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Histoire de la construction métropolitaine

Interview de Corinne TOURASSE

<< "Territoires partenaires" a changé les systèmes de représentation et le mode de relation entre le Grand Lyon et ses voisins >>.

Après avoir été créée comme une communauté  de moyens il y a 40 ans de cela, sous l’impulsion de l’État, le Grand Lyon constitue aujourd’hui une communauté de projets autonome, reconnue pour son efficacité dans la gestion d’un territoire qui regroupe 57 communes et plus de 1,3 millions d'habitants. Cette collectivité reste en devenir et l’enjeu est désormais de constituer une véritable communauté de destin, inscrite dans le grand bassin de vie de l'agglomération qui regroupe plus de 2 millions d'habitants. La Direction Prospective et Stratégie d’Agglomération du Grand Lyon a engagé un travail de fond visant à écrire une première histoire de l’institution. Cette interview constitue l’un des éléments de cette histoire, mémoire encore vivante de l’agglomération.

Quand on étudie les liens domicile-travail, les échanges économiques, l’attrait des événements culturels, il apparaît que cela a de plus en plus pour cadre le territoire de la région urbaine de Lyon. Ce territoire comprend les deux grandes agglomérations de Lyon et Saint-Etienne, et aussi celles du Nord-Isère, de Vienne, de Villefranche-sur-Saône. Comment gérer des dossiers communs tels les transports ou les grands équipements, alors que cet espace est une mosaïque institutionnelle : quatre départements, de multiples intercommunalités et communes ? Pour que cette complexité ne soit pas synonyme d’anarchie, plusieurs « outils », instances et démarches ont été inventés, les plus significatifs étant l’association Région urbaine de Lyon (RUL) , la Directive Territoriale d’Aménagement (DTA) , la démarche des “territoires partenaires” , et l’inter-SCOT . Pour comprendre d’où viennent et à quoi servent ces “objets” aux noms inconnus du plus grand nombre, nous interrogeons Corinne Tourasse, directrice de la prospective et de la stratégie du Grand Lyon, qui a vécu la DTA et territoires partenaires de l’intérieur. Nous lui demandons aussi son point de vue sur les perspectives de la métropolisation.Depuis la réalisation de cet entretien, Corinne Tourasse a été nommée à la Direction des Politiques d’Agglomération.

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Date : 22/07/2008

A un moment de votre parcours professionnel, avant de rejoindre le Grand Lyon, vous avez été au cœur de l’élaboration de la Directive Territoriale d’Aménagement (DTA). A quel enjeu répondait-elle ?

Quand je suis arrivée à la Direction Régionale de l’Equipement (DRE/Rhône-Alpes) en 1997, j’ai pris en charge le pilotage, en tant que chef de projet, de la future DTA. Le poste était intéressant, car à l’époque personne ne savait ce qu’était une DTA, et j’étais persuadée qu’à l’issue des études préalables, l’Etat déciderait de mettre en œuvre ce nouvel outil sur la métropole lyonnaise.
Il y avait un deuxième sujet en train de naître dans les DRE, le ferroviaire. La réflexion stratégique et la programmation des investissements se faisaient jusqu’alors dans une relation bilatérale entre l’Etat central et la SNCF. Au moment de mon recrutement, un nouvel équilibre des forces se dessinait, avec la déconcentration de la réflexion stratégique du développement ferroviaire au plan régional. Les Régions prenaient la compétence TER, la région Rhône-Alpes avait même été une des premières à le faire à titre expérimental, dès 1995. Ensuite, en créant Réseau Ferré de France (RFF) on distinguait la maîtrise d’ouvrage, de la maîtrise d’œuvre et de l’exploitation du réseau ferroviaire. Conséquence de ces changements : au niveau régional, on valorisait une direction régionale de RFF, une direction régionale de la SNCF, et une Région, autorité organisatrice des TER. La DRE représentait l’État dans le cadre de cette nouvelle organisation des lieux de réflexion, de discussion de la stratégie et de l’élaboration des projets. C’était captivant.
J’ai acquis une compétence que j’ai beaucoup valorisée ensuite, y compris en travaillant sur la DTA : la DTA instaurait en effet une échelle en matière de déplacements par transports en commun qui n’existait pas. Dans la tête des urbanistes et aménageurs, les transports en commun n’existaient pas en dehors des agglomérations, au sens où ils n’étaient pas identifiés comme objets d’études, objets stratégiques, donnant lieu à des dispositifs de contractualisation spécifiques. Pour le périurbain et l’inter-cités, en caricaturant à peine, on ne pensait qu’à la route.
J’avais donc deux dossiers intéressants pour aborder la question de l’aménagement du territoire à l’échelle infra-régionale. J’ai négocié la première version du contrat de plan ferroviaire, puis mené la DTA jusqu’à sa première version de rédaction..

 

Vous avez ensuite été repérée par le cabinet de Gérard Collomb et avez intégré le Grand Lyon…

Le cabinet était intéressé par mon expertise : d’une part je faisais partie du réseau des ingénieurs des Ponts et Chaussées, je connaissais bien les questions de transports ferroviaires et routiers ; d’autre part, je connaissais le territoire métropolitain en ayant piloté la DTA. Je suis rentrée en mai 2002 au cabinet, j’y suis restée deux ans et demi, avec, dans mon portefeuille, l’aménagement du territoire, les transports, les relations entre le Grand Lyon et les territoires extérieurs : coopération métropolitaine avec la Région Urbaine de Lyon (RUL), réseaux de villes, projets de coopération avec Marseille et Turin…
J’ai pris ensuite la direction de la DPSA pour développer au plan technique cette fois, les dossiers  de coopération métropolitaine.
Par conséquent depuis 1997, à partir de postes différents, je travaille sur ces questions métropolitaines, avec un tissu de collaboration technique que j’ai appris forcément à bien connaître, car on est peu nombreux à travailler sur ces questions.

 

Quand la DTA a été élaborée, le Grand Lyon a-t-il joué un rôle important pour faire valoir son point de vue ? Au début, la DTA portait uniquement sur l’aéroport de Lyon-Satolas

C’était la volonté du ministère, qui faisait une analyse à courte vue. On était dans la période où l’on croyait dur comme fer à l’explosion du trafic aérien, où Paris saturait : il fallait que la France dispose d’une autre plateforme aéroportuaire internationale. La seule située à peu près à l’écart des riverains était celle de Lyon-Satolas. Les services de l’Etat, pour préserver de l’urbanisation un territoire suffisamment large autour de l’aéroport, avaient d’abord instauré un Projet d’intérêt général (PIG), juridiquement un peu bancal, destiné surtout à encadrer les révisions successives des POS dans des limites de population affichées une fois pour toutes. A l’origine, la DTA a d’abord été vue par les services de l’Etat comme un outil permettant de consolider le PIG, tout autour de l’aéroport. Puis il y a eu une convergence de vues entre Raymond Barre et l’Etat local, en la personne du préfet Besse, pour considérer que l’on gagnerait à ouvrir la perspective de la DTA.

 

Raymond Barre a demandé officiellement au ministère de l’Equipement que l’Etat modifie périmètre et objectifs de la DTA ?

Oui, c’était en 1997. Il a écrit qu’il souhaitait que l’Etat prenne plus largement en compte la question de l’évolution de la métropole lyonnaise. L’Etat a accepté, car nous, services de l’Etat en Rhône-Alpes, estimions qu’il fallait faire valoir les enjeux de l’Etat non seulement autour de l’aéroport, mais aussi pour l’inscription d’infrastructures et pour la lutte contre l’étalement urbain, afin de voir émerger en France une (autre) métropole puissante, attractive et durable. Quand l’Etat s’est trouvé, a fortiori légitimé par Raymond Barre, en situation de faire la DTA, il a vu l’intérêt à faire formuler le projet du territoire avec les grands acteurs de ce territoire. Quelle vision de la métropole avons nous ensemble ? Quels sont nos projets ? La RUL avait depuis 1989 commencé à travailler sur ces questions, et réalisé une charte à l’issue d’un énorme travail de collecte (données, entretiens…) et d’identification des enjeux. Je m’en suis beaucoup servie pour rédiger la DTA. La charte contenait de très nombreux éléments d’argumentation sur ce qui faisait système à l’échelle métropolitaine : complémentarité des zones d’activité, des espaces verts, agriculture périurbaine, développement urbain, etc. Mais la charte avait deux faiblesses : elle avait été élaborée sur le mode du consensus, donc on n’y retrouvait que des propos consensuels ; ensuite, elle n’avait aucun impact réglementaire, contrairement à une DTA qui s’impose aux documents d’urbanisme par le lien de la compatibilité.

 

Avec quelle méthode la DTA a-t-elle été élaborée ?

Le préfet de région a assuré lui-même le pilotage politique du projet, imposant à ses collègues préfets de départements sa vision métropolitaine. Nous avons reformulé avec les « grands élus » le projet du territoire. La méthode a été exemplaire, rien n’était laissé au hasard : groupes de travail avec documents diffusés à l’avance, restitution et validation des contenus, excellente articulation élus-techniciens, planning parfaitement tenu pendant 3 ans… La DTA a été plutôt exemplaire autant dans son contenu que dans la façon dont elle a été fabriquée. De bout en bout, le préfet a maintenu le dispositif de coproduction sur le projet avec les « grands élus », même si in fine il a pris ses responsabilités sur les prescriptions.

 

A quoi sert la DTA ?

LA DTA vient juste d’être approuvée (2007), après 10 ans où toutes les étapes ont été respectées. Elle a d’abord servi à graver dans le marbre « une vision métropolitaine » qui transcende la mosaïque institutionnelle, largement coproduite et qui fait référence.
Elle donne à voir l’ensemble des projets de l’Etat sur le territoire, l’obligeant par là même à en défendre la cohérence. Ceci est particulièrement vrai pour les infrastructures de transport (aéroport, autoroutes, ferroviaire), nombreuses et contraignantes pour les territoires.
Elle énonce des prescriptions pour fixer des objectifs au développement et mettre des garde-fous à l’étalement urbain. De ce point de vue, elle est plus contraignante pour les territoires à dominante périurbaine, que pour les grands pôles déjà urbanisés.
Enfin elle a eu un impact sur les services de l’État, obligés de  privilégier la vision métropolitaine au détriment des visions départementales largement en vigueur à l’époque…

 

Comment la DTA peut-elle contraindre communes ou intercommunalités à appliquer ses prescriptions ?

Dans le document DTA, quand c’est écrit en caractère gras, en italique, avec un trait dans la marge, c’est une prescription. Une prescription s’impose aux documents d’urbanisme au titre de la compatibilité. Par exemple, il est écrit dans la DTA que dans les agglomérations, les documents d’urbanisme devront concevoir une trame verte d’agglomération. Cela ne dit rien d’autre en la matière, la DTA n’impose pas une façon normée de concevoir cette trame verte, elle ne donne pas de modèles, mais oblige tout schéma directeur à comporter un chapitre trame verte. Cela ne paraît rien, mais c’est beaucoup.

 

Vous avez été ensuite au cœur de la démarche des « territoires partenaires ». A-t-elle été lancée à la suite de l’échec de Raymond Barre à faire coïncider, durant son mandat (1995-2001), le périmètre de la communauté urbaine avec celui de l’aire urbaine ?

Il faut chercher le point de départ de territoires partenaires dans le fait que Raymond Barre avait crispé les relations avec les communautés de communes qui entourent le Grand Lyon, parce qu’il avait laissé entendre, avec une certaine autorité liée à sa stature d’homme d’État, qu’elles pourraient intégrer le Grand Lyon d’autorité. Je pense que beaucoup d’élus s’étaient sentis méprisés.
Le jeu d’acteurs à l’échelle de l’aire métropolitaine était compliqué… La Région Urbaine de Lyon (RUL) avait été fondée en 1989 par le Grand Lyon, la Région Rhône-Alpes et les quatre Conseils généraux. Implicitement ces collectivités « représentaient » donc le territoire métropolitain. Les départements en particulier se présentaient comme les porte-parole des territoires hors Grand Lyon. Dans la RUL, Saint-Etienne n’était alors pas représentée par un élu de Saint-Etienne, mais par le conseiller général de la Loire !
La RUL a néanmoins été dès sa création un lieu de dialogue et d’échanges très précieux : Région, Grand Lyon et Départements ont appris à discuter ensemble, à se mettre d’accord, à commencer à parler d’avenir commun. Pendant ce temps, des structures intercommunales étaient en train de se structurer, Saint-Etienne Métropole se créait, Villefranche et Vienne commençaient à s’organiser en communauté d’agglomération, du côté de l’Isle d’Abeau et Bourgoin on préparait une structuration intercommunale. Mais il n’y eut pas tout de suite de reconnaissance de ces entités au sein de la RUL. A côté de ces quelques communautés d’agglomération importantes, on voyait surtout se développer une mosaïque de petites communautés de communes, qui ne comptaient que 4, 5 ou 6 communes. Ce sont souvent des communautés de communes qui ont vu le jour dans la foulée de la loi Chevènement ; en adoptant la TPU (Taxe Professionnelle Unique) elles obtenaient des dotations de l’État. Aujourd’hui encore, elles existent sur le plan institutionnel mais sont faibles sur le plan politique. A un moment donné, la question s’est posée de la reconnaissance de ces structures par le Grand Lyon. On peut dire que pendant quelque temps, le Grand Lyon a été plus que maladroit…
Ce n’est que dans la première période du premier mandat de Gérard Collomb que Saint-Etienne Métropole et les agglomérations de Vienne et Villefranche sont rentrées officiellement à la RUL. Concernant le Nord Isère, il n’existait pas encore d’EPCI mais seulement un syndicat en charge des études de préfiguration de la future agglomération (le SATIN) ; c’est lui qui est alors rentré à la RUL à ce moment-là.
La RUL constituait désormais une scène cohérente de gouvernance collective avec la Région, les départements et les grandes agglomérations. Pour autant, Gérard Collomb souhaitait se rapprocher aussi des communautés de communes limitrophes du Grand Lyon, avec lesquelles il existait des tensions, des effets de concurrence aux frontières… Il est entré en dialogue avec la quinzaine de communautés de communes qui jouxte le Grand Lyon, une par une, puis collectivement.

 

C’était le début de la démarche des territoires partenaires ?

Si le « slogan » n’était pas encore inventé, le Grand Lyon a renoué le dialogue, petit à petit, dans une relation bilatérale avec chaque intercommunalité. Gérard Collomb a rencontré les élus des communautés de communes, dans un tout autre registre que celui utilisé par Raymond Barre, plus convivial, plus d’égal à égal… Il a ainsi instauré une relation de confiance. Le principe était simple : développer des coopérations basées sur le volontariat et dans une logique gagnant-gagnant.

 

Quelles intentions les élus de ces communautés de communes ont-ils d’abord prêtées à Gérard Collomb ?

Il faudrait les interroger, mais on peut penser que le spectre de l’annexion n’était pas encore dissipé ! Gérard Collomb s’est d’abord présenté en voisin, il a dit son envie de les connaître. Il a tissé des relations interpersonnelles, sans qu’une quelconque hiérarchie intervienne. Je pense que 90% de l’hostilité au Grand Lyon s’est éliminée rien qu’en adoptant ce mode de relation !
Les élus se sont parlés sans intermédiaire. Durant les échanges, on pouvait se rendre compte à quel point il existe des clichés tenaces sur le Grand Lyon, notamment sur la prise en compte de la volonté des maires ou de la réalité géographique et historique des communes. Le Grand Lyon est fantasmé comme une machine qui impose de l’homogénéité, du béton, des normes…et pas du tout comme une chance pour les communes de voir se développer des projets en bonne intelligence avec elles. Le fait que Gérard Collomb ait mis en place les conférences des maires, reconnaissant ainsi des réalités intercommunales intracommunautaires, proches dans leur échelle des communautés de communes limitrophes, a aussi donné du crédit à la démarche.
« Territoires partenaires » a changé les systèmes de représentation et le mode de relation entre le Grand Lyon et ses voisins. Cela a d’abord pacifié le dialogue, bien plus que cela n’a produit des coopérations concrètes.
Après avoir trouvé le slogan, nous nous sommes assurés que nous disposions de tous les outils réglementaires pour que cette démarche réussisse, y compris en mobilisant des amendements législatifs. Par exemple, nous pourrions désormais bénéficier de conventions de retour de TP lors de participations financières du Grand Lyon pour développer des zones d’activités hors Grand Lyon.  

 

L’existence de territoires partenaires a-t-elle facilité l’adhésion de Givors et Grigny au Grand Lyon ?

Incontestablement. C’est en travaillant d’abord dans une démarche de territoires partenaires que les rapprochements se sont faits. En matière économique, Givors était engagé dans la reconquête d’une friche importante bien placée dans une logique métropolitaine. En matière de déplacements, Givors et Grigny avaient engagé des rapprochements avec le SYTRAL. Les maires de Givors et de Grigny ont d’abord construit par le biais de territoires partenaires de la complicité et un mode de dialogue avec les élus du Grand Lyon. Au titre de territoires partenaires, plusieurs vice-présidents (Jacky Darne, Michelle Vullien, Michel Reppelin…) sont allés à Givors rencontrer les élus. Ces mêmes élus sont allés visiter des réalisations dans le Grand Lyon, notamment à Vaulx-en-Velin. Ces visites ont permis de rassurer dans les deux sens … Petit à petit, l’adhésion au Grand Lyon est apparue comme la bonne solution aux deux communes qui étaient mal à l’aise dans une communauté de communes à deux, trop petite pour être pertinente. Elles avaient auparavant testé des rapprochements avec d’autres communautés de communes : Mornant, Saint-Etienne Métropole, pays viennois… sans succès.

 

L’adhésion de Givors et Grigny au Grand Lyon est donc un succès pour territoires partenaires !

Le maire de Givors l’a toujours dit, c’est grâce à territoires partenaires que l’adhésion a été possible, et que l’adhésion s’est réalisée dans de bonnes conditions… non sans débats quand même côté Givors et côté Grand Lyon. C’est aussi un succès parce que nous avons démontré que l’intégration de nouvelles communes est possible, dans une logique gagnant-gagnant. De ce fait, il y a aujourd’hui d’autres communes qui se posent la question de leur entrée au Grand Lyon.
En plus, l’adhésion a donné lieu à des débats publics de grande qualité : quelle agglomération voulons-nous ? Quels services publics avec quelle proximité ? etc.

 

Le Grand Lyon pourrait-il à nouveau étendre son périmètre durant le mandat 2008-2013 ?

Je pense que oui, tout en sachant que le Grand Lyon a vocation à s’étendre un peu seulement, pas à l’infini, et qu’il faut considérer les territoires au cas par cas.
Il faut constater que du point de vue du développement urbain, certaines communautés de communes sont totalement partie prenante du développement du territoire du Grand Lyon : réalité de la continuité urbaine, logique de déplacements, demande de logements… On constate aussi des formes de « concurrence aux frontières » qui ne jouent pas dans le sens d’un développement harmonieux de l’agglomération.

 

L’inter-SCOT vise à rendre cohérents les exercices de planification à l’échelle métropolitaine : favorise-t-il en pratique la collaboration entre territoires ?

Dans la mesure où nous faisons un peu d’histoire il faut rappeler ce qui s’est passé, quand, dans la foulée de la loi SRU, les SCOT ont été relancés et qu'il s'est agi de définir leur périmètre. François-Noël Buffet, alors président de l’agence d’urbanisme et vice président du Grand Lyon à l’aménagement du territoire a pris son bâton de pèlerin, est allé voir toutes les communautés de communes autour du Grand Lyon - c’était autour de 2001, avant  « territoires partenaires » -  pour essayer de trouver des périmètres plus en phase avec la réalité des bassins de vie.  

 

François-Noël Buffet venait-il avec l’idée qu’il faudrait un grand SCOT de l’aire urbaine de Lyon ?

Le Grand Lyon est trop à l’étroit sur son périmètre de planification, et la loi SRU énonce qu’un SCOT devrait se faire à l’échelle de l’aire urbaine. Malgré les discussions qui ont eu lieu sur les grands enjeux communs aux territoires et l’intérêt à faire de la planification ensemble, on a vu jouer des « forces de rappel » pour revenir à une géographie des SCOT assez parcellisée. Parmi ces forces : les liens entre les communautés de communes et les départements poussant à garder des distances avec le Grand Lyon, et l'État qui, fort de la DTA, n'a pas souhaité s'engager dans un bras de fer avec les élus de ces territoires.

 

Si la DTA s’impose aux SCOT, cela permet-il à l’Etat de faire prendre en compte les enjeux qu’il a défini ?

Il y a une hiérarchie très claire dans la loi : la DTA s’impose par le lien de la compatibilité aux SCOT, qui s’imposent par le lien de la compatibilité au Plan Local d’Urbanisme (PLU), au Programme Local de l’Habitat (PLH), etc. L’histoire a donné raison au préfet Besse : avec la DTA, l’État est en position de peser sur les SCOT.

 

L’inter-SCOT va-t-il devenir l’espace politique où se décideront les grands choix pour la métropole ?

Pour moi, l’inter-SCOT n’est pas LA scène politique majeure, c’est une scène qui traduit les orientations politiques de la métropole dans le champ de la planification. Les élus disent vouloir une métropole multipolaire, maintenir des espaces verts de proximité de qualité, garder nos réserves en eau… Les syndicats de SCOT, dans le cadre de l’inter-SCOT, doivent naturellement mettre ces choix en cohérence.

 

Pour la métropole, où est alors la scène politique ?

Pour moi, la RUL est une bonne scène politique dès lors que les grandes agglomérations y prennent davantage le pouvoir. La RUL pourrait devenir la plaque tournante, là où s'énoncerait le projet politique qui pourrait ensuite être mis en œuvre par les acteurs ad hoc (les syndicats de SCOT pour la planification, les AOT pour les transports...), là où se ferait le reporting d'avancement des projets... Mais il appartient, bien sûr, aux élus d’en décider !

 

A travers ce que vous exposez, il ne semble pas indispensable d’en passer par une instance pour piloter la métropole ?

Je pense qu'il faut poursuivre cette idée sur le long terme et travailler à moyen terme sur des projets et sur des logiques « contractuelles ».
Ce qui est sûr, c’est que le Grand Lyon a intérêt à ce que les principaux pôles urbains soient bien structurés, par des intercommunalités puissantes et politiquement fortes, définies à la bonne échelle, pour qu’il puisse dialoguer et travailler avec eux (Saint-Etienne Métropole, le Nord-Isère, les agglomérations de Villefranche, Vienne, la Plaine de l’Ain…). Structurer la gouvernance métropolitaine passera d’abord par les trois agglomérations principales, qui doivent être en phase : Lyon, Saint-Etienne et la communauté d’agglomération des Portes de l’Isère (CAPI).
Il faut construire la gouvernance à la fois par les projets, et à la fois par la vision et le sentiment d’appartenance à la métropole. Concernant les projets auxquels il faut s’atteler si nous voulons vraiment nous donner les moyens d’être une métropole, ils sont de grande ampleur, c’est là qu’est la difficulté : REAL (Réseau Express de l’Aire Métropolitaine Lyonnaise), la logistique, le nœud ferroviaire lyonnais, réussir le PRES (Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur) avec l’intégration de Saint-Etienne…
Je reste aussi persuadée qu’il faut continuer à travailler la question de l’appartenance, en se demandant quelle métropole nous voulons, et faire monter en puissance la société civile. Du coup, les questions culturelles s’avèrent stratégiques pour la métropole… Mais il n’est pas aisé de travailler sur cet axe de l’appartenance. On sait toujours mieux travailler sur les projets.

 

Comment y arriver ?

Pour le moment, il faut être modeste et constater les progrès. Les chambres de commerce travaillent à leur rapprochement, j’ai beaucoup encouragé les conseils de développement à travailler ensemble ; le PRES et le plan campus font avancer la coopération dans le domaine universitaire…

 

Y-a-t-il a trop de dispositifs pour bien gouverner la métropole ?

Il faut effectivement faire attention à ne pas avoir trop d’instances. En même temps, nous devrons faire avec la complexité, il n’y a pas d’autre choix possible. Nous vivons dans un système complexe, il serait miraculeux que l’on trouve des solutions qui ne le soient pas. C’est compliqué aussi, car on ne sait pas se donner des lignes directrices, des principes d’action, stabiliser des concepts …

 

Aujourd’hui, le dossier de la construction métropolitaine quitte la Direction de la prospective pour la Délégation Générale au Développement Urbain (DGDU) : comment l’interpréter ?

Il existe deux façons de lire cette « réaffectation » du dossier au sein du Grand Lyon : selon la première, c’est un affaiblissement pour la Direction de la prospective, identifiée notamment par nos partenaires publics extérieurs comme porteuse d’une certaine vision stratégique du territoire. Ce positionnement stratégique du Grand Lyon était quand même remarquable ! Il faut quand même se rappeler le rôle pionnier de ce qui s’appelait alors la mission prospective pour faire avancer la question métropolitaine ! Quand, en 1997, Raymond Barre avait adressé une lettre à l’Etat pour demander une DTA, c’est Guy Barriolade  et Patrick Lusson qui ont porté le fer et défendu l’idée que l’on avait besoin d’un système de régulation pour la métropole.
C’est le lot de la Direction de la prospective : on incube une idée, un projet, une politique, puis on le passe à d'autres directions pour la mise en œuvre. Il faut un état d’esprit de pionnier pour bien vivre ces moments de transition, beaucoup l’ont ici. Cela impose une réadaptation permanente, nous n’avons pas le temps de nous fossiliser !

Selon la seconde lecture, c’est la preuve que cette idée, jusque-là émergente, est en train de passer dans la réalité institutionnelle et structurelle de la maison, ce qui est une bonne chose. Avec mes mots, je dirai que la Direction de la prospective a incubé cette idée qu’il fallait changer d’échelle. Maintenant, la métropole est une échelle de notre action publique ; demain, toutes les directions du Grand Lyon l’intégreront dans leur fonctionnement. Avoir fait reconnaître que cette échelle territoriale est une échelle de projet du Grand Lyon, alors que ce n’est pas son périmètre formel de compétence, c’est une réussite pour moi et une victoire pour la Direction de la prospective.