Il y a des savoirs qui existent ici, et d’autres qui sont importés par des personnes venant de régions aux climats plus chauds, sur la manière de gérer les épisodes de fortes chaleurs, sur la gestion des occultations d’un logement, de la lumière, de la ventilation, etc. On le voit notamment en interrogeant certaines personnes âgées, qui ont trouvé des solutions parfois extrêmement performantes.
J’ai un exemple intéressant, de deux personnes interrogées, vivant dans un même immeuble. D’un côté, une jeune personne assez sensible à l’écologie, passionnée par le jardinage, qui ne pouvait pas occulter ses fenêtres pendant la journée, parce que c’était la mort assurée pour ses plantes. D’un autre côté, un couple de seniors qui ont toujours été Grand-Lyonnais et qui connaissaient les périodes de fortes chaleurs. On n’est pas dans un changement brutal sur le territoire. C’est quelque chose qui existait déjà auparavant, donc il y avait une espèce de technicité dans la gestion de l’ouverture de la fenêtre, de la fermeture des volets, avec une ficelle réglée à la bonne longueur pour avoir le bon entrebâillement des volets… Il y a là une vraie maîtrise technique de la ventilation et de la lumière. Entre ces deux appartements, on constate un vécu complètement différent, parce que des techniques maîtrisées ou non, et peut-être une compréhension du phénomène un peu différente.
Il y a des savoirs qui ont peut-être été un peu oubliés, pour des raisons diverses, parce que l’on bouge plus, que l’on connaît moins son logement. C’est aussi la conséquence d’un habitat de plus en plus automatisé : le bouton qui ferme le volet ou la fenêtre ne permet pas de l’entrouvrir, de laisser un peu d’air, un peu de lumière, on n’a moins de marge de manœuvre, on est moins maître de cette technique.
Et puis on en revient aux personnes qui se sont équipés récemment en climatisation, comme cet ambulancier qui disait : « Dans ces périodes où il fait très chaud, pour moi, c’est la course toute la journée. J’ai un métier très actif, et quand je rentre, c’est le moment où je suis au calme, c’est mon espace de repos. En situation caniculaire, si je ne peux pas obtenir un peu de répit et un peu de fraîcheur, et bien je craque, ce n’est plus possible ».
On est dans une espèce d’anxiété, qui n’est pas une écoanxiété, mais qui trouve aussi une réponse parce que c’est facile aujourd’hui de s’équiper. Entre le petit ventilateur que l’on branche sur le port USB de l’ordinateur, la publicité pour la clim que l’on reçoit dans la boîte aux lettres et qui est bien choisie de manière saisonnière par les équipementiers, on nous propose plein de choses. Il y a je crois, aussi à ce niveau, un aspect culturel qui n’existait pas avant.
C’est très empirique, évidemment, mais j’ai moi-même grandi ici, et il me semble qu’auparavant, la climatisation d’un logement était vue comme un luxe. La canicule de 2003 a été un accélérateur. Elle a entraîné un pic dans les ventes de climatiseurs, qui ensuite est devenu un marché plus stable. Aujourd’hui, quand on va dans les grandes surfaces, en tête de gondole, début juin, c’est l’offre de climatiseurs et de ventilateurs qui se présente à tous. Il y a des prix qui sont sans doute plus accessibles, et plus d’offres sur le marché. Ce sera sans doute intéressant de creuser ce sujet dans les prochains baromètres. On ne l’a pas tellement sondé aujourd’hui, parce qu’on a seulement enquêté via le taux d’équipement des ménages. Nous ne sommes pas encore allés voir les réponses des acteurs économiques.
Nous avons donc constaté qu’il y avait des savoirs, des pratiques culturelles que l’on peut qualifier de vernaculaires, des gestes simples à la portée de chacun, si tant est qu’on les connaisse. Et puis, à l’autre bout de la chaîne, on a cette solution matérielle, technologique, immédiatement disponible. Entre les deux, il y a sans doute beaucoup de pistes intermédiaires qui restent à explorer. En termes de modèle de société, on peut supposer que si on privilégiait les solutions techniques aux solutions culturelles, ce seraient ceux qui auraient le plus fort pouvoir d’achat qui souffriraient le moins, donc l’enjeu est fort.
Dans le plan Climat, pour tenter de faire comprendre les changements à l’œuvre, nous indiquons qu’en 2050, à Lyon, on pourrait avoir le climat de Madrid, et en 2100 celui d’Alger. Il y a sans doute des choses à apprendre de ce qui se passe ailleurs : comment les usages évoluent, quelles sont les pratiques mises en œuvre, les enseignements à tirer, à contrario, ce qu’il faut absolument éviter...