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Les étapes clés d'une start-up lyonnaise

Interview de Diego Isaac

Portrait de Diego Isaac
Responsable communication et marketing de NAVYA

<< Nous souhaitons aussi bien sûr développer notre présence sur le marché américain, au-delà des Etats-Unis seuls, et être présents sur plusieurs continents. Mais nous n’avons pas de velléité particulière d’arrêter de produire en France >>.

La Métropole de Lyon conduit une étude prospective sur les start-up du territoire et s’appuie notamment sur les témoignages des entrepreneurs et porteurs de projets. Cette interview a été réalisée dans ce cadre.

NAVYA a été créé en 2014 par Christophe Sapet et soutenue par le fond d’investissement Robolution Capital de Bruno Bonnell. Depuis sa création, la start-up positionnée sur le marché très concurrentiel des véhicules autonomes enregistre une forte croissance : entre 2016 et 2017 son chiffre d’affaire a été multiplié par trois et ses effectifs croissent à hauteur d’une dizaine de personnes par mois en moyenne. La dernière levée de fonds a notamment été l’occasion de développer des partenariats stratégiques avec l’équipementier Valéo et le transporteur Keolis. Après la navette « AUTONOM SHUTTLE », la société a annoncé la sortie de son robot-taxi, « AUTONOM CAB ». Diego Isaac, Marketing et Communication Manager, présent depuis le début de l’aventure, revient sur les étapes clés de l’entreprise.

Réalisée par :

Date : 08/02/2018

NAVYA fait figure de success story lyonnaise et au-delà, française, sur un marché du véhicule autonome mondial et très concurrentiel. Dans quelle dynamique êtes-vous actuellement ?

La dynamique actuelle est très bonne ! NAVYA compte environ 210 salariés aujourd’hui, dont une soixantaine au siège à Villeurbanne, sur la partie gestion et administratif, une petite soixantaine sur notre site de production à Vénissieux et le même nombre à la R&D à Paris. Enfin, une vingtaine de personnes travaillent sur notre nouveau site de production à Detroit dans le Michigan, et nous avons pour finir quelques agents aux quatre coins du monde. Nous avons réalisé un chiffre d’affaires de 11 millions d’euros en 2017, soit environ trois fois plus que l’année précédente. Nous avons désormais plus de 65 navettes autonomes en circulation dans plus de 10 pays différents.

Qu’est-ce qui explique ce décollage selon vous ?

La vision du marché et de la technologie portée par Christophe Sapet, le fondateur de NAVYA, ainsi que sa capacité à rassembler des talents et animer une équipe sont sans doute des éléments décisifs dans le décollage de NAVYA. Il a une grande expérience de l’entrepreneuriat, en ayant notamment fondé Infogrames aux côtés de Bruno Bonnell puis Infonie, et une vision du marché de l’automobile sur lequel il a pressenti une révolution majeure à venir. Leur nouveau challenge conjoint s’est porté sur le développement d’un véhicule autonome commercialisable et commercialisé très rapidement. Deux ans après le rachat de la société Induct en 2014, une des premières expérimentations de véhicule autonome était menée à Confluence avec Navly. Le défi essentiel était de mettre rapidement le produit à l’épreuve pour se donner une longueur d’avance.

En quoi NAVYA est-elle une « start-up » ?

Pour moi la start-up renvoie aux notions d’« agilité » et de « fluidité » sur des marchés qui se créent et se structurent. Nous sommes bien dans ce cas de figure en ce qui concerne les véhicules autonomes mais nous préférons la notion de « scale-up » au regard de notre dynamique actuelle.

On parle encore d’expérimentations au sujet des véhicules autonomes. Est-ce à dire que des ajustements sont encore nécessaires avant la mise en marché ?

On parle d’expérimentation car d’un point de vue légal nous avons dû demander une autorisation spécifique, mais en réalité il s’agit bien d’un produit fini mis en service. Nous avons notre ligne de production qui fonctionne, et une offre de véhicules et de services de maintenance notamment qui est aboutie.

Votre modèle de croissance n’est-il pas fortement tributaire de l’évolution de la réglementation ?

La législation n’est certes pas encore totalement favorable mais elle évolue fortement depuis 2 ou 3 ans : les signaux sont très positifs. On sent une volonté politique au niveau gouvernemental d’avancer, le cadre réglementaire évolue. L’ancienne secrétaire d’Etat, Anne-Marie Idrac, a très récemment été chargée de travailler sur les perspectives du véhicule autonome. Du côté des villes aussi, les attentes en matière de fluidification et de réduction de la circulation, ainsi que l’ouverture à l’expérimentation, créent un contexte favorable. Le cadre réglementaire ne jugule au final pas le marché, car les attentes vis-à-vis de ce type de service sont fortes.  Enfin, depuis 2014 et le plan « Nouvelle France Industrielle » porté par le Ministre Arnaud Montebourg, le gouvernement s’est engagé en faveur du développement d’un écosystème autour des véhicules autonomes, en en faisant un intérêt industriel stratégique. Aujourd’hui, la dynamique autour de la French Fab poursuit cette logique. Le Ministère annonce vouloir faciliter les expérimentations. Ça avance donc dans le bon sens.

Quel rôle pouvez-vous jouer pour favoriser ou accélérer le développement des voitures autonomes ?

De notre côté, nous avons un Département qui s’occupe des autorisations de rouler sur la voie publique et qui travaille donc étroitement avec les pouvoirs publics. Nous constatons que c’est de plus en plus facile et rapide d’obtenir ce type d’autorisation. Les acteurs publics tendent à s’habituer à ce type de procédure, les relations sont fluides.

Est-ce que vous êtes prêts à répondre à une forte croissance en volume de la demande ?

Nous sommes capables de nous adapter rapidement en fonction des évolutions de notre carnet de commande, nous bâtissons des scénarios pour cela.

Vous avez un ancrage français fort de par les partenariats noués avec Valéo et Keolis notamment ainsi que votre premier site de production à Vénissieux. Vous venez toutefois d’ouvrir une usine aux Etats-Unis. Quel est pour vous le principal enjeu en ce qui concerne la production ?

NAVYA est une entreprise ancrée dans le présent, et nous mettons un point d’honneur à ce que nos véhicules soient disponibles dès aujourd’hui. On se doit donc d’adapter nos capacités de production à la demande, et nous avons déjà des commandes régulièrement.

Nous souhaitons aussi bien sûr développer notre présence sur le marché américain, au-delà des Etats-Unis seuls, et être présents sur plusieurs continents. Mais nous n’avons pas de velléité particulière d’arrêter de produire en France : notre savoir-faire en matière d’assemblage et de R&D reste bien français, et une partie essentielle de la valeur de nos produits est issue de notre R&D.

Les différentes expérimentations que vous menez témoignent d’une présence large à l’international, en France (Lyon et La Défense) bien sûr, aux Etats Unis, mais aussi en Australie, en Nouvelle-Zélande, etc. Comment se sont opérés ces choix de développement international ?

Etant donné que le marché se structure encore, nos différentes expérimentations en cours à travers le monde se sont vraiment faites par opportunité. Elles ne répondaient pas particulièrement à une stratégie de couvrir tous les continents. Ces opportunités révèlent toutefois que le véhicule autonome est un sujet dans beaucoup de pays ! Ça serait d’ailleurs intéressant de pouvoir réunir les autorités publiques concernées de tous ces pays pour mener une réflexion commune autour du futur cadre de circulation des véhicules autonomes.

Qu’apporte à NAVYA l’ancrage et l’écosystème lyonnais ? En quoi est-il un atout et, éventuellement, un frein pour son développement ?

Notre ancrage est en premier lieu lié au fondateur de NAVYA Christophe Sapet, qui avait déjà une histoire et un rapport fort à l’écosystème lyonnais.

Il va aussi sans dire que Lyon est un berceau économique très dynamique, créateur de richesses et plein de ressources, où l’on peut trouver des profils intéressants pour agrandir nos équipes que ce soit sur le volet administratif au siège ou pour la production, ainsi qu’un vivier de bureaux d’étude. Pour le recrutement, il y a ici des formations très variées et de qualité, notamment pour les ingénieurs.

Sur la mobilité, la Métropole fait preuve d’une volonté de développer des solutions innovantes et de mettre en avant les savoir-faire locaux. La dynamique partenariale, avec le Sytral et Keolis fonctionne aussi très bien, et le réseau de transport en commun est riche. Les acteurs locaux ont été largement facilitateurs pour le lancement de NAVYA, qui a été un vrai événement pour nous, et au-delà, un signal encourageant pour l’avenir du véhicule autonome. 

Pourquoi avoir choisi de localiser la fonction R&D à Paris ?

Ceci s’explique par l’histoire de NAVYA : la société acquise était basée à Paris. Une partie de l’équipe en place est restée, et a pu continuer à travailler sur les prototypes et les actifs technologiques acquis lors de l’achat.    

Sur le marché on assiste à des alliances majeures et nouvelles entre acteurs de l’automobile et de la tech. NAVYA a un positionnement original en ne s’alliant pas avec un constructeur mondial ni un géant du logiciel. Comment s’opère le choix d’internaliser ou d’externaliser la production des différents composants ?

Le recours à ces prestataires nous permet une plus grande agilité et d’accéder aux dernières technologies.

Nous maitrisons une grande partie de la chaine de valeurs de nos produits : l’intelligence du véhicule en premier lieu, mais aussi l’assemblage et la commercialisation. S’agissant de la partie logicielle du système de guidage qui est le cœur de notre savoir-faire, les technologies évoluent rapidement, on répond à des enjeux de cohérence, d’indépendance et de réactivité de nos technologies.

Sur d’autres composants, la carrosserie et le châssis notamment, nous travaillons avec des prestataires qui sont chacun spécialisés dans leur domaine. Nos capteurs sont également fabriqués par des entreprises extérieures spécialisées, tandis que nous nous chargeons de leur positionnement sur le véhicule, et de la partie logicielle pour le traitement des données et du système de guidage intelligent. Le recours à ces prestataires nous permet une plus grande agilité et d’accéder aux dernières technologies.

Vous êtes aujourd’hui sur un modèle « BtoB », vos clients sont pour l’heure des entreprises ou des acteurs publics. Envisagez-vous de passer en « BtoC » un jour et de proposer des véhicules autonomes individuels ?

Ce positionnement est cohérent avec la dynamique législative actuelle. Il est également cohérent en termes de développement technologique et nous permet en permanence de perfectionner nos systèmes de compréhension de l’environnement urbain avec fluidité.

Notre positionnement sur le transport partagé est fortement différenciant. Nous vendons du transport collectif sur de courtes distances.

Les véhicules autonomes coûtent en effet beaucoup plus cher que les véhicules personnels aujourd’hui. Par conséquent, le vendre en tant que transport collectif permet d’atteindre beaucoup plus rapidement le seuil d’amortissement. Nous proposons ensuite des véhicules partagés de proximité, soit sur les premiers et derniers kilomètres qui représentent en réalité l’essentiel de nos déplacements quotidiens.

Ce positionnement est cohérent avec la dynamique législative actuelle. Il est également cohérent en termes de développement technologique et nous permet en permanence de perfectionner nos systèmes de compréhension de l’environnement urbain avec fluidité.

Ce périmètre du premier et du dernier kilomètre nous semble pertinent pour les débuts du véhicule autonome ; mais nous nous inscrivons dans une dynamique progressive, dans le dialogue avec les pouvoirs publics et dans la façon dont nous nous développons. Nous sommes des adeptes du « learning by doing ». Nous ne nous interdisons évidemment pas d’agrandir ce périmètre au fur et à mesure. 

Comment tirer son épingle du jeu face à des mastodontes américains comme Google (Waymo) qui a déjà la maitrise logicielle, Tesla, Uber, Lyft ou asiatiques comme Baidu, Byton, Toyota, etc. ?

Le véhicule autonome apporte une forte valeur ajoutée aux utilisateurs. Nous assistons donc à une course de vitesse sur le marché. Celle-ci s’observe par le nombre de concurrents en présence, mais aussi par la demande exprimée par les villes d’être pionnières et donc parmi les premières à offrir de nouvelles solutions de transport autonome. Ce contexte fait que les attentes sont fortes, et qu’il y a un intérêt majeur à être les premiers à développer ces technologies et surtout à les mettre en place concrètement.

Le marché est vaste et chacun a sa spécificité, il y a donc de la place pour tout le monde. Nous avons bien sûr des concurrents mais pas de concurrence frontale encore avec les géants Google ou Uber. Leur offre n’est pas encore mûre. Nous sommes pour l’heure les seuls constructeurs de véhicules autonomes partagés, et déjà en phase commerciale. Au-delà de la technologie seule, nous avons accumulé une expérience et des savoir-faire importants en matière de législation et d’usages. Nous allons tâcher de garder cette longueur d’avance. 

D’importantes craintes s’expriment face au développement de la voiture autonome en termes de sécurité notamment. Comment les percevez-vous et comment y faites-vous face ?

Les craintes exprimées sont souvent des a priori qui sont au final très vite levés. Nous avons démarré avec les navettes et avons pu observer comment elles s’intègrent au milieu urbain et aux pratiques des gens. Là où nous nous installons, nous travaillons à créer un environnement rassurant en communiquant largement sur la technologie. Il y a d’ailleurs, pour le moment, encore un agent à bord de nos navettes pour faire un travail de médiation et d’accompagnement dans cet usage nouveau