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Start-up : l'exemple d'un serial entrepreneur

Interview de rémi darricau

Rémi Darricau

<< On n’a pas cherché à faire du « lean start-up », soit à vendre un produit le plus rapidement possible >>.

La Métropole de Lyon conduit une étude prospective sur les start-up du territoire et s’appuie notamment sur les témoignages des entrepreneurs et porteurs de projets. Cette interview a été réalisée dans ce cadre.

COPROMATIC est une start-up fondée en 2013 par Rémi Darricau, un « serial entrepreneur » (investi dans plusieurs projets : Résidéclic, BIMdata, Monsieur Gourmand) qui s’est associé avec des professionnels de l’immobilier, Stanislas Limouzi et Jean-Pierre Dabreteau, ainsi qu’avec deux autres personnes, Gaëtan Hautecoeur et Clémence Guilluy. Copromatic est une solution logicielle de gestion de copropriété sécurisée et intelligente qui s’adresse aux syndics bénévoles et professionnels. La start-up se distingue par le fait qu’elle est très peu accompagnée par les dispositifs « classiques » dédiés à l’entrepreneuriat et s’appuie fortement sur les réseaux et ressources de ses fondateurs.

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Date : 16/01/2018

Quel parcours vous a amené vers l’entrepreneuriat ?

J’ai suivi une formation en génie industriel à l’INSA que j’ai terminée en 2010. J’ai choisi la filière « ingénieur entreprendre » qui est un programme de pré-incubation. Je voulais éviter de faire un stage dans une usine, j’ai préféré travailler sur un projet personnel. Résidéclic, mon premier vrai projet entrepreneurial, est en fait arrivé après.

Pour quelles raisons avez-vous choisi d’investir le champ de l’immobilier ?

Ce sont des discussions avec ma famille, ma sœur et mon père notamment qui étaient confrontés à des enjeux de gestion de copropriété qui m’ont fait penser qu’il y avait des choses à faire. J’avais déjà bidouillé quelques sites web à l’INSA, et j’ai commencé à développer Résidéclic. J’ai fait une étude de marché -c’est ce qu’on faisait à l’époque où le « lean start-up » n’existait pas encore !-, j’ai rencontré des syndics qui m’ont fait comprendre que l’idée était intéressante. J’étais jeune, je ne me rendais pas vraiment compte des enjeux que ça soulevait.

Comment est arrivée l’idée de Copromatic ?

C’est une opportunité business qui m’a semblé intéressante à creuser et utile pour le développement de Résidéclic. Celui-ci, qui fonctionne comme un réseau social, a besoin d’un syndic pour être pleinement utilisé. Résidéclic et Copromatic vont fonctionner à terme ensemble, ce sont des outils complémentaires. Ce second projet me permettait de travailler sur ma problématique de commercialisation de Résidéclic et représentait un nouveau projet stimulant pour moi.

Dans quel contexte et comment avez-vous poussé ces projets entrepreneuriaux ? Sur quels réseaux vous êtes-vous appuyé ?

L’espace de coworking a été une première étape pour casser l’isolement et s’ouvrir à d’autres. Confronter son projet au quotidien, c’est en soi intéressant. C’est une communauté qui bouge beaucoup, qui se renouvelle.

En sortie d’étude j’ai d’abord été embauché à mi-temps par l’incubateur de l’INSA où j’ai pu continuer à développer le projet Résidéclic. Mais j’ai ressenti à un moment le besoin de me consacrer à 100% au projet par moi-même et j’ai quitté l’incubateur. Je n’avais alors aucun accompagnement, j’étais isolé.

Je me suis ensuite installé à la Cordée pour me faire un réseau, et j’ai commencé à fréquenter les Open Coffee Club. C’était essentiellement une bande de copains qui se retrouvent dans un café pour discuter de leurs projets et se donner des conseils sur les enjeux juridiques et techniques liés à la création d’une start-up. On a aussi commencé à organiser les premiers start-up week end à Lyon. Mais après quelques-uns, il y a eu une forme de lassitude et les projets sont partis en incubation au Camping à Paris. Il manquait un équivalent à Lyon. On s’est donc lancé dans la création de BoostInLyon à laquelle j’ai contribué pendant 4 ans. Résidéclic a d’ailleurs été accéléré dans la première promotion de BoostInLyon.

L’espace de coworking a été une première étape pour casser l’isolement et s’ouvrir à d’autres. Confronter son projet au quotidien, c’est en soi intéressant. C’est une communauté qui bouge beaucoup, qui se renouvelle.

Ca ne me serait en revanche pas spécialement venu à l’esprit d’aller taper à la porte de la CCI ou de la Métropole pour être accompagné.

Pour Copromatic, vous vous êtes d’abord associé avec des professionnels de l’immobilier, comment s’est passée cette rencontre ?

C’était à l’occasion d’un démarchage commercial pour Résidéclic auprès de syndics professionnels que j’ai rencontré mon futur associé, Stanislas Limouzi. On partageait une même vision du métier de gestionnaire immobilier ; un secteur sclérosé et doté de logiciels ancestraux. On avait une envie commune de développer un outil qui permette de rendre les copropriétés actives.

Comment fonctionne la collaboration ? Comment travaillez-vous ensemble ?

Stanislas est passé par le monde de la finance, il a bien intégré la logique d’automatisation et de rationalisation des process, et il a un réseau important dans l’immobilier qui nous ouvre les portes des grands comptes. Tandis que moi, je porte une vision utilisateur et j’ai surtout un bagage dans l’animation de communautés. On a vu l’opportunité de travailler ensemble, lui avec son approche technique et son réseau, et moi avec mon approche du collaboratif. On a des cultures très différentes, ça peut nous jouer des tours parfois, mais on est complémentaires !

Quelle est l’originalité de la vision et de la solution Copromatic ?

La gestion immobilière regroupe beaucoup de sujets différents : la gestion comptable, juridique, technique, etc. Copromatic fait tout à la fois. On entend changer la manière dont on gère et on vit dans une copropriété. On pense que le syndic est un levier pour transformer demain l’habitat classique en habitat plus collaboratif. Les syndic sont pour l’heure loin de cette ambition mais ce sont les acteurs les mieux placés pour porter des projets à même de dynamiser les copropriétés. On essaye donc de leur fournir des outils les plus performants pour le faire. Notre projet revient à casser la structure de coût classique d’un syndic, les pousser à changer de métier. On veut avoir un impact et transformer le secteur.

Qui sont vos principaux concurrents ?

On se retrouve face à des éditeurs de logiciels qui ne sont pas des gestionnaires, et des gestionnaires qui n’ont pas la maitrise d’outils logiciels performants. Sur la brique logicielle pure qu’on développe, on a des concurrents, mais ça n’est pas là que se trouve notre plus-value. Elle réside dans la vision globale du secteur qu’on a acquise, ainsi que dans le service qu’on est capable de rendre aux syndics. La gestion immobilière reste notre cœur de métier, tandis que la technologie est un simple support.

Il faut dire aussi que c’est un marché très lent : depuis 2013, on a vu trois nouvelles boites apparaître. Les barrières à l’entrée sont énormes, du fait notamment du code de la copropriété qui est complexe. Ce n’est pas un secteur où on peut s’improviser.

En quoi Copromatic est-elle une « start-up » ? Qu’est-ce que la notion de « start-up » signifie pour vous ?

On se reconnait dans l’« esprit start-up », soit l’envie de construire des choses nouvelles, le dynamisme d’une jeune boite, et aussi la façon dont on met notre histoire en récit

On se reconnait dans l’« esprit start-up », soit l’envie de construire des choses nouvelles, le dynamisme d’une jeune boite, et aussi la façon dont on met notre histoire en récit. Ce sont aussi des choses qui nous distinguent de nos concurrents.

On peut être une start-up même si la technologie qu’on mobilise n’est pas nouvelle. Dans notre cas, elle s’apparente à un logiciel professionnel classique. On n’est pas une boite « tech », contrairement à BIMdata dont on pourra parler plus tard. Pour le développement de la solution logicielle on n’hésite d’ailleurs pas à externaliser quand c’est trop pointu. Ça n’a pas de sens pour nous d’investir du temps là-dessus alors qu’en externalisant on va pouvoir aller plus vite et s’appuyer sur les dernières technologies.

On n’a pas cherché à faire du « lean start-up », soit à vendre un produit le plus rapidement possible. Si j’avais voulu, j’aurais pu prendre un logiciel concurrent auquel j’aurais ajouté progressivement quelques briques en les testant auprès de un ou deux clients. On raisonne plus en produit qu’en marché : on a fait le choix de consolider la solution en interne avant de la commercialiser. Mais c’est une stratégie très consommatrice en temps et ressources.

Quelles compétences rassemblez-vous ? Le recrutement est-il un enjeu pour vous ?

Le recrutement n’est pas du tout un problème, je crois qu’on vend des histoires qui plaisent, on travaille avec des gens qui croient au projet

On a trois développeurs en interne, mais notre activité consiste à orchestrer la technologie dans le cadre très précis de la gestion de copropriété. Notre compétence réside ainsi surtout dans la manière dont on refaçonne le métier de gestionnaire. On regroupe des compétences très larges. On n’a pas recruté de juristes à proprement parler mais la culture juridique infuse fortement nos savoir-faire, on fait beaucoup d’auto-formation. Cela fait partie des connaissances essentielles qui sont au cœur de notre produit, ça n’est pas quelque chose que l’on peut déléguer, donc on s’attèle à monter en compétences progressivement.

Le recrutement n’est pas du tout un problème, je crois qu’on vend des histoires qui plaisent, on travaille avec des gens qui croient au projet. Notre ADN et ce qu’on offre en termes de condition de travail font que les gens ont envie de rester.

Comment a été financé le développement de Résidéclic et de Copromatic ?

D’un point de vue personnel j’ai vécu avec mes propres ressources lors du développement de Résidéclic et aux débuts de Copromatic. Je réalise maintenant du chiffre d’affaires avec Résidéclic, près de 20 000€ par an, sans y consacrer trop de temps. Ce premier projet a été financé avec de la « love money », soit des contributions de proches, près de 120 000€ en tout.

Pour Copromatic, ce sont nos investissements personnels, à Stanislas et moi notamment, à hauteur de 250 000€ environ, qui nous ont permis de démarrer. On a ensuite remporté un appel à projet ADEME qui nous a fait rentrer 330 000€ en chiffre d’affaire. Ces deux premières sources de financement nous permettent de tourner depuis le début. Il faut dire qu’à Lyon on dépense peu : on tourne avec 20 000 € par mois pour couvrir toutes les dépenses dont les salaires.

Pour ces projets, vous n’avez pas encore eu recours à des financements extérieurs, cela ne vous a-t-il pas manqué ?

Quand on peut s’autofinancer et éviter une prise de capital par des acteurs extérieurs c’est toujours l’idéal. Il manque d’ailleurs à Lyon et même à l’échelle nationale, des incubateurs avec un statut associatif comme Le Camping à l’époque (depuis transformé en société anonyme) qui respectent pleinement le choix des entrepreneurs.

J’ai eu la chance d’avoir de l’argent personnel au départ, mais on peut trouver sans trop de difficulté l’équivalent avec des concours de start-up par exemple. L’auto financement permet l’indépendance, ce qui est très précieux. Je n’ai jamais eu envie d’aller chercher des subventions publiques, je veux éviter d’être dépendant et je n’ai pas confiance dans le rythme et le fonctionnement des acteurs publics, ils ne sont pas fiables.

C’est sûr qu’on joue en décalé par rapport au développement classique de start-up : love money, business angel, venture capital et éventuellement prêt. A Lyon, étant donné que les coûts de fonctionnement restent très limités, si on se débrouille bien on peut sauter une des cases de financement, notamment les business angels qui, pour moi, n’apportent pas grand-chose à part venir interférer dans la gestion… mais ça dépend des besoins de chacun.

Le prêt bancaire n’est pas envisageable pour nous pour l’instant, quand on « brûle » encore du cash, on ne peut pas demander du fond de roulement à un organisme extérieur … Pour être mûr pour un prêt, il faut une capacité d’auto-financement de base associée à un chiffre d’affaires récurrent.

Quand on peut s’autofinancer et éviter une prise de capital par des acteurs extérieurs c’est toujours l’idéal. Il manque d’ailleurs à Lyon et même à l’échelle nationale, des incubateurs avec un statut associatif comme Le Camping à l’époque (depuis transformé en société anonyme) qui respectent pleinement le choix des entrepreneurs. Celui qui entre au capital, il est quasiment en conflit d’intérêt quand il donne des conseils car ce qu’il attend principalement c’est une valorisation financière. Ce système créé des boites qui ont envie de monter rapidement et de revendre, et alimente au final la spéculation. 

 

Que vous a apporté votre investissement dans le projet de recherche de l’ADEME ?

il a participé à la maturation de notre projet et nous a permis de passer à la vitesse supérieure

Au-delà du financement, il a participé à la maturation de notre projet et nous a permis de passer à la vitesse supérieure. L’appel à projet visait à réfléchir à la façon dont on peut stimuler la rénovation thermique des copropriétés en identifiant les leviers pour inciter les co-propriétaires à engager des travaux d’économie d’énergie. Cette problématique nous a amené à développer un outil qui maturait dans nos têtes depuis déjà un an, « BIM data », qui permet d’exploiter des données issues de la modélisation 3D d’un immeuble et des données associées à ses équipements. Celles-ci, intégrées à un logiciel comme Copromatic, permettent de simuler le gain en confort et en budget que représenterait une rénovation thermique de l’habitation.

Vous avez choisi de faire de BIM data un produit spécifique, dissocié de Copromatic, pourquoi ?

On a voulu créer une marque propre qui fait référence à un outil standard reconnu, le « BIM » pour Building Information Modeling, qui désigne un système de modélisation des données d’une structure. On a eu l’occasion de tester l’idée sur un salon il y a deux ans avec des acteurs de la rénovation, et ça nous a amené à développer une entreprise à part entière, MovetoBIM, filiale de Copromatic. C’est un métier différent, il s’agit du développement d’une plateforme collaborative pour gérer son portefeuille de maquettes numériques. Celles-ci sont ensuite intégrées à un logiciel de gestion d’un bâtiment. Nos clients sont des éditeurs de logiciels professionnels et toute foncière qui a une capacité d’investissement, du volume à gérer, et qui est sensible aux enjeux de performance énergétique (sociétés foncières, propriétaires tertiaires, bailleurs sociaux, etc.).

Où en êtes-vous dans la commercialisation de votre offre Copromatic ? Quelles cibles privilégiez-vous à l’avenir ?

Pour l’instant l’essentiel de nos clients, une centaine, sont des copropriétés autogérées pour lesquelles on est une solution logicielle simple : ils nous payent un abonnement mensuel. Ce sont nos premiers clients qui ont été importants dans notre développement en nous permettant de tester et d’ajuster notre produit avec peu de pression. Mais c’est auprès des syndics professionnels qu’on entend vraiment se développer. Il s’agit d’une clientèle plus exigeante, qui va utiliser pleinement notre solution, et qui est plus intéressante financièrement pour nous. On travaille déjà avec dix cabinets professionnels.

Où sont vos principaux clients ? Et souhaitez-vous vous ouvrir prochainement à l’international ?

Notre marché n’est pas spécialement lyonnais, on travaille au niveau national et on commence à se développer en Belgique. Mais on n’est pas encore dans une perspective de développement à l’international, c’est encore trop tôt, ça implique de grandir très vite et risque pour l’instant de nous mettre en difficulté.

Quel est l’avantage principal d’un positionnement en BtoB ?

L’intérêt d’un positionnement en BtoB comme le nôtre est qu’avec quelques clients seulement la boite peut tourner et, potentiellement, ouvrir les portes des banques. C’est la spécificité de Lyon par rapport à Paris, la structure de coût d’une entreprise ici est minimaliste. Pour l’heure on adresse d’ailleurs surtout des petites entreprises ; l’accès aux grands comptes est encore un autre enjeu. Une entreprise qui fait du BtoC a des besoins différents en matière de financement, pour lesquels il vaut souvent mieux être à Paris où les possibilités sont plus nombreuses. Il lui faut en règle générale plus de temps et de volume pour se développer. 

Avec Résidéclic, Copromatic et MovetoBIM, vous êtes donc actif sur trois projets, mais aussi dans un tout autre secteur, celui de la restauration avec Monsieur Gourmand, comment arrivez-vous à jongler d’un projet à l’autre ?

Le fondateur de Monsieur Gourmand était mon voisin de table à BoostInLyon, on a pas mal discuté, on s’est rendu des services… et je suis finalement devenu associé. Je passe environ un quart de ma semaine sur ce projet et l’essentiel du reste sur Copromatic.

Pour l’instant j’arrive à articuler tout ça, mais c’est sûr que ça n’est pas toujours facile au quotidien car je suis encore très mobilisé sur l’opérationnel. Mais plus les boites grossissent, plus je vais pouvoir m’éloigner de l’opérationnel pour être davantage sur la stratégie, ce qui m’offrira plus de souplesse dans mon organisation.

Quelles sont vos perspectives pour 2018 ?

A court terme on a besoin de relever la tête après une année 2017 éprouvante. On a fait rentrer de nouveaux clients avec des moyens encore trop limités, ça a été difficile. On a saisi les opportunités qui se présentaient à nous, mais peut être trop tôt parfois… On apprend progressivement à gérer la pression financière. 

Nous lèverons des fonds cet été pour nous donner les moyens de nos ambitions et accélérer fort sur la fin 2018. A plus court terme, on va aussi recruter deux personnes, un développeur et un comptable. On a obtenu le statut de « Jeune Entreprise Innovante », ce qui va nous permettre de réduire les charges sociales