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Soumiya Mechiche : « Les incubateurs sont les seuls à répondre aux questions que se posent les entrepreneurs »

Interview de Soumiya Mechiche

Portrait de Soumiya Mechiche
© DR
Chargée de mission à Alter'Incub

Soumiya Mechiche est chargée de mission à Alter'Incub, Incubateur d'Innovation Sociale dont le siège est à Vaulx-en-Velin. A 23 ans, elle est diplômée en management, innovation et propriété intellectuelle, après avoir suivi une formation universitaire en droit puis en économie.

Incubateur régional dédié à l’innovation sociale, Alter'Incub accompagne les porteurs de projets dans la concrétisation de leurs entreprises innovantes socialement. L'innovation sociale y est définie comme l'ensemble des « solutions nouvelles que développent des entreprises pour répondre à des besoins sociaux, sociétaux, environnementaux ».

 

Entretien réalisé par Anne-Laure Mériau et Thomas Petragallo, membres du Conseil de Développement, le vendredi 3 juin 2016, dans le cadre du Grand Rendez-vous.

Date : 03/06/2016

En quoi consiste votre activité ?

En tant que chargée de mission, j'accompagne les porteurs de projet à créer leur entreprise. Ce travail se réalise en deux temps principaux : une pré-incubation de 4 à 6 mois qui permet de vérifier la viabilité du projet et une incubation qui peut durer jusqu’à un an pour lancer le projet, jusqu'à la mise en service sur le marché de l'entreprise. L'accompagnement se déroule en plusieurs étapes et à travers différentes modalités : des rendez-vous individuels, l'évaluation de la viabilité du projet, un travail sur la stratégie à mettre en place et le marketing, l'aide à la recherche de financements si nécessaire, l'étude des moyens pour établir un réseau et la rencontre avec les partenaires potentiels, ou encore l’allocation de ressources pour faire appel à des experts externes à l’incubateur.

Au sein d'Alter'Incub, nous sommes deux à être chargés de l'accompagnement : mon collaborateur Guillaume Moutet qui dispose de compétences complémentaires, et moi-même. Aujourd'hui nous avons la charge de travailler sur 15 projets, avec l’ambition d’intégrer 20 projets d’ici fin 2016, et les porteurs de projet sont très diversifiés. On dispose d'une grille de critère de l'Innovation sociale qui nous permet de juger de la pertinence et le potentiel des projets pour entrer dans l’incubateur.

Qu'est-ce qui est important pour vous dans votre travail, qu'est-ce qui vous plaît ?

Ce métier m'apporte un enrichissement personnel et intellectuel, qui est utile à la société. Nous avons permis la création de 9 entreprises en 2015, et de 19 accompagnements ; 35 projets sont actuellement à l'étude, et 3 à 4 sont en voie d'aboutissement. Beaucoup de projets sont innovants, ou en rapport avec l'ESS, ou dans la logique économique des startups, à croissance rapide ; et c'est ce que je trouve important. Ils sont non seulement socialement innovants, mais proposent aussi de nouveaux modèles prêt à challenger les nouveaux défis socio-économiques de notre société.

Malheureusement, je trouve personnellement que l'ESS est mal comprise en France. Nous rencontrons des étudiants et nous nous apercevons que cette économie n'est pas perçue à sa juste valeur. Je suis souvent amenée à démontrer l'importance de l'ESS, son rôle dans la création d'entreprises et d'emplois, dans l'innovation sociale et comme nouveau modèle social et économique.

Nous avons cependant des relations avec les collectivités locales qui apportent une aide financière en matière d'ESS, notamment l’Europe et la Région.

Pour vous, quelles sont les difficultés rencontrées par les créateurs d'entreprise ? Au contraire, qu'est-ce qui favorise la création d'entreprise, qu'est-ce qui aide les personnes que vous accompagnez ?

Souvent les incubateurs sont les seuls à répondre aux questions que se posent les entrepreneurs

Les personnes trouvent un vrai lien ici, et du soutien. Souvent les incubateurs sont les seuls à répondre aux questions que se posent les entrepreneurs, notamment parce qu'ils rencontrent des difficultés au début ne serait-ce qu’à formaliser, expliquer leur projet.

Nous faisons un travail de fond pour vérifier le projet, les entrepreneurs sont invités à rencontrer les clients potentiels, les collectivités, agréger des personnes qui ont un lien avec le projet. Nous aidons à la réalisation de leur étude de marché. Le temps nécessaire à consacrer est important pour que l'entrepreneur puisse créer son projet (temps d'incubation). Ce temps est plus difficile à accepter pour les personnes en recherche d'un emploi, et ceux qui sont en activité. Ainsi la longueur du processus peut être un frein ou une difficulté.

Il est également difficile d'entreprendre lorsque la personne n'est pas soutenue par ses proches et sa famille. Cela peut représenter un risque pour soi-même, quand il y a un manque de soutien moral, psychologique et financier. Nous leur conseillons de ne pas être seul, de s'entourer d'un environnement d'entrepreneurs, de porteurs de projet avec déjà un bagage. Pour cela nous organisons des journées de rencontre où les porteurs de projet incubés chez Alter'Incub réfléchissent ensemble, établissent des liens, du réseau, des motivations communes. A ce titre, un incubateur est un bon moteur, c’est un apport financier, mais aussi un vivier de consultants et d'experts qui peuvent apporter une aide.

Quels sont les emplois et les activités de demain à votre avis ? À quoi ressemblera l'économie de demain ?

On peine à faire émerger ce nouveau modèle économique car nous sommes trop imprégnés par le modèle capitaliste

Je viens d'un monde de l'innovation technologique, avec notamment cette idée que les brevets constituent des barrières à l’entrée du marché. Ce secteur est mieux perçu, et le soutien institutionnel est plus prononcé, que dans le secteur de l'innovation sociale qui n'est pas encore bien ancrée dans la culture française contrairement à d'autres pays tels que l'Allemagne ou bien le Canada (le Québec notamment), où elle bénéficie de davantage de soutien.

On peine aussi à faire émerger ce nouveau modèle économique car nous sommes trop imprégnés par le modèle capitaliste. Pourtant, avec l'innovation sociale, on créé des emplois en rapport avec les besoins de la population ! Il est difficile de comprendre pourquoi ces secteurs sont si peu reconnues par les institutions alors qu'elles répondent pleinement à des besoins sociaux. C'est cette reconnaissance qui manque aujourd'hui, nous avons besoin que notre voix soit portée.

Accompagnez-vous beaucoup de projets issus de quartiers ?

Dans les quartiers, les projets sont nombreux mais peu de structures sont adaptées.

Note ambition est de soutenir et d'aider à la réalisation de projets locaux, de les co-construire, pour améliorer le dynamisme dans les quartiers, et répondre à des besoins de proximité. Nous sommes actuellement en train de travailler sur un projet de coiffure solidaire « Solicoif » à Vaulx-en-Velin pour les personnes à faibles ressources.

Nous n’avons pas de "cible" particulière, nous travaillons avec des personnes en recherche d'emploi, diplômées, peu diplômées, ou en difficulté. Ce n’est pas un critère d’entrée dans l’incubateur. Nous accueillons des entrepreneurs issus de milieux variés, et pour des projets éclectiques, dans les secteurs d’activité : de la culture, de la mobilité, du numérique, de l'aide à la personne, l’environnement, etc. Les personnes travaillent pour la plupart déjà dans le secteur d'activité, et certaines cherchent à se réorienter à partir d'une idée, d'un projet.

Concernant les éventuelles barrières financières à l’entrepreneuriat dans les quartiers, nous pouvons apporter une aide financière (enveloppe de l'incubateur) pour que les porteurs puissent réaliser leur projet. Nous disposons en effet de ressources grâce à des fonds structurels européens.

Même s'il y a déjà des projets, je pense que l'entrepreneuriat pourrait être encore davantage encouragé dans les quartiers.  Il est nécessaire de mettre en place des actions de promotion, des initiatives sur un territoire donné, de s'appuyer sur des acteurs du changement. Pour aller dans ce sens, nous conduisons actuellement des réflexions en direction des publics et personnes en difficultés.

Le mot de la fin ?

On veut aller vers une économie plus collaborative et humaine. Je suis certaine que l'ESS est une solution pour l'économie de demain. À mon sens, il faut réfléchir aujourd'hui sur le fonctionnement des entreprises, et s'inspirer d'initiatives innovantes à l'étranger.