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L’agglomération lyonnaise et son hinterland

Interview de Paul BOINO

Maître de conférences à l'Institut d'Urbanisme de Lyon (Lyon 2)

<< Les mutations industrielles ont fait de Lyon le principal pourvoyeur d’emplois de la grande région lyonnaise >>.

Les mutations industrielles ont fait de Lyon le principal pourvoyeur d’emplois de la grande région lyonnaise.

Professeur des universités en urbanisme et aménagement, Paul Boino poursuit différents travaux de recherche portant sur les dynamiques socio-économiques, les modes de gouvernance et les politiques propres aux aires métropolitaines.
Dans cette interview, Paul Boino nous éclaire sur les liens historiques qui se sont noués entre l’agglomération lyonnaise et son hinterland

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Date : 12/07/2010

Quels sont les grands moments de l’histoire des relations de Lyon avec les territoires voisins ?

Cette histoire commence dès la fondation de Lyon. Dès sa naissance ou presque, Lyon devient la capitale des trois gaules. Elle assure en outre des fonctions de commandement plus spécifiques sur l’une d’entre elle : la gaule lyonnaise, vaste région qui allait de Lyon à la Bretagne. Enfin, à l’intérieur de cette région, Lyon gouvernait plus fortement encore un territoire qui couvrait les régions actuelles de la Loire, du Dauphiné, des deux Savoie, de la suisse francophone, de la Franche-Comté et du val d’Aoste. A l’époque romaine, Lyon est donc certes la capitale des trois gaules mais avant tout et surtout la capitale politique, économique et culturelle de cette région sensiblement plus restreinte. A la fin de l’empire romain, la ville va toutefois perdre ses fonctions politiques puis la coupure des principales routes commerciales provoquée par les grandes invasions va la déposséder de ses fonctions économiques à grand rayonnement.
Durant le haut moyen-âge, Lyon conserve toutefois des fonctions culturelles puisqu’elle reste l’épicentre d’une région linguistique – le franco-provençal – et conserve des fonctions religieuses et intellectuelles éminentes. La situation évolue à partir de l’an 1000 lorsque Lyon se réinsère progressivement dans les circuits économiques. Elle redevient une grande ville commerciale puis productive. Elle va fonder son nouveau développement dans son intégration à la route de la soie et plus globalement dans le commerce au long cours. Cette nouvelle croissance économique est peu liée à sa région culturelle, qui lui sert avant tout de zone d’alimentation de première nécessité : bois, lait, viande, etc. Plus encore, puisque ce mouvement d’internationalisation de Lyon va conduire au développement de l’italien puis du français dans la cité au détriment du franco-provencal. Ainsi acculturée, Lyon n’est plus l’épicentre de cette région linguistique dont il ne reste plus aujourd’hui que quelques réminiscences dans les accents, avec par exemple la prononciation assez fermée des « a » et les multiples « y » ponctuant les phrases comme « y va bien ». Il reste aussi quelques mots ou expressions comme « c’est cafi » qui signifie « plein de », etc. Somme toute, le renouveau économique de Lyon va se révéler préjudiciable à sa dimension de capitale culturelle. Il y a là une différence notable par rapport à des régions comme la Catalogne où Barcelone va conserver la langue catalane et son statut de capitale culturelle.  

 

On sait que la soie aura une place essentielle dans l’identité et le développement économiques de Lyon à l’époque moderne. Va-t-elle jouer un rôle dans le rapprochement entre Lyon et les territoires voisins? 

A partir de la Renaissance, lorsque commence à se développer non plus seulement le commerce mais la production de soie, les relations entre Lyon et son hinterland vont se modifier. Une division de travail se met en place à l’échelle de la très grande région lyonnaise. L’Ardèche fournit les vers à soie (un moment), les Cévennes le minerai, la Loire se charge de la rubanerie, Chazelles-sur-Lyon de la chapellerie, le Bugey intervient pour le dévidage des cocons. Dès le 17ème siècle, avant même la révolution industrielle, nous avons une région économique lyonnaise qui s’organise et qui s’étend déjà sur un vaste espace puisqu’elle incorpore le lyonnais, le forez, le roannais, une large partie de l’Ain et du Dauphiné, le nord de l’Ardèche et même une petite partie de la Drôme.
 

 

Quel sera l’impact de la révolution industrielle sur l’organisation de cette région économique ?

La première révolution industrielle va superposer à cette région textile, une autre division du travail liée cette fois-ci au charbon, à l’acier, à la sidérurgie, à la métallurgie, à la mécanique. C’est à ce moment là que Saint-Etienne se développe très fortement. Des liens très importants entre la région stéphanoise et la région lyonnaise vont s’établir. Peu avant la Révolution française, on va construire le canal du Giers qui permet de connecter le bassin minier à Lyon par la voie d’eau. Puis il y a la voie de chemin de fer qui va connecter rapidement Saint-Etienne à Lyon pour amener le charbon dont a besoin la sidérurgie lyonnaise. La région économique lyonnaise de cette époque est donc à la fois proto-industrielle avec la soie, et industrielle avec la mine, la sidérurgie et la mécanique. On observe une division du travail centre-périphérie très nette. La région est centrée sur Lyon qui donne les ordres, qui possède les terres, les mines…
Au 19ème siècle, la prospérité apportée par la fabrique de la soie va permettre à Lyon de devenir en outre une grande capitale financière. Plusieurs banques lyonnaises voient le jour. Les fonds accumulés avec la fabrique de la soie vont également largement contribuer au financement de la deuxième révolution industrielle. Il ne faut pas oublier que Marius Berliet était marié à l’une des filles d’un fabriquant de soie, lequel va financer le développement de son entreprise. De même, l’entreprise Gillet, qui va fonder progressivement la chimie industrielle, avait au départ une activité de teinture de la soie. Au 19ème siècle, Lyon redevient donc une grande puissance industrielle et financière.

 

Ce pouvoir de commandement de Lyon sur l’économie régionale va-t-il se maintenir au XX° siècle ?

Avec la seconde révolution industrielle, marquée par l’essor de la chimie, de l’électricité, etc., les relations entre le centre et la périphérie vont changer à nouveau. Une partie de la périphérie va prendre son autonomie. Il s’agit notamment de Saint-Etienne qui bénéficie de nouvelles infrastructures de communication avec la construction d’un axe direct avec Paris. De grandes entreprises se développement aussi dans la cité stéphanoise, comme Manufrance et Casino par exemple, entreprises qui ne sont plus sous dépendance lyonnaise.
A Lyon comme à Saint Etienne, de nombreuses entreprises sont en outre impactées par la montée de la centralisation économique. Elles passent sous commandement parisien, avec le déménagement des sièges sociaux des grands groupes vers la capitale et la perte d’activité de la bourse de Lyon. Au début des années 1970, Lyon a perdu une bonne part de son pouvoir de commandement économique sur la grande région lyonnaise. Elle-même est largement sous influence parisienne.

 

Comment va réagir la région lyonnaise face aux mutations industrielles qui émergent à partir des années 1970 ?

La donne va complètement changer avec ce que l’on appelle la 3ème révolution industrielle qui démarre dans les années 1970 et qui nous amène au monde actuel dominé par l’informatique, les biotechnologies, etc. Toute une partie de l’activité économique de la région économique lyonnaise va s’effondrer : le textile, la mine, la sidérurgie, une bonne part de la mécanique. Saint-Etienne et Roanne notamment subissent un choc économique majeur, choc dont elles ne se sont toujours pas entièrement relevées. Elles rencontrent de grandes difficultés pour redynamiser leur base économique. A contrario, Lyon n’a pas subi de choc sectoriel majeur. Le secteur de la chimie a connu des changements, avec une diversification, une métamorphose qui continue aujourd’hui avec le départ progressif de la chimie lourde. D’autres activités plus modernes apparaissent toutefois et permettent la transition : biotechnologies, textiles de grande technicité, etc. On observe donc un différentiel de développement économique entre Lyon et la périphérie qui a eu pour conséquence immédiate le fait que Lyon est devenu le principal pourvoyeur d’emplois de la grande région lyonnaise. D’autant plus que le desserrement de l’activité productive lyonnaise s’est effectué en périphérie immédiate de l’agglomération : par exemple le 7ème ou le 8ème arrondissements se sont désindustrialisés au profit de Saint-Priest, de Bron, etc.  
Ce différentiel de développement économique entre le centre et la périphérie s’est renforcé avec la création du quartier de la Part-Dieu dans les années 1970. Il a visé à doter Lyon d’un véritable quartier d’affaires. Après un démarrage difficile, les années 1990 et 2000 ont vu l’implantation de sièges sociaux d’entreprises de plus en plus nombreux. Aujourd’hui, le quartier de la Part-Dieu est quasiment plein. En France, c’est le seul vrai quartier d’affaires hors Paris. On ne voit pas cela ou du moins à cette dimension à Marseille ou à Lille. On se rend compte également qu’un quartier comme Gerland accueille lui aussi des sièges sociaux et que celui de Vaise est en train de prendre le même chemin. Ce développement est tout à fait impressionnant comparativement aux autres villes françaises parce qu’il combine activités directionnelles et production High-tech.
Lyon est donc devenu le principal pourvoyeur d’emplois pour toute la périphérie de l’aire métropolitaine. Aujourd’hui, on constate qu’il y a à peu près 160 000 déplacements chaque jour entre les différents Scot de la région lyonnaise dont 110 000 en direction de Lyon.

 

En quoi les dynamiques résidentielles participent-elles également des interdépendances entre Lyon et sa région ?

Le deuxième élément qui a renforcé ces dernières années les liens entre Lyon et son hinterland, c’est la périurbanisation. A partir des années 1970, trois phénomènes se sont conjugués et ont conduit à une explosion de la demande de maisons individuelles. Tout d’abord, différentes mesures nationales ont favorisé l’accession à la propriété privée du logement. Ensuite, il y a eu un développement de la voiture individuelle qui a accru la capacité de mobilité des ménages. Enfin, on observe une industrialisation du mode de construction des maisons individuelles. Au début, ce phénomène d’extension urbaine s’est exprimé au pied des ZUP, aux Minguettes, à Rillieux, etc ou plus globalement dans le prolongement immédiat des banlieues. Progressivement, il s’est développé de plus en plus loin des centres urbains, à travers la multiplication des lotissements, mais aussi de façon isolée. Or, les emplois n’ont pas connu le même desserrement spatial et cette distorsion entre un desserrement très important du logement et un desserrement beaucoup moins fort des emplois a amené une augmentation considérable des déplacements domicile-travail. Les ménages périurbains plus particulièrement sont amenés à faire quotidiennement la navette entre leur domicile situé en périphérie et l’agglomération lyonnaise.

 
 

Les dynamiques résidentielles sont-elles seulement centrifuges ?

On constate de façon très nette qu’il y a un cycle centre-périphérie dans le parcours résidentiel des ménages. Plus précisément, il y a une corrélation entre votre âge, ce qu’on appelle le cycle de vie, et le lieu où vous habitez et votre type de logement. On peut ainsi dérouler une trajectoire résidentielle type tout au long du cycle de vie. On observe par exemple que les étudiants vont avoir tendance à habiter dans le centre de l’agglomération lyonnaise, plus précisément dans les anciens faubourgs de la Croix-Rousse et de la Guillotière en particulier. Dans ces quartiers vous avez une surreprésentation très forte des jeunes. Ensuite, on observe un premier desserrement lorsque l’on devient jeune actif et que l’on commence à vivre en couple. Avec l’arrivée du premier enfant, on va une nouvelle fois avoir tendance à s’installer dans des zones légèrement plus éloignées, comme le 8ème arrondissement ou Villeurbanne par exemple, pour pouvoir accéder à un appartement plus grand. Et lorsqu’arrive le deuxième enfant, on va être tenté d’acheter une maison dans la périphérie. Nous poursuivons notre cheminement dans le cycle de vie, les enfants grandissent et vient le moment où ils vont suivre des études supérieures. Ils vont alors en profiter pour prendre leur autonomie en emménageant dans le centre de Lyon, de Paris, de Montpellier… Les parents quant à eux se retrouvent à la tête d’une maison surdimensionnée et avec un grand jardin. Ils ont alors souvent le désir de se relocaliser dans un centre urbain, que cela soit celui d’une grande ville, ou d’une agglomération plus modeste. Ce parcours résidentiel est bien évidemment largement influencé par les revenus des ménages.

 

Concernant l’administration territoriale, comment expliquer que la frontière Est du département du Rhône soit aussi proche de Lyon alors que les chefs-lieux sont généralement situés au centre des départements ?

Si l’on parle maintenant d’administration territoriale, c’est une autre histoire. Pour comprendre la situation actuelle, il faut remonter au moyen âge et rappeler les conditions du ralliement de la ville de Lyon au royaume de France alors en constitution. Rappelons tout d’abord que le territoire du lyonnais rejoint ce dernier avant la ville de Lyon qui reste au départ du côté du Saint-Empire romain germanique. Cette situation va évoluer à la faveur des tensions croissantes qui opposent à Lyon le pouvoir religieux gouvernant la ville (les chanoines) et le monde économique. Grâce au pont de la Guillotière construit par la bourgeoisie locale, la principale route commerciale qui relie l’Europe du Sud à l’Europe du Nord se met à passer par Lyon. Lyon connait un très fort développement économique à partir de l’an 1000 dont les retombées fiscales enrichissent fortement le pouvoir politique lyonnais, c'est-à-dire les chanoines. Mais du point de vue des laïcs, ces taxes sont des freins au développement du commerce à Lyon. Ainsi, les tensions entre pouvoir religieux et pouvoir économique ne vont cesser de s’accroitre. Elles vont aboutir à une guerre civile opposant Saint-Jean, siège du pouvoir religieux, et la presqu’ile qui accueille le pouvoir économique. Peu avant le 14ème siècle, nous avons donc à Lyon deux villes qui s’opposent frontalement. Pour faire basculer ce rapport de force en sa faveur, chacun des deux partis va chercher des soutiens à l’extérieur. La bourgeoisie lyonnaise va solliciter en l’occurrence l’aide du roi de France pour établir un pouvoir laïc à Lyon, en contrepartie de laquelle Lyon deviendra une ville française. C’est finalement grâce à l’intervention du roi que Lyon va devenir une ville du royaume de France, avec l’axe Rhône-Saône comme frontière avec le Saint empire germanique. D’un point de vue politique, Lyon se met à regarder vers l’ouest et cela va laisser des traces. En effet, quelques siècles plus tard, lorsque sont créées les « généralités », ancêtres de nos départements, la généralité de Lyon va rependre cette frontière. Elle couvre les actuels départements de la Loire et du Rhône. L’axe Saône-Rhône continue à faire frontière avec la Dombes et le Dauphiné, intégrés plus tardivement au royaume de France. Lors de la Révolution française, la création du département de Rhône-et-Loire s’est calquée ainsi sur l’ancienne généralité de Lyon. On connait la suite : pour punir Lyon de s’être révoltée contre le pouvoir parisien durant la période révolutionnaire, le département de Rhône-et-Loire sera divisé en deux pour former les départements du Rhône et de la Loire. C’est ainsi que nous aboutissons globalement au département du Rhône que l’on connait aujourd’hui.