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Robotique de service : assistance à la personne et transports automatiques

Interview de Aubert Carrel

Illustration représentant des bulles de conversation avec dans l'une d'elle un robot.

<< Je pense qu'un robot de service est mobile dans l'espace. Sinon un ordinateur devrait être considéré comme un robot >>.

Dans cet entretien, Aubert Carrel, fondateur de PGES et actuel responsable de l’établissement de Meylan, explique que l’assistance à la personne et les transports automatiques constituent les domaines d’application de la robotique de service les plus prometteurs pour Robosoft. Il estime également que le territoire Rhône-Alpes-Auvergne dispose de nombreuses compétences en matière de technologies robotiques.

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Date : 26/01/2011

Créée en 1985 et installée dans le pays basque, la société Robosoft est pionnière sur le marché des solutions de robotique de service dont elle est devenue l’un des leaders européens. Parmi les premières start-up issues des laboratoires de l’INRIA, Robosoft propose aujourd’hui une gamme complète de robots intelligents et modulaires, destinés à l’automatisation des services comme le transport des biens et des personnes, le nettoyage industriel, la sécurité ou l’assistance des personnes à domicile.

En 2009, Robosoft réalise une opération de croissance externe en rachetant la société iséroise PGES (Perception & Guidance Embedded Systems), acteur reconnu de la robotique mobile et de la vétronique (équipements informatiques embarqués sur les véhicules), spécialisé dans les développements logiciels avancés pour la perception de l’environnement, la localisation et le guidage d’engins terrestres. Basée à Meylan, PGES est devenue un établissement de Robosoft.

 

En faisant le pari de l’expérimentation grandeur nature, la mobilisation de ces compétences pourraient permettre au territoire de se positionner favorablement sur les deux marchés clés identifiés par Robosoft. Pouvez-nous présenter la société Robosoft et notamment les conditions du rapprochement avec PGES ?

Au départ, PGES a pris la suite d’une activité initiée chez ITMI, filiale de Cap Gemini. En 2001, lorsque Cap Gemini a souhaité se séparer de cette filiale très orientée technologie, j’ai décidé de créer PGES qui s’est spécialisée dans les systèmes de perception de l’environnement et de localisation pour des engins habités ou des robots mobiles. Robosoft quant à elle est l’une des premières start-up essaimées de l’Inria. Elle a développé de nombreux robots destinés à des usages variés, et notamment le « RobuTER » qui a été acheté par de nombreuses universités pour le programmer et faire des tests de robotique mobile.

En 2008, nous nous sommes rapprochés de Robosoft. Outre le fait que nous nous connaissions depuis longtemps, il y a eu plusieurs raisons à ce rapprochement. Tout d’abord, en tant que TPE, nous avions de plus en plus de mal à remporter des marchés importants. De son côté, Robosoft avait du mal à décrocher des marchés militaires alors que PGES était bien positionné sur ce marché. Ensuite, PGES et Robosoft étaient très complémentaires. Nous étions plutôt orientés logiciels tandis qu’eux étaient réputés au niveau de la mécatronique. Notre rapprochement permettait ainsi de constituer une structure plus importante et surtout compétente à la fois sur la mécanique, l’électronique et le logiciel. Aujourd’hui, Robosoft compte une trentaine de personnes dont quatre ici à Meylan.

 

Quelle différence faites-vous entre robotique industrielle et robotique de service ?

Je distingue deux grandes familles. D’une part, il y a la robotique de manipulation qui est tournée vers l’industrie, et qui inclut les bras manipulateurs et les chariots automatisés. D’autre part, il y a la robotique mobile de service, qui elle-même peut être axée vers le grand public ou vers les professionnels. Il y a une césure très forte entre ces deux familles. Ce sont deux communautés de chercheurs et d’ingénieurs très distinctes, qui se parlent peu et dont les repères sont très différents. Pour résumer les choses, dès que l’on n’est plus dans l’univers de la production manufacturière, nous sommes dans la robotique de service. Quant à Robosoft, notre activité est aujourd’hui principalement BtoB.

 

Un robot de service est nécessairement mobile ?

Oui, je pense qu’un robot de service est mobile dans l’espace. Sinon un ordinateur devrait être considéré comme un robot. Pour moi, une machine intelligente qui n’est pas mobile n’est pas un robot.

 

Pour certains observateurs, le chiffre d’affaire de la robotique de service pourrait connaitre un essor considérable dans les toutes prochaines années. Pensez-vous également que nous sommes arrivés à un tournant ?

Cela fait vingt ans que je travaille dans la robotique et tout les deux ans une étude de marché nous annonce que « ça y est, ça va exploser ! ». Cela ne s’est toujours pas produit. Bien sur, j’espère que ça sera le cas un jour. Ce que l’on peut dire c’est que les volumes de vente ont effectivement connu une croissance régulière, linéaire mais non exponentielle. Aujourd’hui, je ne vois pas ce qui permettrait de dire que l’on va passer subitement d’une croissance à un ou deux chiffres à une croissance à trois chiffres !

 

N’a-t-on pas passé un cap en matière de technologies robotiques ?

Les technologies progressent de façon régulière, que ce soit au niveau des capteurs, des actionneurs, du soft, etc. Pour autant, je ne vois pas de rupture permettant de dire que l’on a résolu définitivement tel ou tel problème ! Certes, il y a eu des progrès très importants sur les aspects matériels mais il y a encore énormément de choses à faire pour rendre le robot plus intelligent, pour développer son autonomie décisionnelle et son interaction dans le monde réel. C’est le domaine qui a le moins progressé en vingt ans.

 

Quel regard portez-vous sur les projets de robots humanoïdes polyvalents ?

En France, il y a quelques acteurs reconnus dans ce domaine mais les industriels ne s’y intéressent pas encore. Personnellement, je ne vois pas à quoi servirait un robot humanoïde. Avant de se lancer dans cette voie, il faudrait déjà qu’il y ait un besoin réel pour ce type de robot. Pour justifier la création de la compétition « Robocup », l’un de ses organisateurs a dit que dans trente ou quarante ans les robots seraient capables de jouer au foot aussi bien que les humains. Cela me parait totalement farfelu ! Même les militaires ne veulent pas entendre parler de robots humanoïdes. Toutefois, le robot humanoïde peut avoir un intérêt en tant qu’objet de recherche, par exemple pour tenter de reproduire artificiellement des mouvements, dans le cas de prothèses motorisées.

 

 Selon vous, quels domaines d’application de la robotique de service ont le plus de chances de se développer dans les prochaines années ?

Je peux vous parler de ceux sur lesquels se positionne Robosoft. Notre principal marché à long terme est celui de l’assistance à la personne, qu’elle soit âgée, dépendante ou handicapée. Nous imaginons ainsi des petits robots présents à domicile et offrant différentes fonctionnalités. Ils permettent d’interagir avec l’extérieur via internet, le téléphone et la vidéo. Ils stimulent les personnes sur le plan cognitif en fonction de leurs pathologies, comme la maladie d’Alzheimer par exemple, ceci permettant au médecin de suivre l’évolution de leurs patients. Il y a également les fonctions de sécurité qui permettent au robot de s’assurer que la personne va bien et de donner l’alerte si besoin.

Il n’existe pas encore de robots-compagnons opérationnels mais ils sont en plein développement. La plupart des laboratoires de recherche européens qui travaillent sur cette problématique de l’assistance à la personne ont acheté un exemplaire de notre robot Kompaï. Ces laboratoires travaillent en général avec des hôpitaux, des spécialistes de l’équipement des maisons de retraite ou des compagnies d’assurance et de prévoyance. L’objectif est de développer de multiples applications sur nos robots qu’ils vont ensuite tester directement auprès de malades, de personnes âgées, de personnes handicapées, etc. Il s’agit de vérifier la validité du concept, son acceptabilité par les utilisateurs.
Même si l’on est encore au stade du développement, il y a une très forte espérance de retour sur investissement dans la mesure où l’on sait qu’il coûte beaucoup moins cher d’aider les gens à rester à domicile plutôt que les accueillir à l’hôpital ou en maison de retraite. Autrement dit, même si le coût d’un robot d’assistance peut paraitre élevé, cela reste inférieur à celui d’une prise en charge dans un établissement spécialisé.

 

Si ce marché du robot compagnon décolle dans les années à venir, serez-vous en capacité de répondre à l’ampleur de la demande ?

Aujourd’hui, le robot Kompaï est déjà celui que l’on vend le plus, avec une trentaine d’exemplaires. Et c’est le seul que l’on produit en série ! Tous nos autres robots sont fabriqués à l’unité, et lorsqu’ils sont dupliqués, c’est rarement à l’identique. Même si nous proposons toute une gamme de robots, les clients ont toujours des demandes spécifiques, que ce soit au niveau des capteurs, des bras manipulateurs, etc. Si notre robot Kompaï se vend à des milliers d’exemplaires dans cinq ou dix ans, ce ne sera certainement pas nous qui les fabriquerons en direct. Il faudra sans doute nous adosser à un partenaire industriel disposant de la capacité de production adéquate.

 

Y’a-t-il un autre marché porteur pour Robosoft ?

Le deuxième marché sur lequel nous nous positionnons est celui des transports avec les véhicules de transport de personnes sans pilote. Il ne s’agit pas ici de métro automatique mais de véhicules capables de rouler sur la route sans infrastructure de guidage. Pour autant, les véhicules automatiques que nous avons installés jusqu’à présent interviennent sur des voies qu’ils sont seuls à utiliser. Il n’existe pas encore de véhicules automatiques utilisables sur la voirie classique au milieu de la circulation. Non seulement, ils ne sont pas encore autorisés à circuler mais surtout ils ne sont pas encore au point. Plusieurs problèmes restent à résoudre. Si certains vous disent que ça marche, ne les croyez pas !

Jusqu’à aujourd’hui, nous avons réalisé trois systèmes automatisés avec des véhicules capables de transporter plusieurs dizaines de personnes. Le premier transporte les touristes qui visitent la ligne Maginot au fort du Simserhof en Moselle. Le second est utilisé au parc Vulcania en Auvergne pour transporter les visiteurs entre les différentes stations du parc. Le troisième est en cours de déploiement sur le nouveau parc des expositions de la ville de Rome. Nous pensons qu’il y a un vrai marché pour équiper les parcs de loisirs, les parcs des expositions, les aéroports. Plusieurs villes ont d’ailleurs des projets de ce type.

 

Pour Robosoft, Rhône-Alpes est-elle un territoire de partenariat privilégié sur le plan de la R&D ?

Vu la taille actuelle du marché de la robotique de service et la complexité des technologies robotiques, on ne peut pas se contenter de raisonner à l’échelle rhônalpine. Par définition notre champ d’intervention est européen. Ainsi, nous sommes engagés dans de nombreux projets collaboratifs en France mais aussi en Europe. Cela dit, nous souhaitons poursuivre le développement de l’établissement Robosoft de Meylan afin de renforcer nos compétences sur le soft. De plus, Grenoble compte quelques acteurs de poids comme Orange Labs ou le CEA. Ensuite, en termes de projets collaboratifs, je peux évoquer notre participation au projet CONNECT avec le GIPSA Lab et l’Inria. Ce projet, dont le besoin a été exprimé par l’Ifremer, est financé par l’ANR et vise à mettre au point un système de supervision d’une flotte de robots sous-marins. De même, dans le cadre du programme européen EUREKA/ITEA, nous participons au projet MIDAS piloté par Orange Labs, notamment à travers son site de Meylan. Ce projet va permettre de valider différents scénarios d’assistance à la personne recouvrant les problématiques de communication avec l’environnement et les proches (visioconférence, interfaces multimodales), de réalisation de tâches de la vie quotidienne et de santé et sécurité. Enfin, nous avons étudié avec le CEA de Grenoble la possibilité d’un système d’un transport automatique sur toute la presqu’île scientifique dans le cadre du programme d’aménagement GIANT.

Nos autres collaborations se font avec des partenaires qui ne sont pas situés en Rhône-Alpes. Ainsi, nous avons des projets ANR ou européens avec le LAAS à Toulouse, l’ISIR à Paris ou encore le CEMAGREF à Clermont-Ferrand. Globalement, la moitié de ces projets concernent l’assistance à la personne, notamment ARMEN, ROBADOM, MOBISERV, PRAMAD, etc. Dans ces projets, Robosoft fournit le robot, dont elle améliore les fonctionnalités au fil des projets, qui sert de plateforme matérielle et logicielle sur laquelle les autres partenaires vont venir implanter leurs fonctions.

 

Et sur le volet robotique mobile ?

Dans ce domaine, Robosoft participe par exemple au projet FAST porté par la plateforme de recherche TIMS qui rassemble le LASMEA de l’Université Blaise Pascal et le CEMAGREF de Clermont-Ferrand. Ce projet est lui aussi financé par l’ANR et il vise à développer un petit robot mobile tout terrains capable de se déplacer rapidement sans se renverser. Robosoft fournit le robot et les laboratoires se chargent de développer les algorithmes qui vont permettre de contrôler le robot à grande vitesse.

 

Globalement, quel regard portez-vous sur le potentiel technologique de la région Rhône-Alpes en matière de robotique de service ?

Je pense que l’on a déjà pas mal de compétences technologiques en Rhône-Alpes. En dehors du GIPSA Lab et de l’Inria de Grenoble, il y a des chercheurs de haut niveau à l’ENS et à l’école centrale de Lyon. Et si l’on pousse plus à l’ouest, nous avons la fédération de recherche TIMS de Clermont-Ferrand qui à mon sens fait partie des trois meilleurs laboratoires français, notamment sur les aspects mécanique et contrôle/commande.

 

Le développement d’une filière robotique de service régionale vous parait-elle envisageable ?

Il faut se positionner par rapport aux marchés de demain et se donner les moyens de faciliter l’innovation. Si je reprends les marchés de l’assistance à la personne et des transports que j’évoquais tout à l’heure, cela veut dire que les centres hospitaliers doivent s’investir pour participer au développement de robots compagnons et que les villes doivent favoriser l’expérimentation de systèmes de transport automatiques dans des zones à l’écart de la circulation automobile. A ce titre, ce serait un signe positif que le projet de transport automatique sur la presqu’île scientifique de Grenoble voie enfin le jour. Quoi qu’il en soit, les robots d’assistance à la personne et les véhicules automatiques sont deux domaines sur lesquels Robosoft sera un partenaire actif et pour lesquels la région dispose des ressources technologiques suffisantes pour lancer de véritables projets industriels.