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Imaginove et la robotique ludique et éducative

Interview de Emmanuel RONDEAU

Chef de projet Recherche & Développement au sein du pôle de compétitivité Imaginove.

<< Pour Imaginove, le robot constitue une plate-forme-console de demain, sur laquelle tout reste à faire au niveau des contenus >>.

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Date : 05/01/2011

Le pôle de compétitivité Imaginove vise à développer les synergies entre les filières de l'image en mouvement (jeu vidéo, cinéma, audiovisuel, animation et multimédia) de Rhône-Alpes en favorisant l'anticipation et en stimulant l'innovation des professionnels.
Dans cet entretien, Emmanuel Rondeau décrit l’intérêt que portent les acteurs d’Imaginove à la robotique de service et, plus précisément, à la robotique éducative et ludique. Il donne à voir les convergences à l’œuvre entre ces deux univers tout en évoquant les projets de R&D d’ores et déjà lancés par Imaginove.
Interview réalisée le 5 janvier 2011 par Boris Chabanel

Pouvez-vous nous présenter en quelques mots la philosophie du pôle Imaginove ?
Imaginove représente les différentes filières de l’image animée présentes en Rhône-Alpes : jeu vidéo, cinéma, audiovisuel, animation et multimédia. L’idée fondatrice d’Imaginove est que dans le contexte actuel, ces filières ont de plus en plus intérêt à travailler ensemble. Pour simplifier, il y a encore quelques années les professionnels du cinéma ne voulaient pas entendre parler du monde du jeu video et vice versa. Plusieurs éléments ont conduit à faire évoluer la situation. Tout d’abord, quand on développe une propriété intellectuelle, un univers, des personnages, etc., il est de plus en plus évident qu’il faut la développer, la raconter sur plusieurs supports. Cette une stratégie dorénavant importante des chaines de TV et des éditeurs de jeu vidéo.
Une autre idée très forte d’Imaginove est que les écrans traditionnels que l’on connait, la télévision et le cinéma, sont impactés par de nouveaux écrans : l’ordinateur, les téléphones portables, les tablettes… Pour les filières que j’évoquais précédemment, ces nouveaux écrans impliquent des changements importants au niveau de la production, de l’organisation, mais aussi des technologies. Il s’agit également de faire le constat que les utilisateurs des contenus diffusés sur ces nouveaux écrans ne sont plus les mêmes. Si l’on prend l’exemple des jeux vidéo où l’évolution est la plus massive, les dernières études montrent que désormais les joueurs sont majoritairement des plus de 35 ans et des femmes. En d’autres termes, se dire que les jeux vidéo ce sont des jeux de guerre ou de foot sur des consoles hyperpuissantes avec des hardcore gamer enfermés dans leur chambre, c’est dépassé ! Ce type de joueur existe toujours et est important mais aujourd’hui les enjeux de la diffusion des jeux vidéo sont ailleurs, sur Facebook, l’Iphone, la Freebox et avec des interfaces différentes comme le Kinect de Microsoft qui permet de joueur sans manettes. Facebook, c’est près de 250 millions de joueurs dans le monde, 20% de la population américaine joue sur les réseaux sociaux. Plusieurs éditeurs, comme Zynga, se sont construit un empire sur ce marché du jeu vidéo en ligne qui représente désormais une part importante du marché global des jeux vidéo.

Quelle est la démarche d’Imaginove pour affronter ce contexte en pleine évolution ?

Dans ce cadre là, une de nos réponses consiste à monter des projets collaboratifs entre les différents membres d’Imaginove. En fait, nous travaillons un peu différemment des autres pôles de compétitivité. Les filières que l’on représente présentent la particularité de ne pas toujours avoir de démarche de R&D organisée, elles n’ont pas toujours d’équipe dédiée. Jusqu’à récemment, elles ne se posaient pas ou peu la question des évolutions technologiques et de leurs impacts sur leur activité. De fait, pour faire émerger des projets de R&D, nous ne pouvions pas nous contenter de lancer des appels à projet. Nous devons prendre à bras le corps l’élaboration des projets collaboratifs. Il s’agit tout d’abord d’inciter nos filières à structurer leur activité de R&D et de se projeter dans le futur, d’élaborer une stratégie à moyen terme. Ensuite, nous allons dans les studios, dans les laboratoires pour voir ce qu’ils font, nous identifions des pistes de rapprochement, nous organisons des brainstormings, des ateliers technologiques, des conférences entre ces différents acteurs. Autrement dit, Imaginove n’est pas dans une logique de filtrage de projets mais dans une démarche d’élaboration des projets qui sont en ligne avec notre roadmap technologique.

Selon vous, que recouvre l’univers de la robotique de service ?

Pour nous la robotique de service c’est tout ce qui ne concerne pas la robotique militaire et la robotique industrielle. Le robot de service est en contact direct avec le consommateur final et ce dernier en fait usage de façon autonome. S’il faut faire intervenir un intermédiaire spécialisé pour utiliser un robot, on est plutôt dans la logique de l’objet-métier utilisé par un professionnel. C’est une manière de voir les choses, mais d’autres approches sont possibles.

Dans quelle mesure la robotique de service constitue-t-elle un champ d’opportunité pour les filières de l’image animée ?

Pour Imaginove, le robot constitue une plateforme-console de demain, sur laquelle tout reste à faire au niveau des contenus. Ce que l’on constate, c’est que l’on a des entreprises plus ou moins importantes comme Sony au Japon, iRobot aux Etats-Unis ou Aldebaran en France qui fabriquent des robots dont la technologie est aujourd’hui mure. Mais concrètement, les usages ne sont pas développés, les actions réalisables avec ces robots sont pauvres. Pour caricaturer, le robot sait danser à peu près la carioca mais pas beaucoup plus ! Et l’on a dépensé 1 000 euros pour ça… Cette industrie est parfaitement consciente de ce problème et elle est en train de se tourner du côté de ceux qui savent créer du contenu, du gameplay. Et réciproquement, les gamedesigner, les studios d’animation, qui travaillent depuis toujours sur la scénarisation, sont en train de s’ouvrir à ces fabricants de robots et d’objets communiquant.
La perspective qui s’ouvre devant nous est de voir la déclinaison du concept d’appstore au monde de la robotique. Demain, j’achète mon robot chez Carrefour et je peux ensuite acheter des comportements, des jeux. Tiens ce robot sait marcher, et bien je vais acheter le jeu « cache-cache » ou encore « jouer avec le chat ». L’enjeu est bien que ces robots apportent un service, un plaisir. C’est une condition indispensable pour que la robotique ne reste pas une communauté de technophiles qui bricolent dans leur garage et qu’elle devienne un marché de masse.
Tout l’enjeu pour Imaginove consiste à analyser ces signaux faibles et se positionner dès aujourd’hui. Il y a une filière industrielle de la robotique de service qui est en train de se structurer en France et nous devons d’être en mesure d’accompagner son développement. C’est un champ d’opportunité sur lequel nous pensons pouvoir valoriser de bonnes compétences académiques et industrielles. Il faut que l’on se positionne dès à présent et pas attendre, comme c’est souvent le cas, que des entreprises asiatiques et américaines fassent d’énormes levées de fond et raflent l’intégralité du marché. Nous considérons également qu’il y a des créations d’emplois à la clé et c’est bien le message que nous faisons passer à nos financeurs.

Concrètement, que peuvent apporter les acteurs d’Imaginove à la robotique de service ?

Nous comptons parmi nos membres POB Technology et Robopolis qui se positionnent comme concepteurs de robots. Pour autant la valeur ajoutée des acteurs d’Imaginove réside d’abord et avant tout dans leur capacité à apporter la dimension usage qui manque aujourd’hui aux robots. La problématique qui nous est posée est la suivante : quels seront les usages de demain autour de la robotique ? Les réponses dépendent aussi des capacités du robot. Mais avec trois capacités de base comme le déplacement, la reconnaissance des objets et l’émission de son, on peut déjà imaginer des gameplay intéressants. En même temps, l’idéal serait de faire le chemin inverse : quels sont les usages ? quelles nouvelles idées de jeux peut-on en tirer ? de quelles capacités faut-il doter les robots ? Cette entrée par les usages conduit à mettre en évidence certains enjeux technologiques comme les modules optiques, la puissance de calcul, etc.

Quels sont les projets d’Imaginove qui illustrent cette ambition de construire une passerelle entre l’univers des jeux vidéo et
celui de la robotique ?

Il y a tout d’abord le projet GRAAL que nous avons collabellisé avec le pôle de compétitivité Minalogic de Grenoble. Ce projet vise à mettre au point une boite à outil comportementale pour la robotique éducative et ludique.
Nous avons récemment colabellisé avec le pôle de compétitivité parisien Cap Digital un autre projet sur la robotique, le projet ROMEO2. C’est un projet national qui comprend des partenaires rhônalpins comme Robopolis et l’Inria et de nombreux partenaires de la région parisienne comme Aldebaran Robotics. Il s’agit de concevoir un robot humanoïde destiné à l’aide à domicile des personnes dépendantes. Dans le cadre de ce projet, l’entreprise lyonnaise Robopolis va développer un module de vision par ordinateur qui permet de recréer une scène en 3D à partir d’une seule caméra.

Ce principe de collabellisation est-il spécifique aux projets concernant la robotique ou est-ce une démarche plus générale pour Imaginove ?

C’est une véritable stratégie pour Imaginove de travailler avec les meilleurs partenaires nationaux sur les projets, d’aller trouver les bonnes compétences là ou elles sont. Nous travaillons donc très étroitement avec d’autres pôle de compétitivité, comme Minalogic, Cap Digital ou encore Image&Réseaux.

Les questions de commercialisation, de mise sur le marché font-elles partie intégrante de ces projets ?

Non, il s’agit de projets de R&D. Ce qui veut dire que l’on va jusqu’au stade du prototype. Dans le cadre juridique européen, nous ne sommes pas habilités à financer de la production. Cela dit, il est évident qu’on ne fait pas de la R&D pour faire de la R&D, il y a derrières des enjeux commerciaux qui sont analysés et quantifiés.

Vous parait-il envisageable de voir se constituer une filière robotique de service en Rhône-Alpes, en particulière sur ce champ ludique et éducatif ?

Oui, nous avons des acteurs en Rhône-Alpes qui sont en capacité de sortir des produits, de se positionner sur les marchés nationaux et internationaux. Nous avons plusieurs sociétés innovantes et des laboratoires de recherche de qualité sur ce champ de la robotique de service. Pour l’instant nous n’avons pas encore de grand champion industriel, mais le marché est tout juste naissant.

Pourquoi est-ce important de pouvoir compter sur la présence d’une grande entreprise ?

C’est important d’avoir un totem, une grande entreprise qui fait rayonner le secteur, qui est en capacité de faire de la R&D et d’apporter des financements. De même, pour porter un projet de R&D auprès du FUI , il faut un acteur qui ait les épaules solides.

Nous avons à Lyon un leader mondial de l’équipement domestique qui est SEB. Un acteur de cette nature pourrait-il assumer ce leadership sur la filière robotique rhônalpine ?

Oui, c’est tout à fait envisageable. C’est bien d’un acteur de ce calibre dont nous avons besoin pour faire décoller la filière. D’ailleurs, pour l’anecdote, SEB avait sorti une console de jeux il y a 30 ans, en 1979, du nom de SEB loisir ! C’est étonnant mais c’est vrai ! J’ajoute qu’une personne de SEB a participé à un atelier sur les objets communiquant que nous avons organisé cette année. Pour l’instant, nous ne connaissons pas leurs orientations en matière de R&D, leur philosophie de la robotique de service et plus largement des objets communicants, mais il serait intéressant de les rencontrer.

A défaut d’avoir pour l’instant un acteur leader, comment fédérer ces différents acteurs rhônalpins de la robotique de service ?

C’est précisément l’objectif du groupe de travail robotique que nous souhaitons mettre en place avec Minalogic à l’échelle régionale. La première étape a consisté à repérer les diverses compétences présentes en Rhône-Alpes en matière de Robotique. Pour l’instant, nous en sommes là : nous avons établi une liste d’acteurs pertinents sur ce champ de la robotique. Il reste maintenant à mettre en mouvement ces acteurs, en faisant en sorte qu’ils se connaissent, en les sensibilisant aux appels à projets existant, en organisant des ateliers sur des problématiques précises, en organisant des appels à projets spécifiques à la robotique, etc.

Cette filière rhônalpine de la robotique entrera-t-elle nécessairement en concurrence avec celle qui est en train de se constituer en région parisienne ?

Il y a déjà une concurrence au niveau local mais ce n’est pas toujours forcément négatif, ça peut aussi tirer l’innovation. Au-delà, il est évident qu’il y aura une concurrence à l’échelle nationale et internationale. Ne serait-ce que parce que parce qu’il y a encore peu de standards de définis aujourd’hui dans la robotique de service, que ce soit sur le plan mécanique comme sur le plan des plateformes de contenus. La normalisation dépendra sans doute des réactions du public, de l’évolution des ventes.

De même, faut-il craindre la concurrence de la Corée, du Japon ou des Etats-Unis ?

Un projet comme Roméo2 est un signal fort qui témoigne de la volonté de soutenir la création d’une filière française de robotique de service. Maintenant il faut regarder les choses en face, et notamment sous l’angle financier. Les projets des pôles de compétitivité sont des projets de quelques millions d’euros. En comparaison, le chiffre d’affaire d’IRobot, première entreprise mondiale de robotique de service, s’élève à près de 250 millions de dollars. De même, le gouvernement coréen a décidé que la Corée serait le leader mondial de la robotique et investira près d’1 milliard de dollars sur ce champ d’ici 2013. Il est clair que l’on ne joue pas dans la même catégorie au niveau de la puissance financière.
Sur le plan de l’acceptabilité du robot, il y a également une différence forte entre l’occident et l’Asie. Lorsque l’on regarde le marché asiatique, on constate que l’on n’a pas la même vision de la robotique qu’en Europe ou aux Etats-Unis. Quand nous imaginons un robot, nous pensons d’abord à Terminator, à Robocop, à des machines qui nous menacent. Ce n’est pas du tout le cas en Asie où l’on pense à un robot qui va m’aider, me sauver la vie. A titre d’exemple en Corée, il y a un robot dans toutes les écoles. Bref, le contexte asiatique apparait plus favorable à l’usage des robots de service que chez nous. En occident, leur utilité n’est pas perçue spontanément, il faut en apporter la preuve.
Par contre, les entreprises asiatiques de robotique de service sont focalisées non pas sur les usages mais sur la technologie, c’est plutôt l’inverse chez nous et c’est bien là que nous avons une carte à jouer. Les robots asiatiques se vendent difficilement en Europe parce qu’ils sont trop axés sur la technologie, ce sont des petits miracles technologiques principalement destinés aux technophiles. A l’inverse, nous attachons une grande importance aux usages parce que nous estimons qu’il s’agit d’un facteur clé de succès. C’est sans doute ce qui peut nous différentier et compenser un peu les écarts en matière de capacités d’investissement.

L’innovation par les usages serait donc un levier important pour la compétitivité de la filière robotique de service rhônalpine ?

La question des usages est effectivement essentielle pour nous. C’est valable pour la robotique comme pour l’ensemble des filières d’Imaginove. Nous avons de nombreux projets qui comportent une partie « études des usages » destinée à observer la manière avec laquelle les produits sont réellement utilisés. Parmi les membres d’Imaginove, nous avons des laboratoires spécialisés dans ce type d’études. Au-delà, nous sommes en train de développer différents outils pour créer un laboratoire d’usage autour des objets communiquant.
Et pour nous, le premier laboratoire d’usage c’est le territoire lui-même. Le Grand Lyon l’a bien compris et nous avançons avec lui sur un projet autour de cette thématique. Aujourd’hui, de nombreuses activités se développent autour de ces questions d’études des usages, d’expérimentation. Dans la région, on peut citer l’Ideas Lab du CEA de Grenoble, le Centre du design de Saint-Etienne ou le laboratoire Multicom à Grenoble. L’enjeu c’est de faire en sorte que le territoire soit identifié comme un lieu d’expérimentation où l’on peut venir tester des nouvelles idées, des nouveaux produits.