Nous travaillons beaucoup à partir des tendances et de signaux faibles. En prospective, les tendances ne sont souvent qu’un élément pour pouvoir construire ensuite des scénarios de futurs possibles. Nous, nous n’allons que rarement jusqu’à cette étape « scénario » pourtant fort utile pour re-questionner son cap et faire bouger sa stratégie. Nous restons plus proches des tendances et des signaux faibles, bien moins intimidantes pour les élus et les collègues que les scénarios. Nous réunissons directement les parties prenantes (les élus, les services, les partenaires) autour de ces tendances et nous nous demandons ce qu’elles signifient, ce qu’elles peuvent impliquer pour demain, etc. Les scénarios, qui agrègent différentes variables, sont parfois compliqués à manipuler en situation professionnelle ordinaire, et ils peuvent susciter une certaine méfiance chez les parties prenantes dans la mesure où ils résultent d’une construction intellectuelle et de partis pris. Les tendances, d’une certaine façon, respectent davantage le libre arbitre des uns et des autres : chacun peut y exercer directement son esprit critique et choisir ses angles de vue pour corriger son action ou sa stratégie.
Nous sommes-là typiquement dans une résultante de la prospective embarquée que je vous ai décrite, plus souvent sollicitée pour requestionner l’action « chemin faisant » que pour instruire de grandes décisions stratégique. On dit parfois que la légitimité de la prospective se situe davantage dans le champ du requestionnement, de la reproblématisation, que dans l’invention des solutions. Bien que nous soyons souvent incités à proposer des solutions ou des orientations, cette idée nous convient bien. Elle correspond à ce que peut produire, en termes de transformation cognitive et d’impulsions vers l’action, une discussion collective bien conduite autour d’un ensemble de tendances.
En fait, la prospective du présent a gagné du terrain un peu partout, et ce n’est pas étonnant dans la mesure où le futur semble de moins en moins programmable. Le sentiment d’accélération que nous ressentons tous, notamment en matière de progrès technologique, l’instabilité géopolitique, et bien sûr l’enchainement des catastrophes naturelles liées au réchauffement climatique, tout cela indique qu’il ne suffit pas d’avoir une vision et des objectifs de long terme : il faut aussi pouvoir s’adapter et se transformer vite. D’où le succès de nouveaux termes : l’agilité, la résilience. Depuis bientôt trente ans, les entreprises mettent en œuvre des stratégies dites réversibles. Et les organisations seraient en train de passer de l’ère du changement par paliers à l’ère de la transformation permanente.
Pour autant, les stratégies de long terme ont-elles disparu ? Le sujet est très discuté. On peut parler d’une préférence pour le présent si l’on pense à l’endettement public, au déséquilibre des comptes sociaux, ou encore à la réduction du budget public par étudiant dans le contexte de massification de l’enseignement supérieur. Mais l’enclenchement de politiques de transition ambitieuses dans de nombreux territoires, et singulièrement dans l’agglomération lyonnaise, nous raconte à l’inverse l’histoire d’une prise en compte des exigences du futur.
Extraits du webinaire d’Horizons publics auquel la prospective du Grand Lyon avait participé, et où est intervenu le VP J. Camus.