconstruction des centres de Coventry et Birmingham, le Barbican à Londres. Aux Pays-Bas, à Rotterdam, nous avons exploré le Lijnbaan de Bakema et Van Den Broek, architectes de réputation mondiale, et enfin, nous avons étudié les fameux « centres directionnels » italiens dont nous reprenons un certain nombre d’idées comme le nom, même si c’est une mauvaise traduction.

A Lyon, l’objectif était d’imaginer l’extension du centre. L’ATURVIL avait fait une cartographie du centre de l’époque. Il occupait la Presqu’île et s’étendait laborieusement par quelques digitations sur le cours Gambetta, Lafayette, Vitton. Quelques activités tertiaires ponctuaient le cours de la Liberté…tout ceci restait très modeste et pas du tout à l’échelle des ambitions de la ville.

D’après les conclusions du PADOG, la nécessité d’étendre le centre est considérée comme indispensable pour permettre à Lyon d’accueillir des fonctions supérieures et donc de prendre des décisions au niveau local. La phrase clé du projet était « éviter le recours systématique à la capitale » pour les villes de Grenoble, Saint Etienne, Bourg-en-Bresse, Annecy, etc.

 

Quels sont les sites envisagés pour créer ce deuxième centre-ville ?

L’atelier d’urbanisme réalise une série d’analyses en particulier celles des domaines foncier et immobilier lyonnais. Il y avait plusieurs hypothèses de sites envisageable, comme le confluent. De notre point de vue, c’était la meilleure localisation mais il y avait le marché gare tout neuf, le centre de tri, la gendarmerie : on ne pouvait pas envisager de les déménager. Pour les prisons par contre, dès le début du PADOG, en 1963, le ministère de la justice avait « budgété » leur départ mais aucune commune périphérique n’a voulu les accueillir. La négociation avait pourtant été poussée assez loin avec le maire de Rillieux.

Il n’était pas question d’aller du côté de Fourvière ou de la Croix Rousse. Il restait deux hypothèses, la caserne de la Part-Dieu et l’aéroport de Bron. Pour ce dernier, le ministère nous avait demandé d’étudier un projet de « Lyon-parallèle », c’était dans l’air du temps, il y avait la même chose pour Paris.

Le site de la Part-Dieu a été vite repéré par l’atelier d’urbanisme : outre la caserne, un ensemble d’îlots pouvaient prétendre à rénovations. Certains opérations sont d’ailleurs entreprises par des opérateurs privés. Le quartier pouvait même s’étendre jusqu’au fort Lamothe. L’idée d’en faire un parc n’est pas nouvelle, elle remonte à 1964 ! Nous voulions l’utiliser comme « campus ».

Louis Pradel a négocié la politique nationale des échanges compensés avec les militaires. La municipalité prenait possession des terrains militaires dans le périmètre urbain et achetait en contrepartie des terrains dans la campagne environnante, dans la Drôme ou l’Isère. Les militaires n’ont finalement pas accepté le marché. Les négociations pour leur départ ont retardé l’avancement du projet. Il faudrait d’ailleurs faire une thèse sur ce qu’ont coûté aux Lyonnais du point de vue du fonctionnement, de l’aspect de la ville et de ses finances, les oukases des militaires ! L’extension de l’urbanisation a été bloquée par leur réseau de fortifications dont les servitudes n’ont été levées que très tardivement. On pourrait faire le même genre de travail avec la SNCF !

 

Quels sont les ingrédients pour fabriquer un centre-ville moderne ?

Le programme du développement du centre est basé sur quatre éléments essentiels : le développement du tertiaire, du commerce, de la culture et la création d’une cité administrative auxquels il faut ajouter de l’habitat.

Le tertiaire lyonnais est faible, aussi bien privé que public. La création d’une cité administrative ainsi que l’accueil de sièges sociaux doit permettre de créer un pôle fort. Le lieu doit également développer un nouveau pôle commercial. En effet, le commerce lyonnais n’avait pas repris, dans les années 1950, sa vitalité d’avant-guerre. Je l’ai vécu familialement : ma mère avait un commerce de décoration et ameublement. Sa clientèle d’avant-guerre pouvait venir de toute la région. Après la guerre, c’était fini ! La chambre de commerce était très malthusienne, elle a, par exemple, refusé l’aéroport international ! Et c’est Genève qui a pris ce créneau…

Le pôle culturel était un élément majeur du projet. Le ministre de la Culture André Malraux avait lancé un concours pour la maison de la culture de Villeurbanne. Le maire Gagnaire n’en ayant pas voulu, Pradel a immédiatement signifié son intérêt au ministère : « Si Villeurbanne n’en veut pas, moi je prends ». Le ministère a organisé une consultation d’architecture dont le lauréat a été Paul Chemetoff (AUA). Ce pôle culturel, localisé à côté de la maison de la radio comprenait un auditorium, un théâtre, etc.

Le plan s’organise donc avec Ces éléments : le centre d’affaires, le centre culturel, le tout accompagné d’habitat et lié par unE espèce de parvis piéton. Ce n’était pas une dalle à l’époque, puisque le mail de la caserne était conservé c’était une place publique surélevée.

Le ministère désigne une équipe pour étudier l’extension du centre de Lyon. L’atelier d’urbanisme, le BERU, la SETEC, la SEDES et le CREDOC vont approfondir les analyses faites par l’atelier et proposer un programme. Le premier plan de masse de la Part-Dieu comprend donc le centre culturel, la bibliothèque, le centre commercial sur le parvis et une tour « signal ». C’est une idée personnelle. C’était l’époque où on préparait l’aéroport de Satolas. J’avais remarqué qu’en revenant de Satolas, on voyait parfaitement Lyon depuis une petite colline. Je me suis dit « il faut un signal pour signifier qu’il se passe quelque chose ici ».

L’équipe était  étudié ce qui se passait à l’étranger. Il en ressortait  que chaque nouveau centre était  branché sur une gare. L’équipe propose alors le transfert de la gare principale de Perrache à la Part-Dieu et « vend » l’idée à Louis Pradel. Il se laisse convaincre et trouve l’idée géniale : il s’agit de construire une grande gare à caractère international en centre-ville ! Le plan du centre est orienté selon un axe Ouest-Est : Saint Jean, République, Préfecture, Part-Dieu, gare et un axe Nord-Sud : Tête d’Or, Lamothe par la rue Garibaldi aménagée en « Champs Elysées ».

Dans le plan de 1967, le plus abouti, la gare est monumentale. Nous n’avions pas étudié l’architecture mais avions essayé de simuler ce qui pouvait être une gare avec un parvis commerçant disposé sur un grand axe bordé par la tour, la bibliothèque, etc.

 

Quels sont les éléments qui ont contrarié vos plans ?

En premier lieu, la SNCF a exprimé sa volonté de ne jamais créer de gare à la Part-Dieu ! André Ségala, le président de la SNCF a fait confirmer cette volonté lors d’un comité interministériel. Nous avons malgré tout sorti en 1967 notre maquette du quartier comprenant la gare, avec le soutien du maire et du préfet…en vain !

La Part-Dieu butera donc sur une gare de triage ! Cette situation donne lieu à une anecdote : avec Jacques Perrin-Fayolle et les autres architectes, nous discutions du revêtement du silo de la bibliothèque. Jacques Perrin-Fayolle voulait absolument un revêtement blanc, Robert Levasseur aussi… Je leur ai dit : « Vous rêvez ! Avec les charbonniers à côté, votre blanc sera noir dans deux ans ! » Alors Perrin-Fayolle, suite à cette boutade, a opté pour le noir ! Rendu possible par l’abandon du centre culturel, le changement d’orientation du centre commercial donna le coup de grâce au plan d’origine et mit un terme aux espoirs de rues « portiquées » que nous avions imaginées pour Bonnel et Servient.

Des cheminements piétons sous arcades devaient permettre de rejoindre le pont Wilson. C’est l’un des échecs que je regrette le plus. La superficie du centre commercial est passée de 30.000 m² dans les plans initiaux à 40.000 puis à 120.000 m² ! Louis Pradel était convaincu que c’était un moyen de financement intéressant : en triplant la charge foncière, le centre commercial a participé au financement d’une grande partie des équipements sans que la municipalité n’augmente les impôts.

 

De quoi êtes-vous le plus fier à la Part-Dieu ?

A la vérité, je ne suis fier de rien à la Part-Dieu. J’ai toujours dit que la Part-Dieu est un échec urbanistique. Je persiste et je signe, même s’il y a eu des projets intéressants !

La SNCF est venue ensuite nous dire, « la gueule enfarinée », que le gouvernement avait décidé de créer le train à grande vitesse et que la gare du TGV ne pouvait pas être ailleurs qu’à la Part-Dieu ! C’est à cause de la SNCF qu’une grande partie de la cohérence du plan d’origine a disparu !

La SNCF a fait un concours en 1973 pour la nouvelle gare auquel participait Gagès, Remondet, Parent et moi-même. Nous avons fait des propositions ; avec Gagès, la gare enjambait les voies au moyen de mégastructures…Ce système permettait de relier les Grattes-Ciel à la Part-Dieu, donc de réaliser cet axe allant de St Jean aux Grattes-Ciel. Cette gare avait une autre allure que celle qui a été réalisée, qui prétend être aujourd’hui le pôle des trains européens à grande vitesse ! La Gare de la Part-Dieu devait être monumentale, un symbole marquant de Lyon, à la manière de celle de Saint Exupéry.

Le rôle de contre-pouvoir de Lyon par rapport à Paris n’a pas fonctionné, seul Rhône Poulenc a conservé son siège social à Lyon. Le gouvernement a changé d’optique. Sous influence parisienne, il a décidé de développer l’Ile de France, en particulier la Défense. Le TGV, au lieu d’être un élément de décentralisation comme il était envisagé dans la politique des métropoles d’équilibre, est devenu un élément de centralisation. La répartition des éléments décisionnels prévus à Nantes, Lyon, Nancy, Lille, ne s’est pas faite. Tout s’est concentré dans l’Ile de France. Dans la politique des métropoles d’équilibre, la Défense n’existait pas sous la forme que nous connaissons aujourd’hui.

Quand je travaillais sur le plan masse de la Part-Dieu, je m’étais entouré d’un petit comité de grands décideurs où se trouvait P. Berliet, C. Mérieux, P. Lacroix, I. Terrasse… Nous discutions du projet et j’ai toujours été soutenu par ces grands industriels. Je regrette que ce plan n’ait pas pu aboutir car c’était une autre manière de concevoir la ville.

 

Le « point de non-retour » a été  donc l’absence de gare et la taille du centre commercial ?

Oui, et on peut ajouter la prétention de certains ingénieurs des ponts et chaussées de vouloir des autoroutes partout. A partir de ce moment, le projet devient intenable ! D’autant que les promoteurs ne viennent pas investir à la Part-Dieu mais juste aux alentours. Ils misent sur le succès de l’opération qui valorisait leur bien mais ne cherchent pas à investir pour la collectivité… Les promoteurs font donc ce qu’ils veulent. C’est très français comme système ! Une fois le lot acheté, il devient très difficile voire impossible de leur faire respecter le cahier des charges : c’est pour cela que le « M+M » est trop bas ou que le « Britannia » est énorme !

 

Y avait-il une autre solution pour mieux maîtriser les éléments ?

Oui. Je voulais que le foncier de la Part-Dieu reste public. Ces propos m’ont valu d’être traité de gauchiste ! Le foncier public permet de faire évoluer les fonctions grâce au droit d’usage. Aujourd’hui, nous pourrions ainsi faire évoluer la tour UAP qui est vide, le « Britannia » obsolète », etc. surtout que ces bâtiments sont amortis depuis longtemps ! C’est la force du système britannique, où, mis à part Londres et les grandes villes, le foncier reste la propriété des comtés qui donnent un droit d’usage.

 

A partir de quand cette idée n’a-t-elle pas été retenue ?

Presque dès le début. Lorsque la SERL a essayé de mettre en œuvre le projet, elle a acquis pour le compte de la Ville le terrain aux militaires grâce à un emprunt. Mais l’argent était prêté à court terme et devait être remboursé à une date précise. Ce système a engendré des opérations purement financières dont le centre commercial est le point d’orgue, considéré dans cette optique comme une « chance » inespérée : il permettait de rembourser tous les emprunts ! Le ministère et la ville n’ont jamais cru à ce système alors que la rive gauche du Rhône est construite grâce aux baux emphytéotiques ! Pourquoi n’avons nous pas poursuivi cette politique ?

Nous étions tout de même un certain nombre à être du même avis. Sous la houlette d’Edgar Pisani, avec Yves Dauge et d’autres, nous avons rédigé une proposition de loi sur l’impôt foncier. Il permettait d’éviter l’enrichissement sans cause des propriétaires bénéficiant des investissements de la collectivité. Ces recommandations n’ont pas été suivies. Aujourd’hui, le foncier atteint des valeurs très élevées, le privé fait « suer le burnou ! ».

 

Que pensez-vous des projets actuels comme le remodelage de la rue Garibaldi en boulevard planté jusqu’au parc Lamothe ?

C’est bien mais c’était dans le projet initial ! On avait créé neufs placettes sur la rue Garibaldi, du parc de la Tête d’or à la Part-Dieu. Elles ont pratiquement toutes disparu. La seule qui a été faite est la place de l’Europe, un peu par hasard, elle était propriété des hospices. Les HCL voulaient implanter leur siège social sur le terrain voisin. Toutes les opérations de rénovations qui se sont déroulées à l’initiative des promoteurs, comme Vauban-Garibaldi, ont vu leurs espaces verts réduits comme peau de chagrin. Il ne faut pas oublier que dans les premiers plans de masse et la maquette de 1967, on avait conservé le mail de la Part-Dieu, c’est-à-dire le boisement de la cour de la caserne, alors que l’ingénieur nous avait prédit la mort imminente des arbres à l’époque, qui sont toujours là aujourd’hui !

 

Vos lettres de démissions, et la « Pavane pour une idée défunte »… pouvez-vous rappeler le contexte ?

La première fois que la pavane est parue, c’était dans le journal « Dernières heures ». Comme elle n’était pas signée, on l’a attribué à des étudiants gauchistes ! J’ai avoué ensuite au président Carteron : « Président, c’est moi ! » Je déballe ce que je ne supportais plus. Avant ça, j’avais donné ma démission à Louis Pradel. Quand j’ai vu la taille démesurée du centre commercial… on ne pouvait plus rien faire, c’était foutu, d’autant plus qu’on réintroduisait massivement la circulation automobile ! J’avais dit à Louis Pradel, « On est en train de faire un centre commercial de banlieue en centre-ville ». Mais à cette période du tout-automobile, Pradel avait chaussé les bottes de Pompidou. Mes collaborateurs et moi-même avions pourtant imaginé un quartier desservi par les transports en commun où la place réservée à la voiture était réduite au strict minimum..

Il y a eu d’autres épisodes rageant comme l’implantation des archives départementales. Elles ont récupéré le terrain d’une vieille usine rue Servient. Je me suis opposé à leur implantation : les archives attirent « quatre pelés et trois tondus » par jour, ce n’est pas ce qu’il faut à la Part-Dieu ! Il nous faut des équipements majeurs, qui attirent le public !

Je n’ai pas non plus compris l’attitude des administrations qui se plaignaient d’être dispersées aux quatre coins de Lyon, avec une centaine d’implantations. L’Etat finance donc une cité administrative pour regrouper rationnellement cet ensemble. Une fois la cité administrative lancée, on constate avec effroi que certaines administrations ne jouent pas le jeu : la DDASS se met en face, l’Equipement n’est jamais venu totalement, bref, il n’y a jamais eu d’esprit collectif, même si on a essayé…Arrivé à mon âge, je me demande comment j’ai fait pour vivre ça et tenir le coup !

 

Auriez-vous un conseil à donner à ceux qui imaginent la Part-Dieu aujourd’hui ? Par exemple par rapport aux tours qui se préparent à s’élever dans le quartier ?

Oui… je reprendrai l’espèce de boutade que le grand architecte américain Philip Johnson m’avait sorti à propos de l’implantation des tours dans les villes moyennes américaines qui voulaient toutes leur petit Manhattan. Philip Johnson avait eu cette réflexion :   Les tours c’est très bien, à condition qu’elles soient correctement localisées. Si on ne codifie pas la skyline, on risque d’avoir l’aspect d’un champ d’asperges qui a mal poussé ! »  En 1989, il y a eu une maquette et une étude avec les possibilités d’utilisation de tous les terrains libres. Henry Chabert n’en a pas tenu compte, faisant faire une autre étude de silhouette urbaine.