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Individualisation des droits sociaux : le point de vue de la CFDT

Interview de Elisabeth Le Gac

Portrait d'Elisabeth Le Gac
Secrétaire générale de la CFDT pour Auvergne-Rhône-Alpes

<< Les droits individuels, ce n'est pas la jungle, ce n'est pas de l'individualisme, il faut défendre une gestion collective des droits individuels >>.

Elisabeth Le Gac est secrétaire générale de la CFDT pour Rhône-Alpes (puis Auvergne-Rhône-Alpes) depuis 2008.

Elle est en charge de la politique générale, et membre du bureau national de la CFDT. Issue du secteur de la santé, elle milite à la CFDT depuis 1993. 

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Date : 09/04/2017

À quoi renvoie, pour votre organisation, la notion de droits sociaux ?

Les droits sociaux, c’est d’abord la protection sociale. C’est très large : la retraite, le chômage, la famille, la santé, plus la santé au travail. L’objectif de ces différents systèmes, c’est de protéger les plus démunis. C’est un principe de solidarité : « Je contribue selon mes moyens, je reçois selon mes besoins ».

Et la notion d’individualisation des droits sociaux ?

Il n’y a pas deux situations identiques.

Avec la notion d’individualisation, il s’agit de regarder la situation précise des personnes. Et selon que l’on est au chômage ou pas, intermittent ou intérimaire, en contrat court ou en CDI, licencié économique ou démissionnaire, etc. on aura des droits spécifiques, éventuellement un régime spécifique. Mais même la protection sociale a déjà une dimension individuelle. On voit bien qu’on est déjà en train de regarder des situations particulières. Il n’y a pas deux situations identiques. Les droits individualisés ne remettent pas en cause la solidarité, qui est au fondement de notre modèle de protection sociale. C’est pourquoi je préfère parler de droits « attachés à la personne ». Parler d’individualisation peut laisser croire qu’on est dans l’individualisme, le chacun pour soi. Il n’est pas question de ne pas penser « solidarité ».

Quel est le rôle de la CFDT sur le développement de ces droits attachés à la personne ?

Nous sommes légitimes à intervenir sur ce sujet

Nous sommes légitimes à intervenir sur ce sujet, à porter une politique, dans la mesure où la politique familiale est financée par les ressources des entreprises et des salariés. Cette contribution financière finance du droit universel.

Aujourd'hui, il y a une évolution notamment impulsée par le CPA. C’est ce que nous portons à la CFDT : il faut que toutes les sécurisations soient rattachées à la personne et non plus à son statut. Les différents régimes, le fait de travailler dans le public ou le privé, dans une PME ou une grande entreprise, entrainent aujourd'hui de trop grandes inégalités. D’autant que l’évolution du monde du travail fait qu’un salarié aujourd'hui ne fait plus son parcours dans la seule et même entreprise. Il y a des temps de travail dans le public, puis dans le privé, des moments où l’on est auto entrepreneur… En 1948, création de la protection sociale, le système correspondait complètement à ce qui se passait à cette époque-là. Aujourd'hui, ces évolutions du monde du travail font que le système de protection sociale doit s’adapter. On en vient donc à se dire qu’il faut regarder non plus les statuts, pour obtenir des droits, mais permettre d’acquérir des droits attachés à la personne qui travaille, quel que soit le lieu. Afin de pouvoir prendre en charge les ruptures de parcours, de manière équitable pour tout le monde. 

Vous pourriez illustrer concrètement ce décalage entre les transformations du monde du travail et le système de protection sociale actuel ?

plutôt que de fixer un âge de départ à la retraite identique pour tous, nous préconisons de tenir compte de la durée de cotisation

On le voit par exemple sur le mode de calcul des retraites. Considérons simplement le régime général et la fonction publique : si aujourd'hui une personne fait une carrière complète, mais en partie dans le public et en partie dans le privé, au regard des modes de calcul de chacun des deux régimes, elle se prend de la décote d’un côté comme de l’autre ! Au lieu d’avoir 80 ou 90% de ses dix meilleures années de salaires, en faisant ces parcours différents, elle tombe à 70, voir 50%. Les primes, par exemple, n’étaient pas prises en considération dans la fonction publique, si bien que des agents, qui faisaient une partie importante de leurs salaires en primes, les aides-soignantes par exemple, n’ont pas de cotisation sur les primes. Et donc arrivées à la retraite, elles touchaient 60% du dernier salaire, voir 50% pour certaines. Ces salariés n’ont pas fait un régime complet, donc ils ont des décotes. Alors qu’ils ont une carrière complète.

Il y a besoin d’une harmonisation, on a besoin d’apporter des rééquilibrages. Notamment sur les carrières des femmes. Lorsqu’elles sont en congé maternité, elles n’évoluent pas dans leurs carrières. Ce n’est pas au moment de la retraite qu’il faut essayer de compenser cela, mais avant, pendant la carrière, afin d’éviter que les inégalités ne s’installent.

La question se pose également sur la manière de compenser les différentes durées de scolarisation : entre celui qui sort de l’université à 25 ans et celui qui commence à travailler à 18 ans, il y a 7 ans de décalage de cotisation. Mais celui qui a fait des études a bénéficié pendant 7 ans de la solidarité nationale, du système scolaire, universitaire. Et il a de fortes chances d’accéder à un meilleur poste, moins pénible, mieux rémunéré. Donc plutôt que de fixer un âge de départ à la retraite identique pour tous, nous préconisons de tenir compte de la durée de cotisation. Et de permettre un rééquilibrage par la formation en cours de carrière pour ceux qui n’ont pas bénéficié d’une formation initiale longue. 

C’est le sens du Compte Personnel de Formation (CPF), qui fait partie de ces droits attachés à la personne ?

Absolument. Il y’a eu des évolutions importantes sur la formation professionnelle. Elle apporte une forme de liberté, d’autonomie : « si je suis formé, je ne suis pas enfermé dans son travail, mon poste, mon entreprise. Plus je me forme, plus je suis en capacité de rebondir, de retrouver du boulot si mon entreprise ne va pas bien, d’évoluer si je le souhaite. » Et des salariés formés, c’est aussi un atout pour la performance de l’entreprise, très clairement. Donc la loi de 2013 sur la formation profite aux salariés comme à l’entreprise, avec la mise en place du CPF, mais aussi des conseillers en évolution professionnelle, des évaluations du besoin de formation proposées à l’intérieur des établissements.

Et le CPF est activé à la demande du salarié. L’entreprise est informée, bien sûr, mais c’est à l’initiative du salarié, selon ses besoins : pour être mieux sur son poste, pour évoluer… 

Et l’arrivée du Compte Personnel d’Activité (CPA), c’est aussi une bonne chose ?

Bien sûr. On entrouvre la porte vers l’évolution de la protection sociale. Vers une protection sociale adaptée au monde du travail dans lequel on vit, aux parcours et aux emplois atypiques, à la volonté d’émancipation des salariés. Les salariés ont cette volonté aujourd'hui. Aujourd'hui le CPA donne droit à des heures de formation, mais c’est une première étape, c’est la porte ouverte.

Et la grande première, c’est que sur une telle loi, enfin, le public et le privé sont concernés. La plupart du temps, l'État employeur se désengage de sa responsabilité d’employeur. Il exige beaucoup de choses du privé qu’il ne s’applique pas à lui-même. Sur le CPA comme sur le CPF et la formation professionnelle, cela concerne public et privé. C’est une vraie évolution, notamment pour l’harmonisation des carrières : peu importe son statut, le salarié a accès aux mêmes types de droits. 

Il est prévu que le CPA puisse évoluer, s’améliorer. Comment voyez-vous cette évolution ?

Le temps est enjeu important

Il faudrait qu’on aille sur la question du temps, vers une « banque du temps » : que le Compte Épargne Temps soit accessible à tous les salariés, et que le salarié décide lui-même comment et quand il l’active, en fonction de ses besoins. Que chacun puisse décider d’abonder son compte épargne temps, et l’actionner ensuite pour n’importe quelle raison. Y compris pour des raisons personnelles : un peu plus de congé à l’arrivée d’un enfant, tout en conservant son emploi et son salaire, pour aider un proche malade. Ou pour faire un voyage ! C’est une façon de développer l’émancipation de la personne vis-à-vis du travail.

Le temps est enjeu important, aujourd'hui : le droit du travail, c’est 35h hebdomadaire. Mais il y a aussi les heures supplémentaires, les RTT… Il faut que ça puisse se négocier, entreprise par entreprise, sans nier les spécificités des entreprises, leurs capacités à recruter, etc. Une entreprise située à Lyon ou à Annonay ne gère pas son temps de travail de la même façon. Les entreprises ont des spécificités. Ça doit se négocier dans l’entreprise, sans nier la nécessité d’un accord de branche, de la loi. C’est ça que permet l’inversion de la hiérarchie des normes, apportée par la loi « travail ». Ça a été mal compris, mal expliqué.

Justement, quel est l’impact de l’inversion de la hiérarchie des normes sur les droits sociaux ? Est-ce que ça n’entraine pas une fragmentation des droits, entreprise par entreprise, selon les capacités de négociation des salariés ?

Les traitements différents des salariés entre entreprises existent déjà, d’une convention collective à une autre

Les traitements différents des salariés entre entreprises existent déjà, d’une convention collective à une autre : il y a aujourd'hui 750 branches, et autant de conventions collectives. Et il y a à peu près 70 branches qui fonctionnent véritablement. Donc 70 conventions collectives dans lesquelles il y a des droits, qui ne sont pas les mêmes que pour les salariés qui ne bénéficient pas de conventions collectives, ceux qui sont « hors champ ». C’est le cas du secteur de l’ESS, par exemple. Ils sont « hors champ » des conventions collectives. Si un accord interprofessionnel ou une loi n’est pas « étendu », il ne s’applique pas à ces salariés. Et, par exemple, la portabilité des droits ne s’applique pas aujourd'hui à ces salariés hors champs. De même, les droits ne sont pas identiques entre privé et public, ou pour la mutuelle : chaque entreprise négocie son contrat de mutuelle, donc la protection des salariés n’est pas la même. Le cout des heures supplémentaires est négocié et donc variable d’une entreprise à une autre. Il n’y a donc pas d’égalité aujourd'hui. Dans ce paysage, il faut négocier entreprise par entreprise, en fonction de la santé de l’entreprise. Dans une entreprise qui se porte bien, on peut négocier plus de choses. Il faut un regard pragmatique. Mais attention, ce n’est pas parce qu’on parle de droits « individuels » qu’il n’y a pas de gestion collective. 

C’est à dire ? Vous voulez dire qu’il est important de garder un cadre collectif, même s’il y a des négociations sur le terrain ?

Le pire, serait la logique du Revenu universel

Tout à fait. Le pire, serait la logique du Revenu universel - sans vouloir faire de politique. Parce que c’est une logique où l’on renvoie chacun à sa propre gestion des risques. Il y a plusieurs formes de revenu universel, mais si on dit : « On va vous donner dès la naissance 700€ par mois », alors il n’y a plus de gestion collective. Il n’y a plus de solidarité. Chacun gère lui-même. Et n’a plus qu’à se taire. Si on donne 700€ en lieu et place des autres aides, le jour où l’on est malade, où l’on va à l’hôpital… que reste-t-il ? Il faut que chacun économise, comme il peut, de son côté… c’est un système ultra-libéral. Comment vont faire les gens, si on n’a pas un accompagnement éducatif autour de ça ? Certains vont-ils faire gérer ce risque-là par leur banque ? ils vont capitaliser plutôt que de pouvoir compter sur une gestion collective ? Si on garde, au contraire, cette masse financière importante, si elle est collective, on peut peser, on peut négocier pour qu’il y ait un regard, en termes de RSE, de droits sociaux, de choix éthiques … mais si on laisse les individus seuls face à ça, c’est la jungle. Les droits individuels, ce n’est pas la jungle, ce n’est pas l’individualisme. Il faut défendre une gestion collective des droits individuels. 

Là, on serait effectivement dans une vision du revenu universel qui viendrait remplacer les minima sociaux, mais ce n’est pas la seule…

Oui, mais on ne sait pas ce qu’il y a derrière le revenu universel : soit c'est pour remplacer la protection sociale, soit c’est pour remplacer le travail, parce que on considère que le travail n’existera plus demain… ce dont je ne suis pas persuadée. Les formes de travail changent, c’est vrai. On n’a plus aujourd'hui d’esclavage par exemple, mais on a de la subordination. 

Et on a aussi des formes de travail où la subordination est devenue économique, dans le cas d’UBER, ou des plateformes numériques par exemple…

Les travailleurs des plateformes ne se considèrent pas comme étant dans une relation de travail

Effectivement, et on vient de faire rentrer par la loi « travail » là aussi, la reconnaissance d’un « lien de subordination économique sans lien de subordination contractuel ». Ce qui oblige la plateforme (Uber, AirBNB…) à reconnaitre que ceux qui travaillent pour eux sans lien de subordination statutaire, mais avec un lien économique, ont droit à la formation, à la grève.

Ces plateformes répondent à une évolution de la demande. Les taxis n’ont pas su se remettre en question, et un autre acteur arrive, écoute les besoins des clients, utilise la collaboration. Il y a une appétence de la population autour de ce nouveau type de relation. Et l’acteur économique vient faciliter ces échanges, autour du co-voiturage par exemple. Et c’est une très bonne idée ! Il surfe sur l’évolution de la société. Mais nos réglementations autour du droit du travail ne sont pas adaptées. Les travailleurs des plateformes ne se considèrent pas comme étant dans une relation de travail, alors qu’ils ont pourtant besoin de protections ! S’ils ont un accident… là les assureurs sont sur le coup, mais est-ce qu’il n’y a pas aussi à mettre en place une responsabilité de celui qui a créé ce système ? C’est pourquoi on fait reconnaitre, dans la loi « travail », des obligations, même s’il n’y a pas de relation de subordination. On fait reconnaitre le lien économique comme étant créateur de droits pour celui qui travaille. Donc ceux qui voudraient faire tout sauter dans la loi travail devraient y réfléchir à deux fois. 

On voit que ces débats se déroulent pour beaucoup à l’échelle nationale, au niveau législatif. Quel pourrait-être l’action d’une collectivité locale, d’une métropole par exemple, dans ce mouvement d’individualisation des droits sociaux ?

Effectivement, ce n’est pas évident. La collectivité locale n’est ni financeur, ni décideur. La porte d’entrée que je vois, c’est le travail sur la solidarité, avec les personnes les plus en difficulté : l’information sur les droits est notamment une nécessité. Le renoncement aux droits est énorme en France. Pour deux raisons : le manque d’information : « je ne savais pas que j’avais droit à ça », et le refus d'être stigmatisé : « je ne veux pas me faire connaitre comme ayant besoin de tel ou tel dispositif, parce que ça me met dans une image négative… ». 

Est-ce qu’il y a des choses à imaginer dans le dialogue entre les partenaires économiques, les entreprises, et les services sociaux, ou les services d’insertion ?

Il y a là aussi un travail là mener sur l’accès aux droits des salariés. Les salariés ne connaissent pas leurs droits. L’enjeu est de savoir qui doit leur donner cette information. Par exemple, le système de la formation professionnelle est très complexe, avec tous les organismes, les OPCA, les organismes collecteurs… Le salarié manque d’un lieu d’accueil, de conseil et d’information. 

Il faudrait un « lieu repère » pour les droits sociaux ?

Ce serait aussi un lieu qui pallie à la fracture numérique

Oui, pour l’information des salariés - et même des entreprises - autour des droits. Il faut de la transversalité, de la collaboration. Ces mots doivent se concrétiser. Mais il ne faudrait pas que la Métropole se substitue à ce que d’autres font déjà. Bien sûr, il serait bien que la Métropole soit informée de ce que chacun fait. Afin que ce lieu - un guichet, un point de visibilité qui s’appellerait « Renseignements » ou « Vos droits » je ne sais pas - ça soit un lieu de coordination qui permette de pouvoir renvoyer la personne, qui vient avec sa question, vers le bon interlocuteur. Celui qui pourra lui apporter la réponse. Il s’agit de mettre en lien les compétences, d’organiser la transversalité. Que ce soit pour ses propres services ou vers les services d’une autre entité, parce que c’est un service rendu à ses concitoyens. La Métropole peut renvoyer par exemple vers la CAF…

Ce serait aussi un lieu qui pallie à la fracture numérique, pour que la personne puisse venir comprendre ses droits, se mettre en relation avec Pole Emploi, qui est de plus en plus dématérialisé. Il faut arrêter avec ce morcellement : la CAF fait ceci, la CARSAT fait cela, la formation professionnelle fait cela… et quand on regarde à l’intérieur de la formation professionnelle, c’est d’une complexité ! Le salarié qui a un besoin précis ne devrait pas avoir à comprendre toute cette ingénierie. Ce n’est pas son problème. Il faut qu’à un endroit, il puisse avoir le bon renseignement, pour ensuite aller frapper à la bonne porte. Est-ce que je dois aller au GRETA ? À l’AFPA ? Ils ne me donneront pas le bon renseignement, puisqu’ils ne sont pas neutres, ils ont leurs intérêts financiers. On a besoin d’un interlocuteur neutre, en capacité d’entendre les besoins, les situations, notamment les situations complexes, et d’orienter. 

Ce serait aussi un outil pour accompagner l’activation du CPA : un salarié qui souhaite effectuer une formation, mobiliser ses heures capitalisées, a besoin de savoir vers quel organisme se tourner, ce qui serait le plus pertinent pour lui.

Voilà. Et la première porte d’entrée de la Métropole là-dessus, c’est l’insertion sociale, les solidarités. Elle a une légitimité pour agir là. Et elle peut ensuite élargir ce champ, avec les missions locales, puis avec les employeurs… Qu’il y ait une gouvernance qui assure l’orientation, à laquelle nous pourrons collaborer, puisque nous connaissons un certain nombre de dispositifs. Que nous mettons parfois en place nous-mêmes. Nous sommes en relation avec les missions locales. Avec la Garantie Jeune, par exemple. On avait tenté, avec le Conseil Régional précédent, de mettre en place des plateformes de sécurisation des parcours professionnels. Mais ça n’a pas été assez diffusé, et le CR restait axé sur des questions de mutations économiques. 

L’intérêt de poser le problème en termes de sécurisation des parcours, c’est effectivement d’amener différents acteurs à travailler ensemble. On agrège des acteurs économiques, publics, associatifs, qui sont amenés à se rencontrer…

Oui, c’est vraiment tout l’intérêt. C’est ce travail sur la sécurisation des parcours qui a permis à la CFDT de rencontrer la question des droits individuels. Des droits attachés à la personne, pour répondre aux ruptures : les naissances, le chômage, le divorce, un décès, un mariage, les hauts et les bas de la vie professionnelle. C’est plutôt là que se jouent les droits attachés à la personne. En portant une attention fine aux parcours professionnels, à la formation. Là, on est par exemple on est en train de relancer le système des crèches d’entreprises sur la plaine de l’Ain. Pour les jeunes salariés qui sont présents sur ce territoire. Comment faire pour que les entreprises s’entendent, entre elles, pour organiser une crèche, pour répondre à des horaires parfois particuliers, aux contraintes des entreprises ? Ça fait partie des responsabilités d’entreprises. C’est pour ça que ça nous intéresse de travailler sur le sujet. 

Qui peut porter ce type d’initiative ? La mise en relation des entreprises, leurs contributions ?

Une Commission Paritaire Territoriale (CPT). Mais la CPT est normative, donc ça peut inquiéter le patronat. On travaille en deux temps : on commence par dialoguer avec les différents acteurs, construire le projet ensemble dans la concertation, et ensuite on met en place une CPT. 

On voit donc que les acteurs privés peuvent porter une évolution des droits sociaux. Par exemple sur la crèche…

c’est important que les entreprises...jouent le jeu qui permet cette gestion collective

Oui. On regarde, sur un territoire, la situation économique, comment on peut mettre en place un partage des stratégies d’entreprises. Sur Oyonnax, on travaille avec les entreprises de la plasturgie : en termes d’évolution des métiers, des modalités de production, d’évolution des emplois, etc. Et à partir de ce diagnostic territorial, on peut porter une politique : développer une formation professionnelle adaptée, travailler sur le logement aussi. On voit que les entreprises veulent développer l’apprentissage, on sait qu’il y aura un besoin de logement petits, pas trop chers. Mais il y a aussi un besoin de cadres, il faudra donc plutôt de grands logements, plus d’aménités : de la culture, des sports… C’est du développement, qui attire ces populations. Donc il faut mettre ça en place, et si on l’anticipe, on peut veiller à ce que ce développement se fasse dans une perspective de mixité sociale, de vivre-ensemble. Que les logements des apprentis soient mêlés aux logements des cadres. Donc dans le cadre d’un CTEF (Contrat Territoire Emploi Formation), on a un programme immobilier, qui passe par Action Logement, et donc par les cotisations des entreprises. C’est l’ancien « 1% logement ». Là aussi, c’est important que les entreprises continuent à contribuer. Qu’elles jouent le jeu qui permet cette gestion collective.

Pour résumer ce processus de collaboration, de partage de stratégies : dans le cadre d’un CTEF, se construit une commission paritaire, vous établissez un diagnostic territorial, dans lequel vous repérez les besoins des acteurs économiques, et vous arrivez à être en capacité de proposition sur les questions de transport, de logement, d’aménagement du territoire…

Voilà. Ça, c’est les CTEF (et les ZTEF) qui permettaient ça, qui finançaient aussi ces démarches. Mais M. Wauquiez les a supprimés. Il y’en avait 27. Aujourd'hui, les cotisations des adhérents ne peuvent pas financer tout ce travail de coordination. Il sera difficile d’actualiser les diagnostics. 

Ces outils d’analyse, d’observation du territoire, qui vous permettent de vous emparer des questions sociétales, pourraient-ils associer les autres collectivités ? Vous avez parlé de la Région et de ses compétences, mais pas de la Métropole par exemple ?

La Métropole est un peu plus présente, pour nous, depuis qu’il y a le Conseil Local de développement. Et que nous y avons une place au bureau. Ça nous permet de nous exprimer davantage, au titre des travailleurs. C’est un lieu où la société civile peut s’exprimer, où on peut capter des idées. C’est un lieu de démocratie participative. Mais…Il faudrait que la métropole se vive davantage comme faisant partie d’ensembles plus grands : la Région, la France, l’Europe. Il y a des relations nécessaires à avoir avec ces entités, avec par exemple, dans le cadre des « quatre moteurs », avec les métropoles de Lombardie, Bade-Wurtemberg, Catalogne… 

Oui. Mais ce que je trouve intéressant, c’est qu’il y a tout un axe de travail de la Métropole sur les acteurs économiques, leur rôle, etc. Et là, vous avez des modèles de collaboration éprouvés avec ce type d’acteurs…

Oui : faites une « conférence sociale Métropole » !

Oui : faites une « conférence sociale Métropole » ! Les patrons savent parler développement social, et nous on sait parler développement économique. L’activité économique des entreprises nous intéresse. Parce que sans cette activité, il n’y a plus d’emploi, ni de droits. Nous ce qui nous intéresse, c’est : « Quel sera le visage de la métropole de demain ? Comment on vivra bien dans Lyon et ses environs demain ? » La question de l’aménagement du territoire, qui intègre aussi les territoires voisins, qui ne doivent pas être vidés. Comment on évite que tout le monde vienne sur Lyon, quelles coopérations avec d’autres collectivités, en transport, etc.

Les outils que vous avez permettent aussi de suivre l’évolution des besoins en termes de droits sociaux.

En effet, les formes de dialogue social territorial qu’on avait par exemple en AURA, ça permet de capter les points de vue : quand les employeurs nous disent leurs difficultés, on perçoit les enjeux. Et ensuite, on peut venir sur des propositions puis des confrontations avec les différents acteurs, les décideurs. On travaille également de plus en plus avec des associations : ATD-Quart Monde, la FRAPNA, les associations étudiantes, le forum des réfugiés… On confronte les idées, chacun à partir de ses portes d’entrée. Sur différentes thématiques : l’environnement, l’évolution de la démocratie, la place des réfugiés, la laïcité, le dialogue social… Ce qu’il faut, c’est capter les besoins des travailleurs. Si les propositions qu’on fait ne correspondent pas à des besoins, c’est inutile. Il y a des besoins de protection sociale émergents, certains peuvent aussi finalement faire « flop » !  il faut suivre, regarder, pour adapter le système de protection sociale à ces évolutions de notre société.