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Les différents acteurs d'aide aux sans-abri

Interview de Maud Bigot

Maud Bigot s'exprime devant un amphithéâtre
© Maud Bigot
Directrice du Pôle Urgence de l'association ALYNÉA

<< Nous ciblons, nos interventions sur les personnes en non-demande, en non-recours, vis-à-vis des dispositifs, celles qui ne sont pas déjà accompagnées par d’autres associations ou services >>.

Maud BIGOT est Directrice du Pôle Urgence au sein de l’association ALYNEA. Ce pôle comprend le SAMU Social69. L’association gère également des hébergements (CHRS, hébergement mère-enfant) un pôle psychosocial qui vient en soutien des travailleurs sociaux et des intervenants auprès des personnes sans-abri ainsi qu’un service emploi formation.

Réalisée par :

Date : 22/03/2019

Maud Bigot, quel est le projet et comment fonctionne le SAMU social que vous dirigez ?

L’idée fondamentale du SAMU SOCIAL est d’aller à la rencontre des personnes dans la rue [...], soit en répondant au signalement du 115 soit en effectuant des maraudes, c’est-à-dire en quadrillant le territoire à la rencontre de nouvelles personnes

Le SAMU SOCIAL fonctionne à l’année 7 jours / 7, de 9h à 19h. En 1 an, le Samu social a rencontré 2380 personnes différentes et nous en accompagnons 170 environ. Composé de 10 travailleurs sociaux, le service est renforcé en hiver, durant le plan froid, par des équipes de nuit qui interviennent de 19h à 1h30 du matin. Des infirmiers interviennent en renfort, la nuit en hiver. L’idée fondamentale du SAMU SOCIAL est d’aller à la rencontre des personnes dans la rue (ainsi, personne ne vient au local du SAMU SOCIAL), soit en répondant au signalement du 115 soit en effectuant des maraudes, c’est-à-dire en quadrillant le territoire à la rencontre de nouvelles personnes. Le SAMU social intervient sur l’ensemble du département du Rhône, mais dans les faits les personnes sont essentiellement situées dans la Métropole et même plus précisément sur Lyon et Villeurbanne puis, un peu, sur la couronne autour.

Lors des premières rencontres avec ces personnes, nous cherchons à répondre tout de suite à ce qui est possible, en fonction des disponibilités du dispositif. Quels sont ces besoins ? En journée cela peut être : accompagner la personne dans un accueil de jour ou l’accompagner dans un vestiaire pour qu’elle trouve de nouveaux vêtements, l’accompagner sur son hygiène, ou encore faire le 15 si la personne ne va pas bien, lui  amener des couvertures, des bouteilles d’eau… Nous essayons également d’orienter les gens vers les dispositifs dont ils relèvent et qu’ils ne connaissent pas. Une des singularités à Lyon (même si ce n’est pas le seul territoire où cette dynamique existe) - et à l’inverse de Paris -, est que nous essayons d’évaluer de quelle manière les personnes se connectent avec les dispositifs qui leur sont destinés.

De notre côté, nous ciblons nos interventions sur les personnes en non-demande, en non-recours, vis-à-vis des dispositifs, celles qui ne sont pas déjà accompagnées par d’autres associations ou services. Parfois, ce travail d’évaluation représente quelques rencontres, d’autres fois il peut représenter 10 à 15 rencontres. Lorsque nous accompagnons la personne, nous lui nommons 2 référents dans l’équipe de jour qui sont chargés d’aller rencontrer la personne singulièrement et régulièrement dans le but de créer une relation qui sera un support à l’émergence de demandes, de désirs, d’envies, auxquels nous répondrons par le recours aux dispositifs existants. Ce travail d’accompagnement peut être extrêmement long. C’est un travail d’interface avec les institutions qui peut durer 6 mois, 1 an, 2 ans, 3 ans, 4 ans, 10 ans, puisque c’est au rythme de la personne et sur la base de la libre adhésion. L’idée est d‘ouvrir les champs des possibles, de signifier, par notre présence et par la régularité, que la personne n’est pas assignée à la rue. Si un jour elle le souhaite, elle peut faire une demande, nous serons là pour l’aider à y répondre.

Le travail du SAMU social repose sur une collaboration étroite avec de nombreux acteurs locaux. Pouvez-vous détailler le fonctionnement de ces relations partenariales ?

Les agents d’une bibliothèque de quartier, sur Lyon, nous ont signalé, à bon escient, une personne. Elle venait à la bibliothèque tranquillement et au moment où elle a commencé à se dégrader ils nous ont appelés. Nous l’avons accompagnée puis nous l’avons perdue et retrouvée. L’éducateur qui accompagne cette personne est passé à la bibliothèque donner des nouvelles. Il y a de vrais liens qui se créent

Ces relations sont essentielles. Nous allons à la rencontre des personnes à partir de nos maraudes, des signalements par le 115 et du signalement par les acteurs locaux. Ces relations sont variées, adaptées aux situations et contextes locaux. Ainsi, nous n’avons pas le temps ni les moyens de faire des maraudes sur les territoires périphériques de la métropole. Nous comptons, sur ces territoires, sur les acteurs locaux – on pourrait dire qu’ils sont un peu nos yeux : les CCAS, les Maisons de la Métropole et du Rhône, les bibliothèques municipales, les centres sociaux, les centres commerciaux, la prévention spécialisée.  Le 115 peut compléter ces signalements. Nous allons rencontrer l’ensemble des personnes qui nous sont signalées et c’est le non-recours qui déclenche l’accompagnement.

Sur la métropole, nous travaillons avec des acteurs très variés : tout d’abord les autres intervenants de rue (médiation, prévention spécialisée…), des agents de sécurité des centres commerciaux, la police, les pompiers, les TCL, La SNCF. Nous intervenons beaucoup dans les gares, principalement sur Perrache et Part-Dieu (nous avons un partenariat avec la SNCF). Nous ne sommes pas là pour vider les gares (nous serions bien en peine de les vider puisque nous n’avons pas de places à proposer). Mais les gares sont des endroits où il y a, de fait, beaucoup de SDF.

Nous intervenons également dans les bibliothèques, et principalement sur celles de Lyon. La bibliothèque de la Part-Dieu propose une configuration, dans son espace du bas, qui permet de se mouvoir et même d’être invisible. Sur les bibliothèques de quartier, on nous signale également des personnes. Les agents d’une bibliothèque de quartier, sur Lyon, nous ont signalé, à bon escient, une personne. Elle venait à la bibliothèque tranquillement et au moment où elle a commencé à se dégrader ils nous ont appelés. Nous l’avons accompagnée puis nous l’avons perdue et retrouvée. L’éducateur qui accompagne cette personne est passé à la bibliothèque donner des nouvelles. Il y a de vrais liens qui se créent.

Nous tentons de sensibiliser ces acteurs, parfois dans le cadre de formation que nous proposons, mais ce n’est pas facile. Ainsi, la bibliothèque Jean Macé a embauché un médiateur qui n’est pas bibliothécaire, mais s’occupe des relations avec le public en « exclusion ». Pour la bibliothèque, il s’agit de maintenir une qualité dans sa mission de service public : être un lieu public, accessible à tous, fournir un accès à internet tout en limitant la gêne de comportements, d’hygiène pas toujours adaptés. La MLIS [Maison du Livre, de l’Image et du Son], sur Villeurbanne, a également créé un poste similaire. Cette volonté d’un lieu où tout le monde puisse être accueilli et avoir accès au service est épatante !

Quelle est votre vision des utilisations actuelles des espaces publics urbains par les personnes sans abri ?

Il y a également des phénomènes non comptabilisés, mais que je perçois en augmentation, d’intolérance à la présence de personnes sur les trottoirs. Ce sont des questions compliquées : est-ce qu’il faut se battre - et prendre un avocat - pour son bout de trottoir ?

Nous avons l’impression que l’espace public est de plus en plus difficile à investir, avec les aménagements urbains dissuasifs, les interstices urbains que l’on bouche… Par exemple, dans le tunnel de Perrache, il existait une sorte de cavité où il était possible de s’installer. Celle-ci a été bouchée, il n’y a même plus de traces maintenant. Il en est de même au niveau de la gare routière internationale : des grilles remplacement maintenant des lieux d’installation de personnes sans-abri. De nombreux endroits sont devenus inaccessibles (grilles, bouchages, pierres…).

Il existe néanmoins encore des lieux où il est possible de se poser. Nous pouvons prendre l’exemple des parcs publics. Le parc c’est un lieu où l’on peut se poser, tout le monde a le droit d’être sur un banc, c’est normal. C’est un endroit où les personnes peuvent être présentes de façon non visible.

Il y a également des phénomènes non comptabilisés, mais que je perçois en augmentation, d’intolérance à la présence de personnes sur les trottoirs. Ils se font expulser de leur bout de trottoir, comme cela s’est passé récemment sous le pont de Gallieni. Ce sont des questions compliquées : est-ce qu’il faut se battre - et prendre un avocat - pour son bout de trottoir ? Ce sont des questions difficiles à traiter. Il m’arrive de recevoir des appels où l’on dit qu’il faudrait demander à une personne de partir, pour permettre un aménagement. Récemment, on a ainsi vu l’expulsion d’une personne pour installer un pot de fleurs. Mais l’aménagement n’est pas allé au bout : la personne a été remplacée par un pot de fleurs sans fleur…

On nous demande de faciliter ces déplacements. Nous demandons toujours aux acteurs compétents d’aller les présenter eux-mêmes, que ce n’est pas à nous d’aller informer. Parfois, nous ne faisons rien, et parfois nous prévenons la personne pour qu’elle puisse éventuellement s’organiser si nous pensons que la personne peut se mobiliser pour trouver un autre endroit.

Face à une massification des personnes dans la rue, l’Etat (local et national) tente de gérer « au moins » pire (pour tenter de prévenir les décès dans l’espace public) et sans parvenir à s’atteler à la question, de manière à réellement la traiter. Les collectivités locales (et élus de proximité) doivent faire face aux interpellations de riverains du fait de la visibilisation des personnes à la rue. L’Appel à Manifestation d’Intérêt sur le « logement d’abord » ainsi que les réunions plan froid en présence du maire et du président de la métropole vont dans le sens d’une coordination plus grande mais tout le monde se retrouve pour dire que le problème est insoluble… et chacun met en place ses stratégies pour y faire face. Pourtant, l’Etat et les collectivités pourraient travailler ensemble sur un grand plan visant « à mettre fin au sans-abrisme », à l’instar de ce qui est prôné par la FEANTSA [Fédération Européenne des Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri]. Pour le moment, nous restons dans une gestion saisonnière des choses.

Quels sont les besoins des personnes sans abri en termes d’équipement des espaces publics ?

Des initiatives émergent, notamment basées sur la mobilisation de citoyens, comme le Carillon. Elles s’appuient sur la mobilisation de commerçants pour offrir des services : par exemple chez tel commerçant il est possible de recharger son portable, chez tel autre de poser des bagages ou se poser, chez tel autre il y a des cafés suspendus

Nous pouvons commencer par l’eau. En termes de ressources, et cela n’est pas nouveau, les fontaines publiques sont une ressource très importante. Et cela est considéré comme tel par les institutions. Chaque été, nous recevons la liste de fontaines qui fonctionnent à Lyon pour que nous le sachions et que nous puissions la communiquer aux personnes. Nous sommes préoccupés par les coupures d’eau. Nous n’avons pas connaissance de toutes les fois où l’eau est coupée. C’est un enjeu.

Nous pouvons évoquer le téléphone. Les cabines téléphoniques ont disparu, il en reste deux sur la métropole. Or, pour avoir le 115 il faut avoir un téléphone.  Personne n’a pensé à cela lorsque les cabines ont été supprimées. Il faut donc un téléphone portable pour appeler le 115 et il faut donc des solutions pour charger son portable, ne pas se le faire voler…

Nous pouvons également évoquer la bagagerie qui s’est créée dans le 7e arrondissement (la bagage rue). C’est un magnifique outil dans la manière dont cela s’est créé et dans le résultat que cela donne ainsi que dans le service que cela rend. Ils peuvent accueillir, je crois, 80 personnes, ils sont plein. Quand on voit le nombre de personnes qui en ont besoin, c’est titanesque. C’est un service qui manque. Les gens ne peuvent pas poser leurs affaires. Dans certains accueils de jour, c’est possible, lorsqu’ils sont domiciliés, mais sinon il n’y a pas de service comme celui-là.

Des initiatives émergent, notamment basées sur la mobilisation de citoyens, comme le Carillon. Elles s’appuient sur la mobilisation de commerçants pour offrir des services : par exemple chez tel commerçant il est possible de recharger son portable, chez tel autre de poser des bagages ou se poser, chez tel autre il y a des cafés suspendus [où un client paie un café supplémentaire pour un inconnu] … Nous avons les adresses des commerçants avec ce qu’il est possible de faire chez eux ainsi que les horaires. Nous pouvons remettre une liste aux personnes qui sont dans la rue en fonction de l’arrondissement où elle est inscrite.

Au niveau de l’hygiène, les personnes que nous connaissons prennent plutôt leurs douches dans les accueils du jour. Les accueils de jour sont aussi saturés au niveau des douches. Cela implique beaucoup de temps d‘attente.  La fermeture des bains-douches doit plutôt impacter des personnes qui ne fréquentent pas les accueils de jours. Je pense à ceux qui habitent aux Chartreux, toutes les personnes de la presqu’île, il y en a beaucoup. Une douche mobile s’installe désormais à Perrache le dimanche.

Par ailleurs, les personnes n’évoquent pas la question des WC, sans nul doute du fait qu’il s’agit d’une question intime, mais on imagine aisément, que, du fait du faible nombre de toilettes publiques ouvertes et gratuites, cela représente un problème au quotidien

Cela fait 3 ans que les équipes de nuit, régulièrement, nous disent que les personnes ont faim. Je trouve très grave que l’on dise que l’on a faim en France. Il y a longtemps, lorsque j’ai commencé le SAMU SOCIAL il y avait un restaurant municipal ouvert le soir. Il a fermé parce qu’il était peu fréquenté. Actuellement, une personne qui est dehors dépend, pour manger le soir, de l’humanitaire (la Croix Rouge ou des petites associations), des distributions alimentaires, de gens qui donnent des colis (en se déplaçant ou à point fixe). En repas chauds possibles, il y a une association qui distribue des repas le mardi à Perrache et à Part-Dieu, et les camions du cœur qui sont tous les jours à Villeurbanne, mais c’est tout. Sinon ce sont des sortes de petits sandwichs, et ce n’est pas organisé pour qu’il y ait quelque chose tous les jours. Il n’y a pas de prise en charge institutionnelle de cette question de l’alimentation le soir. C’est au bon vouloir de chacun. Cela nous inquiète profondément de constater cette situation.

Je participe à un collectif qui s’appelle « Interaction rue ». Nous essayons de nous rencontrer avec l’ensemble ou presque des associations ou entités qui interviennent auprès des personnes SDF dans la rue. Il y a au moins une vingtaine d’entités autour de la table. Cela peut être les étudiants de Sciences Po Lyon qui décident de faire une maraude dans leur quartier, cela peut être ceux de l’INSA, la Croix-Rouge, l’Urgence sociale Rue ou une nouvelle association…

Quelles sont les dynamiques à l’œuvre aux côtés de ces initiatives citoyennes ?

Le secteur marchand investit aussi ce qu'il considère comme un "marché", par le biais de propositions de formes d'habitats intercalaires. Cela peut être des modules/bungalows, mais aussi des camions frigorifiques recyclés où dorment des personnes (comme à Paris), ou des tentes igloos chauffantes (proposition aujourd'hui non validée). [...] La massification des personnes à la rue provoque à la fois des formes de rejet que nous n'avions jamais observer jusqu'alors [...] mais aussi des formes de solidarité plus ou moins structurées

L'État, en charge des questions de logement et hébergement, gère le problème plutôt qu'il ne le traite. Institutionnellement, il délègue des missions à des associations qu’il finance pour cela. Ces associations s'"auto-désignent" souvent par le terme d'"opérateurs". Elles peuvent être mises en concurrence avec des acteurs du domaine marchand. Globalement, cela reste anecdotique mais on sent une tendance. Le secteur marchand investit aussi ce qu'il considère comme un "marché", par le biais de propositions de formes d'habitats intercalaires. Cela peut être des modules/bungalows, mais aussi des camions frigorifiques recyclés où dorment des personnes (comme à Paris), ou des tentes igloos chauffantes (proposition aujourd'hui non validée). Ce n'est pas sans poser de questions....

Le monde de l'entreprise, sur une dimension plus philanthropique, peut aussi intervenir pour soutenir l'État par le biais de mécénat. Ainsi, la Fondation Mérieux à Lyon tente de travailler sur un plan qui viserait à mettre fin au sans-abrisme en mobilisant son réseau d'entreprises. Là on est sur un autre registre. L'entreprise ne cherche pas à faire du profit mais à assurer sa part de responsabilité sociale, considérant que l'État ne peut pas tout. Cela vient interroger la place de l'État Providence aujourd'hui et de la responsabilité qu'on lui confère...

Côté citoyens, la massification des personnes à la rue provoque à la fois des formes de rejet que nous n'avions jamais observer jusqu'alors (une personne s'est fait par exemple verser de l'alcool à brûler dessus car son comportement dérangeait un voisin) mais aussi des formes de solidarité plus ou moins structurées. De manière structurée, des associations se créent pour organiser la réponse à des besoins non-couverts (bagagerie, réseaux d'accueil chez l'habitant... citoyens ou paroissien, le Carillon organise un réseau de commerçants mettant à disposition des services...). Certaines demandent des financements, d'autre non. La question centrale reste souvent, pour ces associations, - en particulier celles qui organisent l'hébergement chez l'habitant - : jusqu'où venir en aide aux personnes ne participe pas à déresponsabiliser l'État? Quelle doit être la responsabilité de citoyens ? Sous forme de réseau, on note aussi des solidarités par le biais des écoles avec le collectif « Jamais sans toit » par exemple qui, à la fois héberge et à la fois organise des mobilisations, pour que les familles des écoliers repérés puissent être hébergées. Cela signifie que des citoyens se sentent concernés par cette question parce que leurs enfants sont camarades de classe avec d'autres enfants qui dorment à la rue. Enfin, on note aussi des solidarités spontanées dans les quartiers où des personnes bénéficient du soutien d'habitants qui apportent des vêtements à manger etc...

Quelles sont les principales orientations sur les enfants et les jeunes ?

Depuis le SAMU social, nous nous interrogeons : jusqu’où aménageons-nous les choses dehors pour ces mineurs qui devraient être placés ? Nous avons travaillé à mettre en place une infirmière à domicile dans la rue. Mais quand est-ce que l’on s’arrête ? Jusqu’où aménage-t-on la rue ?

Depuis un an, nous notons la présence de mineurs installés dans la rue et suivis par l’ASE. Ils se trouvent à la rue parce qu’ils refusent les placements et aucune place ne leur est proposée tant qu’ils n’acceptent pas un établissement. Certains vivent avec des chiens, en couple avec des majeurs. Depuis le SAMU social, nous nous interrogeons : jusqu’où aménageons-nous les choses dehors pour ces mineurs qui devraient être placés ? Nous avons travaillé à mettre en place une infirmière à domicile dans la rue. Mais quand est-ce que l’on s’arrête ? Jusqu’où aménage-t-on la rue ? Nous interpellons les pouvoirs publics sur ces questions. Elle doit être mise au travail de toute urgence car il n’est pas imaginable de voir des enfants s’installer dans la rue.

Nous avons commencé à travailler dans la pratique avec la prévention spécialisée. Nous testons des maraudes ensemble pour que la prévention spécialisée arrive à davantage s’intéresser aux jeunes en errance. Si la prévention spécialisée arrivait à se saisir de cela, cela pourrait créer d’autres lieux ressources avec leurs lieux à eux, pour eux. Nous verrons. C’est nouveau. Nous avons fait la première maraude la semaine dernière, c’est récent.

Actuellement, dans le cadre du plan pauvreté, il y le projet de créer des maraudes mixtes. Le but initial était la lutte contre la mendicité mais les fédérations sont parvenues à lisser un peu cet objectif pour mettre au cœur les droits de l’enfant. La notion de lutte contre la mendicité demeure mais elle n’est plus centrale. À ALYNEA, nous allons proposer une équipe mobile famille, conjointement à l’ALPIL, en réponse à ce projet de maraudes mixtes. Il s’agira de proposer un accompagnement aux familles en non-recours.

Nous ne parlerons pas de lutte contre la mendicité. Cela cible des populations et l’enjeu central doit rester l’accès à un habitat adapté.

En ce qui concerne les femmes dans la rue, quelle est leur situation ?

Il y a quand même une vulnérabilité, pour moi, très importante, des femmes dehors

Les femmes que nous connaissons sont soit en famille soit seules. Si elles sont seules, elles vont soit s’invisibiliser en se masculinisant (dans les habits par exemple) soit se mettre en couple. Quand je dis cela, on pourrait penser qu’elles font exprès… mais il y a quand même quelque chose. Elles se font protéger par quelqu’un. Ce sont donc des couples affectifs ou des couples de rues. Mais il vaut mieux être protégé par quelqu’un. Parfois nous nous rendons compte que la personne qui protège peut-être aussi limite dans les comportements, mais elle protégera tout de même de quelque chose de pire. Il y a quand même une vulnérabilité, pour moi, très importante, des femmes dehors.

Nous avons déjà assisté à des agressions, de nos propres yeux, parce que si une personne est très malade et qu’elle n’a pas de traitement, elle est aussi sans défense en cas d’intrusion. Si on ne peut pas se cacher dans les recoins, on est d’autant plus visible. Et quand on est visible, on est d’autant plus une proie.

Les femmes qui arrivent à se débrouiller, par définition, nous ne les voyons pas, car nous n’allons pas savoir qu’elles sont dans la rue, sauf si elles demandent une couverture. Nous avons le prisme de ce qui est très visible.

Qui peut mieux approcher les femmes qui s’invisibilisent ?

Je ne suis pas sûre que des femmes qui veulent vraiment s’invisibiliser souhaitent fréquenter des lieux où il y a des femmes qui sont très désocialisées. Ce sont quand même des lieux où il y a des gens qui sont très marqués

Si les personnes sont en recours, elles vont être suivies par des institutions : CCAS, MDMS [Maison de la Métropole pour les Solidarités]. Il peut y avoir aussi le CAO (centre d’accueil et d’Orientation, association le Mas) comme accueil de jour parce que cela suppose de moins se mélanger aux autres comparativement à d’autres accueils de jour. Le CAO n’est pas pensé comme un lieu de sociabilité, mais comme un lieu de travail social, même s’ils ont mis en place des choses pour rendre l’accueil plus chaleureux, mais ce n’est pas le but.  Nous allons accompagner au CAO des personnes dont on pense qu’elles n’ont pas trop envie de se mélanger avec d’autres personnes. En cela ce lieu est intéressant.

Il y a aussi l’association de Marion GACHET pour les femmes : « Passerelles buissonnières ». Je n’imagine pas que cela soit des femmes très désocialisées qui vont là. Il y a aussi « l’accueil Saint-Vincent » qui fait des après-midi femmes. Mais je ne suis pas sûre que des femmes qui veulent vraiment s’invisibiliser souhaitent fréquenter des lieux où il y a des femmes qui sont très désocialisées. Ce sont quand même des lieux où il y a des gens qui sont très marqués.

Quelle vision avez-vous du fonctionnement sur les territoires moins urbanisés ?

Un système de solidarité spécifique aux territoires moins urbanisés existe. Par exemple, nous avons rencontré une personne à L’Arbresle qui sortait d’une chambre mise à disposition par la municipalité, en dehors du SIAO [Service Intégré d'Accueil et d'Orientation]. Tant que l’on est dans quelque chose de l’ordre de la précarité, de comportements peu dangereux, les communes prennent en charge elles-mêmes, avec l’appui du CCAS (les personnes sont souvent connues du CCAS, du CMP [Centre médico-psychologique]… Le maillage est fait). Ce ne sont que des gens du territoire. C’est un peu l’image ancienne du « fou du village ». Du côté des communes elles assurent avec bonne volonté jusqu’à un certain point. Avec l’appui du CCAS et des délais d’attente dans les demandes de logement qui ne sont pas énormes dans les campagnes, ça peut fonctionner un moment et pour certaines situations.